if we ever meet again { Sean

C’est une journée avec. Elle a décidé que ça irait. Parce que, objectivement, comme elle se le répète, il n’y a aucune raison de déprimer. Contrairement à sa colocataire, elle n’a pas connue de rupture difficile. Sa petite amie continue de lui envoyer des lettres, et même si les choses ne sont pas simples, même si une autre jeune femme emplit doucement ses pensées, tout va bien. Elle est en pleine santé, pleine forme, ses mamans vont bien, ses cours se passent bien. Jouer au Quidditch est toujours un plaisir, et ils s’entraînent dur pour être certains de briller pour la Coupe cette année – et Liadan compte bien aider à ce qu’ils remportent le trophée lors de sa première année. Elle a même trouvé un petit boulot auprès d’une légende du sport, alors que demander de plus ? Il faut qu’elle soit reconnaissante pour ce qu’elle a. Et elle l’est. Sa détermination est la clef et comme elle l’a décrété, la journée se passe à merveille. C’est un mardi comme les autres, et elle va d’une salle de cours à l’autre, notant consciencieusement ses devoirs, passant par le bureau du professeur Nightingale pour lui faire part de l’avancée de ses travaux, prend un déjeuner copieux – les elfes de Poudlard savent décidément comment cuisiner – avant d’enchaîner avec son après-midi, qui semble enfin toucher à sa fin. Elle n’a pas de plans précis pour la soirée, mais compte sans doute sortir sa batte pour aller s’entraîner en solitaire, une fois ses affaires ramenées au dortoir. Et c’est là qu’elle se dirige, d’un bon pas. La sonnerie marquant la fin des cours a retenti il y a quelques minutes et les couloirs sont extrêmement peuplés. Il y a énormément de monde, de distractions, et c’est ce qui fait qu’elle n’entend pas venir le danger, sous la forme de étudiants visiblement en train de se chamailler, qui courent dans sa direction. Quant à elle, son sac à dos sur le ventre, en train de vérifier qu’elle n’a pas oublié sa trousse dans la salle, elle est dans une position d’équilibre précaire. Aussi, quand ils la percutent, dans le dos, violemment, n’a-t-elle pas le réflexe de se rattraper.

« Aouch ! » Le monde semble tourner alors qu’au ralenti, elle se voit tomber. Ses bras se croisent devant son visage pour se rattraper, après l’éjection de son sac, un peu plus loin. Le bruit qu’elle fait en tombant attire l’attention, et une Poufsouffle se précipite immédiatement. « Are you okay ? » La pierre est dure et le souffle a été coupé, il lui faut quelques secondes pour relever la tête et la hocher, avec un pauvre sourire : « Yeah just… i am okay ! » La jeune femme lui tend la main pour l’aider à se relever et la jeune fille grimace, sentant déjà les endroits où les bleus fleuriront dès le lendemain. « You’re sure you don’t want to go to the infirmary? » « No, I am fine, thank you! » Le reste des gens est parti vaquer à ses occupations, la voyant en de bonnes mains. Leurs regards tombent sur les poignets légèrement écorchées de Liadan et surtout ses affaires par terre : « Let me… » « Pam ! You coming ? » Les amis de sa sauveuse semblent sur le point de partir et elle la congédie, immédiatement : « Go, go, please, thanks for the help, I will just pick that up and then I will go check this I promise. » « Are you sure? » « Yes, yes, please! » La blondinette se recule déjà, pour lui prouver qu’elle va bien, et l’autre élève finit par tourner les talons. Accroupie, Liadan commence à ramasser parchemins, livres, et sa trousse, qui était donc bien là. Ses affaires se sont un peu éparpillées, entre les jambes des étudiants, restés pour discuter, qui ne font plus grand-cas d’elle. Et tant mieux. C’est le genre d’humiliation publique dont elle se serait bien passée. Il ne manque plus que… son regard tombe un peu plus loin sur sa petite peluche Niffleur. Great. Quasiment à quatre pattes, la jeune fille fait chemin vers elle, avant qu’elle ne lui échappe, un étudiant maladroit mettant un coup de pied dedans en passant. Toujours accroupie, elle progresse jusqu’à la chaussure contre laquelle elle a butée, annonçant : « Sorry it’s m… » S’arrêtant, alors que ses yeux sont remontés vers le visage de l’élève. Du jeune homme, qui la surplombe. Et son cœur tombe dans sa poitrine. No. Not you…

La journée se terminait enfin sur leur dernier cours et les couloirs étaient blindés d’étudiants qui ne cachaient pas leur enthousiasme d’être en week-end. Sean patienta légèrement, attendant que le flot se tarisse avant d’aller poser ses affaires dans sa salle commune. Son programme de la soirée était déjà tout indiqué: une session d’entraînement en sortilège avant de potasser certains ouvrages dont il avait manqué l’étude en début d’année. Son regard passa instinctivement sur les différents visages qui s’offraient à lui, à la recherche de @Yeleen Sô, alors qu’il savait pertinemment qu’elle filerait directement au stade de Quidditch.

