Hymn for the weekend (Dani)

Dani aimait les samedis matins. C’était les moments paisibles où elle pouvait s’adonner aux tâches plus ordinaires, aux passe-temps moins connus, aux petits plaisirs. Mais la vie était imprévisible, elle l’avait appris mainte et mainte fois avec le temps, et ce jour-là ne faisait pas exception. Le matin habituellement paisible où elle faisait un peu de ménage, ses virées dans les marchés fermiers en préparation pour son repas du soir, fut plus mouvementé que prévu. D’abord, le réveil fut difficile dû à la veille. Ensuite,  @Naivy Rai et elle eurent à attraper la chauve-souris du voisin, qui était entré par leur fenêtre, pour finalement réaliser qu’elle avait perdu ses clés quelque part dans les plis du divan.

“Je suis tellement, tellement désolée du retard!” s’exclama-t-elle avec une expression extrêmement sincère sur le visage, à l’approche du kiosque des Yard. Glenn la salua avec une plaisanterie, à laquelle Dani répondit avec un sourire gêné. “Je ne ferais jamais ça.” rassura-t-elle, un peu à bout de souffle de son trot matinal.

“Oui, ça va.” Elle soupira, un peu dépassée. “Ça ne se reproduira plus.” ajouta-t-elle encore, conditionnée à devoir se justifier plus que nécessaire. Elle ne voulait certainement pas entacher sa relation avec Glenn et sa famille.

Dans les mois qu’elle avait passés à Londres, Dani s’était rapidement attachée à la famille Yard. Si ils avaient commencé comme de simples commerçants passant un marché avec la sorcière, Dani s’était vite rendu compte qu’ils entretenaient une ambiance de communauté qui lui était familière, une ambiance qui lui manquait énormément. Elle fut vite attirée par leur chaleur et leur accueil, incapable de rester loin, désireuse de ressentir encore une fois ce bonheur et cette connexion en communauté. Ainsi, elle avait pris l'habitude de cuisiner pour eux, quand elle en avait le temps et les surplus. Une sorte d’offrande, ou d’attention pour les remercier.

Le chef de famille, Glenn, l’avait apprivoisé étonnamment rapidement avec son attention et sa gentillesse, et Dani avait vite compris qu’il était de confiance: assez, même, pour lui révéler certains aspects de ses théories. Peu nombreux étaient ceux qui avaient démontré assez d’empathie pour que Dani se sente confortable de se délier la langue sur ce sujet, mais Glenn était l’un d’eux. Elle ne regrettait pas.

Elle pouffa de rire lorsqu’il lui proposa des justifications probables sur son retard. “Si seulement!” ria-elle. Elle aurait probablement préféré combattre un mal de cœur que de chercher ses clés en panique. “J’ai dû rester debout tard hier soir pour appeler ma famille. Ma mère en avait long à dire sur la nouvelle copine de mon cousin.” Elle eut un sourire à cette pensée, convaincue que son oreille était encore rouge. “Et puis ce matin…” elle eut un roulement de la main, cherchant comment résumer sa matinée. “Disons simplement qu’il y a eu plusieurs imprévus. Apparemment, les chauve-souris ne répondent pas à leur nom.” Elle offrit un sourire amusé à Glenn, plus détendue maintenant qu’elle était arrivée.
“Et toi?” demanda-t-elle, observant les autres démonter le kiosque. “Matinée productive?”

Elle offrit au Yard un sourire reconnaissant, soulagée par ses paroles rassurantes. Dani se sentait choyée d’être tombée aussi rapidement sur cette accueillante famille - dire qu’elle aurait pu les rater.

Elle s’esclaffa à sa proposition des ultrasons. “Je t’avoue ne pas y avoir pensé. Ça aurait peut-être marché sur ma mère, maintenant que j’y pense.” plaisanta-t-elle, incapable de calmer son fou rire.

Dani prit le panier qu’il lui tendait. “C’est Sarah, ça ne m’étonne pas.” commenta-t-elle simplement, comme si c’était suffisant pour expliquer son point de vue. Elle appréciait la cadette, du moins le peu de fois où elle avait pu la rencontrer depuis son arrivée. “Comment se porte-t-elle?” demanda-t-elle. “La grossesse se passe bien?”

