Héritages — ft. Luke Korrigan

Luke & Siobhán
Never-Utopia


Dans la pensine.
Un soir de juin 2022.

Elle n’arrêtait pas de penser au cours d’histoire de la magie qui lui avait été dispensé ce jour-là. Marchant dans les couloirs à vive-allure en direction de la bibliothèque, ses livres tenus par ses bras croisés fermement au niveau de sa poitrine, elle avait manqué de heurter deux Poufsouffle, un Gryffondor et trois Serpentard qui avaient eu l’audace de croiser sa route. Tous s’étaient retournés sur elle et l'un d'eux avait même chuchoté : « elle est complètement folle, celle-là » à une Serdaigle à ses côtés. Folle. Elle l’était, sans doute. Car quand Siobhán avait une obsession, plus grand chose ne comptait autour d’elle. Ni les autres, ni le reste. Ça ressemblait à s’y méprendre à une forme de folie, elle ne pouvait pas le nier.

L’objet de cette nouvelle idée fixe : la généalogie du monde gobelin, dont elle avait entendu parler en cours d’histoire de la magie. En fait, seulement le mot « généalogie » l’avait intéressée dans cet énoncé. Elle faisait vraiment peu de cas du monde gobelin.

La jeune femme n’avait jamais pensé à tenter de retracer l’arbre généalogique des Gavalagh, pour une raison simple. Toute sa vie, on avait tenté de lui inculquer comment être une bonne Korrigan. Trop omnibulée à montrer combien elle était différente de ses ancêtres paternels et à quel point elle ne croyait pas aux combats qu’ils avaient menés par le passé, la jeune Serpentard en avait presque oublié sa famille maternelle et les secrets qu’ils cachaient. Quelles luttes ils avaient mené. Et en cet instant — tout de suite, maintenant — elle ressentait le besoin de savoir. De tout savoir. Alors, plus rien ne comptait, à part sa mère, son histoire et celle de sa famille. Pas même le parchemin entier qu’elle devait rédiger sur les différentes étapes de la transformation d’une loutre sauvage en fourchette qu’avait pourtant réclamé son père, quelques heures plus tôt, en cours de métamorphose.

Elle poussa la porte de la bibliothèque silencieusement, posa ses livres sur une table toujours sans faire un bruit, et se rua vers un premier rayon. Puis un deuxième. Au bout d’une quinzaine de minutes à écumer toutes les reliures, à tourner des pages et des pages, elle avait trouvé ce qu’elle cherchait.

Le manuel entre ses mains expliquait avec précision comment établir une généalogie sorcière avec méthode et discernement. Tout ce dont elle avait besoin.

Bien sûr, Siobhán aurait pu, tout simplement, demander des informations à son père. Après tout, il était le dernier à avoir vu sa mère de son vivant et la connaissait sans doute mieux que personne.

Là encore, la raison était bien simple : pour la jeune Korrigan, penser à sa mère équivalait à rouvrir encore et encore une plaie jamais tout à fait cicatrisée. Elle s’imaginait que son père ressentait la même chose. Alors, elle préférait éviter le sujet plutôt que de se confronter à la souffrance de l’homme qu’elle aimait le plus au monde — à égalité avec son frère jumeau.

Ce soir-là, au lieu de parler avec son père, la jeune femme avait donc préféré lire d’une traite le livre qu’elle avait trouvé. Puis un autre.

Elle y passa la nuit. Puis la journée. Puis la nuit d’après. Puis l’été entier. Jusqu’à dédier tout son temps libre à la réalisation d’un arbre généalogique des Gavalagh remontant à presque 10 générations et enquêtant sur quelques-unes des branches et des feuilles qui le composaient.

Avec le recul, peut-être aurait-elle mieux fait de s’abstenir.

Retour vers le présent.

Une silhouette parmi quelques autres semblait glisser dans l’allée des embrumes, ce jour-là. Sur son dos, une  longue cape, accrochée au creux de son cou, qui dansait au rythme des pas de celle qui l’arborait. Son visage était à moitié couvert par une large capuche qui rendait invisible son regard. On apercevait seulement un nez fin dont l’air entrait et sortait de plus en plus vite, une bouche close, des lèvres crispées.

