Cracks In Our Foundations

Elle leva les yeux au ciel devant son enthousiasme, préférant tremper ses lèvres dans la boisson sirupeuse goût litchi qui pétillait sous son nez. Bien sûr que c'était ça qu'il fallait leur montrer aux étudiants. Et très sincèrement, elle se faisait une joie de retrouver @Yeleen Sô et de pouvoir lui enseigner quelque chose de plus utile que les recettes de cuisine. Encore que, la cuisine était un point centrale dans une vie de famille.

« Je n'ai jamais dit que je voulais te mettre à la porte. Juste que ces cartons finiront par être bouclés à un moment ou un autre. »

De toute manière, à un moment ou un autre, ils arriveraient aussi à court de nems, de sauce soja et de nouilles sautées. Sauf s'il avait eu la fourberie de prendre chez un buffet à volonté. Mais elle avait bon espoir que non. Personne ne commandait buffet magique à volonté pour deux.

Elle lui résuma la dispute avec Nero dans les grandes lignes, épargnant les détails qui ne pouvaient être partagés et quelque part ça lui fit du bien de pouvoir en parler à quelqu'un. Jusqu'à ce que l'esprit mal placé du quelqu'un en question ne vienne placer une pomme pourrie dans son Jardin d'Eden. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre ce que ce hop hop hop venait faire là. Son joli teint de soleil ne la trahit pas en revanche, ses pommettes, tout à coup plus saillantes qu'à l'accoutumé laisser lire en elle comme dans un livre ouvert.

Si Jameson avait eu ne serait-ce qu'une vague notion de qui il avait vraiment en face de lui, il aurait su qu'il mettait le doigt sur une zone d'obscurantisme crasse dans l'éducation d'une femme de haut rang, typique de la culture traditionaliste dans laquelle avait grandi et été façonnée. Comme elle l'avait sous entendu à @Yeleen Sô , Nyéléni n'avait qu'une vision et une pratique très fonctionnelle des relations amoureuses et si elle voyait bien de quoi Jameson voulait parler, son inexpérience la mettait bien en peine d'opposer une réponse percutante à tout cela. De fait, après un petit blanc appuyé, c'est carrément le verre de pétillant au litchi qui vola à la figure de son invité, un peu trop potache à son goût.

« Jameson ! », se récria-t-elle, « Ça suffit maintenant. »

Elle était si mal à l'aise qu'en vérité, elle n'avait rien de mieux pour sa défense. Elle s'éclaircit la voix avant de s'excuser.

« Désolée pour... ahem. Tu l'avais cherché. »

Tandis que la situation lui échappait à elle, lui, se tenait les côtes, hilare.

« Ça ne confirme rien du tout. C'est juste que le sujet me met très mal à l'aise. Je ne partage pas son lit si c'est ce qui t'intéresse ! », répliqua-t-elle toujours courroucée.

L'emploi d'un tel euphémisme ne suffisait même pas à rendre la chose audible à ses oreilles. Si Nyéléni pouvait sur bien des aspects se targuer de dominer la conversation, Jameson venait de taper à grands coups de pied dans l'une des rares fourmilières de son existence. Question d'éducation sans doute.

Il lui fit pourtant grâce, revenant au sujet qu'elle cherchait à tout prix à éviter. Elle ne savait même plus si elle devait ou non lui en être reconnaissante. En tout cas, cela avait le mérite de la ramener dans son domaine de compétence.

L'expat plongea longuement son regard dans celui du Clearwater. Elle aurait sincèrement voulu lui accorder sa confiance. N'avoir aucun secret, comme finalement n'importe quels amis. C'était ainsi qu'elle le considérait. Mais elle savait ce qu'elle encourrait à ce jeu-là et surtout dans quelle merde elle allait l'entraîner. Sa dispute avec Nero était suffisamment fraîche à son esprit pour qu'elle ne réitère pas si naïvement.

Alors elle baissa le regard un instant avant de le lui rendre.

« Je sais que je peux te faire confiance Jameson. Sincèrement. »

Mais elle n'en dit pas plus. Cette demi déclaration d'amitié était tout ce qu'elle pouvait se permettre. En croqua dans un nem, gardant sur le briseur de sorts un oeil presque doux. Finalement, mieux valait peut-être parler des relations qu'il fantasmait entre ses amis que de la vraie vie.