Enfin, l'aîné des Yard lui proposa de l’accompagner jusqu’à l’orphelinat. Le visage de Dani s’ouvrit, à la fois de surprise et d’enthousiasme. “Oh, oui!” s’exclama-t-elle. “J’adorerais.” L’idée l’emballait tellement qu’elle entendit à peine les plaisanteries qui en suivirent concernant les chauve-souris. En silence, elle observa patiemment le commerçant terminer de ranger l’étale, puis caresser ses chevaux, remarquant la délicatesse de ses soins pour un homme si manuel. Elle aimait ce que l’homme réflétait de lui, la surprenant de plus en plus à chaque rencontre. Il avait cette empathie chez lui, ce petit je-ne-sais-quoi qu’elle appréciait. Lorsqu’il revint vers elle et la charette, il risqua même une petite moquerie.
Elle lui offrit une grimace amusée en retour, heureuse de voir que l’homme considérait qu’ils se connaissaient assez pour ce genre de désinvolte. “Tu sauras que, un, je ne ronfle pas.” répliqua-t-elle, faussement offensée. Dans sa voix, elle remarqua presque les intonations de son père, même jusqu'à l'accent trinidadien qui ressorti légèrement - mais contrairement à lui, elle ne ronflait réellement pas. Elle lui prit la main qu’il lui offrait pour monter dans la charette, se hissant jusqu’au siège passager, lui offrant un hochement de tête reconnaissant pour sa galantrie. Elle s'assit, posant sa commande sur ses genoux. “Et deux, je ne serais jamais assez impolie pour dormir aux côtés de quelqu’un qui m’offre le trajet.”

Elle attendit que Glenn prenne place et qu’ils se mettent en chemin pour redémarrer la conversation. “Je trouve ça surprenant qu’une famille comme la vôtre utilise des moyens moldus pour vous déplacer.” commenta-t-elle en pointant les chevaux qui les tiraient. “Vous êtes une famille de sang mêlée, non? Vous êtes dans le monde magique depuis longtemps, donc.” La dragonologiste roula la pointe d’une feuille dépassant du panier entre ses doigts, réfléchissant un peu à voix haute. “J’ai remarqué que chez les sorciers, c’est beaucoup… tout ou rien.” dit-elle, se demandant si il comprenait ce qu’elle essayait d’expliquer. “La magie est tellement… tellement…” elle chercha ses mots un instant. Elle avait toujours eu du mal à exprimer l’énorme éventail de sentiments et d’opportunités qu’elle voyait en ses pouvoirs, ce monde. C’est pourquoi les dragons lui avaient paru être un rêve éveillé, un conte de fée où tout est possible. “Pleine de possibilités. J’ai vu énormément de sorciers qui refusent d'opérer autrement. Et même si je ne les blâme pas du tout, c’est rafraîchissant de voir que la méthode moldue n’est pas complètement boudée chez certains.” Glenn avait cette facilité à lui dérober des pensées, une écoute qui la faisait inconsciemment exprimer ses opinons. Elle tourna la tête pour observer la réaction de son compagnon de voyage, et eut envie de s’excuser pour sa tangente, mais se mordit la langue. Elle s’était assez excusée aujourd’hui.

Dani appuya son dos contre le dossier de la charrette, peu dérangée par les basculements erratiques de son trône. Elle avait l’habitude. Peut-être pas des voyages en charrette, mais des voyages plus ou moins inconfortables: elle n’était pas facilement ébranlée par ce genre de chose. Elle écouta avec intérêt les explications de Glenn, un sourire grandissant sur ses lèvres. “C’est presque poétique.” souffla-t-elle, réellement éblouie par l’idée. “J’aime beaucoup cette manière de penser.” Encore une fois, les Yard conquéraient son coeur de la plus drôle des manières.

Elle ne put s’empêcher de s’esclaffer lorsqu’il entama l’explication des méthodes moldues, et posa une main sur le bras du chauffeur pour l’arrêter dans sa lancée. “Je sais, Glenn. J’ai passé pratiquement toute ma vie chez les moldus.” Et elle avait failli ne pas les quitter. “Près de chez moi, il y avait un cultivateur.” commença-t-elle en reportant son attention sur le panier sur ses genoux, se remémorant de vieux souvenirs. “Tout le monde savait qu’il avait un sale caractère, du moins c’est ce que les jeunes de mon quartier disaient.” Elle un eut rictus à la pensée. Plus vieille, elle avait eu la chance de connaître l’homme un peu mieux: il était grognon mais pas très méchant, même si les jeunes en étaient terrifiés. “Mais couper à travers ses champs était la manière la plus rapide de se rendre au marché, surtout les jours où Mrs. Garcia nous laissait avoir les restants de pâtisseries: c’était une course, chacun pour soi.” Elle s’esclaffa, se remémorant les courses contre la montre qui avaient été livrées avec les jeunes de son quartier. “J’étais toujours terrifiée de me faire pincer, mais ma soeur était impossible à dissuader. Elle disait toujours que si le cultivateur était pour s’approcher, on pourrait l’entendre venir avec tout le boucan de sa machinerie et l’éviter.” Elle marqua une pause, puis se tourna vers Glenn à nouveau. “Toujours une logique implacable. Impossible de débattre avec elle. Enfin, tu dois un peu connaître, avec Sarah.” conclua-t-elle en s’esclaffant à nouveau.

