Un garde qui ne prend pas garde [ft. Nyéléni]

Un garde qui ne prend pas garde

28.11.2022

Loin de critiquer la conduite qu’avait tenu Diabali, Nyéléni le défendit en tant que bon père de famille. Ima se retint de la contredire mais il était loin de partager la même certitude qu’elle. Son père n’aurait-il vendu femmes et enfants s’il avait eu un nouvel espoir d’accéder au trône ? Le rôle d’un père devait bien être de prendre soin de sa famille, mais le patriarche Soninké avait toujours été loin de considérer le bien-être de sa famille comme une priorité. Ou alors, il l’avait si bien caché qu’il avait réussi à désintégré le maigre lien qui avait pu un jour le lier à son premier né.

La Sô le reprit cependant, et sa voix avait cet accent de vérité inébranlable qui ne pouvait exister que dans cet entre-deux monde. Ima en ressentit un profond mal-être, conscient que si elle le désirait, elle pouvait lui ordonner sur le champ de se poignarder le cœur et il n’aurait d’autre choix que de la suivre jusque dans la mort. Elle se disait être plus qu’une fiancée pour lui, et bien sa propre femme – alors que dans le même temps, il avait perdu le droit de se faire appeler son mari. Le Soninké releva le menton à cette mention, attendant bravement sa sanction qui ne tomba pourtant pas.

La reine Sô finit par lui révéler ne pas être en recherche de vengeance ou de pouvoir. Elle fuyait seulement l’épée du destin qui la pourchassait inlassablement. La sorcière expliquait leur rencontre comme hasardeuse et fourbe et Ima ne put s’empêcher de lever un sourcil de surprise. La démarche de @Yeleen Sô lui demeurait encore bien floue, mais il aurait eu du mal à la considérer ainsi. Avait-elle trahi sa tante en organisant ce tête-à-tête avec Ima ? Cherchait-elle à assurer sa sécurité en envoyant Ima en éclaireur devant la terrible reine ? Encore une fois, il ne comprenait pas pourquoi la jeune fille ne l’avait pas tenu informé de son dessein, il aurait pu se préparer autrement…

- Yeleen Sô n’a rien à voir dans tout ça, commença-t-il prudemment en ayant avant tout à cœur de protéger la jeune fille d’un potentiel courroux de sa famille. Elle n’a choisi le nom de sa mère que pour honorer sa mémoire et non pour se rapprocher d’une quelconque ambition. Ma loyauté envers les Sô est certes différente que celle qu’avait promis mon père, mais elle existe toujours dans mon souhait de protéger cette jeune fille du danger que son changement de nom a pu engendrer…

Lentement il levait la paume de sa main vers sa reine pour tenter de lui faire entendre raison. Il fallait à tout prix qu’elle laisse l’étudiante en-dehors de tout ça.

- Je lui ai promis ma protection dans le cas où des Sô entreraient en contact avec elle. Fidélité Soninké ou pas, elle reste avant tout une citoyenne britannique et c’est mon devoir de la défendre. C’est dans ce cadre-là qu’elle m’a recontacté. Elle devait sans doute vous prendre pour une menace, c’est bien compréhensible étant donné l’histoire de nos familles.

Le Soninké prit une profonde inspiration avant de poursuivre, sentant bien qu’il posait les pieds sur un sol qui risquait de s’effondrer à tout moment sous lui.

- Vous n’avez rien à craindre tant que vous laissez Yeleen en paix. User d’une autorité qu’il n’avait pas devant une reine qui avait actuellement pouvoir de vie ou de mort sur lui était bien hasardeux. D’ailleurs si vous souhaitez officiellement obtenir refuge en Angleterre, je peux vous aider… Pourquoi ne pas retourner dans ce restaurant pour en parler calmement ?

Il allait ajouter « d’égal à égal » avant de se reprendre à temps. C’était faux. Si dans ce monde, la sorcière était une reine toute puissante, à Londres, Ima redevenait Président du Magenmagot avec une armée d’agents sous ses ordres. Nyéléni devait en être consciente aussi bien que lui, et elle ne le relâcherait qu’une fois qu’il aurait gagné de sa part une confiance suffisante.