Sean aurait eu honte de l’admettre, mais il connaissait son emploi du temps par cœur à force de l’observer discrètement à la dérobée depuis maintenant trois semaines. Tant qu’elle restait dans l’enceinte de Poudlard, il se sentait rassuré, mais ses aller-retours entre le Ministère et le château étaient une importante source d’inquiétude. Aussi, le Gryffondor se débrouillait toujours pour faire coïncider ses heures de stage aux siennes afin de s’assurer que ses trajets se passent bien. Un peu plus loin, un tumulte se fit entendre, et tournant distraitement la tête dans cette direction, Sean cru reconnaître quelques Poufsouffles dont il se désintéressa bien vite. Parchemin en main, le jeune sorcier relisait le traité magique du célèbre Anicius Manlius Severinus Boethius qu’il venait de découvrir en cours quand quelque chose de mou fut projeté sur son pied.

Baissant les yeux, il aperçut au sol une petite peluche sombre et son regard papillona de nouveau en l’air pour comprendre sa provenance. Une jeune fille qui était à quatre pattes à terre et semblait ramasser ses affaires l’observait fixement - l’air franchement surprise. Ses mots s’étaient interrompus, de même que ses gestes, alors qu’elle le fixait comme si elle venait de voir un fantôme. Sean haussa les sourcils en s’interrogeant. Il avait déjà entraperçu cette nouvelle étudiante inconnue dans les couloirs et la manière dont elle réagissait - fuyant les regards curieux - supposait une timidité extrême. Il ne lui avait pas encore adressé la parole, et du reste, s’était assez peu intéressé à elle. Peut-être que son inconsciente froideur avait finit par l’effrayer…

Sean se força à afficher un sourire pour adoucir ses traits avant de lui tendre la main pour l’aider à se relever.

- Salut, on ne s’est pas encore présenté… Je suis Sean. Tu as perdu ça je crois. Une fois la fille remise debout, il se pencha pour attraper la petite peluche dont la texture le surprit sans qu’il ne comprenne pourquoi. Qu’est-ce que c…

Alors qu’il croisait la petite tête duveteuse de l’objet, Sean se figea, soudain pris d’un désagréable frisson. La créature lui semblait étrangement familière, sans qu’il ne s’en souvienne et le malaise le gagna rapidement. Le sang ayant déserté ses joues, il se tourna de nouveau vers la jeune fille dont le visage était à présent en pleine lumière. Ce dernier avait une teinte opaline presque irréelle - très écossaise - avec une longue chevelure toute aussi pâle. Deux yeux d’un bleu très clair réhaussaient le tout, et ils épiaient la moindre de ses réactions.

Sean se perdit un instant dans le regard qu’elle posait sur lui et un second frisson le parcourut alors que sa respiration s’accélérait. Depuis le temps, il avait pris l’habitude de déceler les signes avant-coureurs des crises qui le prenaient parfois, et il en présentait actuellement tous les symptômes: des battements de cœur qui devenaient douloureusement irréguliers, sa gorge qui se resserrait, une sueur moite qui le recouvrait progressivement…

Mais prenant sur lui pour ne pas paraître impoli, il tenta de se ressaisir en se poussant au mouvement, portant son poing à sa bouche en se raclant la gorge.

- C’est à toi, reprit-il d’une voix cassée en lui tendant l’objet. Ses doigts restaient pourtant enserrés sur la peluche, refusant de se décrisper, et ses pupilles sombres la fixèrent de nouveau en s’écarquillant presque d’effroi. Un petit niffleur ?

Pourquoi. Pourquoi y avait-il fallu que le sac tombe. Que le Niffleur roule jusqu’à lui. Le voir, de loin, en sachant qu’elle ne pourrait jamais lui parler, avait été une épreuve, qui l’avait fait reculer dans ce qui s’était révélé être un placard à balais pour pleurer en toute liberté. Alors être là, tout près de lui… C’est incroyable, les souvenirs qui remontent à la surface, quand leurs yeux s’accrochent. De rires d’enfants, de malice avant de faire une bêtise coordonnée. Ce ne sont que des flashs, pour un être humain lambda, parce que cela fait bien trop longtemps. Mais Liadan s’est accrochée de toutes ses forces à cette peluche, à toutes les reliques qu’elle a pu emporter. Alors chaque minute de sa vie où elle s’est sentie seule, ou triste, elle a pu conjurer l’image de son meilleur ami en train de lui faire un clin d’œil, de tremper le doigt dans la pâte à pancakes de Liam, ou encore à courir dans l’herbe jusqu’à ce qu’ils se battent, pour de rire, et que leurs pères les séparent. C’est tout ce qui revient, qui la balaye et manque de la renverser, alors qu’il pose finalement les yeux sur elle. - Salut, on ne s’est pas encore présenté… Je suis Sean. Tu as perdu ça je crois. Et c’est le fait qu’il se présente qui lui brise le cœur, de façon irrémédiable. La main est prise, par réflexe alors qu’elle peut déjà sentir ses yeux s’embuer. This is not how it was supposed to go. Il est là, il lui parle. Et pourtant. Pourtant il n’est pas là. C’est lui, et ça ne l’est pas. Et c’est tout bonnement insupportable. Pourquoi ?

