The missing link

L'arrivée de Liadan O'Connor au sein de l'école n'était pas une chose que Jameson avait prévue, surtout pas en cette période précise où l'avenir des Clearwater semblait plus qu'incertain. @Sean Clearwater étant tout aussi instable que son père de par ce qu'il avait dû subir lors de son kidnapping, l'apparition de Liadan, la fille de son parrain, dont il apprenait seulement l'existence au mois de mars dernier, n'était peut-être pas le meilleur moment pour débarquer de nouveau dans la vie de Sean.

Le jeune Clearwater avait déjà suffisamment à gérer. Entre la pensine en Mars dernier, les attaques de Juillet, puis l'enlèvement, pour apprendre ensuite le divorce à venir de ses parents, ce n'était clairement pas le meilleur moment pour Sean pour découvrir qu'il avait une cousine qui lui avait été retiré de la mémoire par son père au même moment où Liam lui avait été enlevé de ses souvenirs.

C'était, du moins, ce qu'en avait pensé Jameson lorsqu'il avait entendu les noms des nouveaux élèves intégrant le MULOT de sortilège de cette année.

Par chance, elle n'avait pas eu à faire une répartition dans les règles de l'art puisque c'était un évènement réservé aux premières années seulement.

Jameson, qui n'était pas forcément le plus pratiquant des croyants, remercia le ciel et tout ce qui pouvait y vivre, pour ce coup du sort, dans ce qui allait très certainement fracasser le peu de tranquillité que les jeunes avaient réussi à obtenir après un été catastrophique.

Alors, l'idée d'aller la voir le lendemain, à la première heure, lui était venue instinctivement. Le but, très clairement, n'était pas de lui faire peur. Liam, son père, ce héros d'un autre âge, fut le meilleur ami de son frère. Un homme droit dans ses baskets qui avait passé le plus clair de son temps à supporter @Braxton Clearwater du mieux qu'il le pouvait. Là où ça aurait dû être Jameson, ce fut Liam.

Heureusement que Liam était là. Sans quoi, Jameson aurait peut-être perdu son frère aussi ce soir-là.

De cette perte, il en avait résulté la descente aux enfers de Braxton, entraînant avec lui sa famille proche jusqu'à manquer de faire tuer son épouse, son fils et sa belle-fille, @Yeleen Sô. Braxton ne s'en était jamais remis. Et ce n'était pas la maigre relation que les deux frères Clearwater entretenaient qui lui permettait de se tourner vers lui. La fierté était sans doute le point faible des deux frères dont les bases remontaient à une éducation un peu particulière d'un homme lui-même secouait pas une guerre qu'il aurait préféré éviter.

Debout devant la sortie de la salle commune des Serdaigle, Jameson, adossé au mur, les bras croisés, attendait la sortie de Liadan. Il lui fallait à tout prix avoir une discussion rapide pour lui poser au moins les faits. Notamment, et probablement le plus important, celui que Sean ne se souvenait pas d'elle. Que le sort qu'avait utilisé Braxton pour refaçonner la mémoire de son fils l'avait, elle aussi, mis sous clé dans les abysses de sa mémoire, là où il n'avait  plus accès sinon que par bride, par flash, au fur et à mesure que le temps passé.

Déglutissant péniblement lorsqu'il vit cette nouvelle élève sortir, Jameson se détacha du mur pour aller à sa rencontre.
« - Liadan O'Connor ? Je suis le professeur Clearwater. J'aimerais te parler si tu as quelques instants avant d'aller déjeuner. »
Jameson lui indiqua une pièce ouverte, non loin de là, afin d'avoir une discussion à l'abri d'oreilles indiscrètes.
« - Allons dans cette pièce, veux-tu. »

L'entraînant dans son sillage, Jameson entra dans la pièce ouverte, qui s'avérait être une salle d'étude pour les élèves de Serdaigle lorsque la salle commune était un peu trop bruyante. Jameson referma la porte derrière elle, avant de lui demander dans un sourire :
« - Tu as fait bon voyage ? »
Autant se monter un petit peu diplomate avant d'amener le sujet brûlant.