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La réponse qu'il lui fit ne satisfit en rien sa curiosité. Elle connaissait déjà les motivations de Yeleen, du moins celles qu'elle avait revendiquées. Ce n'était sans doute que la colère qui la poussait à envisager d'autres explications.

Un petit rire sans joie lui échappa à l'expire. Se voir à nouveau dans ses yeux comme l'ennemi public numéro un n'avait rien pour lui plaire. Elle fronça les sourcils, réprimant un sourire blessé qu'elle ne voulait pas afficher, puis gronda d'un ton sourd.

« Si tu vois en moi une menace c'est soit que tu ignores d'où tu viens soit que ta propre culpabilité t'écrase. Je ne condamne peut-être pas ton père pour sa fuite mais je suis loin de pouvoir lui pardonner les us et coutumes honteuses des Kangaba, qui sont aussi ceux des Iba des Songaïs, des Diabaté, des Sangaré et des Diassana. J'ai été ton esclave dix années de ma vie et notre mariage à sens unique n'a laissé de mon corps que des ruines. Toi, le Soninké, tu m'as abandonnée à l'injustice et la barbarie d'un état pleutre qui s'en prend aux femmes aussi bien qu'aux enfants pour ne pas avoir à céder sa place au soleil. Toi, le Soninké, quand tu t'es trouvé face à moi: me traduire devant ta justice. Et c'est encore à moi d'endosser le rôle du bourreau ? Ne me parle pas de ta loyauté envers les Sô... »

Elle détourna le regard un instant pour chasser sa colère. Dans son dos, elle pouvait sentir sa peau la tirailler, sans doute parce que dans ses mots elle faisait insulte à celui qu'elle aurait dû respecter comme un maître. Peut-être tout simplement parce qu'elle pensait à ce lien qui l'attachait à lui.

« Il n'y a rien qu'une mère ne puisse pardonner, pas même la trahison. Yeleen n'a jamais rien eu à craindre de moi. J'ai simplement du mal à accepter qu'elle ait pu me remettre entre les mains d'un homme que je lui avais décrit comme mon bourreau... si indifférent soit-il. J'osais croire qu'elle ne m'imposerait pas cela, par amour peut-être. »

Mais elle ne savait plus que croire. Les trahisons pleuvaient sur son dos comme les coups de fouet et lui laissaient le coeur meurtri. Il y avait presque deux mois déjà que @Nero MacGregor était parti, froidement, sur une dispute. Maintenant Yeleen la livrait à cet homme qui se prétendait son allié mais n'avait de cesse d'agiter la menace du bâton de la justice sous son nez. Elle ne s'était jamais sentie aussi seule et c'était une forme de solitude qui lui broyait le coeur et la vidait de toute envie de lutter. Le chemin d'un Sô est solitaire mais quel genre d'être humain est fait pour vivre si seul ?

« Tu continues de penser que je t'ai amené ici pour te plier à ma volonté Ima Soninké ? Mais tu es libre ici dans le rêve. Tu ne ploies que sous ta propre vision des choses, ce n'est pas moi qui t'ai imposé ce genou à terre. Je t'ai amené ici où ton ascendant sur moi ne me prive pas littéralement de la parole. J'ignore si cela tiens de toi ou de moi pour être honnête... »

Elle l'observa longuement, espérant peut-être trouver un soupçon d'aménité ou de compassion pour elle dans son regard.

« J'ai entendu ta proposition et, quoi que je doute que tu puisses me sortir de ma clandestinité sans me jeter en pâture à mes ennemis, j'entends l'accepter. Je suis lasse de lutter. Et c'est ce tout ce que je peux faire pour Yeleen. »

Autant que pour @Nero MacGregor . La principale inconnue à ses yeux étant de savoir si cette exposition au grand jour lui laisserait le temps de ramener son ami à la vie normale qu'il méritait. Elle lui devait au moins cela.