Il se penche et son index en profite pour venir contre son œil, tentant de retenir ses larmes. Le blanc doit déjà s’être teinté de rouge, mais pour l’instant, elle n’a pas éclaté en sanglots. Et elle ne sait pas combien de temps cela va durer. Qu’est-ce que c… Reconnais moi. Sean. C’est moi. C’est toi. S’il-te-plaît. Il y a quelque chose. Elle le voit. Mais elle se souvient, également, des avertissements de @Jameson Clearwater. Et ses yeux finissent par se fermer. Juste deux secondes, pour se donner la force de ne pas s’effondrer, tout de suite. C’est pire que ce qu’elle avait imaginé. C’est pour cela qu’elle n’est pas allée le voir, même après ce que @Yeleen Sô lui a dit. Parce qu’aucun d’entre eux ne comprend, à quel point il est insupportable pour elle d’avoir perdu quelqu’un d’autre. Qu’un lien qui ait tellement compté pour elle, pas pendant six ans, mais vingt-trois, soit en fait défait. C’est à toi. Il n’y aura pas de Quidditch. Il n’y aura que son lit. Ou ailleurs. Elle a besoin… elle a besoin de la seule chose qu’elle ne peut pas avoir maintenant. Ses mots se sont perdus et quand elle relève finalement le regard vers lui, sa vision est brouillée. Elle sait qu’elle a échoué et qu’elle est en train de pleurer, devant lui. Quelle importance ? Il ne sait plus. Qu’il la prenne pour une fille bizarre qui craque en semant ses peluches partout. Qu’est-ce que ça peut faire. « Actually… it’s yours. » C’est la dernière chose de lui qui lui reste. Ce que Braxton lui a fourré dans les mains à l’enterrement de son père, quand elle voulait désespérément son meilleur ami. Il aurait du lui dire. Elle aurait du pouvoir faire son deuil, au fil des années, comme elle l’avait fait pour son père. La Serdaigle secoue la tête, alors qu’elle sent les larmes dévaler ses joues. « I’m… I’m sorry, Sean. » To be here, stirring things that shouldn’t be. That it did that to you, to us. That some part of me stupidly thought what we had was stronger than magic. C’est trop. C’est tout simplement trop. Elle fait volte-face, et decide de tout simplement prendre la fuite, autant que faire se peut avec une vision limitée, complètement embuée et un couloir bondé, où personne ne semble aller dans la même direction ou pouvoir la laisser passer.

Sean parvint à décrocher son attention de la peluche pour écarquiller encore un peu plus les yeux. L’étudiante en face de lui avait les paupières débordantes de larmes qui coulaient silencieusement le long de ses joues. Avec horreur, Sean se figea en l’observant, sentant la panique le gagner devant cette scène. Est-ce qu’il l’avait tant effrayée avec son étrange comportement qu’elle en avait été émue aux larmes ? L’avait-il blessée sans le vouloir ? Était-elle en colère ? Impuissant, l’étudiant ne parvenait à bouger le moindre muscle devant la jeune fille en pleurs. Cette dernière finit par prendre sur elle en balbutiant quelques mots qui lui transpercèrent le cœur.

La respiration du Gryffondor s’arrêta, et de même, le monde autour d’eux sembla ralentir aussi, jusqu’à disparaître, alors qu’il continuait à fixer la jeune sorcière. Il ne parvenait pas à comprendre le sens de sa phrase. Que voulait-elle dire en déclarant que la peluche était la sienne ? Sa déclaration était des plus simples, et pourtant, son cerveau refusait de l’assimiler. Son bras qui tenait la créature de mousse se baissa doucement, entraînant son regard avec elle. Un petit niffleur, que le temps avait légèrement délavé et aplati. Il était si étrangement et familier, et pourtant, complètement inconnu.

Soudain, comme dans un flash, il se souvint où il avait déjà vu le petit animal. Entre ses propres mains. Serré contre son propre petit corps de garçonnet. Le petit Sean de la Pensine de son père. Celui dont le regard opaque semblait perdu dans la vision de formes fantomatiques que lui seul était en capacité d’apercevoir. Un petit garçon dont la mine pâle tenait plus du monde des morts que de celui des vivants. Ce petit niffleur avait semble-t-il été sa peluche quand il était plus jeune. Mais comment cette dernière était-elle tombée entre les mains de cette jeune fille ? La sorcière justement secouait sa longue chevelure pâle, s’excusant en l’appelant par son prénom qu’elle avait déjà si bien retenu avant de s’éloigner. Sean mis quelques secondes à réagir avant de tourner le visage vers sa silhouette qui s’éloignait. Elle était sur le point de disparaitre parmi la masse des étudiants qui se pressaient les uns contre les autres.

- Hey ! Attends ! Ne pars pas !

Sans lâcher le petit niffleur, il s’élança à sa suite, bousculant ça et là des étudiants qui râlèrent à son encontre sans qu’il ne s’en préoccupe. Les cheveux d’or de l’étudiante étaient faciles à suivre, et en les voyant onduler devant lui, Sean fut frappé d’une violente nostalgie dont il ignorait l’origine. C’était comme voir le soleil percer à travers les nuages, et éclairer les feuilles d’un arbre printanier qui chuchotaient doucement sous la brise. Avant qu’elle ne puisse tourner à l’angle du couloir, Sean lui attrapa in-extremis la main, l’attirant à l’abri du mur pour les éloigner de la foule des étudiants.