Le rire de Jameson lui faisait toujours le même effet. D'abord il était piquant, puis il se répandait comme une bonne rasade de lait de buffle, frais sous un soleil de plomb. Un occidental aurait probablement préféré une image évocatrice de chaleur mais l'idée était là. Ce coup-ci, l'effet piquant dura un peu plus longtemps que d'ordinaire et l'inviter à se détendre ne fit rien pour arranger les choses. Elle finit tout de même par y parvenir, balayant de son esprit la partie de la conversation qui l'avait amenée à se renfrogner.

Un long silence s'installa dans l'intervalle, qu'elle crut pouvoir rompre en lui assurant que tout cela n'était pas une question de confiance. Elle avait confiance en Jameson Clearwater. Pas par pure candeur d'âme mais parce qu'il était trop entier, trop franc du collier, pour qu'on ne puisse lire en lui comme dans un livre ouvert. Il avait aussi ce côté casse-bonbon trop fier de lui qui le rendait attachant et, à ses yeux, cela faisait de lui un véritable ami. Pour autant, elle se refusait à prendre le risque. Elle savait ce qu'aurait fait un véritable ami à la moindre anicroche. Et ses anicroches à elle étaient tout sauf moindres.

Il ne le prit pourtant pas comme une tentative d'ouverture et, avec le regard qu'il lui jeta, elle avait presque l'impression de se retrouver épinglée sur place, comme un papillon un peu trop joli pour passer inaperçu. Il allait la cuisiner jusqu'à ce qu'il trouve quelque chose à se mettre sous la dent. A elle de trouver une issue de secours. La réponse qui ferait retourner le fauve au panier.

« Aux douanes magiques pourquoi ? », répondit-elle le plus naturellement du monde. A force d'endosser des personnalités différentes, elle était passée maître dans l'art de dissimuler ses réactions à chaud mais elle savait que la question était tout sauf anodine. Qu'il la pose à  @Nero MacGregor avant qu'ils n'aient eu le temps d'en parler et leur couverture était grillée. Enfin, elle ne voyait aucune raison que Nero rentre sans venir la voir malgré le coup de sang qu'ils avaient eu juste avant son départ. Il viendrait, ne serait-ce que pour dire qu'il était là et voir si elle avait tenu sa promesse.

Si Jameson posait plus de questions, elle avait tout une petite histoire à lui raconter sur leur rencontre aux douanes magiques. De quoi donner du terreau à cette construction spontanée.

Mais ça n'était pas vraiment ce qui l'intéressait. Derrière son regard inquisiteur, elle voyait bien qu'il cherchait la faille de tout ce tissu de mensonges mais elle n'était pas prête de la lui donner. Encore que... assez sournoisement, elle avait sa petite idée de quoi lui répondre s'il l'asticoter encore sur les raisons réelles de son départ.

« Je n'ai jamais dit que je devais partir rapidement. C'est juste que je n'ai pas envie de laisser Oprah seule indéfiniment... c'est le genre de personne qui se laisse facilement aller aux idées noires et comme elle n'a plus personne... enfin bref. Ça n'est pas la question. Si j'ai oublié notre rendez-vous c'est surtout que j'étais très préoccupée. Et oui, c'est vrai que je pourrais déjà être partie mais je trouvais pas ça correct vis-à-vis de Nero. Tu sais si j'ai réussi à faire mon nid ici c'est en grande partie grâce à lui. Il m'a trouvé ce boulot à l'IDEM sans que j'ai rien demandé. Il a toujours été là alors qu'il ne me devait rien. Je veut dire : il aurait pu passer son chemin après les douanes et ça c'en serait arrêté là. Non, je ne peux décemment pas lui claquer la porte au nez comme ça et comme je n'ai aucun moyen de le contacter ... »

Le mieux de tout était encore ce portrait criant de vérité qu'elle venait de faire de leur ami commun. C'aurait vraiment pu se passer comme ça. Mais elle gardait le meilleur pour la fin...