Underclass Heroes

Sean ne savait combien de temps il était resté prostré à terre, le corps agité au souvenir du vent de haine pure qui l’avait traversé. C’était comme s’il n’avait plus été lui-même durant quelques instants. La volonté de tuer avait habité chacune de ses cellules, tandis que pour un court moment, la peur avait entièrement quitté son esprit. Le plus terrifiant avait alors été que quelque part, au fond de lui, Sean avait apprécié ce sinistre calme durant lequel il s’était senti fort, puissant.

Au bout de longues minutes, il avait cependant essuyé le sang qui coulait le long de son menton et récupéré sa baguette qui avait roulé au sol. L’étudiant avait abîmé ses poings contre le sol et la douleur pulsait le long de ses bras alors qu’il raffermissait sa prise sur sa baguette. La souffrance ne le gênait pas. Elle était supportable, et l’aidait à se sentir en vie. Le fait de souffrir - de manière limitée - lui permettait de savoir qu’il ne vivait pas une nouvelle illusion. La manière qu’il avait de la surmonter avait également un côté rassurant. C’était comme se prouver à lui-même qu’il avait encore un peu de contrôle sur lui-même.

Le Clearwater s’était alors allongé sur son lit, les yeux fixés sur le plafond, persuadé que le repos ne pourrait plus jamais se poser sur lui. Pourtant, quelques heures plus tard, ce fut d’un sommeil agité que vint le tirer son oncle. Sans reconnaître où il était, Sean se réveilla d’un cri, couvert de sueur, en agrippant sa baguette qu’il n’avait pu lâcher de toute la nuit. Le Gryffondor eut besoin de plusieurs secondes pour reconnaître Jameson qui l’observait d’un air inquiet, assis sur le lit.

- Uncail… marmonna Sean en se relevant, passant sa main sur son front moite. Que faisait-il ici, est-ce qu’il s’était passé quelque chose de grave ? Mais si ça avait été le cas, le Clearwater lui aurait déjà tout révélé… Sean l’observa un instant avant de comprendre. Alors, il baissa le regard, soudain embarrassé.

- Adil est venu te voir, c’est ça ?

Ça avait été terrible de perdre la veille au soir le respect de son plus estimé cousin. Mais Sean n’était pas prêt à voir la consternation se lire sur le visage de Jameson. Son oncle avait été présent dans les moments les plus sombres de son existence, le dernier rempart qui avait empêché Sean de sombrer lorsque son père avait peu à peu disparu de leurs vies. Jameson était l’une des fondations sur laquelle le jeune sorcier avait pu se construire. S’il le perdait à son tour, alors il n’aurait plus rien.

- Je l’ai pas frappé, si ça peut te rassurer…

Sean gardait le visage tourné sur ses mains endommagées. Il n’osait imaginer ce qu’il se serait passé s’il avait perdu la maîtrise de son corps en présence de son cousin. Est-ce qu’il aurait levé sa baguette sur lui ? Est-ce que la même soif de tuer l’aurait habité, le menant à commettre l’irréparable ?

Sans lui répondre clairement, Jameson confirma à son neveu la venue d’Adil dans la nuit. Le visage fermé de Sean se baissa silencieusement alors que les terreurs de la nuit laissaient peu à peu la place au torrent d’émotions qui l’habitait à présent continuellement : angoisse sourde mêlée à un sentiment oppressant de culpabilité, auquel venait s’ajouter un état dépressif nullement amélioré par son isolement imposé. La chaleur de son corps qui lui avait donné l’impression de s’embraser à son réveil le quittait rapidement, et il sentait déjà le froid mordre le bout de ses doigts. La remarque artificiellement apaisée de son oncle n’eut aucunement l’effet escomptée sur le jeune homme qui se prit à se demander s’il restait en lui quoi que ce soit du garçon pacifique qu’avait toujours connu le Clearwater.

Mais sans patienter plus longtemps, Jameson qui maintenait un contact physique visant à calmer Sean lui posa sans détour le cœur de son interrogation. Le Gryffondor avait gardé le visage baissé et pris le temps de se redresser un peu plus en respirant faiblement. Forcément… Ils auraient tous la même question aux lèvres. Et lui-même aurait toujours la même réponse, qu’aucun d’entre eux ne semblaient vouloir comprendre. C’était comme s’ils parlaient tous une langue étrangère depuis son retour car si leurs mots étaient similaires, le sens qu’ils mettaient derrière n’avaient plus rien à voir.