La rentrée ! Un moment que Liadan a attendu avec impatience. Tout a été planifié, depuis des mois. Depuis qu’elle a décidé de demander son transfert, depuis qu’elle a eu en tête bien avant cela l’idée de venir. Et c’est absolument survoltée que la nouvelle Serdaigle sort de son lit pour la première fois. Sa nouvelle camarade de chambre n’est pas encore réveillée et elle la laisse tranquille, les présentations la veille se sont particulièrement bien passées et c’est pleine d’optimisme qu’elle aborde les choses. Ce ne sera pas facile et pas tout cuit, bien sûr que non, mais elle est certaine qu’au final, tout ira bien. C’est dans cet état d’esprit qu’elle se prépare, enfilant son nouvel uniforme. Ses fournitures sont déjà dans son petit sac à dos, et elle allait partir quand son regard tombe sur sa boîte à souvenirs. Il y a un moment d’hésitation, devant son contenu, avant d’attraper une petite toupie en bois, qu’elle fait tourner entre ses doigts. Ce sera son porte-bonheur. Dévalant les escaliers, tout sourire, elle sort de la Salle Commune… « - Liadan O'Connor ? Je suis le professeur Clearwater. J'aimerais te parler si tu as quelques instants avant d'aller déjeuner. » Pour s’arrêter net. Surprise, ses yeux s’écarquillent alors qu’elle manque de lâcher l’objet qu’elle a réupéré. Il est là. Un des fantômes du passé, dont les traits lui sont très vaguement familiers. Ses lèvres s’entrouvrent un moment, saisie, et elle finit par se reprendre. « Oh, professor Clearwater ! Yes, of course. » « - Allons dans cette pièce, veux-tu. » « Yes? »

Elle est décontenancée, c’est le moins que l’on puisse dire. Après des années à ne pas entendre parler des Clearwater, après des mois à se demander si elle doit prendre contact avec eux, en voici un. Et pas des moindres. La toupie a des ratés mais elle le suit, se retournant alors qu’il ferme derrière eux. « Tu as fait bon voyage ? » « Euh... » Ses yeux s’accrochent aux traits de l’homme, cherchant à faire remonter des souvenirs. Ils se connaissent. Ils se sont déjà vus. « Yes, thank you. » C’est un peu étrange. De l'attendre devant sa Salle Commune, de la faire entrer dans une pièce pour lui parler, ce sont des choses qu’il aurait pu lui dire après un cours, par exemple. Juste lui demander des nouvelles, en prendre… « Is.. is there a problem ? » S’il y avait eu un souci avec son inscription, ce n’aurait pas été de son ressort. Avec ses cours ? Non. Son cœur se serre en se demandant s’il s’agit de Braxton. Une multitude d’hypothèses se pressent dans son esprit, et elle essaye de faire le tri, finissant par en choisir une … « Did… did my mother contact you? » C’est forcément ça. Ca ne peut être que ça. Elle a découvert qu’elle n’était pas à Mahoukotoro. Son cœur s’emballe, joignant ses mains devant elle : « Please… please tell me you didn’t tell her I am here. » Elle se mord la lèvre inférieure, gamine prise en faute par excellence : « She doesn’t know. » Et il ne faut surtout, surtout pas qu’elle le sache.

Devant les questions de Jameson, Liadan semblait perturbée, comme si quelque chose l'inquiétait. Le regard du professeur Clearwater détailla plus intensément les traits du visage de la Serdaigle sans pour autant montrer une quelconque émotion rassurante sur sa face barbue. Tout ce qu'il était en train de penser, c'était à préserver @Sean Clearwater un peu plus longtemps avant que Liadan n'aille briser les derniers effets d'un sortilège raté sur la psyché de son neveu.

Sadique ou non, Jameson la laissa s'emballer pour voir ce qu'elle avait à lui dire. Elle semblait pure et innocente. Naïve, même. Ou peut-être que Liadan avait quelque chose à se reprocher, ou à cacher. À l'évidence, sa mère n'était pas dans sa confidence. Pire encore, il semblerait qu'elle soit celle à qui Liadan cachait quelque chose.

Était-elle en train de lui dire que sa mère n'était pas au courant de l'école dans laquelle Liadan étudiait cette année ?

Jameson n'eut pas besoin de savoir pourquoi. Il n'était pas détective, mais il n'était pas non plus tombé de la dernière pluie. Visiblement, sa mère souhaitait la garder loin d'ici, probablement pour lui éviter de rencontrer tout un tas de problèmes que sa présence pouvait soulever, notamment en ressassant un passé que personne ne souhaitait voir revenir.

