Memories from the past (Amaranth)

La singularité de leur lien avait emmené Nathaniel à se détourner de ses habitudes en proposant une telle invitation, lui qui préférait habituellement se terrer dans sa tanière une fois le travail terminé. Parfois, il lui arrivait d'accepter quelques verres ou d'être tenté par une aventure sans lendemain avant de retrouver le froid de ses draps qui reflétait que bien trop cette solitude qu'était la sienne.

Au moins, il savait que l'échange et la compagnie qu'il s'apprêtait à avoir avec l'élégante Amaranth sauraient lui apaiser temporairement son esprit tourmenté. Agrippée à son bras, ils ne mirent qu'une fraction de secondes à arriver devant le Clair de Lune.

L'intérieur était toujours aussi agréable et chaleureux. Avec la fermeture des Trois Balais à Pré-au-Lard, la clientèle s'était faite de plus en plus nombreuse sans pour autant être étouffante pour le Seymour, ayant bien du mal à trouver sa place lorsqu'il y avait foule. Le chat, cet animal si majestueux qui le définissait, tenait à une certaine tranquillité. Assis en face de son ancienne camarade, Nathaniel se laissait bercer par la musique jouée en fond tandis qu'il observait aussi attentivement que discrètement sa gestuelle et ses traits délicats lorsqu'elle ne le regardait pas. Cet endroit semblait lui plaire, le devinant en premier lieu à cette petite étincelle dans ses yeux céladons dans lesquels il serait facile de s'y perdre avant qu'Amaranth ne vienne d'elle-même confirmer ce qu'il pensait.

« Je suis content qu'il te plaise. »

Alors que leur commande venait d'être servie, un petit sourire victorieux s'esquissa sur ses lippes, tandis qu'il portait son verre rempli de whisky pur feu à ces dernières. L'Auror écoutait attentivement la femme en face de lui sans la quitter pour autant du regard, curieuse de ce métier qu'il exerçait réputé si noble et dangereux. Pour un grand nombre de sorciers, ils étaient vu comme des preux chevaliers en armures et un symbole de réussite. Cette affirmation avait de quoi l'amuser, tant la réalité pouvait être tout autre.

« Disons que... »

Nathaniel posa le verre sur la table, acceptant au passage cette cigarette si gentiment offerte par sa comparse puis poursuivit son récit.

« Je dirais que le ressenti est propre à chacun. Mais... Si je devais le faire, c'est un travail qui demande énormément de temps, de sang-froid, d'observation et il faut être prêt à faire des sacrifices. »

De son temps bien entendu mais surtout, de sa propre personne. Ceux qu'ils traquaient étaient souvent prêts à tout, allant jusqu'au meurtre et à faire usage de la magie noire. Dans sa courte carrière, le Seymour avait vu des choses qu'il ne souhaiterait même pas à son pire ennemi. Pensif l'espace de quelques instants, il coinça sa cigarette entre ses lèvres pour l'allumer d'un coup de baguette, ignorant à ce moment là qu'il était la parfaite image de ce père qu'il détestait tant lorsqu'il commença à la consommer.

« Tu me disais enseigner actuellement ? J'ai moi-même eu ce rêve fut un temps. »

Un rêve idiot qui n'avait plus de sens désormais. Il y a bien longtemps que ses espoirs n'étaient plus qu'illusoires. Evaporés. Enterrés.

Devenir Auror, Nathaniel ne s'en prédestinait pas. Tout du moins, tel n'était pas son souhait lorsqu'il était plus jeune mais ne regrettait pas pour autant son choix. Il s'était trouvé une nouvelle vocation, dans cette voie que son père, Ignatius Seymour, avait cherché à lui tracer, voulant que son fils s'élève dans un métier honorable pour ne pas ternir l'image de leur famille. Encore sous l'emprise de ce géniteur dont le cadet voulait rendre fier par l'obéissance et les prouesses, il avait abandonné son idée d'enseignant. Au moins, il était ravi d'entendu qu'Amaranth avait poursuivi ses rêves jusqu'aux bout et perpétué l'héritage de celui qui tenait à sa fille comme à la prunelle de ses yeux. Elle avait eu une chance que Nathaniel n'avait pas eu et qu'il enviait, plutôt comme un regret de n'avoir pas connu une telle complicité avec son propre géniteur.

