Hello... Goodbye.... There's a million ways to die - Sean & Braxton

Sean fixait d’un air sans expression le feu qui brulait dans l’âtre de la salle commune de Gryffondor. Les flammes dansantes éclairent son visage blême et marqué de cernes créées par l’anxiété et le manque de sommeil. Il venait de raccompagner  @Yeleen Sô dans son dortoir, telle une ombre silencieuse, sans qu’ils n’aient à s’échanger plus de quelques mots – tous deux bien trop hébétés par la situation pour le faire. Le jeune écossais n’avait plus qu’une seule idée en tête : s’assurer qu’il ne lui arrive rien. Il le savait – malgré les entrainements combinés de @Jameson Clearwater et de @Bianca Almadovar, sa force était dérisoire face aux pouvoirs qui se déchainaient contre eux. Mais il se devait de tout tenter. Tout faire pour ne pas reproduire ses échecs passés. Avec un geignement, il entrevit de nouveau sa mère, coincée sous les débris encore fumants de ce qui avait été leur appartement et il se prit la tête entre les mains de désespoir. Son père lui avait pourtant laissé une tâche claire, qu’il n’avait pas été capable de suivre : la protéger par tous les moyens. Au lieu de ça, il s’était laissé avoir par un tour enfantin – laissant sa mère seule entre les mains de ce tortionnaire.

Depuis son retour, Sean avait dans un premier temps tout fait pour s’attacher à les protéger – tous - en s’éloignant d’eux et en s’isolant un maximum pour éviter que la folie de Ryan ne les atteigne. Il avait si bien réussi qu'@Adil Mesli ne lui parlait plus, et la confiance que lui avait porté Yeleen s’était brisée à jamais. Et pourtant, malgré tout ses efforts, un étudiant venait d’être tué – juste à côté de Poudlard - au nez et à la barbe de tous. Tout ça ne servait à rien. Ces criminels abattaient de sang froid quiconque se trouvait sur leur chemin, se passant de toute logique ou bon sens. A présent, c’était sa dernière barrière qu’il s’apprêtait à abattre, demandant à son père de revenir à son chevet. Son égoïsme finissait bel et bien par prendre le dessus malgré tout les risques que cela engendrait.

La chaleur du feu n’empêcha pas Sean de frissonner en se demandant brièvement ce qui l’avait poussé à lui demander de revenir. Était-ce la découverte de l’existence de Liadan qui avait de nouveau effrité les bases de sa raison, le rendant toujours plus inconscient ? Ou bien était-ce cette odeur de mort planant sur le château qui le renvoyait à une peur enfantine et à l’envie de retrouver une protection toute paternelle ? La dernière hypothèse – la pire de toute – était cette idée tenace qui l’habitait qu’il n’était pas maître de toutes ses décisions. Avait-il réellement envie de revoir son père ou n’était-ce là qu’un stratagème de Ryan pour placer son pantin armé devant son ennemi juré ?

Le Gryffondor s’accrocha aux accoudoirs du fauteuil qui semblaient bien réels sous ses doigts. Mais l’étaient-ils pour autant ? Comment savoir où s’arrêtait l’illusion et où commençait la réalité ? En quoi ce que Ryan lui avait fait subir cet été était moins vrai que la brûlure du feu s’il décidait d’y laisser pendre sa main ? Est-ce que l’existence de @Liadan O'Connor était plus palpable que celle de Liam – le visage marqué par le sceau de la mort – que son esprit avait momentanément fait revivre en croisant cette inconnue aux cheveux d’ors ? Mais pire que tout, quel poids avait cette terrible noirceur découverte par Jameson au fin fond de son esprit sur tous les choix de l’étudiant ?

Soudain, un crépitement attira son attention, et un message apparu dans l’âtre du feu. Le cœur battant, Sean se releva vivement en lisant la phrase. Son père était là. Réagissant d’instinct et laissant de côté tous ses doutes, le jeune Clearwater se rua hors des quartiers des Gryffondors. Il n’avait personne à prévenir ; cela faisait plusieurs semaines qu’Adil n’avait pas remis un pied dans leur dortoir, l’abandonnant à son titre sort avec tout le mépris qu’il méritait. Sean ne mis pas longtemps à rejoindre les appartements de @Luke Korrigan, et il frappa discrètement avant d’entrer. En posant les yeux sur son père, l’étudiant se figea d’appréhension.

Il tentait déjà d’analyser tout ce qu’il ressentait, craignant une violente montée de colère qui ne lui serait pas appartenu. Au-delà d’une angoisse palpable, ce fut un flot d’émotions qui le submergea en dévisageant son père et il eut bien des difficultés à en définir l’origine. Il y avait même quelque chose d’étrange chez le Langue-de-Plomb qui ne lui rassemblait pas. Était-ce lié à son accoutrement, ou bien au traitement qu’il prenait, ainsi que Jameson le lui avait révélé ? Mais était-ce bien son père qu’il avait là devant les yeux – et lui – était-il maître de tous ses moyens ? Une raideur retint Sean en le poussant à vérifier soudain son identité.

- Bien joué ? signa-t-il dans le code que lui avait enseigné son père alors qu’il n’était qu’un enfant, attendant une réponse de ce dernier pour lui effacer ses doutes.

Le visage de son père - marqué par la fatigue et l’inquiétude - s’était figé devant ses signes sur lesquels il avait posé son regard sombre. C’était avec le même regard que son fils l’observait réagir, d’abord avec quelques mots lancés dans un souffle, et enfin, au bout de bien trop longues secondes, avec les signes attendus par le jeune homme. Sean soupira, ses épaules se relâchant alors ses bras retrouvèrent leur souplesse. Mais de nouveau, il se crispa quand son père s’avança pour le prendre dans ses bras, le serrant avec force contre lui.