Cette ombre, c’était Siobhán. Tout dans son attitude laissait penser qu’elle ne voulait pas être vue, ni suivie. Probablement parce que c’était elle qui suivait.

Devant elle, deux hommes, ou peut-être trois — difficile à dire tant ses yeux étaient gênés par la largeur de sa capuche. Tout ce qu’elle avait pu discerner dans l’obscurité de l’allée, c’est que leur carrure était un mélange de force et de puissance. Elle était frêle et douce. Tout le contraire de ceux qu’elle cherchait à observer de loin, donc.

Rien de tout cela n’intimidait Siobhán. Ni le cadre dans lequel elle se trouvait, ni sa solitude face aux risques qu’elle encourait, ni le grand danger auquel elle se confrontait. Elle devait comprendre à quelle menace exactement elle avait affaire. Par sécurité, elle gardait quand même une main ferme sur sa baguette magique, dissimulée à l’intérieur de sa cape.

La Serpentard marchait discrètement, à quelques mètres derrière ces hommes qu’elle savait faire partie de sa famille, du côté de sa mère. Elle avait repéré deux cousins et un oncle, qui semblaient accélérer le pas à mesure que la foule de la ruelle grandissait. Siobhán pressa le pas à son tour afin de ne pas perdre leur trace. Elle se fraya un chemin entre les badauds de l’Allée des Embrumes, voyant les trois têtes des grands gaillards dépasser de temps à autre, jusqu’à ce qu’ils tournent dans une ruelle adjacente, qu’elle emprunta à son tour.

Et soudain, comme dans un mauvais film, la foule avait disparu. Les trois hommes aussi. La jeune femme se retrouva seule dans une venelle tracée en perpendiculaire. Ou plutôt, dans une impasse.

Littéralement.

Lorsque Siobhán se retourna en brandissant la seule arme dont elle disposait, trois baguettes menaçantes étaient déjà dirigées vers elle.

Sa capuche était tombée lorsqu’elle avait fait volte-face. Elle était désormais à visage découvert devant les trois membres de sa famille dont elle avait appris l’existence seulement quelques semaines auparavant. Tant mieux. En lisant dans ses yeux, ils pourraient plus facilement voir qu’elle n’avait pas peur. Et ce malgré tout ce qu’elle avait appris sur eux.

Ils restèrent à se regarder dans le blanc des yeux, les baguettes brandies, sans que personne n'ose réellement bouger, pendant de longues minutes — où étaient-ce des secondes ?

Alors que les grains du sablier s'écoulaient les uns après les autres, elle tenta en vain de comprendre ce qui la rapprochait de ces gens en les observant de plus près. Il n'avaient rien en commun. Pas même un trait de visage. Et autant dire qu'un simple nom partagé ne suffirait certainement pas à faire de ces inconnus des membres de sa famille.

Elle n'avait pas peur d'eux, tête brûlée qu'elle était. Pour autant, elle voyait difficilement comment une deuxième année pouvait venir à bout, seule, de trois gaillards qui détestaient absolument tout ce qu'elle représentait.

Les options venaient à manquer, il fallait l'admettre.

C'est alors qu'elle entendit un CRAC sonore résonner dans la ruelle étroite, faisant apparaître, à sa grande surprise, son père, accompagné par un elfe. Siobhán n'eut pas le temps de dire quoique ce soit, ni de lui demander comment il l'avait trouvée.

Son père eut le réflexe que n'importe quel père voyant sa progéniture en danger aurait eu : il attaqua à l'origine même de la menace. Un sortilège de métamorphose informulé mit rapidement hors d'état de nuire les trois hommes qui chutèrent lourdement sur le sol.

La Serpentard ne put s'empêcher un sourire en coin de satisfaction, alors que son père se tournait vers elle, s'assurant que tout allait bien avant de lui demander, forcément, des explications.

« Je... », bégaya-t-elle.

Les mots lui manquaient pour répondre, et elle fut rapidement interrompue dans sa recherche par les Gavalagh qui se remirent en mouvement, l'un d'eux s'étant libéré de l'étreinte qui l'avait couché.