Perpétrer un héritage était quelque chose que la jeune femme tenait à préserver de toutes ses forces et c'était tout à son honneur. Alors que lui, au contraire, risquait de n'être qu'un simple souvenir. Peut-être laissera-t-il un jour des écrits derrière lui. Hormis @Cléophée More et Priam, il n'avait plus vraiment de famille sur qui se reposer. Plus d'épouse où il pouvait enfouir sa tête dans le creux de son cou et humer son doux parfum apaisant, ni d'avoir un enfant à élever, si ce n'était sa petite cousine dont il s'était porté garant.

Voilà que l'homme se perdait dans le sage récit d'Amaranth où sa fine oreille finit par déceler une craquelure. Un sujet tabou, qu'elle ne voulait sans doute pas exposer. Nathaniel s'était mentalement fait sa propre hypothèse mais préféra la garder pour soit pour ne pas la brusquer, se murant dans un silence qui amena l'enseignante à se confondre en excuses, pensant que Nathaniel n'aimait sans doute pas être l'interlocuteur d'une discussion teintée de mélancolie.

En réaction, le brun secoua la tête et afficha un bref sourire avant d'abandonner quelques cendres.

« Ne t'inquiètes pas, je reste réceptif à ton histoire. C'est comme si je découvrais une nouvelle version de toi-même, ou devrais-je dire la suite d'un récit que l'on avait entamé il y a des années. Je suis bon public, même si je ne suis pas l'homme le plus bavard ni le plus expressif qui soit. J'en suis désolé. »

Même si le Seymour avait fait des efforts grâce à l'impulsion de Victoria, il demeurait quelqu'un de taciturne et davantage depuis que cette dernière n'était plus, s'enfermant dans un monde qu'il connaissait bien. Le sien. Mais il voulait être sincère envers son ancienne camarade avec qui il retrouvait naturellement cette complicité d'antan. Ce confort dans la discussion, comme il n'en avait pas depuis un long moment avec quelqu'un excepté avec sa chère cousine.

« J'admire ton parcours et je suis certain que tu laisseras un héritage digne de ce nom. Pour ma part, il n'y aura personne pour suivre mes pas qui finiront par s'effacer. »

Nathaniel y voyait une certaine ironie dans ses propos, étant lui-même un Auror capable de se transformer en un animal dont l'effacement de sa présence était sa spécialité. Mais là, il parlait de cette succession future sur laquelle il ne posait aucun espoir, se contentant de vivre l'instant présent et de cogiter sur le passé. Son regard azur perdu à la surface du whisky qu'il venait de boire, sentant cette gorgée descendre le long de son gosier et l'alcool l'enivrer doucement, il poursuivit sur ce comparatif intelligent qu'Amaranth venait de faire sur leurs deux professions.

« Mais tu as raison. Il est vrai que nos métiers ne pas si différents de ce point de vue-là. Sans lois ni éducation, tout ne serait qu'anarchie. »

Toujours dans la réflexion, il ne parlait jamais sans rien dire. Abreuvé par d'innombrables ouvrages tantôt écrits par des sorciers et d'autres, par des moldus, Nathaniel aimait se dire que tout avait un sens et une explication logique comme pour se rassurer. Il analysait, observait le monde qui l'entourait. Mais comme l'avait si bien dit Victoria par le passé, il peinait à réellement se laisser porter par la seule force de ses émotions et vivre simplement. Rares étaient les moments où elle le voyait lâcher prise, sauf dans cette intimité qu'ils entretenaient avec passion parsemé par quelques moments de quiétude, à juste profiter du silence rythmé par leurs respirations et leurs cœurs battants l'un contre l'autre.  

« Plus que le hasard, je dirais que certaines circonstances ont fait que nos chemins se croisent. Il ne tient qu'à nous ensuite de voir si nos retrouvailles ne seront que éphémères ou permanentes. »

Ses intentions étaient claires : il ne voulait pas voir un autre vestige de son passé s'envoler. Pourtant, par ce sourire malicieux qu'il affichait à son tour, l'Auror, peu à peu consommé par l'effet de l'alcool lui aussi, se retrouvait prêté au jeu de l'ambiguïté.