- Attends, ne pars pas, lui répéta-t-il faiblement, presque comme une supplique – alors qu’il ne lui lâchait pas la main pour autant, l’empêchant de fuir de nouveau. Les larmes de la jeune fille étaient toujours là, et elles déstabilisèrent le Gryffondor une deuxième fois alors qu’il la dévisageait gauchement d’un air embarrassé. Il n’avait pas de mouchoirs à lui proposer pour qu’elle puisse éponger ses yeux rougis, et instinctivement, il présenta devant sa figure mouillée la petite peluche qui pendait au bout de sa main, comme si la boule de poils avait un quelconque pouvoir guérisseur. Sur le coup, son geste lui semblât être comme une évidence.

- Ça va… lui demanda-t-il maladroitement, espérant sincèrement que ses pleurs cessent. Excuse-moi si je t’ai fait de la peine… Mais… Je ne comprends pas… ce niffleur… Tu dis qu’il est à moi ? Mais comment… Comment tu l’as eu ?...

Il faut qu’elle s’en aille. Le plus vite et le plus loin possible. C’est trop douloureux. Les larmes cascadent sur ses joues, encore plus pâles que d’habitude. Il faudrait qu’elle puisse rentrer. Qu’elle puisse s’effondrer dans les bras de sa mère, pour lui demander pardon d’être partie, pour lui dire qu’elle comprenait, qu’elle avait eu raison de la soustraire à tout ça. Toutes ces années, elle avait cru que c’était par égoïsme. Maintenant, elle savait. Que c’était pour la protéger de ça. Parce que si elle réagit comme ça, une enfant en face de son meilleur ami, incapable de la reconnaître, après avoir enterré son père, n’aurait jamais survécu. Et elle s’en veut. Elle s’en veut d’être venue, d’avoir ne serait-ce qu’essayé. Pourquoi n’a-t-elle pas pu simplement la croire sur parole ? Il lui semble l’entendre l’appeler. Elle redouble le pas. No. Let me go. Please. C’est trop cruel, et elle ne peut même pas lui en vouloir. Il n’y a personne à blâmer. A part elle. Elle aurait du rentrer, dès que le professeur @Jameson Clearwater lui avait expliqué. Partir. Mais elle n’avait pas pu. Et … Et il est trop tard. La main la tirant en arrière a raison d’elle, alors qu’elle se sent entraînée, trop remuée pour résister. Le mur dans son dos, elle garde la tête tournée. Elle ne veut pas le regarder. Un faible gémissement lui échappe, alors qu’elle voudrait lui demander de la lâcher. Il faut qu’elle s’en aille, elle ne peut pas être là. Elle n’a pas sa place ici, avec lui. Et elle rassemble son courage pour desserrer les dents quand une petite tête apparait dans son champ de vision.

Son regard passe du niffleur à la main qui le tend, au visage qui se brouille. Qui redevient celui qu’elle a vu et revu de si nombreuses fois qu’elle en a le tournis. Look, don’t be sad, you’re making them sad too! Et un couinement miserable se fait entendre, alors que sa main libre se tend pour attraper la peluche, pour enfouir son visage contre le duvet qui n’a plus rien de doux, depuis toutes ces années. C’est son odeur à elle, qu’il porte. Il ne sait plus. Et pourtant, il a su. Inconsolable, Liadan ne sait faire que pleurer. Même quand il parle. Même quand il demande… Elle secoue la tête. Il lui fait de la peine. Il est en train de lui faire plus de peine qu’on ne lui en a jamais fait. Mais ce n’est pas de sa faute. Et elle ne peut pas lui expliquer. Parce que tout est trop compliqué, sans ce devrait être si simple. Ça ne le sera plus jamais. Elle n’a pas vingt-trois ans. Elle a six ans. Elle a six ans, et elle attend que son meilleur ami passe ses bras autour d’elle, alors qu’elle dit au revoir à Liam O’Connor. Elle a six ans, et tout ce qu’elle a, c’est une peluche, à laquelle elle se raccroche comme si sa vie en dépendait. « He… he gave it to me. » When all I wanted, all I needed was you. « Godfa… Braxton. » Le titre glisse, est rattrapé. Est-ce que cela fait la moindre différence. Il faut qu’elle arrête de parler. Il faut qu’il ne pose plus de questions. Elle n’est pas certaine de le supporter. « I… I’m sorry... » Did you miss it ? Or did you forget it even existed, like me? Ses doigts se décrispent alors qu’elle considère l’objet, complètement détrempé par ses propres larmes. « I… I… ruined it. » The plushie. My plan, not to approach you, ever. My heart. Il faut qu’elle parte. Il faut qu’elle parte avant qu’elle ne fasse plus de dégâts. Parce qu’elle n’est pas assez partie pour ne pas voir qu’il se pose des questions. Et elle n’a pas la force d’y répondre.

La jeune fille émit un curieux petit bruit avant d’attraper le niffleur et de le plaquer contre son visage en pleurs. Le cœur de Sean se serra devant sa tristesse apparente dont il ignorait l’origine. Pourtant, son malaise ne désemplissait pas et il se sentait de plus en plus responsable et désemparé, ignorant comment se rattraper. Ses questions semblaient faire encore plus de peine à l’étudiante qui secouait sa chevelure en pleurant à chaudes larmes. Ses mots, étouffés par la peluche qu’elle tenait encore contre elle, lui parvinrent pourtant de manière entrecoupés.