- J’ai rompu pour la protéger, lui répondit alors Sean en levant le menton, une lueur de défi dans le regard. Quitte à perdre à son tour l’affection de son oncle, autant ne pas tourner autour du pot. Sean et Jameson avaient au moins ceci en commun qu’ils se passaient volontiers des discours de convenance. Y’a plus rien en moi aujourd’hui qui puisse lui faire du bien, au contraire

Le jeune sorcier passa de nouveau son poing sur son front, se surprenant presque de la fraicheur de ce dernier. Pourquoi personne ne voyait ce qui lui semblait évident ? Pourquoi tout le monde semblait refuser de deviner le plan de Ryan derrière ce simulacre de retrouvailles ? Est-ce que l’amour que son entourage lui portait brouillait leur vision ? Ou bien est-ce qu’il avaient tous cette même impression en tête mais qu’ils refusaient de la formuler par peur de la rendre plus réelle encore ?

- Uncail… commença-t-il difficilement avant de relever les yeux vers son oncle qui continuait de l’observer. A ton avis, pourquoi Ryan m’a relâché ? On sait très bien que c’est pas par bonté d’âme… Il m’a fait… des tas de choses… Le froid humide de la pièce le fit soudain frissonner alors que ses poings se serraient en réaction primaire de défense. Et… Je suis plus le même depuis mon retour…

Sean secoua la tête alors que ses yeux parcouraient la pièce qu’ils avaient décoré lui et Adil, de manière maladroite et sans une once de talent. Un vrai dortoir étudiant, reflétant toute l’espérance d’une vie pleine de rencontres promettantes qui les habitait à l’époque. Derrière la porte, des voix d’étudiants commençaient à se faire entendre et l’insouciance de leur ton était un véritable crève-cœur pour lui.

- J’aurais même pas dû revenir à Poudlard, continua le jeune homme en haussant les épaules. Comment on peut être sûr que Ryan m’utilise pas pour vous atteindre vous, ou d’autres étudiants ?… C’est sûr… C’est sûr qu’il m’a renvoyé ici pour une bonne raison… J’aurais pas dû revenir…

L’étudiant serra le drap de son lit entre ses doigts crispés. Non, il n’aurait as dû revenir. Sean ne parlait même plus de Poudlard. En réapparaissant en vie cet été, il avait mis tout le monde en danger. Bien que rescapé, le jeune homme avait une noirceur en lui, camouflée derrière l’ampleur de son traumatisme, et il était dangereux. Il le savait. Il le sentait. Pourquoi était-il le seul à s’en rendre compte ?

Son oncle ne chercha pas à démentir ses interrogations. Il se contenta de l’écouter en l’observant, ses pupilles prenant tour à tour une lueur préoccupée, ombrageuse, puis presque épleurée. Sa respiration, bruyante, allait et venait au rythme des pensées qu’il ne dévoilait pas à son jeune neveu. Du reste, Sean évitait de l’observer, craignant presque la portée de sa sentence. Que Jameson le croit et le traite soudain comme le monstre qu’il était, ou qu’il refuse de voir la vérité en face et s’énerve contre lui comme tous les autres; l’étudiant ne savait ce qu’il préférait.

Les premiers mots du Clearwater eurent pourtant une portée plus réparatrice que ce à quoi Sean s’attendait. Il avait bien fait. Relevant un regard surpris sur son oncle, le Gryffondor le dévisagea en hochant doucement du chef. Oui, reprendre le contrôle sur sa vie et sur son corps, et le garder… C’était ce qu’il tentait à tout prix de faire… Mais Jameson poursuivit douloureusement, ses doigts remontant lentement vers sa tempe pour illustrer ses propos.

Devant sa proposition, Sean eut soudain l’impression de plonger dans les eaux glacées du lac. Il se figea en blêmissant, sans pouvoir lâcher Jameson du regard. Les mots se bloquèrent dans sa gorge gelée alors qu’il cherchait à comprendre l’impact des paroles de son oncle. Aussitôt, il se sentit traîné de nouveau de force dans la Pensine de @Braxton Clearwater, confronté à ses souvenirs et les subissant sans avoir le moindre contrôle sur le cours de ses pensées. L’image de son propre visage d’enfant au regard trouble ne l’avait plus jamais quitté depuis qu’il l’avait croisé en comprenant soudain un pan de son passé. Depuis, son père lui avait plusieurs fois proposé de retenter l’expérience pour retrouver des morceaux de sa mémoire, mais Sean avait toujours refusé, répulsé à l’idée de revivre cette intrusive plongée dans l’esprit de son père.