Siobhán n'avait pas lâché sa baguette, mais ce fut son père qui bloqua le plus rapidement le sortilège qui arrivait droit sur elle. Ses réflexes étaient intacts.

« Alors ça, c’était la chose à pas faire. », avait-il affirmé.

Il ne croyait pas si bien dire. Elle ne prit toujours pas la peine de parler, tant elle était en colère après qu'ils l'aient directement visée elle. Parce qu'elle savait pourquoi ils avaient préféré la viser elle plutôt que son père. Et ça n'avait rien à voir avec le fait qu'il était plus âgé, plus expérimenté, et donc qu'elle était une proie plus facile à attaquer. Non. Ils l'avaient visée parce qu'ils avaient compris ce qu'elle était, à défaut d'avoir compris qui elle était. Sa colère fut telle que l'Irlandaise cessa presque de réfléchir et réagit avant même d'avoir pu penser.

« Confringo ! », prononça-t-elle en réalisant un mouvement vif et précis avec sa baguette, malgré ses mains tremblantes. Une violente déflagration vint atterrir à leur pieds, les repoussant tous trois violemment deux mètres plus loin. Elle avait réussi ce sortilège à plusieurs reprises à l'école, mais jamais aussi bien que ce jour-là.

Alors qu'ils étaient à terre, son sang de Serpentard ne fit qu'un tour. Elle avait le pressentiment que les trois hommes n'allaient pas apprécier d'avoir été ainsi bousculé. Par une femme, qui plus est. Tout ce qui comptait à présent pour Siobhán était de mettre à l'abri le seul membre de sa famille qui comptait vraiment dans cette ruelle : son père.

« On s'en va, papa ! », lui asséna-t-elle. Elle prit sa main et l'attira avec elle pour rejoindre l'elfe.

Deux des trois Gavalagh se relevaient déjà douloureusement.

Alors que deux des Gavalagh se relevaient toujours péniblement dans une langueur interminable — preuve que le sort de Siobhán avait été réussi — il se passa comme un moment de flottement, durant lequel Luke semblait s'être absenté. Son corps était bien là, mais ses yeux, eux, paraissaient perdus dans une colère sombre. Son regard était dur et l'on pouvait voir, au plus profond de ses pupilles, une flamme s'allumer. Une ardeur violente qui se transforma rapidement en un brasier bouillonnant de rage.

Rarement Siobhán l'avait vu dans un tel état d’exaltation. Peut-être aussi était-ce parce qu'elle s'était rarement mise autant en danger que ce jour-là.

Une partie d'elle savait.

Elle savait qu'elle n'avait encore rien vu de son courroux et elle appréhendait l'instant où elle se retrouverait seule, en face de lui, pour lui donner des explications — légitimes.

Il revint difficilement à la raison, mais finit par suivre sa voix. En un claquement doigt, tous trois avaient quitté la glaciale Allée des embrumes pour retrouver la grande classe de Métamorphose de son père, chaleureuse, dans laquelle elle avait passé tant de bons moments à ses côtés.

Le ton de sa voix lorsqu'il demanda à l'elfe de quitter la pièce se fit aussi dur que le regard qu'il avait affiché quelques minutes plus tôt dans la ruelle. Le cœur de Siobhán rata un battement, qui lui fit regretter de ne pas avoir mis son père dans la confidence. Et ce sentiment devint encore plus fort lorsqu'il s'adressa finalement à elle :

« Je peux savoir ce que tu faisais là bas ? »

Ses craintes prirent tout leur sens. Il était vraiment en colère contre elle, et ça n'était pas souvent arrivé.

« Et surtout, pourquoi tu étais avec ces personnes ? »

Elle se souvenait de ce jour où elle avait couru après une de ses poules petite, voulant lui arracher une plume pour se fabriquer une baguette magique de fortune pour faire comme lui. Il l'avait attrapée au vol, stoppant brutalement sa course, pour lui rappeler que les animaux étaient doués de sensibilité et qu'eux aussi, pouvait avoir mal, au cœur et au corps. Il s'était agacé si fort lorsqu'il s'était rendu compte qu'elle avait déjà 5 plumes dans sa petite main délicate. Depuis ce jour, elle n'avait plus jamais levé la main sur un animal. Elle lui devait tant de choses — parmi elles, d'avoir forgé la femme qu'elle était devenue.