Sean se figea, lui lâchant la main pour reculer d’un pas, ses pupilles agrandies par la surprise toujours vissées sur elle. Que venait-elle de dire ? @Braxton Clearwater le lui avait donné ? Comment était-elle sur le point de l’appeler ? Parrain ? Le visage sans expression du Gryffondor ne reflétait aucunement l’agitation intérieure qui le secoua. Son cœur se mit à battre à tout rompre dans sa poitrine alors que ses idées s’affolaient dans son esprit - créant chez lui une panique de plus en plus difficile à contenir.

Le terme de parrain, à peine révélé, commença à tourner en boucle dans sa tête qui refusait de l’associer au nom de son père. A la place, ce fut le visage souriant de son propre parrain qui lui apparut, immortellement capturé par la pellicule de la photographie. Une image parfaite dépeignant Sean, âgé de quelques années seulement, dans les bras de ce sorcier au regard brillant que l’étudiant conservait dans son portefeuille depuis qu’il l’avait découverte.

Mais rapidement, la paisible scène se transforma sous ses yeux alors que les couloirs du château prenaient peu à peu l’allure d’une pièce à moitié détruite par les sortilèges qui avaient ricoché sur ses murs. Les étudiants autour d’eux avaient disparus, laissant la place à des silhouettes qui se téléportaient d’un bout à l’autre de la pièce, échangeant de mortels éclairs à l’aide de leur baguette. L’un d’eux toucha un homme qui se figea, tournant lentement son visage vers lui. Il avait de pâles cheveux blonds, un teint que le sang avait déserté, deux yeux bleus qui ne voyaient déjà plus ce qu’il fixaient…

Liam, son parrain, assassiné sous ses yeux. Sean n’en avait aucun autre souvenir que ceux ravivés par la Pensine de son père. Mais le choc de ce spectacle étai entré en résonance avec une fêlure qui avait divisé tout son être depuis cette fameuse nuit. Impuissant, il se tenait là, devant l’homme qui avait été effacé de sa mémoire, le cœur au bord des lèvres et l’âme endeuillée. Mais alors qu’il menaçait de s’effondrer au sol pour ne plus jamais se relever, Sean se précipita vers lui pour le retenir.

Cependant, là, entre ses mains, ce n’était plus Liam mais la jeune étudiante qu’il avait fait abondamment pleurer. La pièce menaçant de s’effondrer sur elle-même avait disparue pour dévoiler de nouveau les rassurants et familiers murs du château. Des étudiants autour d’eux s’étaient arrêtés pour les observer avec une curiosité non retenue, se demandant l’origine des larmes de la jeune sorcière. Sean ne leur jeta pas un seul regard, concentrant toute son attention sur elle, ses yeux azurés, ses cheveux dorés. Leur proximité lui donnait l’impression de la retrouver, sa chaleur, son odeur, bien qu’il ignorait tout d’elle.

- Qui es-tu ?

Son ton n’avait plus rien de doux. Le sorcier se montrait au contraire pressant, presque dur alors qu’il tenait l’un de ses poignets et son épaule, son visage penché sur le sien. Qui était-elle ? Pourquoi il avait envie de crier de frustration en l’observant pleurer sans qu’il ne comprenne pourquoi. Pourquoi avait-elle ce niffleur qui lui avait semble-t-il appartenu? Pourquoi appelait-elle Braxton son parrain ? En grimaçant, Sean sentit des larmes poindre sous ses paupières et il les retint en secouant la tête. Il avait l’impression que cette dernière allait exploser alors qu’il cherchait à mettre le doigt sur l’impression qui l’habitait. Pourtant, à chaque fois qu’il pensait enfin comprendre, elle lui échappait de nouveau, se dématérialisation comme une brume devant lui.

Elle n’en peut plus. Elle voudrait que l’inconscience vienne la cueillir, que le sol se dérobe sous ses pieds. Et qu’elle se réveille à l’infirmerie, loin de lui. Qu’elle n’ait plus à le regarder, alors que chaque trait est pourtant capturé par son inconscient, avide de combler ce trou béant dans sa poitrine, dans sa mémoire. Il a changé, bien sûr qu’il l’a fait et en même temps, il est exactement le même, quelque part. Est-ce stupide, de le penser, alors qu’ils ne se connaissent plus ? Est-ce vraiment ridicule, alors qu’il a eu le même réflexe que des années auparavant, pour la consoler ? La libération attendue ne vient pas. Sa tête et son corps peuvent apparemment en supporter davantage qu’elle ne pensait. Pas d’échappatoire. Pas quand il lui bloque le passage, pas quand il l’a rattrapée une fois, déjà. Il est plus rapide qu’elle, connaît mieux les lieux. Il faut qu’il accepte de la laisser partir. Et pour l’instant, il ne semble pas décidé à le faire. Please, Sean, don’t make me… Liadan prend sur elle, pour relever la tête. Pour l’affronter, pour lui demander, le supplier de la laisser partir, d’arrêter de lui poser des questions. Peut-être faudrait-il qu’elle menace de hurler. Mais ce n’est pas elle. Et elle en est bien incapable. Surtout quand ses prunelles claires se posent sur le regard absent de l’étudiant. Son cœur manque un battement. Sa prise sur le niffleur se raffermit alors qu’elle étouffe un couinement affolé. What is happening. « S…Sean? » L’inquiétude l’emporte sur tout le reste, pour une fraction de seconde. Jusqu’à ce qu’il se précipite en avant. Ses mains se plaquent contre elle et le dos de la Serdaigle embrasse le mur un peu violemment, lui arrachant un glapissement, de surprise. Sous le choc, la peluche tombe au sol. Mais elle n’a pas le temps que s’en préoccuper, alors que l’étau se resserre sur elle. Physiquement.