Les émotions du jeune sorcier explosèrent en lui - surpris par cette évidente preuve d’amour, tout comme son inattendue proximité. Son cœur tambourina dans sa poitrine mais il n’osait réagir, retenant presque sa respiration pour éviter tout faux pas. De nouveau, il craignait une perte de contrôle qui aurait pu les mener à l’issue fatale dont ils avaient été témoin lui et son oncle. Il était tout à la fois épouvanté, éploré, furieux, ému, transporté et ignorait comment faire pour gérer ce trop plein de sentiments qui se déversaient hors de lui.

Son père lui parlait, mais le Gryffondor n’entendait presque rien de ses propos, entièrement tourné vers son propre tremblement afin de le maîtriser. Quand finalement son père se détacha de lui, ce fut pour poser son front contre le sien et Sean retint un hoquet. Les larmes se pressaient contre ses paupières mais il s’interdisait tout lâcher prise par crainte que la situation ne lui échappe totalement. Il dû lui-même s’arracher à l’étreinte de son père avec un air affecté alors qu’il reprenait bruyamment sa respiration.

- Tu devrais pas… lui balbutia-t-il en secouant la tête, croisant ses bras contre lui pour cacher la violence avec laquelle il avait serré ses poings. Tu devrais faire attention… On sait jamais… Je pourrais… ça peut être dangereux…

Il ne savait pas vraiment quoi dire, ni que révéler à son père sans les mettre tous deux un peu plus en danger. Tentant de retrouver une respiration plus régulière en détournant le visage, il posa ses prunelles brunes sur le feu qui crépitait dans l’âtre. Son père lui demandait s’il tenait le coup mais il lui était difficile de répondre. Devait-il mentir, ou craquer devant lui, se déversant dans un pitoyable torrent de larmes ? Son air devait être suffisant pour donner un aperçu de ses tourments et il résolu de se montrer fort. Aussi, inspirant longuement, il se tourna de nouveau vers le Langue-de-Plomb pour ancrer son regard dans le sien.

- Ça va, lui énonça-t-il avec l’air le plus déterminé qu’il était en capacité de produire.

Un frémissement se fit entendre au plafond et en levant le nez, Sean reconnut Dorcha avec un certain émerveillement. Elle avait réussi à retrouver son maître, sentant sa présence bien avant que Sean n’en soit même informé. Une incroyable créature d’une intelligence et d’une fidélité étonnante… Le jeune homme la pointa du doigt avant de reporter son attention sur son père.

- J’ai un nouveau patronus… Une chauve-souris… lui souffla-t-il avec un triste sourire.

Son père savait-il qu’il avait été en incapacité de maîtriser de nouveau ce sortilège depuis son passage dans la Pensine ? Qu’il s’était acharné des semaines durant de tenter de reproduire la petite marte des pins lumineuse sans succès ? Mais lors de l’annonce de la mort d’Ulysse, c’étaient trois petits mammifères ailés qui s’étaient envolés pour prévenir son oncle, Luke et Adil. Sean laissa lentement retomber son bras le long de son corps. Ce changement de forme de patronus était à la fois un soulagement et un déchirement… Une dernière preuve de l’existence de Liam qui s’effaçait. Cette annonce allait peut-être attrister Braxton… Comme tant d’autres…  

Il sentit les tremblements de son fils, qu'il connaissait par coeur. Il le laissa croiser ses bras pour avoir sa contenance, juste reconnaissant de se retrouver en sa présence depuis des mois. Les mots tâchés de larme firent couler d'autant plus les yeux du père avec un bête sourire. Qu'il était heureux, et rassuré.

Il secoua la tête très doucement, alors que son fils avait reculé d'un pas pour échapper à son étreinte. Braxton avait peine à reconnaître son garçon qui voulait jouer aux fiers. Il tenta de le décourager. Le père fronça les sourcils, c'était pourtant lui qui lui avait demandé de se déplacer jusqu'ici. Mais Braxton soupçonna autre chose. Son fils venait-il de sous-entendre qu'il pouvait être dangereux ?

Mais il eut droit au plus beau des regards et des sourires, lorsque Sean lui déclara que son patronus avait changé. Un sentiment lourd habita Braxton, qui songea qu'il n'était pas surprenant que la martre des pins avait une origine sombre... morbide... Mais la précision de la forme du patronus éclaira doucement le visage de son père.

-Je sais... répondit-il, le visage marqué par le souvenir de ces mois sans sommeil. Ses lèvres s'étirèrent un sourire fin. Je l'ai vu.

Et grâce à cette chauve-souris, il avait su que son fils était en vie et n'avait pas perdu espoir de le retrouver en vie. Dans quel état, la réponse était sous ses yeux aujourd'hui. Un garçon aussi traumatisé que lui lors de ses premières permissions durant la guerre civile.

Braxton posa une main solide sur l'épaule de son fils et lui adressa un de ses sourires sincère et franc, qui disait tout.

- Ne reste pas debout... lui chuchota-t-il presque.

Il désigna le siège sur lequel il était assis et, replaçant la couverture sur ses épaules fit traîner par magie un autre siège épais, à la tapisserie marquée par les goûts de  @Luke Korrigan -ce qui signifiait aussi qu'elle pouvait se transformer en autruche à n'importe quel moment....

- Luke nous a fait du thé. indiqua-t-il.

Il adressa un coup d'oeil souriant à Sean, car dieu que son fils aimait le thé. Il y voyait toujours la tendre influence de sa mère. Un bout d'elle par-ci, un bout de lui par là...

