Family means everything (Narghis)

Elle regrettait un peu d'avoir laissé sa journée à  @Adil Mesli et Mira ce jour-là. L'approvisionneur, en retard de quatre jours, avait finalement décidé de pointer le bout de son nez et elle se retrouvait avec des tonnes et des tonnes de caisses à réceptionner et inventorier tout en tenant la boutique. Dâriush travaillait à l'hôpital. Quant à leur père, elle refusait de le laisser trop en faire. Elle était justement en train de placer sur l'étal un dernier oeuf de Durian en prenant garde de ne pas y mettre la main, vu les épines, quand un petit bruit dans son dos la fit se retourner.

L'homme qui se trouvait derrière elle n'avait pas l'air commode et elle pouvait le comprendre. Elle ne le connaissait pas bien sûr mais son visage lui évoquait vaguement ce fameux soir d'Halloween où elle et son frère s'étaient faits tant d'amis. Par sa faute à elle d'ailleurs. Les mains jointes sur son joweh bleu canard, Narghis baissa les yeux un instant, profondément accablée par sa culpabilité. Puis, comme elle était suffisamment adulte et responsable, elle releva le menton et s'adressa à l'homme :

« Est-ce que... je peux vous offrir quelque chose ? », demanda-t-elle à mi voix, ne sachant par où commencer.

Par prudence, elle agita ses doigts graciles en direction de la porte. Le chacal bleu de l'enseigne s'étira avant de se rouler en boule, tournant le dos à la rue.

Nous sommes fermés
revenez nous voir un peu plus tard

, annonçait le petit écriteau sur la porte vitrée.

Elle ne voulait pas prendre le risque que d'autres entrent et rendent la conversation encore un peu plus difficile.

Dès les premiers mots de l'homme, sa gorge se noua et ses mains se mirent à trembler très légèrement. Elle délia ses doigts discrètement avant de croiser les bras sur sa poitrine pour se donner un peu d'aplomb. Bien sûr qu'elle allait passer un salle quart d'heure et c'était mérité. Elle n'eut pas le temps de délier sa langue que le père de famille courroucé continua de l'admonester . Elle accepta, toujours silencieuse, les reproches qui lui étaient faits jusqu'à ce pourquoi.

« Je... », elle ne savait par où commencer, consciente de lui devoir des explications. Le massacre du village de Ramsheh n'était pas un récit qui passait souvent ses lèvres. C'était même pour ainsi dire jamais. Mais elle lui devait bien de lui donner ce qu'il était venu chercher. Aussi s'efforçait-elle de le faire sans pour autant supporter l'idée de se replonger volontairement dans tout ça, « Ma famille est venue s'installer ici pour échapper à la guerre. Mon père, mon frère, ma soeur et moi. », elle ne fairait aucune mention de sa mère. Narghis ne parlait jamais de sa mère. Elle écoutait  @Dâriush Aslan quand il lui rendait hommage, concédait quelques mots à la seule oreille de  @Mira Aslan qui ne l'avait pas connue ou presque. « Il y a longtemps. », malgré toute la compassion qu'elle avait au fond de son coeur, elle n'y arrivait pas. Impossible de lui parler des explosions. De la poussière qui vous brûle les poumons. Du reste... « Je n'ai aucune excuse à mon comportement de l'autre soir. J'ai... perdu pied. Je... si je pouvais... c'est inexcusable. »

Elle se tenait là devant lui, en proie à une émotion plus vive qu'elle n'aurait voulu. Ses yeux noirs ourlés de velours s'étaient embués sous le poids du remords et des regrets. Ce n'était pas qu'elle n'avait rien à dire mais elle ne trouvait pas le moyen de forcer les mots.

Elle lui adressa un regard plein d'incompréhension. La main qu'il venait de poser sur son épaule n'avait rien de vengeresse. Au contraire, le visage de l'homme avait quitté le masque dur et froid de la colère et il lui semblait y lire, derrière les larmes qu'elle retenait, de la compassion. Pourquoi ?

Narghis Aslan n'avait pas d'enfant - au grand dam de son père - mais si elle en avait eu, elle n'aurait sans doute pas été prête à passer l'éponge si facilement. A ses yeux, rien ne pouvait excuser ce qu'elle avait fait à cette pauvre mère en la livrant au danger de la rue, ses deux petits sous le bras. Mais bien loin de déverser sur elle tempêtes et orages, voilà que le père de famille s'excusait. Mieux encore, il lui donnait un pardon qu'elle n'aurait jamais osé demander.

« C'est tout naturel, ce n'est pas à vous de présenter des excuses monsieur. », fit-elle d'une voix blanche, soucieuse de ne pas commettre d'impair. Pourtant elle ne put s'empêcher de demander, « Mais pourquoi... je veux dire... »

Elle ne trouvait pas les mots mais lui, si et il répondit à sa question avortée avec une transparence qui, là encore, la laissa incrédule. Elle acquiesça silencieusement, accusant cette révélation qui les rapprochait dans l'horreur. Trop pudique, ou peut-être trop meurtrie, elle n'osa pas le questionner d'avantage. A vrai dire, elle aurait détesté qu'on lui demande de parler de sa mère, de cette stupide guerre de moldus où l'on jouait à détruire et à piétiner le vivant sans la moindre once de considération, sans même se donner la peine de revenir juger de sa réussite. En y repensant, elle sentait sourdre en elle la colère habituelle alors, elle préféra chasser loin de ses pensées le souvenir de Ramsheh.

Un très long silence s'installa à nouveau entre eux avant qu'elle ne parvienne à sortir de sa réserve.

« C'est bien peu de choses mais ma porte vous sera toujours ouverte, si je peux vous être utile à quelque chose. »

Elle ne pouvait pas accepter ce pardon qu'elle ne méritait pas sans donner quelque chose en contre partie. Ouvrir sa porte cela sous entendait qu'elle ne lui prendrait jamais un sous quoi qu'il lui demande et qu'elle ferait toujours de son mieux pour lui apporter son aide si elle pouvait l'aider en quoi que ce soit. Beaucoup de choses dans une économie de mots plus pudique qu'autre chose.