« Qui es-tu ? » Son souffle se bloque dans sa poitrine. Un gémissement sans forme s’échappe de ses lèvres alors qu’elle secoue la tête frénétiquement. « No.. no, please. » Elle a promis. Elle a promis de ne pas lui faire de mal, de le protéger en restant loin, en restant silencieuse. Et elle a rompu sa promesse. La panique l’empêche de respirer proprement et elle tente de se dégager. Faiblement. Une part d’elle sait, qu’il est déjà trop tard. Et une autre, une autre dont elle aura probablement honte plus tard, le veut. Veut qu’elle le regarde. Veut qu’elle lui dise … « Liadan. » Son propre prénom lui semble soudainement étranger, comme quand on répète un mot de trop nombreuses fois. Ce ne sont que des syllabes sans sens, pour qui ne la connaît pas. Pour lui. « … O’Connor. » Ce n’est qu’un murmure, un murmure pitoyable qu’elle lui livre. Et elle se déteste déjà, de l’avoir fait. De l’avoir dit. Mais elle n'a plus la force de lutter. D’être triste, tous les jours, pour un peut-être. Au moins, les choses sont dites. Et il va l’achever. Le professeur Clearwater demandera peut-être son renvoi, pour avoir osé. Oncle Luke sera déçu. Ses paupières se ferment, parce qu’elle ne veut pas voir ce qui se passera sur son visage. Parce qu’elle refuse d’intégrer la vérité, parce que ça fait trop mal. Parce que s’il sait pour Liam, il ne sait pas pour elle. Parce que tout ça ne change rien. « I’m sorry I… » Le sanglot est difficilement ravalé, alors qu’elle poursuit, d’une voix à peine audible : « I promised professor Clearwater I wouldn’t tell you. » Et maintenant, il est trop tard. Et elle va devoir affronter les conséquences de ses actes. Et cela sera sans doute moins douloureux que ce qui est en train de se passer.

Sean était penché sur elle, sans se rendre compte de l’agressivité de son comportement. Il sentait pourtant une colère sourde enfler en lui, et s’il n’en comprenait pas l’origine, il se doutait bien qu’elle n’était pas tournée vers l’étudiante en pleurs en face de lui. Cependant, il avait besoin de comprendre. Il devait savoir. Ce flou obscur dans son esprit était sur le point de le rendre fou. Qui était-elle ? Il le savait, et pourtant, il ignorait tout d’elle. La voix de la jeune fille voix trembla – une première fois – sans qu’il ne desserre la main sur son poignet. Et finalement, elle abandonna, alors que dans ses yeux brillait une étrange crainte. Liadan. Ce prénom ne disait absolument rien à Sean qui fut sur le point de la relâcher avant que son nom de famille ne résonne dans le couloir – aussi brutal que le crépitement d’un sortilège impardonnable. O’Connor.

Liadan O’Connor.

Sean l’observa sans aucune réaction. En lui, il n’y avait plus ni colère, ni tristesse, ni frustration. Il n’y avait plus rien, comme si ce nom avait soudainement balayé tout ce qui faisait qu’il était lui. Lentement cependant, alors que le sang réaffluait à son cerveau, il secoua la tête – refusant ce qu’il venait d’entendre. Liadan O’Connor. Impossible. Elle mentait. Laissant tomber ses bras de chaque côté de son corps, il recula pour l’observer avec une suspicion non dissimulée. Il l’aurait su si Liam avait eu un enfant. Forcément. Il l’aurait connue bien plus tôt. @Braxton Clearwater, ou n’importe qui d’autre du clan le lui aurait révélé. Pourquoi cherchait-elle à lui faire croire cela ? Est-ce que c’était une nouvelle manigance de Ryan pour le piéger ?

Mais alors, l’étudiante poursuivit en mentionnant le nom de son oncle @Jameson Clearwater, expliquant en pleurant qu’elle lui avait promis de ne rien lui dire. De nouveau, Sean se figea avant qu’une intolérable douleur ne le traverse, explosant dans son crâne. En tremblant, il recula encore de quelques pas jusqu’à atteindre le mur opposé du couloir sur lequel il s’appuya de tout son poids. Est-ce que c’était vrai ? Il avait devant lui la fille de son parrain décédé alors qu’il n’était qu’un enfant ? Et tout le monde le lui avait caché ? Lui mentant impunément comme sur tout le reste de son passé depuis toutes ces années ? Une colère brulante le parcourut, se réappropriant ce corps qui lui avait si longtemps appartenu. Sa haine prit la forme d’une boulue sombre au creux de son estomac, lui donnant l’impression qu’il n’était plus maître de son corps, cherchant à le faire sombrer dans la violence.