Braxton s'écarta de son fils pour aller prendre le thé et ouvrit un placard et trouva un petit flacon de dictame. De quoi le réchauffer de l'intérieur après son excursion dans les galeries souterraines de Poudlard. Il remplit l'assiette de biscuit de son vieil ami et revint avec deux tasses. La moitié sur un plateau et l'autre dans les airs. Vieilles habitudes d'une vie partiellement moldue...

Braxton s'assit dans le coussin le moins confortable et servit la tasse la plus pleine à son fils qu'il posa sur le guéridon. Il poussa l'assiette de biscuit et resta un peu silencieux. Il regardait leurs ombres dansaient à la lumière de la cheminée.

- Tu sais, Sean...

Ses mains se raidirent sur sa tasse et il battit de ces cils noirs, signe d'un certain inconfort. Il inspira, comme avant tous les sujets difficile. Il n'était pas certain de ce qu'il pouvait ou devait aborder avec son fils. Mais il avait promis.

- Quand je suis rentré de mes premières permissions... quand c'était encore la guerre... Il soupira lourdement. Le feu crépitait doucement derrière eux et le vent s'agitait contre la fenêtre. J'ai eu beaucoup de mal à rentrer. Je supportais plus aucun bruit... plus grand chose en fait...

Le sifflement aigu de la théière, le mouvement d'un oiseau dans sa vision périphérique, un pas trop lourd dans l'escalier...

- Tout me rappelait là-bas... J'ai manqué de faire voler ton grand-père de la cuisine parce qu'il avait toussé de travers... Il secoua la tête. Son visage laissait voir la réticence que ce geste lui inspirait encore. J'avais peur... Il releva un regard son fils. Une lumière de compréhension au fond des yeux. Brûlante d'amour paternelle. De moi... Il soutint le regard de son fils, ayant une intuition de mauvaise augure. Qui savait ce que son fils avait du faire pour survivre ? Il soupira. Rien ni personne ne pouvait y faire quoi que se soit. On met du temps à revenir. C'est quelque chose les autres ont du mal à comprendre...

Lorsqu'on y restait pas toute sa vie, incapable de complètement raccrocher. Comme lui, ou dans une moindre mesure @Bianca Almadovar. Son fils, d'une certaine manière, expérimentait le retour à la vie normale, civile... sans horreur au tournant...

L'expérience de son fils était différente, d'une autre violence. Mais quelque part, Braxton avait le sentiment qu'un trait c'était tracé entre Sean et le reste de du monde. Qu'il avait fait un pas dans son monde à lui.

- Ta mère a été une sainte avec moi... Elle m'a repêché à cette époque... Une chance qu'elle était dans le médical... Et encore... Et encore, j'ai foiré votre enfance avec mes obsessions. T'es plus malin que moi. Tu guériras plus vite.

Braxton prit une gorgée de thé, un désagréable frisson le prenait que le dictame chassa. Il ferma les yeux.

- C'est la période où j'ai retrouvé Liam au ministère. J'avais deux ancres. Puis vous. Un sourire doux flotta sur son visage barbu. Trouves-toi en... conseilla-t-il.

Maintenant qu'il avait prononcé le dit prénom, autant se jeter à l'eau. Il avait toujours espéré que son fils s'intéresse à lui-même.

- Est-ce que c'est de lui dont tu veux parler... ? demanda-t-il à son fils, le regardant dans les yeux. J'ai eu l'impression que c'est ce que tu me réclamais etmais... Je m'attendais plus à te parler de toi... de nous quatre, avant...

Sean fronça les sourcils en entendant son père lui avouer qu’il était déjà au courant pour avoir vu de ses propres yeux son nouveau patronus. L'étudiant ne comprit pas comment c’était possible. Il lui-même ignorait qu’il était en capacité d’en produire avant le soir de la mort d’Ulysse… A moins qu’un patronus ne se soit finalement échappé cet été alors que… Sean frissonna, refusant même de songer à quoi que ce soit qui avait un rapport avec ces événements. Mais son père ne lui donna pas plus d’élément de contexte, se contentant de poser sa main sur son épaule pour l’inciter à s'asseoir.

Sean s’exécuta, l’observant du coin de l’œil s’affairer pour préparer thés et biscuits comme le meilleur des hôtes britanniques. Ses beaux-parents eux-mêmes auraient pu en être impressionnés. La scène continuait d’avoir quelque chose d’irréel mais le Gryffondor se reposait sur ses sens pour déterminer la véracité de ce qu’il vivait. Le feu à côté de lui le réchauffait de manière agréable mais il savait que s’il s’en rapprochait, il sentirait la vive brûlure des flammes sur sa main, lui confirmant qu’il n’était pas victime d’une illusion.

Quand enfin son père considéra qu’il en avait suffisamment fait, il prit place à côté de son fils qui ne le fixait pas directement, préférant observer la tasse fumante qui avait été posée devant lui. Un silence s’installait doucement entre eux, rendant leur échange quelque part bien plus familier. Le silence n’avait jamais gêné Sean, mais quand il l’expérimentait avec son père, il savait qu’il était rarement brisé inutilement.

Et de fait, quand il reprit la parole, le Langue-de-Plomb commença à lui parler de son vécu de la guerre et des combats subis quand il devait avoir à peu près son âge, pour lui dévoiler les cicatrices invisibles que ce traumatisme avait fait subir à son âme. Sean l’écoutait parler, les yeux baissés sur ses mains jointes qu’il triturait nerveusement. Quand il était petit, Sean était un enfant rêveur, timide, gentil… On le comparait souvent à son père au même âge. Le jeune homme n’osait songer à tout ce que l’homme avait subi pour devenir l’agent cabossé à la carapace aussi épaisse que son manteau qui était assis à côté de lui. Était-ce le sort qui l’attendait lui aussi ? N’était-ce pas le même chemin qu’il prenait lentement, choisissant au dernier moment de changer son choix d’orientation pour devenir Auror ? Sans doute était-ce la seule manière pour eux de survivre: s’endurcir ou mourir… Il n’y avait pas d'entre-deux.