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Un garde qui ne prend pas garde

28.11.2022

feat. @Iris Faux-Orpin

Les propos du malien firent durement sourire la reine Sô bien qu’elle ne semblât en rien amusée. Si sa stature et sa prestance la faisait ressembler à une amarante dorée de Kulikoro sur le point de prendre son envol, Ima eut la soudaine l’impression que son discours venait de lui briser les ailes. D’un battement de plumes, elle lui renvoya sa menace à demi-cachée au nez, lui prouvant qu’elle était aussi pitoyable que s’il avait cherché à intimider sa propre ombre. Car la sorcière fut formelle : s’il y avait un rapace à craindre en ces lieux, il ne s’agissait que de lui-même.

Avec le sentiment que l’air autour de lui se transformait progressivement en glace, Ima l’écouta tirer flèche après flèche, l’accablant des torts que lui et son père lui avaient causé. Son regard se décrocha d’elle comme les étoiles parfois se détachaient du ciel, perdant peu à peu leur éclat avant de disparaître dans l’immensité bleuté. Il comprit alors en tremblant de saisissement le poids de sa culpabilité. Comment avait-il pu rester à ce point sourd et aveugle a ce qui avait forcément dû se produire ? Ima s’était toujours persuadé que son renoncement à cette union secrète n’avait pu avoir que des effets bénéfiques pour les deux fiancés, les libérant d’un attachement forcé et non consenti. Mais jamais il n’avait cherché à voir plus loin que les quelques mots couchés sur un papier officiel.

Pourtant, sans les maîtriser, le Soninké avait déjà entendu parler des pratiques inqualifiables transmises par leurs ancêtres. Il connaissait le sort que réservait certains des siens à ceux qui n’avaient pas l’honneur d’asseoir leur toute-puissance sur les autres. Le magistrat avait même passé la majeure partie de sa vie à chercher à défendre les oubliés, les invisibilisés, ceux à qui on retirait si facilement leur part d’humanité. Il avait patiemment et jour après jour cherché à déconstruire les représentations qui établissaient inlassablement une hiérarchie de privilèges si peu équitablement distribués. Alors comment avait-il pu tout simplement se bander les yeux et se boucher les oreilles pour ne voir ni entendre les suppliques de celle qui aurait pu devenir sa femme, devenant ainsi l’exacte image de ceux qu’il tentait de combattre et de museler ? Les mots de Nyéléni ne laissaient cependant aucunement place au doute : esclave au corps détruit par sa lâcheté et son déni, la clandestine refusait de porter la responsabilité de la faute que le malien avait cherché à lui imputer.

Le regard à ses pieds, Ima porta la main à son visage en restant muet. Qu’avait-on fait subir à sa femme en son nom ? Quels supplices avait donc enduré Nyéléni par sa faute ? Parce qu’il n’avait pas jugé bon de la protéger. Parce qu’il n’avait même pas imaginé qu’elle puisse souffrir, refusant de voir la réalité en face comme tous ceux qui bénéficient du privilège de vivre librement, sans perpétuelle mise en danger de leur être. Il n’était finalement pas meilleur que le pire des criminels qu’il avait condamné, et sa propre existence le rendit brusquement malade alors qu’il relevait difficilement le regard sur elle. Il restait silencieux, car il n’y avait rien à répondre. Qu’aurait-il pu dire ? Tenter de se défendre, arguant bassement qu’il ignorait tout de ses mauvais traitements ? Rien qu’une nouvelle lâcheté pour ramener égoïstement la lumière sur lui et sa soi-disant innocence…

Nyéléni laissait entendre que @Yeleen Sô ne serait jamais mise en danger par elle, bien que l’inverse vînt de se produire et Ima fut marqué par l’utilisation du mot mère qui fit étrangement vibrer l’air autour d’eux en le réchauffant. L’appellation qu’elle fit d’Ima lui semblât alors des plus correctes et il posa lentement la main sur son genou, alors que l’autre était toujours au sol, comme s’il s’y était profondément enfoncé.

