Idiocracy (Angel)

« C’est une morsure de Chimère, c’est évident. Là, on voit la trace des crocs. C’est la queue de la chimère qui a frappé ! »

« N’importe quoi… C’est une morsure de Runespoor. Regarde la taille de l’impact ! »

Je soupirai. Les mains dans les poches, je regardais la pauvre victime qui nous étaient arrivés des urgences il y a quelques heures maintenant. Placé dans un état catatonique par mes soins, afin de sauver ses fonctions vitales, j’en avais profité pour tenter de former deux stagiaires sur ce patient. Blême, ce dernier avait les yeux fermés et transpirait. Au niveau de sa jambe, une plaie effectivement faites par une morsure de reptile était visible et suppurait. Mes yeux allaient et venaient entre les deux stagiaires qui exposaient ses arguments.

« Bien, quand on a un doute, on consulte un spécialiste. »

Les deux me regardèrent en hochant la tête. Visiblement, ils avaient hâte de savoir qui avait raison et qui avait tort. D’un coup de baguette, j’envoyais une note à Angel afin qu’il se ramène pour évaluer la situation. Il avait beau être Chef de Département, et ne plus trop exercer, il restait à mes yeux le meilleur spécialiste concernant les morsures de Créatures magiques.

« Ah ! Te voilà ! »

Je tapais dans mes mains, satisfait de le voir. Avec un léger sourire, je désignais le patient devant moi, ainsi que les deux stagiaires.

« 8h32, un homme d’une quarantaine d’année, vêtu comme un explorateur transplane en plein milieu de Ste Mangouste. Il s’évanouit à 8h45 et il est pris en charge à 8h47 par mes soins. 8H56, je décide de former deux stagiaires par un élan d’altruisme que je suis en train de regretter sur le diagnostic des blessures par créatures magiques. 9H02, Monsieur Glith ici présent affirme qu’il s’agit d’une morsure de Queue de Chimère. Monsieur MacGalac à ma gauche, lui affirme qu’il s’agit d’une morsure de Runespoor. 9H04, je soupire et je roule des yeux en demandant ton aide. Un, parce que je pense que les deux ont tort, deux, parce qu’ils sont stupides de se disputer alors qu’ils sont tous les deux dans l’erreur. Ce qui nous amène, à maintenant, soit 9h05. Le moment où tu donnes une leçon à deux stagiaires qui pensent que leur égo surdimensionnés peuvent sauver des vies ! »

Les mains toujours dans les poches, je regardais alternativement les deux élèves de Poudlard en stage. Avec une grimâce, je désignais le patient d’un signe de la tête.

« Alors, qui va sauver notre explorateur qui semble tout droit sorti d’un roman ? Deux stagiaires avec une tête aussi grosse qu’une pastèque enchantée du Pérou, ou Angel de Fonollosa, médicomage émérite dans les blessures par Créature Magique ? Le suspens est à son comble... »

En Angleterre, prendre la tête d’un département impliquait visiblement moins d’heure de pratique dans le service – une chose impossible au Chili, le manque de Médicomages se faisant cruellement ressentir. Et cela convient à Angel, lui permettant de rentrer plus tôt à la maison et de profiter de son temps avec son mari et ses enfants. Mais il compense en faisant quelques gardes aux urgences de temps en temps. Pas ce soir cependant, c’est la paperasse pour les divers financements dont ils ont besoin pour renouveler certains de leurs équipements qui l’a fait rester plus tard que d’ordinaire, et manquer l’heure du dîner. Il ne compte cependant pas y passer la nuit et s’apprête à attaquer la conclusion du dossier quand une note s’engouffre dans son bureau. De sa main ne tenant pas la plume, il l’intercepte et la tient là, entre deux doigts, le temps de terminer sa phrase. Elle est ensuite dépliée, et l’écriture désormais familière lui arrache un rictus de connivence. Ainsi qu’un rire. Thesus a l’air d’excellente humeur, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour quiconque se trouvant avec lui au moment où il a écrit ce parchemin. Laissant ses demandes pour plus tard, Angel quitte son bureau, pour se rendre aux urgences le plus rapidement possible. C’est après tout, la nature même de ce service que d’avoir la priorité.