Liam O'Connor était mort, il y a longtemps. Pauvre gamin. Grandir sans son père... Cela lui fit penser à sa propre fille qui avait dû se construire seule alors qu'elle entrait à peine dans l'âge où l'on devenait une femme.

Si Liadan était là, c'était qu'elle cherchait des réponses. Des réponses que certaines personnes n'étaient pas forcément prêtes à lui donner.

Le regard suspicieux de Jameson laissa place à un sourire neutre. Pour le moment, le secret de Liadan n'était pas son problème. Plus encore, il n'était pas là pour la mettre mal à l'aise ou sur la défensive, mais plutôt à ce qu'elle comprenne l'initiative qu'il avait prise en venant la voir au matin du premier jour de cours.

« - Ne t'inquiète pas, je ne suis pas là pour ça. »
Il jeta un bref regard vers la porte, pointant sa baguette sur cette dernière pour l'insonoriser.
« - Je ne pense pas me tromper en disant que tu es là pour renouer avec ce qui te reste de ton père. »
Jameson et la diplomatie, ce n'était clairement pas les meilleurs amis du monde. Le professeur de Sortilèges ne prenait jamais de gants, allant toujours là où il le voulait sans avoir à tortiller du cul pour marcher droit.
« - C'est tout à ton honneur. »
Un bref sourire sincère se dessina sur ses lèvres avant de se dissiper aussi vite qu'il était apparu.
« - Mais il faut que tu saches que certaines choses, certaines dispositions ont été prises à la suite de cela, et... »
Le visage de Jameson se voila d'une ombre, comme s'il méprisait ce qui avait été fait.
« - Je suppose que tu es là pour Sean ? »

La réponse ne tarde heureusement pas trop, et Liadan pousse un soupir de soulagement, ses mains se portant à son cœur. Elle vient à peine d’arriver, c’est une bataille qu’elle n’a pas envie de mener immédiatement. Elle est pleinement consciente qu’il lui faudra affronter la colère de sa mère – de ses mères, en réalité – bien assez tôt. Pas besoin d’ajouter cela au décalage horaire, au dépaysement et au mal du pays qui commencent déjà à la gagner. On peut y ajouter la peur de l’inconnu, l’anxiété des retrouvailles et donc le stress de ne pas savoir pourquoi un professeur prend la peine de venir la voir à peine le pied posé par terre pour son premier jour de cours. Bien entendu, il ne s’agit pas de n’importe quel enseignant. Jameson Clearwater. C’est le professeur de la matière qui l’intéresse le plus et son MULOT portera sur les sortilèges, peut-être est-ce la raison de sa présence. Il est peut-être vexé qu’elle ait choisi un autre encadrant pour ses travaux ? Peut-être … son esprit raye cette possibilité quand elle voit que la porte se fait insonoriser. Et ce n’est pas fait pour la calmer. La toupie tourne de plus en plus vite entre ses doigts. Le stress ne fait que monter. Respirer. Il faut qu’elle se souvienne de bien respirer. Ça va aller.

Il reprend la parole. Et parle de son père. Un hochement de tête lui répond immédiatement. « Yes Sir. » Sir. Elle est Presque certaine de l’avoir appelé Oncle Jameson, dans une autre vie. Il y a si longtemps qu’elle ne s’en souvient plus. Et lui non plus, probablement. Parce qu’après tout, pourquoi la prendrait-il à part comme il le fait, sinon ? Il lui sourit, pourtant. Un peu. Un moment. Avant que cela ne s’efface. Avant qu’il ne dise… « I… what things, Sir ? » Elle ne comprend pas. Elle ne peut pas comprendre. Après tout, Luke lui avait dit qu’elle aurait tout intérêt à venir. Sa place est à Poudlard, où son père a lui-même effectué ses études. Elle ne porte pas les mêmes couleurs que lui, mais c’est un détail. Il lui a semblé le percevoir, quand le Choixpeau a été posé sur sa tête, en privé. Un bref flash, un effet de son imagination, avoir vu la répartition de Liam O’Connor, pas une réelle vision. Mais tout de même. « Uncle L… Professor Korrigan didn’t mention… » Rien de négatif. Rien qui ne valle ce ton sérieux, et cette prise à part matinale. Et la Serdaigle s’enfonce de nouveau dans ses hypothèses – il faut qu’elle cesse – quand un prénom est jeté. « Yes… yes of course. » Entre autres choses. Mais Sean est la principale. Parce que pendant toutes ces années, grandir loin de son meilleur ami a sans doute été la chose qui l’a le plus blessée, le plus gros manque qu’elle ait ressenti. Mais pourquoi … « He is here, right ? » Bien sûr qu’il était à Poudlard, c’était evident, c’était … oh no. « Did… did anything happen to him? » Ses yeux se sont écarquillés. Non, c’est impossible. Pas Sean. Tell me it is not that. Tell me he is okay. Son petit coeur va exploser, tant il tambourine dans sa poitrine. Le professeur est en train de la tuer, à petit feu.