Mais quand son père lui avoua difficilement que la personne qu’il avait le plus craint était lui-même, Sean releva vivement son visage sur lequel se peignait le choc de cette révélation, ancrant ses prunelles sombres dans celles de son père. Comment savait-il ? Il restait muet, lèvres serrées en observant son père qui continuait difficilement à s’exprimer. Il lui expliquait à présent l’importance de son entourage, tout comme Jameson l’avait fait quelques jours auparavant.

Betty et Liam… Deux personnes qui n’étaient plus là aujourd’hui. Sean blêmit légèrement en l’écoutant, s’inquiétant soudainement avant de chercher à se rassurer. Son père n’était pas seul… Il y avait Luke, Bianca, sa famille… Amèrement, le jeune homme se rendit compte que lui-même ne pouvait décemment compter comme un soutien à son propre père. Mais quand Braxton lui conseilla de trouver ses propres points d'ancrage, le jeune sorcier ne put que grimacer en se détournant - sentant les larmes qui de nouveau luttaient contre sa volonté pour se répandre. Sa dernière interrogation fut à peine entendue tant son fils réprimait ses émotions pour ne pas craquer.

- Mais comment, lui souffla-t-il d’une voix qui peinait à franchir les barrières de ses lèvres. Si je sais que je suis dangereux, et que je ne peux pas me maîtriser… Comment je peux m’entourer des gens que j’aime le plus au monde ?…

Dévasté, il avait relevé le nez vers son père, cherchant dans son visage marqué une réponse simple au mal-être de son existence.

- Je trouve ça égoïste… Si je veux les protéger, il faut que je m’éloigne d’eux au contraire…

Ses cousins, ses amis, ses parents… Comment s’assurer qu’il ne leur arrive rien, alors que Jameson comme lui avaient perçu la noirceur incontrôlable qui l’habitait ? Il retournait les paroles de son père dans son esprit en hochant la tête, sentant leur écho résonner de manière forte en lui.

- C’est exactement ça, j’ai peur de moi-même, lui confirma-t-il doucement en reposant le pupilles sur son thé encore bien trop chaud pour qu'il s’y intéresse. Pour vou… Pour eux, je dois rester tout seul…

Bien-sûr, il était venu voir son père avec une idée bien précise en tête, mais ce dernier avait frappé si juste avec ses propos qu’il l’avait décontenancé, brisant peu à peu les barrières derrière lesquelles il avait souhaité rester caché. L’absence de Yeleen, Adil et les autres créait une blessure toujours à vif qui ne pouvait visiblement se refermer, le maintenant fiévreux et à bout de souffle. Braxton avait perdu ses êtres chers… Et pour éviter cela, Sean était en train de tout faire pour les effacer de sa vie…

Il avait visé juste. Sean se rua dans les aveux des failles de sa psychologie. La vulnérabilité de son fils lui apparu d'autant plus que celui-ci s'ouvra à lui sans même y penser. Plus de retenue, plus de dissimulation, de détour. Pour la première fois depuis longtemps, ils parlaient, véritablement, à coeur ouvert.

- Sean... Braxton pencha la tête, gardant un masque stoïque percé par un regard où brillait l'émotion.

Sean avait toujours été un gamin un peu effacé, comme lui, mais ils n'avaient jamais été complètement seul. De mémoire il s'était toujours entouré, n'avait aucun goût pour la solitude, c'était même l'inverse. Tu as toujours détesté être seul....

Comment lui dire qu'il n'avait rien fait en ce sens ? Qu'il avait à peine parlé à Betty, refusé de voir un de ces médicomages moldus de l'esprit. C'était un trauma de génération. Banalisé, plus ou moins collectivement vécu. Peu en parlait. Il n'avait pas fait exception. C'était un tabou de société, les horreurs vécues et commises, au nom de la libération, de cette guerre civile qui portait à présent le glorieux nom de Révolte.

- Parce que c'est exactement la bêtise que j'ai faite avec toi il y a vingt ans... Avec vous...

Il soutint le regard de son fils.

- J'ai refusé de m'aider. J'ai refusé de reconnaître qu'il y avait un problème. J'ai réalisé que j'avais mis de la distance entre toi et moi en pensant que tu grandirais mieux.

Il baissa le regard et des larmes roulèrent de ses paupières closes. Il inspira.

- Et c'est une idée de merde Sean. Il soutint ses aveux en même temps que le regard de son fils, ne cachant pas son émotion. Ce que j'ai fais n'est pas pardonnable. Ni rattrapable. Mais ça... Un rire court sans joie le traversa. Il essuya ses yeux et pointa son fils du doigt... Ça je peux... Je peux.

Il souffla comme s'il avait perdu l'oxygène. Il rassembla ses forces, fermant les yeux, joignant ses mains. Se pouvait-il que le combat le plus difficile de sa vie se déroulait ici et maintenant, dans la quiétude de ce feu de cheminée ?

- Sean... Tu sais... Il souffla et joignit ses mains, comme à chaque qu'il cherchait avec difficulté ce qu'il allait dire. ... j’ai pas les mots... comme ta mère... Mais avait-elle eu les mots avec son propre époux ? Ce n'était pas sa faute, se disait-il, simplement pas sa faute, elle avait essayé, de toute ses forces, comme elle avait pu... ou même ton oncle… admit-il, vidé de cette petite rancoeur enfouie au fond se coeur. Car il se doutait que Sean avait parlé à @Jameson Clearwater avant lui.