On était bien loin d'une peine infligée aux poules cette fois-ci, car c'était son père qu'elle avait déçu. Mais dans un sens, il l'avait déçue aussi.

« Réponds. Et vite. Tu es peut être majeur, mais je reste encore ton père et je n’ai plus tellement envie de te chaperonner. »

Elle avait gardé le silence jusque-là, saisie par ces souvenirs, oubliant presque qu'il attendait une réponse. Plus question de lui mentir ou de lui cacher la vérité. Son cœur ouvrait lentement ses portes et elle sentit immédiatement les larmes se faufiler dans la brèche malgré une douce rancœur qu'elle avait longtemps gardée pour elle. Sa vue devenait floue.

« Je porte le nom de ces "personnes", comme tu dis. Alors j'avais besoin de savoir, c'est tout ! », lâcha-t-elle simplement, agacée à son tour qu'il n'ait pas juste lu dans son esprit pour les dispenser tous les deux de vivre ce moment pénible.

Sa phrase resta en suspend et elle s'était mise à faire les cent pas dans la pièce pour aérer ses yeux humides. Elle voulait rester forte. Ne pas faiblir, même devant son père. Pas de doute, du sang Korrigan coulait dans ses veines.

« On a eu ce cours en Histoire de la Magie. On a parlé de la généalogie du monde gobelin et je me suis dit que je savais trop de choses de ton côté pour en savoir si peu du sien », continua-t-elle d'une voix tremblotante, sa gorge se serrant à mesure que les mots s'échappaient de sa bouche.

Toujours aucune larme. Elle fuyait volontairement le regard de son père. Mais cette évasion ratée lui valut de cogner sa cuisse contre un meuble qu'elle ne parvint même pas à identifier. Siobhán grogna de douleur. Puis reprit son récit.

« Comme j'ai pris son nom, je voulais savoir. Alors j'ai fait des recherches. Je suis remontée à 10 générations. Je suis remontée aussi loin parce que j'avais besoin de comprendre pourquoi mes propres cousins avaient l'air de détester assez les vélanes pour se rassembler avec des dizaines d'hommes qui les haïssaient autant qu'eux. Et j'ai compris. »

Nouvelle pause. Elle s'était arrêtée et levait maintenant la tête vers le plafond pour retenir les larmes qui menaçaient de s'écouler en cascade.

« Les Gavalagh sont vélanes de mères en filles et les hommes de la famille les rejettent pour ça. Manque de chance, depuis 10 générations, il ont donné naissance à des filles. Comme quoi, le hasard ne fait pas toujours bien les choses. Et elle en faisait partie. »

Une première goutte roula sur sa joue. Puis une autre à l'opposé.

« Maman en faisait partie. »

Siobhán n'osait toujours pas regarder son père et s'était appuyée contre une table pour le bouquet final.

« Mais tu n'as visiblement pas jugé qu'il pourrait être utile de m'en parler. Une partie de ma famille me préfèrerait morte et tu ne m'as rien dit. Alors je me suis dit que j'allais aller chercher les réponses toute seule, à la source. Tu peux m'en vouloir mais tu n'aurais pas du garder le secret ! », termina-t-elle d'une voix forte.

Elle avait tourné sa tête vers lui pour prononcer cette dernière phrase, son regard cherchant désormais le sien.

Attaquer son père avec de la colère lui paraissait tellement plus simple que de devoir affronter leur tristesse réciproque en mentionnant une personne qui leur manquait à tous les deux. Plus que tout, en cet instant.

Sa colère se dissipa dans l'amour que lui portait son père. Luke serra Siobhán si fort contre lui qu'elle se laissa aller aux larmes et au chagrin au creux de son cou. Quand elle releva son visage en face du sien et alors qu'il embrassait son front, la jeune femme remarqua que son père, lui, ne s'était pas laissé embarquer par la tristesse. Elle essuya alors les gouttes qui s'étaient échappées de ses yeux comme pour effacer toute trace de faiblesse. Siobhán avait beau avoir grandi, elle voulait toujours se montrer forte, comme lui.

