Héritages — ft. Luke Korrigan

Je la lâchais et je l’observais en la tenant par les épaules. A quel moment précis les enfants grandissaient et à quel moment nous ne nous en rendions pas compte ? J’étais capable d’identifier un métamorphage. De transformer une libellule en dragon. Ou de me changer en chien à volonté. Mais j’étais incapable de répondre à cette question de métamorphose élémentaire ! Comment les enfants font-ils pour grandir aussi vite.

« Non, je ne te laisserai pas sur la touche. »

Je traversais ma salle de classe, et j’allais remettre du bois dans la cheminée. Etant donné que j’avais congédié Flinky pour qu’elle ne pense plus au fait que je l’avais fait suivre, j’étais donc obligé de mettre moi même cette bûche dans le feu. Avec un soupire, je me tournais vers elle.

« Je peux répondre à toutes les questions que tu veux sur ta mère. Comme je peux aussi répondre à toutes les questions que tu veux sur les Vélanes. »

Je regardais le feu s’embraser un peu plus avec l’apport nouveau de cette matière fascinante et simple qu’était le bois. Je me tournais vers Sio et en toute sincérité je poursuivais.

« En revanche je ne peux rien te dire sur sa famille et ce Clan. Quand j’ai rencontré ta mère, elle les fuyait et elle n’a jamais voulu en parler avec moi. C’est comme ça que l’on s’est rencontré d’ailleurs. Elle était dans la même situation que toi tout à l’heure. J’ai… j’ai cru revenir des années en arrière tout à l’heure. C’est peut être pour ça que je me suis un peu emporté. »

Je baissais la tête d’un air véritablement désolé. Je m’asseyais sur un tabouret prêt du feu et j’invitais à faire pareil à Siobhàn. On avait besoin de se retrouver. J’avais besoin de me confier. Entre mes responsabilités et la protection de l’ensemble des étudiants depuis cet été, j’avais été un peu occupé. Quand je n’étais pas à Poudlard, j’étais à l’extérieur pour une conférence ou pour une enquête qui me tenait à coeur. Aussi, j’avais peut être négligé un peu mes propres enfants. C’était la déduction à laquelle j’étais arrivé.

« Je ne suis pas très présent. Je m’en excuse. Mais… La disparition de Sean et des autres Clearwater a fait que j’ai du redoubler d’effort pour comprendre et trouver les coupables. Tu sais à quel point je tiens à eux. Cette brusque attaque m’a perturbé. Et m’a rendu plus fragile que je ne l’aurai pensé. »

J’étais clairement en train de me confier sur un point que je n’avais confié à personne depuis cet été. Cette histoire d’attaque m’angoissait en réalité. Même si j’estimais que j’étais un sorcier brillant, Jameson l’était tout autant et il n’avait rien pu faire pour empêcher son clan de se faire attaquer de la sorte. Et savoir que mes proches, comme le petit Sean auquel je tenais beaucoup était en réalité à la merci aussi facilement des autres… Ca m’avait replongé en arrière, dans mes vieux démons. Et c’était aussi une des raisons pour lesquelles j’infantilisais encore Sio.

« J’ai tendance à trop vouloir vous protéger. Mais, si je ne le fais pas. Qui le fera hm ? »

Je fus sincèrement blessé quand elle me lança qu’elle n’était pas sa mère, ni Sean, ni quiconque tenait une place infinie dans mon coeur. Mon visage se renferma et se fit plus dur. Les mains derrière le feu, je la regardais dans les yeux et d’un ton dur, je déclarai, sans appel.

« Je protège qui je veux, jusqu’à preuve du contraire. C’est dans ma nature d’Irlandais de protéger ma famille. Tu veux aller contre ça ? »

Mes yeux se plissaient. Elle m’avait piqué au vif avec cette histoire. Oui, j’avais tendance à surprotéger les gens. Mais en même temps… Si je n’étais pas là… Que se passerait-il ? Je savais que personne n’était irremplaçable, mais la preuve en avait été encore quelques instants auparavant. Elle pensait qu’elle aurait pu s’en sortir si je n’étais pas intervenu. Elle était si naïve ou quoi ?

« C’est comme ça quand on a des enfants. On a peur pour eux en permanence, et tu verras quand ça t’arrivera. »

J’étais de moins en moins doux et de moins en moins patient. Parce que je commençais à connaître ma fille et je savais vers quel terrain elle voulait m’amener. Elle essayait de me flatter, de me rassurer, pour aller où elle en avait envie. Elle me prenait pour qui ?
Je l’avais élevé.

« Tu peux très bien apprendre à te servir de ton don seule. Tu peux aussi te faire accompagner par des gens compétents, et qui sont répertoriés officiellement. Que tu veuilles renouer avec tes racines c’est une chose, mais que tu veuilles pactiser avec des délinquants et des assassins pour en apprendre d’avantage, s’en est une autre. »

Je m’étais avancé vers elle. Finalement, j’allais la menacer. Il était hors de question qu’elle continue à se mettre en danger comme cela. Aujourd’hui c’était passé proche et j’étais intervenu. Mais… Je ne pourrai pas toujours être derrière son dos. Sean en était la preuve. Il n’avait pas pu échappé au Loup Garou malgré la surveillance de Braxton. Mon doigt pointé vers elle, je déclarai d’une voix calme mais sans appel.

« Evidemment que je l’aurai déjà fait. J’ai dit que j’allais y réfléchir. Précipiter les choses ne feront qu’aggraver la situation. »

Je plissais des yeux, et je posais son doigt au milieu de son joli petit nez, comme quand elle était enfant. Je savais que je ne pouvais plus l’effrayer comme ça. Je savais que quand elle allait partir, la situation m’échapperait à nouveau. Je n’avais plus d’emprise sur elle. Elle vivait sa vie comme elle l’entendait… C’était une Korrigan.
Parfois, je voyais le regard de mon frère à travers les siens. Une idée me vint alors.

« Le mieux c’est que tu en parles avec ta tante. Maëve te conseillera comme toujours. Cela sera mieux que le premier imbécile venu, ou le premier groupuscule qui veut ta mort. Je pense qu’outre une discussion sur ton don et sur ton avenir, tu as besoin de quelque chose que je ne peux t’apporter. Et elle a toujours su trouver les mots pour toi. »

Je mis quelques secondes avant de réfléchir à ce que j’allais dire. J’étais directeur des Serdaigle, sensé représenté les gens les plus intelligents de l’école et pourtant quand il s’agissait de parler à ma fille, j’étais aussi stupide qu’un premier année qui n’était pas encore réparti. Les mains proches du feu, je finis quand même par dire :

« De toute façon, quoi que je dise, est ce que tu prendras réellement en compte mes avertissements ou continuerais-tu d’en faire qu’à ta tête ? »

Je relevais la tête avec une moue agacée. Je savais qu’elle s’en fichait de ce que je pouvais dire. Elle avait son idée. Son objectif. Et elle irait au bout.

« Entêtée. » lâchais-je dans ma barbe.