Le coeur de Braxton se serra. Comme une éponge sale, la honte en dégoulina, dont la souillure se répandit dans tout son corps. C'était presque revivre une de leur discussion récente avec Betty. Il lui semblait qu'il n'y avait jamais assez de temps passé au pied du mur, à constater ses erreurs, ses regrets...

Affronter les conséquences de ses actes, de ses omissions et de sa passivité envers sa femme était une chose. Lire ses propres erreurs dans le regard dévasté de son fils brisé en morceau renverser le sablier.

Non, Sean, tu es malheureux et tu essaye de reproduire… Tu veux être tout seul pour être malheureux, comme ça tu n'auras pas l'impression de briser ton bonheur une seconde fois... Tu cherches de la stabilité dans la douleur, parce que c'est tout ce que tu connais depuis des mois...

Comment lui dire ?

On ne se laisse pas l’occasion d’être heureux mon fils. C'est ça le problème. Notre problème... Parmi tous les autres...

- Quand on perd quelque chose, Sean, on a du mal à... l'acquérir de nouveau... de peur que ça parte en fumée de nouveau... Quand tu étais tout petit, on vivait dans une maison à la campagne. On avait un chien, des poules, des moutons, on était cerné par des arbres. Le rêve. Quand tout est parti en fumée, j'ai... Il secoua la tête, incapable de formuler la suite. J'étais mort de peur qu'ils vous arrivent quelque chose. J'ai pensé que vous seriez mieux, avec ta soeur, le temps que les choses se calment, dans le monde de ta mère... Et les choses sont restées comme ça... s'exprima-t-il d'une voix grave.  

Le silence tomba sur le feu qui crépitait. Braxton posa sa tasse de thé sur le guéridon.

- Excuse-moi, je... Il contempla le vide avant de revenir sur son fils. Après tout... C'est pas le moment pour mes conneries à moi. Ce que je voulais te dire, Sean, c'est que... On a l'impression que ces moments s'étirent... pour toujours... mais c'est aussi parce qu'on les laisse faire.

Plus sérieux que jamais, il parlait d'expérience, et secoua la tête devant les convictions mortifères de son fils.

- Sean... On est jamais tout seul... C'est tout bonnement impossible. On ne peut pas être complètement seul. Ni éternellement.

Sean avait dit avoir été avec Yeleen la veille. Au moins, la petite était dans les parages... Mais Braxton savait à quel point ce genre d'expérience pouvait éloigner deux êtres malgré tout l'amour que ceux-ci pouvaient se porter....

Il releva un regard vers son fils. Rarement il avait eu le sentiment de prendre autant sur lui. Rarement il s'était regardé en même temps, s'insultant de menteur. Mais son fils, lui devait s'en sortir.

- Ce n'est pas en "coupant" qu'on guérit... Et... on a besoin de notre terreau, sans ça on crève comme des plantes... Non... On apprend des autres... C'est précisément ça qui empêche de déconner ou de vriller. Ça t'apprendras à faire attention, à avoir du contrôle. À savoir ce qui est vrai ou faux, ce qui est dans tête ou non... Il dégagea ses épaules, parlant avec les mains comme Jameson aurait parlé de ses études de runes. Si tu t'isoles, si tu te coupes de ce que tu savais déjà bon, avant, c'est toi qui brûle volontairement tes repères. Le malaise est normal. La peur est normale. Tu peux pas attendre d'eux de comprendre ce que tu as traversé, ils n'y arriveront pas. Mais ils peuvent t'apporter autre chose dont tu auras besoin.

Il contempla la chair de sa chair, petit être brisé trop tôt avant d'être broyé à nouveau. Cela ne faisait que quelques mois. C'était encore brûlant dans sa tête et dans sa chaire. La route était longue...

- C’est au contraire en étant seul et sec comme une pierre qu’on devient mauvais. Il cilla, le regardant avec une certaine douceur, restant interdit. C'est pas égoïste, tu ne peux juste pas aller à contre courant de la vie, et comment les choses vont... Il haussa les épaules, se doutant bien que ses explications seules ne suffiraient pas. Y a des saints qu'dans les histoires Sean, laisse-les là et vis ta vie. Arrête de te demander l'impossible.  

Il le couva du regard, toujours assez inexpressif, s'exprimant de la manière catégorique que les Clearwater avait, mais avec la douceur furtive dans le fond de l'oeil qui l'avait toujours différencié des autres.

- Qu'est-ce qui te fais croire que tu pourrais...?

Il laissa sa phrase en suspend, ne laissant pas à Sean le répit de détourner le regard. Au contraire, ses prunelles hameçonnaient les siennes.

Il savait ce que Betty lui dirait. Mon chéri, je suis là si tu as besoin de moi. Tu pourras parler quand tu sentiras prêt. Il scruta son fils, fouillant de son regard noir ses pupilles noisettes. Qu'avait vu ces yeux ? De plus que lui n'avait vu ? Qu'est-ce qui passait sur ces rétines le soir ? Probablement dans une projection cinématographique sans fin... infernale...

- ... est-ce que tu as tué quelque chose ? Quelqu'un ? lui demanda-t-il de but en blanc. Certainement que le fils serait décontenancé de l'absence de tabou du père. Ce dernier en avait trop vu et trop fait pour ne pas paraître ainsi devant son fils qui faisait à présent parti de la seconde catégorie.