« Parfois, les parents oublient que leurs enfants sont devenus des adultes capable de se protéger eux même. Et même lorsque c’est le cas, ils  ont toujours peur pour eux. Tu comprendras quand ça sera ton tour. »

Elle ne dit mot, le visage fermé. Elle était bien loin de penser à sa descendance, elle qui ne savait pas ce que signifiait d'aimer quelqu'un, ou même d'être aimée en retour. Elle avait vu @Céleste Delacroix se mettre en danger par amour. Elle n'osait imaginer ce que son père avait ressenti le jour où il avait perdu celle qu'il aimait. Et c'est probablement parce qu'elle ne voulait pas découvrir cette forme nouvelle de souffrance qu'elle ne se laissait pas facilement berner par les sentiments amicaux et amoureux.

Luke l'arracha à ses pensées en lui demandant ce qu'elle allait faire, avant d'admettre qu'il n'avait pas beaucoup d'éléments en sa possession concernant ce groupuscule. Il lui avait aussi demandé pardon. Sa fille l'aimait trop pour lui en vouloir, même s'ils se le l'avouaient peu souvent. Surtout qu'il l'avait sortie d'une situation bien délicate. Mais d'ailleurs...

« Comment tu as su où j'étais ? », le questionna-t-elle sans transition, alors qu'elle était partie pour le remercier de l'avoir secourue. «  Ils nous ont reconnus. Ils savent qui je suis maintenant, ou du moins, ils savent que j'existe. Ils vont facilement me retrouver et je ne suis pas sûre qu'ils aient apprécié que je les attaque, ni que tu viennes à mon secours. »

Siobhán n'avait pas peur d'eux, au contraire. Elle avait prononcé ces mots avec une pointe d'excitation dans la voix. Elle ressentait à nouveau l'adrénaline qui avait pris possession d'elle dans la ruelle un peu plus tôt, à laquelle s'ajoutait une forte envie de rébellion et de lutte. Elle se concentra là-dessus et oublia la colère qu'elle ressentait envers Luke sans même relever le compliment qu'il lui avait formulé. La problématique à laquelle ils étaient confrontés dépassait leur cercle familial. L'impact que ce groupe d'hommes pouvait avoir sur les femmes vélanes était bien plus important que tout le reste.

«  Je ne peux pas les laisser faire, Papa. Ils oppriment les vélanes pour ce qu'elles sont, parce qu'ils ne supportent pas de se sentir manipulés ou contrôlés. J'imagine que certaines utilisent leur don à mauvais escient, mais on ne peut pas faire de généralités et ce n'est certainement pas en les persécutant toutes qu'ils vont empêcher quoi que ce soit. Ils doivent disparaître, on doit les dénoncer. Qui sait quelles horreurs ils ont commises et pourraient encore commettre... »

Elle stoppa sa phrase parce qu'elle s'était rendue compte qu'elle ne savait pas comment agir de façon concrète. Lorsqu'elle avait décidé de les suivre, elle n'avait pas vraiment suivi de plan.

«  Je ne sais pas combien ils sont, je ne me rends pas compte. Mais si ça dure depuis plusieurs générations et que plusieurs familles sont avec eux... »

Elle laissa sa phrase en suspend parce qu'elle ne voulait pas que son père la dissuade d'agir, maintenant qu'elle savait. Elle préférait l'avoir à ses côtés.

«  Il faut qu'on fasse quelque chose. On doit enquêter et en savoir plus sur leurs exactions. Peut-être retrouver des vélanes qui ont été confrontées à eux... »

Connaître son ennemi pour mieux le combattre.

Siobhán marqua une pause parce qu'elle s'apprêtait à parler de sa mère à nouveau. Elle ressentait une petite douleur au cœur.