Dani haussa les épaules à la mention des dragons, reportant son attention sur le dos des chevaux devant eux. “Effectivement. Difficile de faire plus sorcier que ça.” dit-elle avec un sourire en coin. “En fait, il s’agit surtout d’éloigner les moldus, plutôt que de contenir les dragons. La réserve où je travaillais employait toutes sortes de charmes pour les garder le plus hors d’accès possible des moldus, et prévenir les accidents.” Évidemment, ce n’était pas un système infaillible. Les dragons devaient tout de même être confinés à certaines zones, pour la sécurité de tous. C’était dommage, pas très naturel selon Dani, mais nécessaire.

Glenn lui posa une question qui la surpris. Elle se retourna vers lui, prise de court, les yeux grands d’excitation. On lui demandait rarement ses alternatives, vu sa passion pour son métier, on doutait rarement qu’elle ait un jour eu des vues sur autre chose. Pourtant, ça avait été longtemps un gros dilemme pour elle. Elle se repositionna sur son siège, pour faire un peu plus face au conducteur. “À vrai dire, j’ai longtemps voulu travailler avec les enfants.” dit-elle avec un sourire doux. “Psychologue.” précisa-t-elle. “Différent, je sais.” affirma-t-elle, le devançant. Aux yeux des autres, il s’agissait d’un drastique changement, mais pour elle, pas autant.

Elle croisa ses bras sur le panier. “Et toi?” s’enquit-t-elle. “As-tu déjà songé à ne pas reprendre le flambeau familial?” Tout comme elle, Glenn ne donnait pas l’impression de regretter son métier, elle n’avait donc jamais réellement songé qu’il ait pu avoir envie de faire autre chose. Mais à l’instant, elle réalisait qu’il n’avait peut-être jamais eu l'option. “As-tu eu le choix?”

“Ton sale caractère?” répéta-t-elle, à mi-chemin entre de l’amusement et de la perplexité. Elle s’appuya sur le dossier de leur siège pour faire face à Glenn, un sourcil levé, curieuse. “J’ai du mal à croire ça.” ria-t-elle. Elle était sincère: elle semblait n’avoir vu Glenn qu’à son meilleur, cherchant des défauts à travers sa compassion et sa patience. Elle avait de la difficulté à l'imaginer sortir de ses gonds.

Elle se rassied à nouveau vers l’avant, tandis que Glenn chantait ses louanges. Elle joua avec un coin du panier, sentant la chaleur monter dans ses joues. “Merci.” dit-elle dans un souffle. Les compliments lui faisaient du bien, mais l’idée qu’elle ait potentiellement pris le mauvais chemin de vie au croisement était toujours au fond de son esprit, malicieusement. C’était vrai qu’elle n’avait aucun regret, qu’elle se dévouait dans ses recherches et sa carrière, mais les circonstances qui l’avaient gardé dans le monde magique étaient parfois lourdes sur ses épaules, les souvenirs et les gens ne la quittaient pas toujours. La corde qui la maintenait rattachée à la sorcellerie restait fine selon les jours, dépendante de ses efforts.
Mais c’était dans le passé. Il fallait qu’elle se le rappelle. Elle redressa la tête, et força un sourire. “Bon choix ou non, on ne le saura jamais.” dit-elle en haussant les épaules. C’est le présent qui compte. Elle avait fait un choix, elle avait pris la droite plutôt que la gauche au croisement, et elle ne reviendrait pas derrière.

Les rires annoncèrent leur destination avant même qu’ils soient arrêtés. Glenn s’empressa de saluer la directrice des lieux et de décharger sa livraison. Dani en profita pour poser le panier qu’elle tenait sur le siège. Tout sembla se dérouler si vite, elle eut à peine le temps de voir son ami se faire manquer de peu par des enfants tornades. Elle éclata de rire avec lui, couvrant sa bouche dans l’espoir de cacher sa moquerie. Elle se préparait à descendre pour les rejoindre lorsque Glenn revenait vers elle. Il lui tendit la main pour l’aider à descendre, et elle lui offrit un sourire reconnaissant, ancrant sa paume dans la sienne pour plus de stabilité.

Elle nota la phrase de Glenn, qui confirmait qu’il n’avait pas eu le choix. Cependant, dans son regard ne se cachait aucune trace d’amertume. “Je t’en pris, ouvre la marche.” dit-elle avec excitation, heureuse de pouvoir partager ce moment. Ce n’était pas le samedi auquel elle s’attendait, mais c’était définitivement mieux.