Carnival of Rust { Braxton

Ce n’est pas ce qu’elle veut entendre. Mais elle est trop abattue pour le frapper ou pour lui dire de la fermer. Imaginer Miguel avec un enfant la brise au-delà de tout ce qu’elle peut formuler, de tout ce qu’elle peut concevoir. D’où les bouteilles. D’où l’obsession galopante. D’où tout ce qu’elle ne devrait pas faire. Ce n’est pas juste. Il y a trois choses, que Bianca a voulues, vraiment voulues, dans sa vie. Trouver l’amour, et le vivre jusqu’à la fin de ses jours. Devenir mère. Et retrouver Marisol. Les deux premiers lui auraient suffi, elle en est persuadée. Et au final, elle n’aura droit à rien. Les larmes coulent sans qu’elle ne puisse les empêcher, sans qu’elle ne pense seulement à les stopper. Ô ironie, quand c’est elle qui a ramassé Braxton, quelques semaines auparavant. Qu’il proteste autant qu’il veut, les dommages qu’il a subis sont encore plus impressionnants et plus irréversibles que ceux qu’elle essuie. Même si pour l’heure, les condoléances qu’il lui présente de façon si évidente qu’elle doit étouffer un grognement semblent être son chant du cygne. Pas lui. Il n’a pas le droit de lui dire ça. Pour se contredire, deux secondes après. Prouver quoi que ce soit. Est-ce qu’elle veut seulement aller là-bas, descendre cette pente savonneuse dont elle risque de ne pas remonter ? Elle s’est toujours dit que savoir serait un soulagement, pour tout le monde. Elle n’a simplement jamais sérieusement envisagé que ce soit un cadavre, qu’ils puissent retrouver. Si tant est qu’il y ait encore quoi que ce soit à trouver. Mais Braxton a raison. Ce n’est pas dans cet état qu’elle va faire quoi que ce soit. Qu’elle va avancer. Elle ne peut que s’enfoncer.

L’invitation devrait être accueillie par une protestation. Noël est une fête de famille et elle devrait être avec les siens. Mais visualiser la tribu Almadovar et devoir faire face à tout le monde lui retourne l’estomac – l’alcool qu’il contient et l’absence de nourriture ingurgitée pour cette journée n’aide sans doute pas non plus. Et les Clearwater lui sont suffisamment familiers pour que l’argument de ne pas déranger ou de ne pas être à sa place ne tienne pas. La voix basse de son mentor égraine les étapes, comme si c’était une évidence. Et contre lui, elle hoche lentement la tête. Elle ne peut pas rester là. Cet endroit va finir par l’absorber, jusqu’à ce qu’elle ne finisse emmurée, à hanter cet appartement qu’elle hait. C’est la mention d’Hombre qui la fait finalement réagir. Se dégageant de l’étreinte de l’homme, elle s’accroupit. La boule de poils est à ses pieds et la regarde, sa petite tête penchée sur le côté. Et un sanglot la secoue alors qu’elle le prend pour le serrer contre elle : "Lo siento. Lo siento, Hombre." L’animal ne comprend sans doute pas grand-chose, mais lèche le visage de sa maîtresse avec application, alors qu’elle se relève et hoche la tête, de nouveau : "Can we… go now ? Just for tonight." Chez lui. Ailleurs. Elle ne prend pas la fuite. Pas vraiment. "I’ll come back tomorrow. I will go to work, I’ll ask my boss for holidays, he will give them to me. I’ll clean up. I’ll… sort my shit out." Ce n’est pas comme si on l’avait quasiment suppliée de les prendre, assez régulièrement. "But you’ll have to make up your mind gringo : do I need to be sober or to drink with your mom and your brother?" La plaisanterie n’est qu’à moitié sentie. Mais ce n’est pas grave. C’est un début. Ça ne pourra qu’aller mieux. Un jour à la fois.

Elle glissa de ses bras et fondit en excuse dans la fourrure du petit chien sable. Braxton regarda le sol.

- Bien sûr. répondit-il immédiatement en relevant la tête.

Bianca se relevait dans un aplomb soudain, qui ne laissait présager qu'u chute lourde dans la soirée. Cette décision et cette énergie se paieraient plus tard. Dans la tranquilité d'une chambre aux Hébrides. Elle pouvait rester toutes les nuits si elle voulait. Il ne le précisa pas. Ce n'était pas le moment de multiplier les propositions et préciser les modalités de l'offre.

Pour Braxton, il n'y avait rien de plus apaisant que la brume qui chevauchait la mer et les falaise des Hébrides. Bianca se viderait l'esprit. Un peu. Comme @Sean Clearwater plus jeune.

Il approuva de la tête à chaque étape du plan qu'elle montait en direct. Ne détachant pas son regard d'elle, il se trouvait toujours étonné de la résilience dont savait faire preuve son élève. Elle était d'un bois solide, rare. Bianca avait toujours avancé, quoiqu'il arrive. Elle n'était pas femme à rester dans une impasse. La lamentation et le mélodrame n'était pas son chemin. Pas longtemps du moins. Elle le lui prouvait et adoucissait sa propre position envers elle.

Il étira un coin de lèvre, appréciant la tentative d'humour de sa vieille élève, prouvant que son esprit vif était toujours en activité dans cette caboche dur comme du mithril. Juste dans le coton. Il pouvait comprendre.

Il haussa des épaules. L'idée de Bianca buvant avec sa mère et Jameson avec quelque chose de réjouissant, pendant que lui descendrait les bouteilles de jus de fruit qui n'était réservé qu'au gamin, lui et  @Nero MacGregor.

- C'est plus une affaire de goût et d'ordre que de choix, sweetie. T'auras tout le temps d'y réfléchir. Allez. Viens.

Une main derrière le dos, il l'entraîna vers le salon. Il ne souhaitait pas que la vue de la cuisine et du tas de bière qui l'avait fait par pure provocation ne la détourne de la conclusion de leur conversation.

- À mon tour de t'héberger, fit-il remarquer, avec un piètre sourire, reconnaissant.

Il avait les moyens de prendre un appartement. Mais pas la volonté et une sainte horreur de vivre seul. Elle le savait, et n'avait jamais rien fait remarquer. Et pourtant Merlin seul savait à quel point elle aimait faire remarquer les choses. Almodovar avait la tête dure, mais bien faite, comme on disait. Une intelligence émotionnelle qu'elle utilisait à escient selon sa bonne volonté.

- Prends tes affaires. Moi... j'embarque ton café, lui déclara-t-il. Madame Almodovar ne saurait se trouvée privée de son café sud américain si spécial.

Allait-elle embarquer ses dossiers sur sa soeur ? Peut-être. Et peu importe. Il l'aiderait de toute façon si elle en avait besoin, de faire ce chemin sombre vers l'inéluctable.

Suivant ses mots il retourna dans la cuisine chercher le nécessaire à café de Bianca, et s'arrêta pour jeter un coup d'oeil par dessus son épaule à Bianca.

- Glaikit. lui lança-t-il, une lueur au fond des yeux. Dépêche-toi et on attrapera peut-être le couché du soleil sur les falaises. Par ce temps c'est glacial, humide, brumeux... énuméra-t-il très sérieux. Splendide quoi.

Aller marcher sur les falaise en évitant de fâcher les noirs des Hébrides en leur jetant les restes de repas, dans le vent qui gifle les joues et la bruine qui ne faisait qu'inondait l'air en permanence par cette saison. Bianca allait dégriser à la mode des Hébrides...