Depuis, il avait également vécu l’inverse, Ryan s’étant allègrement plongé dans son propre esprit pour le torturer à souhait. Sean savait que peu de ses pensées étaient restées inconnues au Lyvan devant ses brutales intrusions mentales, modifiant sa réalité, lui insufflant des pensées et des souvenirs qui n’étaient pas les siens. Le jeune homme se sentit soudain nauséeux, et ses entrailles se crispèrent, cherchant à rejeter ce qu’il avait ingéré comme un moyen de défense pour repousser ce souvenir. Pourtant, son estomac vide n’avait rien à rendre - et son esprit avait déjà été mis en miettes- lui rendant impossible une auto-introspection.

Mais violenté par l’idée même de ce que lui proposait son oncle, Sean se soustraya à l’emprise de Jameson, se tournant pour se lever. Sa tête tournait encore des effluves de l’alcool de la veille - à moins que ce ne fut des terribles pensées qui le traversaient.  La chambre tanguait dangereusement et il se retint au mur avant de fixer de nouveau le Clearwater.

- Si… Si tu regardes ce qu’il y a dans mon esprit… Est-ce que tu ne verras que ce que je vois moi-même, ou est-ce que tu auras accès à autre chose ? Des choses que… cet homme aurait pu y cacher ?

Malgré tout le dégoût que lui inspirait cette pratique, si Sean tenait la moindre chance de lui permettre d’y voir plus clair sur ce qui se passait dans sa tête, et sur la menace qu’il pouvait représenter; ne se devait-il pas de la tenter ? Il secoua la tête, lui-même effrayé par ce qu’il s’apprêtait à dire.

- Je suis prêt à tout, si ça peut me permettre de vous protéger…

Jameson expliqua à son neveu qu’il avait apparemment la possibilité de le guider à travers son esprit, jusqu’à cette noirceur qu’il redoutait tant. La phrase du Clearwater se suspendit cependant à la mention du pire qui pourrait leur arriver. Sean déglutit en l’observant, alors que son oncle poursuivait, parlant de méthode pour armer son esprit. Peut-être que tout ça n’était en effet qu’une question d’exercice, comme avec les sortilèges ? Plus Sean s’entraînerait, plus il gagnerait du contrôle sur lui-même ? Cette idée avait un côté rassurant car il se savait ne jamais rechigner devant l’effort. Mais le jeune homme sursauta pour autant en entendant le verrou de sa porte se fermer brutalement. Jameson avait entrepris d’ouvrir les fenêtres et repoussait à présent lits et petits mobiliers contre les murs de la chambre.

Le Gryffondor le fixa, les yeux écarquillés d’appréhension. Quoi ? Ils allaient faire ça maintenant ? L’étudiant ne s’attendait pas à s’atteler tout de suite à la tâche. Les battements de son cœur s’accéléraient dans sa poitrine alors que des coups douloureux martelaient son crâne. Pourtant, il n’osa répliquer quand son oncle l’invita à la rejoindre, un peu par peur de le décevoir, mais également par crainte de ne retrouver le courage de s’adonner à cette magie plus tard. Ce fut cependant avec un certain effroi qu’il rejoignit le professeur dans le cercle qu’il avait tracé, écoutant sa voix lui expliquer la démarche comme si elle lui parvenait de très loin. Il hocha doucement son visage blême, tentant de retenir tous les détails de l’explication. Rune de Berkano sur lui, d’Ehwaz sur Jameson. Ne pas rompre le contact, se rappeler que rien de tout ça n’est réel.

Le sang que Jameson versa au sol était bien réel lui, et Sean fixa la petite flaque créée par la blessure de la main de son oncle avec un malaise grandissant. Il devait respirer calmement, ainsi que lui intimait le Clearwater et se souvenir du prénom de sa cousine Lucy, qui leur permettrait de tout arrêter si besoin. Le jeune homme leva doucement ses mains pour les poser dans celles de son oncle et soudain, un vertige puissant le prit, alors que l’air semblait se solidifier et tourbillonner autour d’eux. La panique faillit lui faire lâcher prise, mais il tient bon, gardant ses paumes dans celles du sorcier.

- Je suis prêt, marmonna-t-il en se sentant très loin du compte. Tu peux y aller.