Braxton avait planté son regard dans le sien et l’intensité de ses iris sombres que le feu mordorait interdit à Sean de fuir son examen. Son prénom fut soufflé – comme un reproche, une plainte, ou une prière lancée alors qu’on y croyait qu’à moitié. Un peu des trois à la fois sans doute, car le Clearwater enchaîna sur sa propre histoire, et ses propres erreurs qu’il ne voulait pas voir son fils reproduire. Le jeune écossais appris ainsi que c’était exactement ce qu’avait fait son père, s’éloignant pour chercher à le protéger. Sean sentit sa respiration siffler alors qu’il faisait le parallèle avec la manière dont il avait vécu le départ de son père : comme un abandon. Il avait été persuadé que Braxton le fuyait car il n’avait pas réussi à répondre à ses attentes, qu’il n’était pas le fils qu’avait espéré le Langue-de-Plomb. Une déception. Un échec. Un enfant trop faible dont on se désintéresse peu à peu.

Le jeune homme en avait fait son leitmotiv. Se battant toute sa vie durant pour s’approcher au maximum de la perfection, gagnant en muscles, obtenant les meilleures notes à l’école, devenant l’aide parfaite pour Betty à la maison, étant un grand frère mature et responsable pour le feu d’artifice qui lui servait de sœur. Tout ça pour obtenir un brin d’attention de la part de son père – tout en rejetant par fierté l’idée même qu’il avait besoin de lui. Toute cette énergie déployée, cette enfance biaisée par un amour étouffé dans l’œuf pour mieux le préserver. Son père regrettait ses choix passés, et les larmes qui coulaient le long de ses joues se mirent à couler en parfaite symétrie sur celles du fils.

Sean s’en rendit à peine compte, comme s’il ne ressentait qu’un écho des regrets de son père. Malgré toute sa volonté, Braxton ne se battait-il pas contre une inévitable reproduction ? Sean pouvait-il s’écarter du chemin que le destin avait tracé pour lui ? Insidieusement, le jeune homme sentait sa respiration devenir erratique alors qu’il revoyait les miroirs de la cage aux cauchemars dans lequel l’avait enfermé Ryan. A la place de son propre reflet, il avait été entouré par son père l’observant en silence reproduire le moindre de ses gestes à l’identique.

Mais rompant l’intensité du moment, Braxton ferma les yeux en laissant retomber son visage, permettant ainsi à Sean de retrouver son souffle.  Il parlait difficilement, cherchant ses mots, arguant qu’il n’avait pas le talent orateur de Betty ou de Jameson. Pourtant – et pour la première fois depuis longtemps – Sean buvait littéralement la moindre de ses paroles. Le Gryffondor se sentait redevenu petit garçon devant ce père qu’il avait érigé au rang de héro. L’enfant perdu comprenait enfin à quel point il avait eu besoin de son père, du repère qu’il incarnait, de son expérience et de ses conseils. Tout était fragile, Sean l’avait bien compris à ses dépens. La vie, l’amour, la stabilité… Braxton repartait dans ses lointains souvenirs d’une famille heureuse dont Sean n’avait que trop peu de souvenirs, avant de s’arrêter, s’ébrouer pour reprendre le fil de ses pensées.

Ce qu’il voulait faire comprendre à Sean, c’était qu’il n’était pas prévu dans la nature humaine de rester seul. C’était tout bonnement impossible. Et plus important encore, Sean avait besoin des autres pour se soigner et guérir. Les mots du paternel se gravaient dans sa chaire comme s’il y apposait un fer qu’il sortait tout juste du feu. S’empêcher de déconner. Avoir du contrôle. Savoir distinguer le vrai du faux. Sean ne pouvait y arriver seul, sans eux.  L’étudiant avait de nouveau accroché ses pupilles aux siennes, incapable de détourner son attention une seule seconde du visage étonnamment figé de son père. Mais alors qu’il sentait une certaine chaleur tant espérée s’insuffler doucement en lui, le jeune homme fut brusquement douché par la question de son père.

La panique s’insinua en lui sous le regard persistant de son père qui cherchait à sonder jusqu’au tréfond de son âme. Il ne fallait pas ! C’était dangereux ! Le jeune homme sentit son poing se crisper alors qu’il se tendait en imaginant déjà le pire – sa main se tendre jusqu’à sa baguette sans qu’il ne puisse rien faire pour l’en empêcher. Mais la vague déferlante à laquelle il s’attendait ne survint pas et sa main se relâcha lentement, alors qu’il retrouvait assez de souffle pour lui répondre.

- Je ne me souviens pas de tout, lui murmura-t-il avec toute la franchise qu’il pouvait lui réserver. La moindre tâche de couleur avait déserté son visage à cause de la tension qu’il mettait à choisir chacun de ses mots. Il s’arracha au contact visuel de son père, regardant droit devant lui en se redressant comme l’un de ces automates de bois animés par la seule magie.

- J’ai fait des choses affreuses… J’ai agi comme le pire des lâches. J’ai souhaité mourir et vous abandonner tous.

La précision de ses mots l’empêchait d’avoir le moindre affect pour ces derniers, comme s’il lisait la liste des ingrédients nécessaires à la réalisation d’une potion.

- Je ne me souviens pas de tout… Alors qui sait ce que j’ai promis à Ryan pour qu’il décide finalement de me relâcher ? Je me souviens lui avoir résisté mais… Finalement… Peu importait ma volonté. Je pense. Non… Je sais qu’il m’a laissé partir pour une bonne raison…

Peu à peu, ses mots perdaient de leur froideur pour s’envelopper d’une crainte qui finit par noyer le reste de son discours. Et finalement, son regard n’exprimait plus qu’une frayeur sans nom quand il se reposa sur son père.