Jameson posa son regard sur la toupie que Liadan tenait entre ses doigts. Un sourire s'installa sur son visage alors qu'il se remémorait ce souvenir avec une certaine nostalgie bien que ce fut un moment doux qu’il ne regrettait en rien. Malheureusement, les choses changèrent très vite. Un temps de guerre, un temps où les choses prenaient rapidement une tournure catastrophique comme pouvait en témoigner la jeune Serdaigle qui se tenait devant lui, comme aurait pu le faire n'importe lequel des gosses ayant eut des parents victimes du régime de l'époque, affiliées ou non à l'Ordre du Phénix.

Un voile sombre passa dans son regard alors qu'il baissait les yeux devant Liadan alors qu'elle lui demandait ce qui c'était passé. @Sean Clearwater n'était pas le seul à avoir subi beaucoup de choses au cours de sa vie, pourtant, c'était probablement celui qui se trouvait être dans une tourmente particulièrement sombre. Pauvre victime dans cette histoire, Sean subissait les actes de son père, @Braxton Clearwater. Si ce dernier n'était pas en tord, du moins, pas comme on pouvait le penser, sa gentillesse et sa loyauté amenaient le chaos dans la vie de ses enfants.

Sean, étant l'aîné, était probablement la principale victime de tout cela.

Jameson inspira profondément, agitant sa main d'un air nonchalant pour l'inviter à s'asseoir alors que deux chaises se tiraient des bureaux pour venir se mettre derrière leurs genoux. Le professeur de Sortilèges s'assit sur l'une d'entre elles, observant Liadan de son regard profond. Un regard qui pouvait aisément mettre mal à l'aise cette jeune fille pleine d'innocence et de candeur sans l'ombre d'un doute.

« - Beaucoup de choses, malheureusement. » Commença Jameson, dont la voix se brisa sous le coup de l'émotion.

Comme si l'on avait ouvert le robinet, le vase, déjà plein d'eau, commençait, tout doucement, à répandre son contenu malgré lui. C'était exactement ce qui se passait chez Jameson dont les premiers signes d'émotions vives et intenses passaient par la voix. Il se racla la gorge, comme pour en reprendre le contrôle.

« - Quand... Quand... » Il semblait hésiter. C'était un traumatisme certain pour Liadan que d'entendre parler de la mort de son père.

Du moins, c'était ce que Jameson pensait. Conscient de ne pas savoir mettre de formes dans ce genre de situations, le sorcier se sentait mal à l'aise, cherchant à assembler les mots dans un ordre précis pour que cela sorte le mieux possible. Mais y avait-il sincèrement une combinaison de mots qui rendrait la chose plus facile ?

« - Quand ton père est décédé, Sean était là. Pour le protéger, son père a choisi de lui omettre ses souvenirs, lançant un sortilège de l'oubli qui... Qui ne fonctionna pas totalement comme prévu. »

Il se grattouilla la barbe, signe de son malaise, plongeant son regard dans les yeux de Liadan. Ces yeux exprimaient une douceur que sa bouche ne savait traduire.

« - Il a appris que récemment qu'il avait un parrain. »

Jameson baissa le regard, se rappelant de l'épisode de la pensine enchantée de son frère dans laquelle les gosses s'étaient plongés dedans, tête la première. Il secoua la tête, nerveusement, avant de continuer son histoire.

