Such a lovely place | Naivy

Such a lovely place
Ft. @Blue Fairbairn



C’est bien parce que le Chemin de Traverse renfermait une atmosphère légère de bonne humeur que Naivy y avait mis les pieds. Bien qu’il lui serait peut-être déconseillé de prendre un bain de foule, sortir de sa zone de confort constituait pour elle un vrai remède pour contrer l’amertume de la solitude. Vivement que sa correspondante vienne lui rendre visite afin de lui confirmer si elle emménageait avec elle, car Naivy commençait à trouver le temps lourd lorsqu’elle était seule.

Il n’y avait rien de surprenant lorsque l’on constatait à quel point sa personnalité solaire la rendait dépendante du contact avec les autres. Elle s’étonnait d’ailleurs elle-même de se retrouver dans une allée où le rythme effréné des Anglais donnait à la rue une allure de fourmilière saturée. Le souvenir de s’être sentie étourdie par tant de mouvement n’était pas bien loin dans sa mémoire, mais l’aisance l’avait enfin trouvée pour qu’elle puisse déambuler de façon presque naturelle. Mais le Chemin de Traverse lui donnait toujours cette sensation de chaleur qui venait avec l’impression d’être entourée. Si tous ne lui renvoyaient pas son sourire, elle trouvait au moins un peu de réconfort dans le fait d’entendre les éclats de rire des plus joyeux.

La réalisation vint alors avec une touche de mélancolie malgré elle. La fierté de s’être adaptée à son nouveau milieu était également synonyme de tout ce qu’elle avait été forcée de laisser derrière elle. Elle se sentait souvent victime d’une cruelle malédiction où tout succès, tout bonheur venait avec son lot de nostalgie et de regret. Un an, tout juste un tour de la Terre autour de l’astre solaire, avait suffi pour qu’elle cesse de pleurer tous les jours l’absence de tous ceux qui l’avaient forgée. Elle se retrouvait pourtant avec la terrible impression de les oublier, comme si avancer, c’était les enfermer dans un recoin sombre de sa mémoire.

Ses yeux s'accrochaient pourtant à un éclair du passé, une touche auburn qui fit ressurgir des bribes d’une connaissance passagère et d’une amitié inexplorée. Elle repensa rapidement à ce qu’il avait été et ce qu’il aurait pu être, cédant à une joie qu’elle n’aurait pas pu imaginer. Recroiser ce visage certes peu familier lui donnait une vague impression d’être chez elle dans ce pays qu’elle n’avait pourtant pas choisi, comme si on lui servait si miraculeusement une nouvelle attache lors d’une période de doute. La crainte de ce qu’être reconnue puisse engendrer ne fut pas assez pour la faire s’éloigner, et Naivy se retrouva à s’avancer vers la styliste comme par instinct. Elle avait assez fui.

Mais de ses souvenirs, Dee était une voyageuse, une âme curieuse qui savait apprécier les différents paysages que le monde avait à offrir. Leur rencontre avait été si aléatoire que la brune se demanda si elle était suffisante pour représenter quoique ce soit. La jeune femme n’avait sans doute aucune idée d’à quel point la revoir était un réel soulagement, une bénédiction même.

« Dee ! » Sa main se posa sur son épaule avec une délicatesse habituelle qui n’atténuait en rien la fermeté de sa poigne. Tout sourire, il lui sembla toutefois que les mots lui manquaient, que rien ne s’alignait réellement pour traduire ce qu’elle ressentait. « Tu n’as pas changé du tout. », souffla-t-elle finalement, d’une joie naïve et surtout aveugle à l’expression confuse de son interlocutrice.

Such a lovely place
Ft. @Blue Fairbairn



Fidèle à elle-même, elle ne voyait pas l’absurdité de leurs retrouvailles, se perdant dans la douceur amère de revoir une vieille tête. Ses réflexes devraient sûrement la rediriger le plus loin possible de cet éclair de nostalgie, pour éviter des questions facilement évitables sur son arrivée en Angleterre et les raisons de son immigration. Mentir n’avait jamais été facile pour elle, bien qu’il s’agissait d’un art dont elle n’avait pas eu le choix de raffiner, alors elle préférait généralement éviter les pièges à questions. Et pourtant… À chaque fois elle faisait la même erreur, sautant sans trop réfléchir sur l’occasion de renouer avec ses souvenirs d’une vie qui n’était plus sienne.

Pas grand-chose aurait pu la préparer à ce qui vint ensuite, ni lui mettre la puce à l’oreille quant au malaise que vivait la femme aux cheveux auburn. Sans remarquer les indices qui traversaient son visage perturbé, la brune attribua plutôt sa gêne et son air perdu à la surprise des retrouvailles inattendues. Après tout, rien dans le ciel n’indiquait que ce jour viendrait, et le fait de se croiser pouvait aisément être attribué au plus pur des hasards.

La sensation de la chaleur du soleil grec s’effaça rapidement de sa peau, bien vite retrouvée par la morsure du froid anglais. Naivy fit un petit pas vers l’arrière, désarçonnée par l’affirmation qui tomba entre elle. Quelque chose clochait, sans qu’elle ne sache exactement mettre le doigt dessus. Elle ne retrouvait pas les traits de douceur sur son visage, ni les étoiles dans ses yeux. Soudainement prise de doute, l’apothicaire fronça des sourcils, inspectant son visage avec un peu plus d’attention.

Pourtant, sa mémoire photographique ne faisait pas défaut. Le changement de nom la prit par surprise, un regard de confusion ornant son visage de façon éphémère, accueillant rapidement la nouvelle avec un sourire chaleureux. Si elle ne savait pas à quoi attribuer ce changement, elle ne pouvait que lui donner ce vent d’acceptance qui lui était impossible de se défaire.

« Oh. C’est joli, Blue, ça te va bien. » Elle se rapprocha un petit peu, tout sourire. « Tu as bien choisi. », fit-elle avec un petit clin d’oeil.

Mais Blue ne tarda pas à semer à nouveau la confusion dans son esprit perdu, ne comprenant pas trop la provenance d’une telle question. Là, elle ne suivait plus, et elle détestait la sensation d’être complètement paumée. Qu’avait-elle manqué depuis toutes ces années ?

« Qu-qui je suis ? » Se rendant compte que sa question était sincère, et pas une de ces mauvaises blagues auxquelles elle mordait toujours à l’hameçon, elle s’empressa d’y répondre. « Naivy… On s’est rencontré en Grèce il y a quelques années. Dans un café, je crois qu’il s’appelait Cafe Kanoni… » Elle fronça des sourcils, à nouveau prise de doutes. « Je me suis trompée de personne peut-être ? »