Au sol, les symboles tracés par Jameson se mirent à briller de plus en plus fort et la pièce entière fut alors inondée de lumière. Les deux silhouettes disparurent dans cet éclat éblouissant.


Quand la luminosité décrue enfin, Jameson et Sean se tenaient toujours les mains, mais celles de Sean étaient minuscules dans celles de son oncle car il ne devait pas avoir beaucoup plus de 6 ans. Le petit garçon fixait les grandes mains de son oncle d’un air impressionné les tournant et les retournant du bout de ses petits doigts. Puis, avec un rire, il se jeta dans ses bras, le serrant contre lui de la force de ses petits bras. A côté d’eux, Betty apparut en souriant – aussi resplendissante qu’un ange - tenant un mug de boisson chaude contre un épais pull bariolé. Sa longue chevelure semblait auréolée par la lueur dansante d’un feu de cheminée. Certains détails de la scène étaient étonnement précis, tandis que d’autres semblaient bien plus flous, mais on pouvait facilement deviner une fête de famille dans le salon de la demeure principale des Hébrides. Quelques autres membres de la famille étaient présents, et même si leurs visages restaient vagues, on pouvait deviner chez eux quelques traits caractéristiques. Mais le petit Sean se dégagea du torse de son oncle dans lequel il avait plongé le nez, se tournant soudain vers la porte d’entrée. Une nouvelle personne venait de faire son apparition – le visage entièrement camouflé dans l’ombre - et quelque chose d’indescriptible se percevait dans le regard du garçon dont les battements de cœurs s’accélérèrent de plus en plus avant que la pièce ne soit brusquement envahie de fumée.

Le brouillard se dissipa en partie, dévoilant la forme du Poudlard Express. Sean se tenait là, debout, à observer le train avec une mine inquiète. Il n’était plus un petit garçon – car la scène remontait à moins d’un mois, lors de la rentrée. Sean, qui reconnut facilement ce moment, se sentit récupérer un semblant de maîtrise sur ses actions. Une part de lui semblait être obligée de vivre tout ce que son souvenir lui imposait, tandis qu’une petite présence en lui l’incitait à reprendre le contrôle. A côté de lui se tenait sa sœur qui babillait joyeusement, alors qu’une autre personne semblait présente – mais trop vague pour être reconnue. Sean ne semblait pas s’intéresser à elles et son regard se porta sur le long du quai, apercevant d’emblée son oncle qui s’éloignait lentement. Le jeune homme voulut courir derrière l’enseignant, le supplier de ne pas le laisser, de l’emmener avec lui mais la silhouette sombre s’approcha de lui et il grimpa dans le train pour lui échapper.

Là, dans le couloir du train, quelques visages étaient connus. Alors que Sean avançait dans l’allée, des amis, de la famille le saluèrent, lui lançant des sourires polis. Pourtant, aucun d’eux ne s’approchaient vraiment de lui, le fuyant presque comme s’il les mettait mal à l’aise. Passant la tête dans un compartiment, Sean aperçut Yeleen, assise sur une banquette, les yeux fermés et le visage détendu. On aurait dit qu’elle dormait, mais quelque chose de particulier se passa, prouvant qu’ils quittaient le domaine du souvenir pour entrer dans celui du rêve. La jeune fille se mit à chanter, et sa voix avait un tel charme qu’elle fut soudain transportée dans un pré, entourée de fleurs sauvages, le rythme des vagues qui ronflaient au loin lui faisant doucement hocher la tête. Sean brulait d’envie de la retrouver, de l’enlacer, de l’embrasser – son esprit s’embrasant à cette simple idée.

« Non. »

Coupant court à ses pensées, San referma à contrecœur la porte du compartiment et se détourna pour continuer sa route. Les portes semblaient s’être démultipliées, allongeant de manière surnaturelle la taille du train. Les visages autour de lui se firent moins sympathiques, plus agressifs, lui donnant des coups de coudes et d’épaules alors qu’il tentait d’avancer. Le jeune homme avait en effet aperçu au bout du couloir une étrange porte de métal. En l’observant, il éprouvait une curieuse sensation de mal-être et n’avait qu’une envie, c’était de s’en éloigner le plus vite possible.

« Il y a quelque chose derrière cette porte. »

Une main sur son épaule l’arrêta soudain. C’était Adil qui le fixait avec un regard froid.

« Ne va pas là-bas », lui intima son cousin.