« - Comme si ce n'était pas suffisant... Cet été, il a été enlevé par... » La bouche pâteuse, la colère se dessinant malgré lui sur son visage marqué par ses propres expériences de la vie, Jameson sentait sa haine s'intensifiait en lui, s'embrasant comme si l'on jetait de l'huile sur un feu.

Tentant de le contenir, il prit quelques instants.
« - Braxton est devenu Langue-de-Plomb. Dans son milieu, on se fait des ennemis d'un autre niveau et... Bref. Sean a été kidnappé avec l'un de ses cousins et une copine à eux. Pendant un mois, il... Il a subi des choses, et... »

Jameson avait cette curieuse impression de s'embourber dans ses explications à chaque fois qu'il en rajoutait une couche. Il essayait d'amener les choses doucement, mais c'était chose impossible. Dans son désir de protéger son neveu, il ne parvenait pas à prendre le temps pour poser les mots sur ce qui s'était passé de façon à embellir cette histoire qui en avait désespérément besoin.

Il secoua de nouveau la tête, partagée entre les émotions vives qui lui tournaient le déjeuner pris plutôt et sa volonté d'arrondir les angles avec Liadan, mais ce n'était pas gagné.
« - Je... Je suis vraiment content de te revoir. Mais j'ai vraiment peur pour Sean. Le bouscule pas trop... Ton retour risque de... D'éveiller des... Des trucs et... Et il a besoin de se remettre, tu vois, alors si... Alors si tu... Si tu pouvais y aller doucement avec lui... Je t'en serais reconnaissant. Je ne cherche pas à t'en empêcher, je veux juste que tu... Tu y ailles doucement. »

C'était comme s'il cherchait à percer l'âme de Liadan pour y lire ses intentions avec son regard.
« - S'il te plaît. » Demanda-t-il, sa voix se faisant plus vulnérable, plus proche de ce qu'il ressentait et qu'il tentait d'exprimer, en vain, depuis le début.

C’est trop. C’est trop pour son cœur, trop pour sa tête. Ses doigts frêles continuent leur ballet autour de l’objet en bois, toujours rassurée par sa solidité, par sa constance. Il faut qu’il parle parce que son imagination ne fait que s’emballer douloureusement. Mais Oncle Luke ne lui a rien dit qui puisse lui laisser présager que Sean ne va pas bien. Il lui a dit de venir. Que sa place était ici. Alors elle ne comprend pas. Ne le peut pas. Et elle a peur. Terriblement, de ce qui va sortir des lèvres de Jameson. Le fait qu’il l’invite à s’asseoir n’indique rien de bon. Peut-être faudrait-il qu’elle reste debout, mais Liadan est bien trop obéissante pour refuser, et il est probable que ses jambes se soient mises à trembler. Et quand il commence à parler … C’est pire. « What ? » A lot of things. L’émotion est suffisamment palpable pour lui faire penser au pire. Mais pas à ça. Les yeux de la Serdaigle se détournent, quand l’homme évoque l’événement qui a complètement changé le cours de sa vie. Plaie qui n’a jamais complètement cicatrisé, pas quand on lui a enlevé la possibilité de grandir avec le souvenir de cet homme qui a tellement compté. Mais ils se relèvent, lentement, alors que le message l’atteint de plein fouet. Et ses mains laissent échapper la toupie, qui tombe. Le fracas n’est pas assez retentissant pour illustrer ne serait-ce qu’un dixième de ce qui se passe, pour elle. Ses lèvres s’écartent, alors qu’elle murmure : « You mean… » No. No, no, no. La pensée est refusée. Parrain n’aurait jamais fait ça. Il n’aurait jamais pu. Effacer d’un coup de baguette l’image même de … La sensation d’humidité sur sa main la surprend. Il faut qu’elle pose la question qui lui brûle les lèvres. Mais ce n’est pas fini. Le professeur Clearwater a davantage à lui dire.