«  Tu m'as dit que maman avait décidé de mettre tout ça derrière elle mais... Peut-être qu'elle avait fait des recherches avant de te connaître ? Elle aurait pu écrire tout ça quelque part ou recueillir des témoignages... Ou même signaler ça à quelqu'un ? »

Elle espérait au fond d'elle qu'il répondrait par la positive. Siobhán avait besoin de savoir qu'elle avait des points communs avec sa mère. Qu'Ether ne s'était pas laissée faire et qu'elle avait tenté, elle aussi, d'agir.

À l'image de son père, le visage de Siobhán se durcit lorsqu'elle comprit qu'il avait fait suivre sa fille pour garder un œil sur elle à distance. Les deux Korrigan se faisaient face et on sentait dans leurs traits communs une pointe de colère réciproque percer jusque dans leurs regards.

La jeune Serpentard s’apprêtait à riposter, ouvrant déjà la bouche pour laisser s'échapper le côté rebelle qui la caractérisait depuis toujours. D'abord, elle se ravisa ; même si son sortilège avait réussit à repousser les trois badauds, l'irruption fortuite de son père dans l'Allée des Embrumes avait sans doute suffit à les déstabiliser en premier lieu.

Mais elle ne tenait plus.

« Je ne suis plus une gamine, papa», répliqua-t-elle.

Quand bien même elle était en tord dans cette situation, elle avait besoin d'avoir le dernier mot pour lui faire entendre qu'elle n'était pas d'accord avec lui. Siobhán avait bien compris que ce n'était pas la première ni la dernière fois qu'il la ferait suivre. Et elle n'était définitivement pas à l'aise avec l'idée que quelqu'un puisse reporter ses moindres faits et gestes à Luke ou à Maeve.

Surtout que tous deux ne semblaient pas être sur la même longueur d'onde quant aux suites à donner à cette affaire de vélanes. Il essayait de la mettre sur la touche, lui demandant de se concentrer sur ses études plutôt que de penser à tout ça. Mais il s'agissait là de deux tâches qu'elle pouvait totalement mener de manière simultanée.

« Ce n'est pas seulement de ma sécurité dont il est question. »

Elle savait qu'elle n'était pas en position de force face à lui, alors elle devait faire preuve d'intelligence pour lui faire entendre son argumentaire. Jouer la corde sensible lui paraissait être une excellente option pour parvenir à ses fins.

« Tu m'as dit tout à l'heure que tu ne m'avais rien dit sur tout ça pour me protéger. Si un jour j'ai des enfants et qu'ils sont comme moi, je préfèrerais les savoir en sécurité, pas parce que je les ai laissés volontairement dans l'ignorance, mais parce que j'aurais fait ce qu'il faut pour supprimer cette menace dont j'ai aujourd'hui connaissance et contre laquelle je peux agir. »

Mais comment agir concrètement ? C'était une question que son père lui avait posée, et elle était légitime. Bien sûr, elle y avait déjà réfléchi. Obtenir des informations auprès des opprimés lui permettrait de façonner un dossier assez fourni pour que la justice fasse ensuite son travail. Enfin, ça, c'était le plan A. Pour ce qui était du plan B... elle ne le mettrait en marche qu'en dernier recours, il était donc inutile de le mentionner en cet instant. D'autant que personne dans son entourage n'approuverait et qu'elle avait encore du travail pour espérer le mettre à exécution.

Son père essayait déjà de la décourager alors qu'elle n'avait même pas encore pu lui faire part de ses réflexions.

Alors, pour lui répondre, trois options s'offraient à elle :

1. Lui faire part de son incompréhension pour son cruel manque d'intérêt concernant les exactions de ce groupuscule quand bien même sa propre fille pouvait être en danger.
   
   
2. Communiquer toute sa déception quant au fait que sa mère n'avait pas essayé avant elle de faire quelque chose pour défendre leur cause.
   
   
3. La jouer fine en désamorçant le sentiment d'injustice qui grandissait en elle pour éviter d'attirer les soupçons de son père.

Elle opta pour la finesse.

« Je... Tu as raison », posa-t-elle finalement faisant mine d'être déstabilisée par ses questionnements. « Je n'y ai pas réfléchi. »

Elle tenta tout de même d'insister pour percevoir ses intentions.

« Tu crois vraiment qu'il n'y a rien à faire alors ? »