My Friend the Doctor

Deuxième semaine de stage pour Asel. L'hôpital de Ste Mangouste n'était pas totalement une découverte pour elle après trois sessions d'immersion l'année précédente. Il fallait bien trouver le moyen de convaincre les étudiants de pousser jusqu'au MULOT. Pour sa part, ça n'était pas du tout ce qui l'avait convaincue. Elle aurait d'ailleurs pu enfiler la blouse des aide-médicomages ses ASPICs en poche mais de malheureux concours de circonstances l'avaient poussée à s'inscrire alors même qu'elle avait toujours dit qu'elle n'en ferait rien.

La semaine précédent, elle avait eu le bonheur exquis de découvrir le Dr Oslek, le responsable de l'intégration des Internes et ses petits mots gentils. Elle croyait encore entendre ses mes petits papuchons, la mort n'attend pas, en avant mutins lutins et j'en passe. Le personnage était suffisamment particulier pour dégoûter même le plus sociable d'entre eux. Pourtant, ils s'étaient tous accrochés jusqu'à la deuxième semaine. Sans doute en gardant en tête que chacun allait être suivi par un spécialiste qui les débarrasserait du Dr Oslek et de ses insupportables mimiques forcées.

Bref, ce matin-là, on avait demandé à Asel d'attendre son futur maître de stage. Ou maîtresse. En vérité on ne lui avait même pas donné de nom alors Asel n'avait pas la moindre foutue idée de qui allait se présenter.

Les cheveux relevés en queue de cheval, son carnet d'étudiante à la main, on ne pouvait pas la rater dans sa blouse jaune douteux (c'était son opinion à elle sur la couleur des blouses des internes). Les infirmières passèrent devant elle à plusieurs reprises, toujours avec un petit mot gentil mais à la fin, Asel se mit à douter.

« Euh... excusez-moi. Je crois qu'on m'a oubliée... », risqua-t-elle à l'attention d'un médecine en blouse d'urgentiste qu'elle ne connaissait pas.

Il fallait dire qu'elle poireautait là depuis bien une demi-heure.

Finalement, un peu avant que l'on ne retrouve sa momie dessechée devant le bureau des infirmières, un grand type qui lui faisait vaguement penser à la patronne d'Adil mais en plus... barbu... finit par s'intéresser à elle. Enfin s'intéresser....

Elle haussa ostensiblement un sourcil en l'entendant se présenter. "Encore un taré" pensa-t-elle, réservant son avis pour ne pas torpiller complètement ses chances de finir l'année. Après Oslek, elle s'attendait à tout. Bon certainement pas au suicide de son ancien maître de stage.

Le visage d'Asel arborait maintenant une grimace déconcertée. Toujours aucun commentaire. Cela viendrait. Voilà qu'il lui jetait qu'il n'avait aucune envie de la former. Décidément, Merlin s'acharnait à essayer de la faire sortir de ses gonds, choses qu'elle avait tendance à faire très facilement ces dernières semaines. Non. Elle ne ferait aucun commentaire. Enfin si. Tout de même.

« Techniquement vous n'êtes pas obligé de me former, mais vous aurez probablement mes ratés sur la conscience alors... », fit-elle sans montrer plus de signe d'enthousiasme. Après tout, il avait déjà l'air dépité, inutile d'essayer de faire bonne figure, « De Skye. Comme le fromage. Et vous ? »

L'envie de rajouter enfin je suppose qu'on s'en fiche lui brûla les lèvres. Il fallait vraiment qu'elle prenne sur elle pour essayer de ne pas être aussi désagréable que lui.*

« Bon écoutez, je suis pas venue là pour vous emmerder ni pour faire la causette. Ca me va très bien si vous m'adressez pas la parole de la journée - surtout si vous ne me donnez pas du ma bichette en veux-tu en voilà - on pourrait juste se contenter de faire ce qu'on a à faire non ? »

Sûr qu'elle aurait préféré un tuteur pédagogue et patient mais elle n'allait pas non plus pleurer sur son sort. Elle avait déjà de solides bases et une bonne capacité à apprendre en observant.

Elle ne voyait pas bien ce qu'il pouvait trouvé d'original au fromage mais c'était peut-être un de ces extrémistes de la SPAF qui se mettaient en rogne rien qu'à l'idée même de fromage. Allez donc savoir. Mieux valait ne pas savoir en fait. Si elle devait passer toutes ses journées avec lui, mieux valait éviter de se le rendre encore plus désagréable. D'autant qu'il semblait bien parti pour... ah ben en fait non...

Asel fronça les sourcils devant la soudaine cohésion qui venait de pousser spontanément à leur duo de maître / élève. C'était tout de même rassurant de savoir qu'elle n'était pas la seule à être irritée par la personnalité dégoulinante du Dr Oslek. Enfin, elle n'avait pas attendu le Dr Aslan pour se faire une idée et se trouver des co-martyrs. La tournée des internes pouvait virer au véritable supplice quand Oslek était en forme. Enfin, quoiqu'il en fut, la première impression ne semblait finalement due qu'à un mauvais départ. Méfiante tout de même, Asel préféra s'en tenir au plan initial : faire ce qu'on lui demandait. Mais elle le faisait bien et sans se décourager.

Même l'interminable paperasse des premiers jours, elle ne montra aucun signe de relâchement et pourtant ça n'était pas faute d'avoir plus d'une fois eu envie de lui envoyer tous les feuillets à la figure quand cela faisait 30 fois qu'il lui faisait recommencer pour une virgule ou un terme jugé trop approximatif.

C'était que la perspective de pouvoir assumer un minuscule foyer de deux personnes et un jackalope était une motivation inébranlable pour elle. Additionnée à l'épée ou plutôt au balais de Damoclès qui lui tournoyait au-dessus de la tête : elle ne pouvait pas se permettre de se décourager.