Sean tenta de se dégager, mais brusquement, Adil le fit pivoter pour lui asséner un violent coup de poing en plein visage. Projeté par le choc, Sean tomba au sol mais au lieu de se heurter à une surface dure, il plongea dans un épais liquide sombre et visqueux. Du sang. Paniqué, il s’agita pour se maintenir à la surface mais se rendit vite compte que le niveau montait rapidement dans le train, le sang engloutissant tout, indifféremment. Bientôt, Sean se retrouva la tête coincée contre le plafond du train et ses lumières clignotantes alors que le sang commençait à recouvrir une partie de son visage.

« Non non non », supplia Sean, qui commençait déjà à suffoquer. « Je vais me noyer… Encore ! »

« Sean ? » Une voix lui parvint, un peu inquiète, mais il ne la reconnaissait pas. Était-ce celle de… son père ?

Soudain, les vitres du train explosèrent, le sang se déversant en monstrueux flots à l’extérieur du train, laissant un Sean ensanglanté retrouver violemment le contact dur du sol.

« Jameson… » appel a-t-il en contenant un sanglot.  « Je ne sais pas… Qu’est-ce que je dois faire ?… »

« Reprends le contrôle ! »

La voix lui parvint plus distinctement à son oreille, et Sean sentit deux mains vigoureuses l’attirer à lui.

« Toi seul à le pouvoir ! »

Le jeune homme releva le regard et reconnut son oncle, là avec lui. Dans un autre monde, ils se tenaient debouts dans un cercle de rune. Mais dans cet univers-là, il n’y avait que Sean capable de se sortir de là. Alors, le sol ensanglanté du train disparu pour laisser place à un parquet ambré, poli par le temps. Sean se releva lentement dans le salon du petit appartement de Birmingham, aidé par son oncle, jetant un regard nostalgique autour de lui. La pièce n’existait plus, ayant été soufflée par l’explosion provoquée par Ryan. Elle lui paraissait pourtant aussi fidèle que dans ses souvenirs. Sur le mur, des photos de famille étaient accrochées, dont une agrandie présentait la petite famille Clearwater, accompagnée d’une ombre sombre. De la cuisine, des éclats de voix et de rires de Betty et Nora leurs parvenaient. Elles semblaient préparer à manger avec plus d’enthousiasme que de savoir-faire. Mais malgré l’envie de retrouver cette quotidienne scène familiale qui lui manquait tant, Sean se mit à parcourir le salon à la recherche d’un indice, ou de quelque chose d’inhabituel. Comme la porte de métal dans le train…

« La porte ! »

En se tournant brusquement, le sorcier confirma son soupçon. A la place du battant simple de bois, là où était apparu Ryan cette nuit fatidique lors de laquelle tout avait basculé, se tenait une étrange porte de métal.

« Il y a quelque chose derrière, j’en suis sûr… »

Et ce quelque chose était terrifiant. Sean sentait la moindre cellule de son corps réagir à l’angoisse de son apparition. Le simple fait de l’observer lui était presque douloureux, et son instinct lui recommandait de se détourner et de fuir. C’était la raison pour laquelle il devait l’ouvrir. La présence de son oncle à ses côtés le réconforta alors qu’il s’avançait vers elle, levant la main à sa poignée. Mais soudain, dans la cuisine, des cris de terreur se firent entendre et l’étudiant reconnut les voix de sa mère et de sa sœur l’appeler.

« Sean ! Sean, au secours ! »

En blêmissant, le jeune homme se figea en se tournant avant de se ruer dans la cuisine à la rescousse de Betty et Nora. L’illusion, le rêve... Plus rien n’existait pour lui face à l’angoisse d’entendre ce genre d’appels à l’aide. Mais quand il parvint dans la pièce, celle-ci se révéla bien différente de celle à laquelle il s’attendait. Il s’agissait d’une salle tapissée de bois, sans aucune ouverture, dans laquelle lui et Jameson se retrouvèrent piégés alors que son souvenir se modifiait. Assise à table, devant une montagne de mets, se trouvait une jeune brune aux yeux verts qui mangeait goulûement. Psychée…

« Jameson, elle était là » murmura Sean en la montrant du doigt à son oncle alors qu’il était parcouru de sueurs froides. « Avec Ryan… Je pensais qu’elle était une autre prisonnière mais… »

Comme si elle avait le pouvoir de l’entendre, Psychée releva le visage vers lui en avalant ce qu’elle avait dans la bouche. Elle semblait désolée, et elle reposa ses couverts alors que ses grands yeux paraissaient aussi tristes que possible.