Et les mots peignent un tableau horrifique dans l’esprit de la jeune fille. Dont le premier réflexe est de vouloir se lever, pour le trouver, pour le prendre dans ses bras, pour lui rendre la peluche niffleur en lui disant qu’il en a plus besoin qu’elle. Les larmes coulent sans discontinuer, sans qu’elle n’en ait réellement conscience, sans qu’elle ne parvienne à réellement réagir, trop saisie. Cueillie en plein élan, stoppée par un mur matérialisé par la présence de l’enseignant. Peut-être pense-t-il que ses précautions et les formes ont été nécessaires. Mais, en ce qui concerne Liadan, la violence de l’instant est inouïe. Elle a tout quitté, pour venir. Elle ment à sa mère. A passé des mois à tout organiser. Des années à espérer ce moment. Et ce qu’il lui dit. « What you mean is… » Elle essaye. Mais sa voix n’est qu’un couinement absolument miserable qu’elle ne parvient pas à maîtriser, alors que le sol s’est dérobé sous ses pieds. Il faudrait qu’elle parte, en réalité, pour tenter de comprendre, d’imprimer, loin de la présence écrasante de l’homme, qui l’a clouée sur sa chaise. « You said… he learned about my father but… » Une part d’elle n’a pas envie d’avoir la réponse à cette question. Et pourtant elle n’a pas le choix. Ses yeux bleus teintés d’écarlate par les larmes se relèvent. « Does he… ? » Know that I even exist? Le message de Jameson est clair, pourtant. Elle n’était pas prevue dans l’équation. Elle a été oubliée. Et sa place n’est pas ici, risquant de faire plus de mal que de bien. Une gifle, pour la petite blonde, qui baisse la tête, essayant tant bien que mal d’endiguer le sanglot qui menace de lui déchirer les cordes vocales, et ce qui reste de son cœur. Elle ne peut pas parler. Elle n’en a pas la force. Et pour l’instant, elle ne sait pas non plus comment se lever. Parce qu’à la vérité, elle ne saurait plus où aller.

Jameson préféra lui laisser le temps d'emmagasiner ce qu'il venait de lui dire. Comme il s'en doutait, il y avait beaucoup de paramètres que la jeune sorcière ignorait, ce qui était normal. Mais pour le coup, il préférait prendre le taureau par les cornes, quitte à la secouer un peu afin de ménager au mieux son neveu, @Sean Clearwater, lorsqu'ils se croiseraient prochainement.

S'il y avait bien quelque chose qu'on ne pouvait pas lui enlever, c'était que Jameson faisait toujours passer la famille avant les autres.

Il passait probablement pour un connard de la première aux yeux des autres, le patriarche des Clearwater s'en fichait éperdument. Il aurait aimé se montrer plus doux, plus prévenant avec la fille de Liam, mais l'état dans lequel était Sean le poussait à réagir vite, à ne pas prendre de gants. C'était une façon de faire qu'il lui allait plutôt bien, puisque, de toute manière, il ne passait jamais par quatre chemins pour dire ce qu'il pensait.

C'était, au moins, une qualité qu'on ne pouvait lui prendre.

Lorsque le petit jouet de bois glissa des mains de Liadan pour venir taper le sol, rebondissant plusieurs fois avant de s'immobiliser, Jameson écarquilla ses yeux comme des soucoupes. Un petit sourire nostalgique se dessina sur ses lèvres alors qu'il s'agenouillait pour ramasser la petite toupie de bois.

Levant son visage pour observer Liadan, il se redressa doucement.
« - Cela fait très longtemps que je n'ai plus rien fait de mes mains pour les petits du clan. »
Il la lui rendit avec un sourire plein de douceur.
« - Braxton était sous le coup de l'émotion, il... Il a flingué la mémoire de son fils en pensant bien agir. »

Jameson avait toujours détesté cette décision. Mais il n'était pas le père, et il n'était pas encore le patriarche du clan lorsque les choses s'étaient passées. Tout comme Liam, tout comme Braxton ou encore Elisabeth, Jameson était jeune. Froissé par la guerre, peut-être pas comme son frère qui la trainait encore vingt ans après comme son ombre, Jameson avait su en faire une force. Mais pas Braxton, pas son frère. Liam était tout pour lui. C'était le parrain de son Sean. C'était...

... Le voir mourir devant lui, sans compter toutes les atrocités qu'il dut faire pour l'Ordre du Phénix, quand bien même c'était pour la bonne cause...

Il jeta un bref regard par la fenêtre.
« - Sean finira bien par se souvenir de toi. Sa mémoire commence doucement à lui revenir même si... Même si d'autres éléments viennent entacher tout cela. »
Le kidnapping et les tortures psychologiques, par exemple.