- Si ton subconscient te prive de parole lorsque je te questionne, le mien me fait plier le genou face à toi, lui murmura-t-il tristement, le tutoiement s’imposant aussi brutalement à lui que l’opprobre de sa propre conduite. L’acte de Yeleen a eut au moins le mérite de nettoyer la boue de mon regard, pour me faire prendre conscience de mon rôle dans le malheur qui s’est acharné sur toi… Je n’ai aucun droit sur toi, aucune légitimité si ce n’est celle d’être appelé ton bourreau.

Sa propre infamie lui fit ployer le cou alors que sa main effleurait la terre de ce sol si connu et pourtant si étrange comme pour y puiser la sagesse qui devait forcément l'imbiber.

- Ma parole ne vaut rien devant l’ampleur de ma trahison – ni le pardon que je te présente pourtant humblement. Laisse-moi mettre mon pouvoir à ta disposition pour laver mon déshonneur. Si par ma vie ou par ma mort je peux te protéger de tes ennemis, laisse-moi tout tenter…

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Dans la physionomie d'Ima Soninké, elle pouvait lire l'accablement. Nyéléni ne savait finalement rien de cet homme, mais elle pouvait voir que ses mots l'avaient durement touché. Elle n'en tira pourtant aucune forme de satisfaction ou de réparation. Le voir s'accabler n'était pas ce qu'elle souhaitait quand bien même elle espérait qu'il puisse entendre ce qu'elle avait à lui dire.

« Ce n'est pas ce que je souhaite. A te voir je sais que tu n'es pas un bourreau. Mais comprends que bien malgré moi, quand je suis face à toi c'est n'est pas l'homme que je regarde mais l'incarnation de mes désirs frustrés et de mes pires cauchemars. », elle porta longuement son regard sur lui cette fois-ci. C'était un regard plus curieux qu'autre chose. Nyéléni cherchait dans la silhouette écrasée de remords, l'homme et non tout le reste. Elle eut un petit sourire, vrai cette fois, quoi que navré, « Il faudrait pouvoir trouver un autre Irvin Vorpe pour nous asseoir autour d'une Gazette et d'un café. »

Il y avait de la douceur dans cette dernière remarque. Une manière de rappeler qu'elle avait sincèrement passé un bon moment, ce soir d'été déjà lointain. Peut-être reviendrait-il un jour ce moment. Ce jour-là, elle ne le laisserait probablement pas ingérer ces petits clubs sandwichs sur le pouce. Ca n'était pas son genre. Mais ils en étaient bien loin.

« Merci. », fit-elle simplement. Entendre cette demande de pardon lui suffisait. Elle avait beau montrer une main de fer quand il s'agissait de sa propre survie, Nyéléni Sô avait le coeur doux. Elle l'avait dit plus tôt, elle n'aspirait qu'à la paix. Ses ambitions, certes modestes, ne penchaient pas vers la vengeance, la richesse, la grandeur quoique dans un coin de sa tête, dormait l'idée d'une reconnaissance des injustices subies par sa famille. Elle avait trop longtemps vécu dans ce sain dépouillement qu'avait été sa vie de fille de vacher pour avoir des visées matérialistes. Son appartement en témoignait d'une certaine manière, par son économie de mobilier. Certes l'idée de devoir plier bagage du jour au lendemain n'était pas étrangère à ce refus d'accumuler mais si elle avait pu être sûre de pouvoir passer toute sa vie au même endroit, elle n'aurait probablement rien changé à son petit appartement au-dessus du fleuriste. « Ton pardon me suffit en tout. J'ai vu assez de gens mourir pour des causes futiles. Une vie est une vie. Aucune ne vaut plus qu'une autre et toute vie doit prendre fin un jour, qu'on le veuille ou non », des mots durs qu'elle avait déjà eu avec @Nero MacGregor. Nyéléni n'était pas pessimiste, mais simplement réaliste ou peut-être trop familière du concept. Elle eut une pensée pour Nianankoro, le chasseur nocturne qui avait toujours veillé à leur tranquillité. Quoi de plus pacifique et terrifiant à la fois qu'une panthère qui dort, tapie sous le feuillage des arbres ? Cette vie ci avait fini en lambeaux et elle pouvait encore invoquer la sensation terrible de cette boue de sable et de sang mêlé sous ses pieds. Un jour, elle le savait, quelqu'un la retrouverait. Impérialiste ou Républicain, qui aurait pu le dire ? « Mais je veux bien de ton aide et de ton amitié, si ça ne te paraît pas trop aberrant. »