Memento Mori.
Tel un papillon nocturne, la vie n'a en effet qu'un caractère éphémère. Qu'importe le chemin emprunté, tous conduisent vers la même fin. Chaque individu est doté d'un libre arbitre qui l'amènent face à des choix, parfois des dilemmes auxquels ils doivent cruellement se confronter. Il n'y a ni de bons, ni de mauvais. Tout dépend du point de vue de celui qui s'oriente. C'était ainsi que résonnait Nathaniel, ayant construit son résonnement sur des expériences passées et l'analyse profonde et pertinentes de penseurs dont il avait étudié les œuvres. En d'autres termes, l'Auror confirmait les dires sages de son interlocutrice. Profiter de l'instant présent, voilà quelque chose qu'il n'avait pas fait depuis longtemps. Reclus dans son travail et hanté par ses démons, il ne prenait plus le temps de savourer sa simple existence, profitant toutefois un moment de quiétude entouré des More. Parfois aussi, il lui arrivait de et s'abandonner dans des aventures d'une nuit en y trouvant qu'une satisfaction charnelle plus qu'un sentiment d'une réelle allégresse. Victoria n'était plus mais elle était encore là. Dans ses songes, dans ses pensées. Il semblait entendre sa voix, sentir sa présence, à lui susurrer au creux de son oreille. Mais tout ceci n'était en réalité que le reflet d'une âme en peine.

Une peine, qu'il pouvait déceler dans le regard émeraude d'Amaranth et dont il ignorait pour le moment l'origine. L'alcool avait tendance à faire émerger un bon nombre de choses enfouies au plus profond de soi. Des choses, qui bien souvent pouvaient changer la nature d'une relation ou définitivement la briser. Par cette action de raccourcir cette distance raisonnable qui les séparait, la jeune femme venait de pénétrer dans le cercle intime du Seymour, accordant son consentement par le mutisme qu'était sien. Il pouvait presque sentir son souffle sur sa peau, son odeur que le brun reconstituait mentalement. Elle lui offrait le détail de ce qui faisait le charme de son visage, allant de ses traits élégants, de sa chevelure soyeuse à la lueur hypotonisante de son regard dans lequel l'Auror se plongeait volontiers. Une main douce et chaleureuse vint envelopper la sienne. Un sentiment exaltant vint lentement irradier son corps. Familier, serait-ce l'envie ou l'effet de l'alcool qui trompait son esprit ? Le discours d'Amaranth sonnait comme une invitation à venir la rejoindre. Une part de lui voulait se libérer de ses chaines, baisser ses barrières et une autre, était injustement retenue.

L'homme écrasa sa cigarette de la main gauche dans le cendrier et de la main droite, resserra gentiment l'étreinte.

« Ne crains-tu pas l'homme sous le masque ? »

Secret, brisé et ayant été vecteur de la Mort. La malédiction qu'il portait dans ses veines n'était qu'un fardeau qu'il tenait de ses ancêtres, choisissant volontairement la solitude après le décès de Victoria. L'engagement était une crainte qu'il n'avait pas encore outrepassée, n'ayant jusqu'à présent connu que des histoires passagères.

Sortant un bout de parchemin vierge de la poche de son pantalon, il fit inscrire son adresse personnelle à l'aide d'un sortilège informulé qu'il fit glisser délicatement dans la main d'Amaranth avant d'aller trouver de nouveau ce contact visuel qui l'accrochait tant.

« Tu as raison...Voilà déjà tant d'années que nous nous sommes perdus de vue. »

Commença-t-il, avant de suivre le mouvement et poursuivre sur un ton chaleureux et volupté.

« Désormais, tu sauras où me trouver. Et la nuit à venir si tel est ton souhait, peut-être apprendrons-nous à vivre de nouveau ? »

Il s'approcha encore, tenté d'aller plus loin mais l'Auror s'arma d'un simple sourire félin.