Jameson semblait dépité. Et triste. Son regard était douloureux. Il n'osa pas mettre sa main sur l'épaule de Liadan pour la consoler, ne sachant plus vraiment comment se comporter après toutes ces années. Tout ce qu'il trouva à dire, ce fut cela :
« - Si tu as besoin de quoique ce soit, je suis là. OK ? »

La toupie retrouve ses doigts et elle balbutie un remerciement. Peut-être devrait-elle lui rendre l’objet, qui lui semble étranger, soudainement. Ce que son parrain a fait l’a rayée du paysage. A complètement effacé son existence, et celle de son père. Ils n’ont jamais fait partie de la vie de Sean. La perspective lui donne envie de se rouler en boule sous sa couette, et de disparaître pour de bon. Ce n’est pas ce qui était prévu. Et c’est injuste, au-delà de tout entendement. N’a-t-elle pas suffisamment perdu ? Et pourtant, comment en vouloir à qui que ce soit ? A Braxton, sans doute. De ne pas avoir réparé sa faute. De ne pas lui avoir dit, de ne pas lui avoir expliqué. A Sean, mais à elle, aussi. Peut-être a-t-il été en réalité soulagé, que sa mère l’emmène loin. Il n’a jamais eu à lui expliquer ce qu’il avait fait, ou à se soucier des conséquences. Elle avait vécu avec des fantômes, celui d’un père décédé qu’elle ne connaîtrait jamais, et celui de son meilleur ami, qui n’existait plus que dans son esprit, à elle. Elle n’est plus qu’eau, se sent liquide, sans la moindre consistance. A l’image des larmes qui coulent sans discontinuer, elle s’attend à se voir au sol. Une jolie flaque de la couleur de ses yeux, marbrés de rouge. Rien ne pourra lui rendre ce qu’on lui a pris. Elle aurait du le savoir, au moins pour Liam.

Et même s’il retrouve la mémoire, comme le professeur le lui dit … cela ne change pas grand-chose. Pas entièrement. Qui sait quand il le fera. Et elle ne sera qu’une vague image. Des souvenirs perdus, qui se brouillent avec l’âge s’ils ne sont pas entretenus. Elle n’a pas fait partie de sa vie, même de loin, même dans sa tête. Le lien qu’ils avaient a été brisé, de façon irréparable. Et c’est insupportable. Et pourtant. Pourtant quand la voix de Jameson sonne comme une fin de conversation, Liadan se souvient d’où elle est. De qui est en face d’elle. Du fait que c’est censé être son premier jour à Poudlard et qu’elle est attendue au petit déjeuner par un transfuge de Catelobruxo avec lequel elle a sympathisé à son arrivée. Que ses cours l’attendent, de l’autre côté de cette porte. Et qu’il va falloir qu’elle trouve un moyen de se lever, de partir. Et de comprendre comment digérer ces informations. De comment faire un autre deuil, encore. Et de comment continuer. « Thanks, professor. » Il y a toute sa volonté, dans ses cordes vocales. D’essayer de se maîtriser, de se reprendre. C’est un échec. Mais elle relève tout de même le visage vers lui. « I promise I… won’t hurt him. » Il lui faut renifler, pour garder la maîtrise de sa voix. « I… I will stay away. » Le temps qu’il faudra. Ou pour toujours. Parce qu’elle-même ne sait pas si elle peut affronter la réalité. Si elle peut supporter qu’il la regarde comme une étrangère, alors que fut un temps, il était tout pour elle. Et cela fait des années. Mais ça a compté. Ses jambes parviennent à la porter alors qu’elle se lève, inclinant le buste dans un réflexe importé tout droit de Mahoukotoro. « Have a nice day, professor. » L’enchantement semble se lever de la porte quand elle l’atteint. Et il lui faut plusieurs minutes pour trouver des toilettes. Pour s’y enfermer. Et quand elle en ressort, bien malin celui qui pourrait dire le point auquel son cœur est brisé. La légère teinte de ses yeux ? Est-ce que tout étudiant loin de chez eux n’a pas eu un petit coup de mou, le jour de la rentrée. Et elle tient, toute la journée. Jusqu’à s’effondrer, à la nuit tombée. C’est Morphée qui l’emporte, finalement, sans qu’elle n’ait trouvé la réponse à la question qui la taraude. Should I really stay ?