Toujours face à lui, elle s'assit à même le sol pour se mettre à sa hauteur, espérant peut-être rompre le lien de servilité apparemment réciproque par lequel on les avait attachés l'un à l'autre. Assise en tailleur, son bâton toujours à la main, Nyéléni Sô n'était rien de plus qu'un autre être humain.

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Un garde qui ne prend pas garde

28.11.2022

feat. @Iris Faux-Orpin

Ima gardait le visage penché vers le sol, accablé des remords causés par ses erreurs cumulées. Nyéléni ne cherchait cependant ni à le critiquer, ni à le disculper de tout ce dont il s’accusait. Quand elle parlait, c’était comme si sa voix était dénuée d’émotion. Son ton portait cependant ce poids implacable de véracité alors qu’elle lui annonçait sans ambages qu’il représentait la source de ses malheurs et souffrances.

Pourtant, son accent se fit soudainement plus léger quand elle évoqua avec un amusement certain leur dernière rencontre. En l’entendant, Ima releva vivement la tête avec ce qui ressemblait le plus à un sourire qui naissait sur ses lèvres. Cette réplique eut le curieux pouvoir de le libérer en partie des chaines invisibles auxquelles il venait lui-même de s’arrimer. S’il n’avait pas recouvert sa pleine et entière liberté, le mot qu’elle prononça ensuite poursuivit ce processus d'absolution.

Merci.

Ima l’observa dans les yeux un moment avant de se rendre compte qu’il respirait de nouveau sans mal, alors que ses mains libérées foulaient la terre sèche et ocre qui lui brulait la rétine. Cette argile poussiéreuse semblait à la fois statique et fluctuante. Pourtant, aucune poussière ne s’accrochait à son vêtement comme si elle ne pouvait si impunément souiller les couleurs associées des Soninké et des Sô.

La reine acceptait son pardon. Elle n’avait aucune raison de lui épargner ainsi un lot de tourment bien mérité, mais sa mansuétude reflétait en tout point la fière dignité dans laquelle elle se drapait depuis le début de leur échange. Ima ne venait pas de faire un serment inviolable, mais c’était tout comme. Le profond respect qu’il éprouvait à son égard était aussi fort que son besoin de la protéger de futures probables retombées menaçantes contre sa personne. Si elle tenait en son poing la pagaie héritée de Soundjata, Ima serait son bouclier, aussi longtemps qu’il le faudrait.

Son discours sur les vies gâchées et perdues lui parlait – lui qui avait passé une partie de sa vie à voir défiler devant lui coupables et innocents plaidant leur cause devant l’intraitable instance de justice magique britannique. Il hocha gravement la tête alors qu’il se sentait de plus en pus maître de ses mouvements.

- Je comprends, lui répondit-il simplement sans ajouter le moindre mot superflu. Ces derniers ne semblaient pas nécessaires entre eux, alors qu’Ima avait l’impression que les deux maliens se connaissaient bien plus que deux inconnus se croisant seulement pour la seconde fois. Peut-être était-ce dû à ce passé à la fois si commun et pourtant si différent qu’ils avaient vécu ? Ou bien devait-il ce lien imperceptible à cet engagement que leur famille avait pris pour eux et dont il résidait d’infimes et inapparentes bribes ?