- Il se passe des choses bizarres dans ma tête... Dans mes souvenirs... Jameson l'a vu lui aussi... C'est toi. Je t'ai tué, toi.

N'importe qui prétendait que lever les secrets et les non-dits délestait l'âme. Braxton, lui, des sillons humides creusés sur sa peau abîmée par l'existence, le regard si ancré dans celui de son fils qu'il vit pas les mêmes larmes rouler sur les joues de son aîné. Enfin, il avait son oreille attentive. Braxton avait d'avantage l'impression de jouer sa vie, et à travers, celle de son fils.

Inquiet pour son garçon, le père but les paroles de son aîné, sans interruption. Tristement, rien ne l'étonnait dans le récit de son fils. Ce qui ne l'empêcherait pas d'en trembler plus tard à l'idée.

Sean n'avait aucune idée de ce qui lui était arrivé. Une colère s'insuffla en lui. Vingt ans pareil c'était toujours la même rengaine. Personne pour expliquer, pour rendre compte des réponses à des interrogations. Trop de gens laissés dans l'ignorance ce qu'ils avaient vécu, incapable de reprendre la vie après leur rupture.

Il ne souffla pas un mot et écouta les bribes de la terrible expérience que son fils voulait bien lui donnait. C'était assez pour son père saisisse. Il tut une colère encore plus sourde alors que son fils appelait son ravisseur de monstre par son prénom.

C'est toi. Je t'ai tué, toi.

Sean était blême. Horrifié. Était-ce donc ça, le dos tourné depuis des mois ? Braxton avait ramené sa main dans sa barbe qu'il ramena sous son menton. Il cilla, inspira et détailla le visage de son fils comme s'il aurait pu y lire l'avenir.

- Je me trouve plutôt bien portant... répondit-il les yeux dans les siens.

Il étira à Sean un fin sourire, un rictus de père fait pour dissiper les peurs des enfants.

- Je suis là. lui dit-il tout bas d'une voix rassurante. - N'est-ce pas ? Mo luran¹...?demanda-t-il à son fils. Tu es sorti de danger mon fils. Tu es dans cette pièce avec moi, et il n'y a que ça qui existe.

Il soutint le regard de Sean, son sourire rompu. Éclairé par la lumière cuivre de la cheminée, devant l'âtre, il lui semblait être transporté. Dans un lieu où il possédait encore ses pouvoirs magiques. Ses vrais pouvoirs. D'être un père que l'on regardait avec confiance.

Il se rapprocha de lui. Leur genoux pouvaient se frôler et leur pantalon cuisaient lentement à la chaleur des braises. Le père se pencha vers son fils, le regard particulièrement attentif.

- A bhobain²... Y a un certain nombre de gens qui ont voulu ma mort. Et toi... on t'a laissé croire que t'avais une chance ? Tu m'bats même pas au bras de fer chinois. fit-il en plissant les yeux. Un large sourire en coin éclaira sa face hirsute

Son fils l'aimait et craignait de lui nuire. La déclaration avait fait mouche au coeur du grand balafré. Sean lui avait fait en peu de temps les plus grandes déclarations d'amour que son père ait connu.

L'amour était est un lien magique étrange se disait-il, en contemplant en souriant le visage de son grand bonhomme. - Je devrais te faire un câlin version Betty Clearwater pour t'apprendre. le menaça-t-il avec une tendresse presque maternelle.

- Lil' pumpkin... l'appela-t-il avec tendresse. Son fils avait le coeur d'un agneau et il se voyait parfois tellement en lui. Une meilleure version de lui-même... et à la fois un être qui lui était dissemblable en tout point. C'est ça que tu avais en tête tout ce temps...? murmura-t-il, en fouillant les pupilles de Sean.

Ses yeux en disait déjà très long.

- Tu vois des choses... répéta-t-il tout bas. ... Parce que ce sont les effets, d'une de tout ce qui t'es arrivé, mais surtout de la Cage d'Iorffe. La vision de  @Jameson Clearwater n'avait pu être plus clair. La cage de miroir. Où tu as "vu"... souffla-t-il. C'est un artefact de magie noire utilisé à seul but de torture et de rendre fou. expliqua-t-il. A sheòi³, tu en es ressorti. Tu es fort, Sean. assura-t-il à son fils comme si c'était la seul vérité qui existait en ce monde.

Celui qui avait infligé à son fils ses tourments s'attendaient à ce que son père s'effondre. Braxton, ne voyait qu'une seule manière d'y répondre. De relever son fils à bout de bras s'il le fallait. Mais Sean allait vivre. Longtemps, et heureux.

- Tu es fort. répéta-t-il. Mais tu vas continuer à avoir peur, et à sursauter au moindre bruit, jusqu'à ce que ta tête comprenne, que ça ne t'es plus utile ici. Il avait tapoté deux fois doucement le côté de sa tête, illustration simple de ses propos. Tu as appris ce qu'il fallait faire pour survivre, et maintenant t'es décalé fiston. Mais tu vas te recaler.

Il lui avait dit… Ce n’était pourtant pas la raison qui l’avait pressé à venir le rejoindre à Poudlard. A moins qu’il ne se soit voilé la face tout ce temps. Sean était persuadé que tout révéler à Braxton était la pire des choses à faire. Ç’aurait été comme activer lui-même le déclencheur qui aurait mené son père à sa perte. Mais est-ce que cette réticence était véritablement sienne ? Après ses quelques mots, le monde ne s’était pas écroulé autour d’eux comme il l’avait craint.