Au bout de quelques jours heureusement, les sujets d'études qui se présentèrent furent plus pratiques et singuliers. Elle avait visiblement suffisamment gratté comme ça.

Ce jour-là, elle n'avait pas vu passer la matinée que l'heure de la pause arrivait déjà. Notre sgithenach, comme tous les jours, avait l'estomac dans les talons comme le Dr Aslan imposait un break en décalé. Il avait au moins la délicatesse de toujours déjeuner avec elle, ainsi, elle ne se retrouvait pas seule devant son plateau. Face à la sobriété de l'iranien qui nourrissait sans doute son intellect avant tout, le plateau d'Asel ressemblait à une espèce de carnage alimentaire où deux cuisses de poulet à l'assaisonnement médiocre se battaient en duel au-dessus d'une plâtrée de fayots bien crémeux. Mais ça n'était pas tout. Elle avait aussi pris une pomme, un morceau de fromage, du pain de mie et une poignée de noix. Elle attaquait le tout avec grand appétit quand il lui posa cette drôle de question...

« Comment ça "pourquoi ce métier" ? »

Pour la première fois, Dâriush eut droit à ces deux grands yeux de chouette complètement effarés qui étaient presque la signature d'Asel.

« Je sais pas. Parce que c'est celui-là c'est tout. », précisa-t-elle en haussant les épaules avant de retourner à ses haricots blancs. Puis, sentant qu'il allait insister, « En fait c'est pas le genre de questions que je me pose moi :pourquoi. »

L'envie de rajouter c'est comme ça et c'est tout lui brûler la langue mais par Merlin sait qu'elle miracle, elle jugea bon de s'arrêter là.

A nouveau ce regard de Veaudelune ou de Chouette éberluée, selon votre imagerie personnelle. Il y avait quelque chose qui ne passait pas entre eux. Soit elle ne comprenait pas la question. Soit il ne comprenait pas la naïveté de la réponse. Sans doute les deux à la vérité.

« Je ne suis pas agacée. », répondit-elle presque platement en le regardant toujours droit dans les yeux.

Il faudrait sûrement un petit temps d'observation au Dr Aslan pour se rendre compte de l'incroyable transparence des réponses d'Asel. C'était le genre d'honnêteté si brute qu'on avait tendance à y chercher de l'ironie ou du sarcasme, juste pour la rendre un peu plus crédible. Mais il s'y ferait à force.

Elle prit encore cinq minutes pour décortiquer sa dernière demande et essayer d'y apporter une réponse satisfaisante cette fois.

« Euh... ben. Je suis quelqu'un d'assez simple. Généralement quand je me lance dans quelque chose c'est que ça me plait et c'est suffisant pour moi. Je sais pas... vous aimez le dhaal apparemment mais est-ce qu'il vous faut une raison à cela ? Je ne suis pas quelqu'un qui... décortique tout. Moi ce que j'aime c'est profiter de l'instant présent. Si je suis là c'est que c'est exactement ce que j'ai envie de faire. Enfin, dans ce cas précis pas tout à fait. J'avoue que je n'avais pas l'intention de faire un MULOT je voulais... postuler comme aide-soignante. Mais peu importe, finalement je suis ravie d'être là quand même. »

Son enthousiasme frontal avait tout de même de quoi décontenancer, à en juger par l'espèce de grimace douloureuse sur le visage de leur voisin de table...

« Et vous ? Pourquoi vous êtes là ? », s'enquit-elle le plus naturellement juste avant d'enfourner une énorme cuillère de haricots blancs dans sa bouche.

Quelque chose changea dans la physionomie du Dr Aslan sans qu'Asel ne s'en rende vraiment compte. Mais ce quelque chose lui tira un sourire-réponse spontané comme elle avait le contact facile. A partir de là, elle se dit qu'elle aimait bien le Dr Aslan et que son MULOT se passerait probablement bien si elle se débrouillait de ne casser la gueule de personne d'ici son diplôme. Mais elle s'y tiendrait, ne serait-ce que pour s'assurer un avenir stable avec Adil.

Il lui parla de sa mère, laissant entendre entre ses mots qu'elle n'était plus de ce monde. Asel acquiesça respectueusement. C'était une façon d'entretenir le lien. Elle ne savait pas comment elle aurait vécu la perte d'un de ses parents, elle qui, somme toute, vivait une vie de famille idéale, avec une famille élargie nombreuses, des parents amoureux, des cousins cousines de tout âge et même de grands-parents et arrières grands parents toujours en vie. C'était dans ce genre d'occasions qu'elle réalisait la chance qu'elle avait.

Elle se retint d'évoquer sa cousine de l'antique Babylone in extremis. Ca n'était pas le genre de choses que l'on pouvait larguer comme si de rien n'était au milieu de la conversation, entre le fromage et le dessert.

« Moi je ne connais que Poudlard, je ne peux pas vraiment faire la comparaison. Il ne me semble pas avoir d'amis qui aient fait un échange avec la Tour des Nuages. C'est assez rare d'en entendre parler, enfin, c'est vrai que j'avoue que j'ai peut-être pas fait attention.»

Elle réfléchit. Il y avait bien des étudiants en échange. Ilvermorny. Castelobruxo.Beauxbatons. Généralement ça se limitait à ça avec une surdose d'Ilvermorny, allez donc savoir pourquoi.

« Poudlard manque peut-être un tout petit peu d'ouverture sur le monde mais ça ne me dérange pas outre mesure et puis, finalement les autres écoles ont l'air de fonctionner pas mal en autarcie aussi... du peu que je vois. »

Une tour dans les nuages... il y avait fort à parier qu'ils n'étaient pas derniers pour ce qui était de pratiquer l'autarcie.