Pourtant, les yeux bleus de Liadan posés sur lui furent suffisants pour que la sphère de rage ne se déchaîne pas en lui et il s’accrocha à ce regard pour reprendre lentement le contrôle, son implacable raison tentant de trouver une logique à ce qu’il venait d’apprendre. Liadan était-elle une fille cachée dont on venait seulement de découvrir l’existence ? Braxton ne l’avait peut-être jamais connue ? Mais les propos de la jeune fille lui revinrent en coup de fouet alors que le regard du Gryffondor tombait sur le petit niffleur dans ses mains. Son père n’était autre que le parrain de la jeune fille. Evidemment qu’il la connaissait. Tout le clan savait qui elle était. Tout le monde à part lui.

Alors, ses propres yeux sombres se mirent à briller et il s’avança de nouveau vers la jeune fille dont le visage ruisselant de larmes lui était insupportable. S’arrêtant devant elle, il détailla son air, reconnaissant ça et là les traits de Liam sur la photographie qu’il avait passé tant de temps à détailler. Pantois, la mort dans l’âme, il ne su que faire d’autre que l’attraper pour la serrer dans ses bras. Liam avait une fille. Liam avait une fille… Et elle était là, à Poudlard, devant lui… Cette information résonnait dans sa tête en tentant de s’y imprimer alors que son esprit sur la défensive cherchait de toutes ses forces à la rejeter.

- Je suis désolé, finit-il par souffler dans un sanglot suffoquant.

Désolé, il l’était, mais c’était difficile de lui indiquer pourquoi. Désolé de t’avoir fait pleurer et de t’avoir malmené ? Désolé pour ton père, qui est mort en cherchant à me protéger ? Désolé de t’avoir oublié ? Car il l’avait oublié, c’était certain. Il le comprenait à présent, alors que les lambeaux de son âme gisaient au fond de ses entrailles – refusant douloureusement cette vérité.

- Je suis censé te connaître c’est ça ?

Les larmes coulaient de ses yeux à présent, et il resserra ses bras sur elle sans chercher à camoufler son émotion.

- Je suis désolé…

Il ne réagit pas. Et c’est sans doute pire que tout ce qu’elle avait pu imaginer. Il y a déjà le fait que son nom n’éveille rien chez lui. Il n’y a pas cet éclair de compréhension qu’elle a naïvement espéré, celui qui viendrait parce que le lien qui les unit est plus fort qu’un sortilège. Cependant il faut se rendre à l’évidence : la magie est plus forte qu’elle. Plus forte qu’eux. Et elle lui a pris tous ceux qu’elle aimait. Les larmes lui brouillent la vue alors c’est physiquement qu’elle le sent s’échapper. Reculer. Le fait qu’il mette de la distance est-il plus inquiétant que sa proximité menaçante ? Comment le dire. Elle n’a plus le contrôle de rien et se contente de subir. Tout ceci n’a absolument servi à rien. Il ne la connaît pas. Il ne la connaît plus. Et il semble… le revers de sa manche vient tenter d’éclaircir sa vision. Son bras continue de trembler. Il y a … quelque chose de terrible, dans la posture du jeune homme. Qui la fait s’arrêter. L’envie de pleurer le dispute à celle de crier, de lui demander de lui pardonner en se jetant à genoux, comme elle l’a vu faire au Japon. Mais elle veut partir, surtout, se rouler en boule en espérant que toute cette douleur disparaîtrait, au petit matin. Mais rien ne se passe. Il n’y a qu’eux deux, au milieu de ce couloir, à souffrir, à gérer les conséquences d’actions qui ne sont pas les leurs. Et c’est injuste. Et c’est moche. Et c’est…

Il se met en mouvement et Liadan recule, instinctivement. Son crâne cogne une nouvelle fois contre le mur mais ça n’a pas la moindre importance. Elle a peur. Elle a mal. Et il y a encore, quelque part, de l’espoir. Parce qu’il y a des larmes, dans ses yeux, aussi. Et cela l’attriste. Ajoute la culpabilité aux autres émotions qui tourbillonnent. Parce qu’il s’attarde sur son visage. Reconnais moi. S’il te plaît. Rien. Rien. Et soudain, il est contre elle. Et sa chaleur la fait fondre en larmes. Encore une fois. Une main serre le Niffleur contre son cœur, l’autre s’accroche à la chemise d’uniforme du Gryffondor. Il faudrait qu’elle le repousse. Qu’elle refuse ses excuses, qu’elle lui présente les siennes. Mais elle n’y parvient pas. Sean la serre dans ses bras. C’est ce qu’elle veut, ce qu’elle a demandé à chaque vœu d’anniversaire, à chaque Noël depuis ses six ans. Alors elle ne peut pas résister. Et se contente de pleurer, en continu. Un sanglot l’étrangle, quand il demande … Non. Malgré tout, malgré elle, il ne se souvient pas. Il… « It’s… it’s not your fault. » Mais ça fait mal. Mais qu’est-ce que ça fait mal. Et elle ne peut pas lui en vouloir. Elle en est incapable. Elle se contente de s’accrocher à lui, avec l’énergie du désespoir. Maintenant, il sait. Cela ne changera rien. Cela n’arrangera rien. Cela ne lui rendra pas son Sean. Mais il est là. « We were… » C’est dur, de lui dire. De lui décrire. Et surtout … comment parler pour lui ? Sa voix est étouffée dans ses vêtements, alors qu’elle murmure, péniblement : « You… were… my best… friend… » C’était trop peu, pour décrire la relation qu’ils avaient. Mais comment lui faire comprendre ? Le fallait-il, même ? Résumer ce qu’ils avaient vécu, alors que cela ne représente rien pour lui ? « I … missed you… so much… » Les mots sont terribles. Et ne signifient rien, parce qu’elle est la seule à avoir souffert de l’absence. A avoir un vide, terrible, dans sa vie, que même le jeune homme plaqué contre elle ne peut combler. Parce qu’il ne la connait plus. Parce qu’elle n’est rien pour lui. Parce qu’on leur a volé leur enfance. Leur complicité. Et qu’ils n’ont plus rien. Qu’une peluche défraîchie qui est écrasée entre leurs deux cœurs blessés. « Sean… » Elle se mord les lèvres. « I… I’m sorry. » Les pleurs se calment, lentement. Parce qu’elle est épuisée, physiquement, psychologiquement, émotionnellement. Il faudrait qu’elle parte. Mais elle est incapable de se détacher de lui. Parce que ce sera peut-être l’unique moment qu’ils auront. Parce qu’il n’est pas certain qu’il veuille la revoir, après ça. La connaître. Alors c’est une courte, très courte accalmie. Même si elle n’a rien de doux. Ni de facile.