Nyéléni lui affirma accepter sa main tendue, ainsi qu’une amitié qu’il n’avait pourtant osé lui offrir. Ima plongea son regard brulant dans le sien alors qu’elle s’asseyait en face de lui, lui sacrifiant le dernier privilège qu’elle pouvait lui accorder : se rabaisser à son indigne niveau. C’est ainsi que la reine Sô libéra de son infamie le Soninké, lavant son sang impur de son parjure. Les légendes pourraient décrire Nyéléni sous les traits de Sadio, la petite fille pardonnant à Cauchon l’anéantissement de l’esprit du Mali – rompant ainsi le cercle de vengeance infernal dans lequel ils auraient pu se maudire indéfiniment.

Ima posa ses deux paumes l’unes contre l’autres et frappa une seule et dernière fois, tête baisée et paupières closes, en signe de respect. Puis, il releva la tête avec un sourire en attrapant la main de la sorcière.

- Tu as toute mon aide et mon amitié Nyéléni, dès maintenant et à jamais.

Il se remit sans mal sur pieds, comme si aucune attache ne l’avait jamais asservi, tirant à sa suite la Sô pour qu’elle puisse également se relever. Le magistrat en lui commençait déjà à réfléchir à la meilleure stratégie à employer pour protéger l’anonymat de Nyéléni sans lequel elle se retrouverait sous le feu de terribles menaces. Mais le Soninké reprit le contrôle de sa pensée pour se tourner vers sa reine.

- Qu’envisages-tu de faire à présent ?

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Elle n'eut aucun mal à le croire cette fois ci. Dans son regard, elle pouvait voir qu'il comprenait vraiment, peut-être comme personne d'autre. Depuis son arrivée en Angleterre, c'était une chose qui lui avait cruellement manquée. Quelqu'un qui aurait pu comprendre ça. @Nero MacGregor avait toujours été là, oreille attentive à toute chose mais ça, seul un autre malien pouvait le comprendre. Un de sa génération. Quand bien même il avait été arraché trop tôt à leur terre natale. Nyéléni ne cilla pas mais elle sentit un poids se lever de son coeur. Pourtant les jeux n'étaient pas faits.

Elle n'avait menti en rien quand elle lui avait parlé de ses espérances et de ses cauchemars. C'était une part de leur relation qu'il lui faudrait apprivoiser dans le temps pour espérer s'en affranchir. Cela commençait par des choses élémentaires. Ancrer Ima Soninké dans ce personnage tangible et connu, non plus dans une absence ou l'impression d'une épée de Damoclès suspendue au dessus de sa tête, le rendait déjà bien moins menaçant. L'avoir regardé avec les yeux de l'innocence, comme un homme qui lui avait plu, était une bonne chose. Un point de repère pour ne pas s'égarer, ne pas se laisser aveugler par ses propres ténèbres.

Il lui rendit son regard, scellant une forme de pacte de loyauté entre eux dont elle pouvait ressentir la force à cette curieuse et infime vibration dans l'air, à laquelle les sans baguette étaient tous sensibles. Par son geste de respect, Ima achevait de sceller ce pacte. Fermant les yeux en signe de confiance, elle hocha lentement la tête pour recevoir ce geste, comme se devait, avant de se laisser surprendre par le suivant. Lorsque leur main entrèrent en contact, il y eu comme une décharge dans le Rêve. Elle entendit la dernière phrase qu'il prononça en même temps qu'il l'aidait à se relever.

Le bâton de Soundjata avait disparu à nouveau. Le bogolanfini des Sô. Ses cheveux tressés au naturel. Il faisait froid tout à coup dans le petit restaurant de Félicien, sauf dans la main qu'elle tenait toujours dans la sienne.

Iris Faux-Orpin ramena son bras sous la table sans montrer le moindre signe de crainte ou de férocité. Face à elle, le président du Magenmagot semblait déjà calculer les options qui s'offraient à lui pour mettre à exécution cette promesse de la sortir de l'illégalité.

Il lui posa une dernière question.

« Faire profil bas, comme d'habitude. », commença-t-elle par dire, heureuse d'entendre le son de sa propre voix, « Et peut-être commander avant que tout ça ne paraisse trop bizarre. Si tu as un peu de temps pour préserver les apparences... »

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