« Je t’avais prévenu Sean, » commença-t-elle en haussant les épaules. « Tu aurais dû arrêter de chercher… »

Sean ne connaissait que trop bien ce regard, cette intonation, et ce à quoi elle allait mener.

« Non non non… » marmonna-t-il en reculant de quelques pas, la peur le pétrifiant à moitié. Jameson lui avait bien dit qu’il avait le contrôle ! Elle ne pouvait pas l’atteindre ici !

Pourtant, la douleur le percuta de plein fouet, aussi violemment que la première fois, souvenir ineffaçable qui avait marqué son esprit au fer rouge. Le Gryffondor se plia en deux en tombant au sol. C’était la fin de son souvenir - car il était censé avoir perdu connaissance - mais son esprit torturé poursuivi la scène en la modifiant. Sous ses mains, sur son visage il sentit la caresse de l’herbe avant de percevoir la bise mordante qui passait dans ses cheveux, éloignant le souvenir de la souffrance. Ouvrant les yeux, Sean vit le ciel d’un bleu sombre au-dessus de lui, alors que tout autour, il reconnaissait sans mal la si particulière flore écossaise des hébrides. Un sol tourbeux, des fleurs sauvages, des buissons secs tordus par le vent… Une main se tendit vers lui, et le jeun homme leva le regard vers elle pour reconnaître @Yeleen Sô penchée vers lui avec un sourire confiant. La surprise passée, Sean attrapa l’aide tendue pour se relever, fixant la jeune fille sans dissimuler son émotion. Yeleen était-elle la projection qu’avait choisi son esprit pour le défendre des attaques et intrusions dont il était victime? La jeune sorcière se recula avec un sourire toujours aussi lumineux, avant de se retourner et de s’éloigner lentement. Jameson était là aussi, l’observant avec ce qui semblait être une profonde tristesse. Le spectacle auquel il avait assisté depuis le début de la projection ne devait pas avoir été des plus glorieux…

Tentant de retrouver le courage qu’il souhaitait avoir aux yeux de son oncle, le jeune homme se redressa complètement, bombant légèrement le torse pour lui prouver qu’il n’abandonnait pas. Peu importait ses souvenirs, il n’y avait rien de tout ça qu’il n’avait pas déjà vécu, et auquel il n’avait pas survécu. Il n’avait pas grand chose en lui que Ryan n’avait pas déjà souillé, aussi, il sembla à Sean qu’il n’avait plus rien à perdre.

« Il faut retourner ouvrir cette porte Jameson… »

Aussitôt, la scène se modifia, les emportant de nouveau au beau milieu du salon de Birmingham. Sans perdre une seule seconde, Sean se rua sur la porte pour l’ouvrir. Lui et son oncle entrèrent dans une vaste pièce richement décorée dans laquelle s’activaient toute une troupe de serveurs qui dressaient une superbe tablée.

« Ryan ! » s’exclama Sean, sentant la colère enfler en lui alors que sa main se refermait sur sa baguette. Le lycan se trouvait en effet au bout de la table, les observant avec un sourire narquois. La vision de Sean se brouilla tant la haine se déchaîna en lui. Il songea à sa mère, blessée, obligée à l’exil, à Milo et Asel enlevés tout comme lui, à la famille d’Amastan si durement touchée, au visage cerné et marqué de larmes de Yeleen… À son propre corps et esprit, détruits par cette âme perverse. Sans plus pouvoir se contrôler, Sean leva sa baguette sur lui avec une détermination sans émotion qui lui ressemblait si peu.

« Avada kedavra ! »

Un éclair vert jaillit de sa baguette, percutant l’homme en pleine poitrine et l’envoyant voler en arrière. Sean se figea alors, stupéfait, sa main qui tenait sa baguette se mettant à trembler soudainement. Qu’est-ce qu’il venait de faire ? Est-ce qu’il venait réellement de tuer un homme, froidement, sans y réfléchir à deux fois ? Le jeune homme déglutit difficilement avant de se ruer vers sa victime, tournée sur le dos, ses yeux grands ouverts fixant droit devant eux sans ne plus rien voir pour autant. Alors, l’horreur se dépeignit sur les traits de Sean quand il reconnut ses traits et il tomba à genoux à côté de lui, les larmes envahissant son visage alors qu’un cri de désespoir secoua son corps entier.

@Braxton Clearwater.

Il venait de tuer son propre père.