La jeune fille sanglotait dans ses bras, et ses pleurs le tétanisèrent tant qu’ils tarirent ses propres larmes. Sean se contentait de l’écouter, les quelques maigres larmes qui avaient coulées de ses paupières séchaient déjà sur ses joues. Elle lui disait que ce n’était pas sa faute et les entrailles du Gryffondor se déchiraient pourtant étrangement de culpabilité. Comment pouvait-il avoir oublié tout ça ? Pourquoi ne pouvait-il pas se souvenir ? De nouveau, une étrange colère naissait en lui et plus la jeune fille était secouée d’émotion, plus cette rage enflait en bouillonnant.

Ils étaient meilleurs amis.

Sean expira lentement, comme si c’était un bout de son âme qu’il était en train d’exhaler dans un souffle. En réalité, il l’avait déjà perdue, il y avait maintenant de nombreuses années de cela, quand avait disparu le lien qui le rattachait à cette inconnue devant laquelle il réagissait pourtant si violemment. Elle lui racontait à quel point il lui avait manqué et Sean de son côté ne pouvait faire face qu’à sa propre ignorance, ayant grandi sans même percevoir l’absence de cet organe vital qui lui avait été arraché.

Tout son être réagissait avec la plus grande des violences face à ces vérités qu’elle lui imposait - détruisant absolument tout l’univers qu’il avait patiemment tenté de reconstruire, épreuves après épreuves. Tous ses efforts lui apparaissaient si vains à présent qu’il comprenait cruellement qu’il n’avait été que l’ombre de lui-même pendant si longtemps. Une part de lui continuait pourtant à refuser l’évidence, comme si son esprit avait si bien tenté de compenser ce déséquilibre permanent chez lui, qu’il refusait à présent un retour à la lumière.

La haine avait continué à envahir Sean, sans qu’il ne comprenne contre qui elle était dirigée. Aussi, il la tourna contre lui-même, cherchant à s’obliger à se souvenir. Quand Liadan s’excusa faiblement contre lui, il s’éloigna doucement d’elle pour fixer ses yeux rougis par l’émotion. Son propre visage était dévasté mais se fermait peu à peu alors qu’il tentait de forcer sa mémoire qui luttait contre lui-même. Les prunelles bleues pâles levées sur les siens lui faisaient l’effet d’un malaise cru, comme fixer le soleil pendant trop longtemps. Pourtant, il ne se détourna pas, quand bien même toutes les cellules de son corps lui hurlaient de le faire.

Soudain, en un éclair, il perçut quelque chose. Des rires. Un arbre. Une course dans les prés. Des cheveux dorés par le soleil qui se balançaient devant lui. Un visage qui se tournait lentement vers lui…

Et ce fut le château qui implosa autour de lui alors qu’une douleur lancinante lui traversait la tête. En se prenant le crâne dans ses mains, il se plia en deux, priant pour que l’insupportable sensation s’arrête. Des flashs s'accélèraient sous ses paupières, lui brûlant la rétine alors que sa respiration se saccageait brutalement. Le Clearwater ne savait que trop bien l’ampleur de la crise de panique qui allait l’envahir. Aussi, sans jeter un dernier regard à la jeune fille, il marmonna une vague excuse dans un souffle avant de fuir lâchement, tentant de trouver son chemin dans les couloirs, presque à tâtons.

Si certains étudiants lui jetèrent un drôle de regard, aucun n’osa s’interposer devant son air de dément et sa course maladroite pour retrouver son dortoir. Une fois qu’il l’eut atteint, il referma la porte derrière lui, s’effondrant contre le battant en glissant lentement jusqu’au sol. Puis, se prenant la tête dans les bras, Sean se sentit mourir à petit feu, laissant la crise l’envahir car il n’avait aucun moyen de l’éviter.