Son père l’avait seulement observé un instant, la main dans sa barbe. Une habitude gestuelle qu’il avait emprunté pour l’occasion à Luke alors que son fils s’était crispé dans l’attente de la catastrophe qu’il venait de provoquer. Le jeune écossais avait cessé de respirer, ses poings crispés posés sur ses genoux pour les empêcher d’agir de manière autonome. Mais finalement, c’était un fin sourire de Braxton qui avait doucement craquelé cette situation figée dans un effroi glaçé.

Sa réplique, d’un humour douteux visant à réconforter l’étudiant surpris tellement ce dernier qu’il haussa les sourcils en observant son père. Le sourire du Langue-de-Plomb grandit encore alors que dans ses yeux brillait une étrange étincelle que Sean avait du mal à cerner. Pourtant, il sentait qu’elle lui faisait un bien fou, lui apportant un semblant de sentiment de sécurité. Oui le regard chaud de son père sur lui calmait son angoisse, la faisant graduellement fondre, aussi bien que le feu à côté de lui réchauffait son corps gelé.

Son père continuait de parler avec un sourire de gredin, tournant affectueusement en ridicule les craintes de son fils pour les faire disparaître. Cela paraissait aussi facile que quand il venait apaiser les terreurs nocturnes de Sean quand il était petit. Un instant, Sean fut tenté de serrer son père dans ses bras, vérifiant une nouvelle fois sa chaleur qui prouvait qu’il était là, présent et en vie devant lui. Tout n’était pourtant pas aussi simple que ça, et Sean restait sur ses gardes même s’il s’était relativement détendu tandis que Braxton le menaçait d’une embrassade façon Betty. Son père avait compris que son isolement ne visait qu’à le protéger, Sean suivant le chemin sinueux et illogique que lui imposait sa raison pour éviter que les événements de cet été se reproduisent.

A la différence d’Adil ou de Yeleen, il n’en semblait ni fâché, ni attristé. Braxton semblait comprendre exactement ce qui se passait dans l’esprit torturé de son fils. Pour lui, la cause en était cette étrange cage dans laquelle Sean avait été emprisonné pendant un temps indéterminé. Malgré la proximité de son père, et l’ardeur du feu à côté d’eux, Sean ne put retenir un frisson en entendant le nom de cet instrument de torture. Est-ce que, comme le supposait son père, cette noirceur qui l’habitait n’était qu’un écho de ce qu’il avait vécu là-bas ? Une construction qu’il avait lui-même créé pour personnifier la douleur du traumatisme ? Un ennemi clairement identifié et d’autant plus simple à détester ?

Le Clearwater indiquait à son fils sa force, imposant cet enseignement avec conviction comme si le poids de sa parole valait autant que la triste réalité. Le jeune homme connaissait cependant parfaitement sa faiblesse pour l’avoir pleinement empoignée cet été, sentant distinctement toutes les limites à son courage qui s’était lentement écaillé épreuve après épreuve. Il était malade rien qu’au souvenir de sa volonté de vivre qui s’évaporait de son être en lutte. Mais il s’était promis de devenir plus puissant… Renforçant son corps tout autant que son esprit pour que plus jamais il ne se retrouve impuissant devant ses proches en danger. En attendant, ainsi que le lui expliquait Braxton, il devrait accepter de continuer à sursauter à chaque bruit sourd pendant quelque temps.

Finalement, un maigre sourire vint déchirer le visage épuisé de Sean alors qu’il s’autorisa à lever un bras vers ses paupières pour essuyer les larmes qui s’y étaient accumulées.

- C’est vrai que t’es increvable, mamonna-t-il d’une voix aussi basse que le crépitement des flammes dans l’âtre. Je devrais pas m’inquiéter pour toi…

Mais ses propres mots sonnaient faux à son oreille alors qu’il revivait la vision de son père couché sur le dos, les yeux sans vie, ouverts sur un monde qu’il avait brutalement quitté. Le jeune sorcier frissonna pour se débarrasser de cette image en relevant ses pupilles sur le Langue-de-Plomb qui semblait si bien comprendre de quoi il retournait. Son patronus, son enfermement, la manière déréglée dont il fonctionnait à présent… Braxton semblait tout savoir, et il redevenait de fait ce père tout puissant au savoir infini qu’il avait un temps été aux yeux de son fils.

- Comment tu sais où j’étais ?… Tu connais la cage d’Iorffe ? Ce nom s’était gravé dans sa mémoire dès l’instant où il l’avait entendu. Je veux dire… Tu l’as… Tu y as été ?

Un élan nauséeux le parcourut à cette idée et soudain, il ne fut plus certain de vouloir savoir. Une part de lui souhaitait même tout oublier de sa propre expérience. Quand cette révélation le percuta, il en blêmit, fixant son père avec une expression choquée. Tout oublier… Braxton le lui avait déjà permis une fois… Mais Sean était bien placé pour savoir qu’oublier ne suffisait pas. Les blessures restaient, invisibles sous la surface, et bien plus difficiles à guérir… Au contraire, le Gryffondor était là, devant son père, pour savoir. Pour se rappeler… Aussi, avant que son père ne puisse lui répondre, il l’interrompit en secouant la tête, posant une main presque stable sur son poignet.

- Tu te souviens au début de l’été, ce que tu m’as proposé ? Tu as dit que si un jour j’étais prêt, tu pouvais me montrer… ce que j’ai oublié… Je ne suis pas sûr qu’un jour je serai réellement prêt. Mais je veux savoir pour @Liadan O'Connor. Je veux voir qui elle était pour moi.

Le jeune homme avait l’impression de devoir au moins ça à la jeune sorcière qui avait traversé la moitié du globe pour les rejoindre. Plonger dans l’inconfort des souvenirs d’un autre, visualiser un passé qui ne lui appartenait qu’à moitié ne semblait pas cher payer par rapport à la douleur de se savoir oubliée.