Et en débarquant, il avise assez rapidement son collègue – et ami – ainsi que les deux jeunes hommes qui se tiennent à ses côtés, chacun le torse bombé, un calepin entre les mains. Certains jeunes ne manquent pas d’arrogance que malheureusement, leur talent ne justifie pas. Le Médicomage essaye de se souvenir de ses débuts. Il travaillait si dur que lui, au moins, avait une bonne raison d’être sûr de lui dans une clinique. « Thesus. Que me vaut le plaisir ? » Le résumé ne tarde pas, en détails tout bonnement inutiles et n’ayant que pour objet de remettre les deux alternants à leur place. Angel n’écoute qu’à moitié ; ses yeux ont trouvé le patient et il ne met pas trente secondes à poser le diagnostic. Fort heureusement, les jours de l’homme ne sont pas en danger et la leçon va pouvoir continuer. La tirade terminée, un des deux jeunes s’empresse de dire : « Dr de Fonollosa, c’est un honneur. J’ai assisté à votre conférence en avril dernier sur les reptiles… » « Monsieur MacGalac, et l’autre de hocher la tête d’un air ravi, si vous avez effectivement écouté cette masterclass, pouvez-vous me justifier votre diagnostic impliquant un Runespoor ? » Le regard d’Angel se porte vers Thesus. S’il n’est pas de la même trempe, à enfoncer aussi sciemment les étudiants, il croit en revanche que leur faire prendre conscience de leur propre bêtise est sans doute la meilleure façon de leur faire retenir quoi que ce soit. « C’est-à-dire que… » « Permettez. » La main se lève et Angel se glisse vers l’une des infirmières pour lui demander le traitement adapté. Il n’est nul besoin de faire souffrir le pauvre bougre plus que nécessaire. « Poursuivez. » « La blessure semble indiquer la présence de crochets, qui impliquent un reptile. » « Pourquoi le Runespoor ? » « Il semble qu’il revienne d’un safari. » « Semble ? Vous basez votre diagnostic sur une supposition ? » Angel l’observe d’un air sincèrement intéressé, alors que le jeune médecin semble se dégonfler. A l’autre, maintenant.

Je levais les mains dans un geste qui désignait le soulagement et la délivrance. Voilà ! On y était enfin. Des suppositions. Tout ne se basait que sur des suppositions ! Dans un geste théâtral bien sûr exagéré à souhait je roulais des yeux et je tapais dans mes mains.

« Voilà la marche entre un expert et un stagiaire. »

Les deux stagiaires devinrent blême. J’observais Angel regarder le patient avec un regard vif et expert, et examiner la plaie simplement avec le regard. Je savais qu’il avait déjà déterminé précisément la conséquence et le traitement. Après tout, même si je n’admettais pas souvent ce genre de chose… Il me surpassait sur cette spécialité.

« Allez déjeuner. Et vous me ferez trois rouleaux de parchemins sur vos hypothèses et les traitements qui y seront associés. Je veux ça pour demain. »

Je les congédiais sans qu’ils ne voient bien sûr le résultat du travail d’Angel. Même si c’était un cadeau, je ne voulais pas qu’ils aient immédiatement la réponse. Une fois les stagiaires partis, je mis les mains dans les poches de ma blouse et je jetais un œil assez critique sur le patient. Qui allait certainement s’en sortir. Avec un léger sourire en coin, je commençais à discuter de tout et de rien, comme j’aimais si bien le faire avec lui.

« Ils ne sont pas très brillant ces deux là. Mais ils sont tenaces, et c’est une bonne chose pour le métier. Désolé de t’avoir fait déranger, mais j’avais besoin de ton expertise. »

Et je ne voulais surtout pas l’admettre devant eux. Moi aussi, j’avais besoin de son avis. Car… je n’arrivais pas à déterminer quelle était la cause véritable de cette morsure. Je me penchais, j’observais, j’avais même respirer l’odeur car je savais qu’elle pouvait fournir de précieuses informations. J’avais établi plusieurs hypothèses mais… je n’arrivais à rien. Les morsures de reptiles m’avaient toujours rebuté.

« Comment va Aquiles ? »

Je me penchais sur la plaie. Je savais qu’il était marié à cette star de Quidditch. J’adorai le Quidditch, bien évidemment comme tous les sorciers de Sang Pur. Et malgré mon nom, emprunt de tradition et de vieille légende lié à ce dernier… J’étais le plus tolérant d’entre tous.

« Je n’arrive pas à déterminer l’origine de cette morsure... »

J’insistais. J’étais capable d’avoir plusieurs conversations à la fois. Je continuais cependant de tourner autour de la plaie. Passant ma baguette plusieurs fois dessus, elle n’arrivait pas à se refermer même avec un Vulnera Sanature. Dents serrés, je me contentais de me gratter la tête dans un mouvement complexe.

« Le venin n’est pas réellement toxique, car j’ai réussi à stabiliser le patient avec que les stagiaires n’arrivent. Mais… Il ne guérit pas. Je n’arrive pas à résorber les plaies, c’est comme si le venin m’en empêcher... »

J’avais extrait du venin que j’avais placé dans une espèce de fiole. Je la tendis à Angel avec précaution. Quoi ? J’avais demandé de résoudre un mystère à deux stagiaires alors que je n’étais pas en mesure de le résoudre moi même ? Hé. Je n’étais que Médicomage, Chef du Département de Recherche. Pas spécialiste.

Le numéro de Thesus manque de lui arracher un sourire. Il faut bien dire qu’Angel a le chic pour s’entourer d’hommes pourvu d’un sens du théâtral qu’il ne possède pas. Et il les admire et apprécie pour ça, entre autres choses. L’esprit brillant de son collègue en est une autre, dans son cas. La manière est discutable, mais le fond ne l’est pas. L’attitude des deux jeunes hommes est déplorable. Le fait qu’il les renvoie immédiatement est une surprise mais il n’en montre rien. Il se fera un plaisir de relire les parchemins lui aussi et de leur donner sa façon de penser. Peut-être que la leçon la plus importante du jour n’est pas pratique, mais d’ordre personnel. C’est ce qu’il semble. Ils lui lancent un regard, l’un avec quelque chose d’un peu implorant, l’autre incrédule. Il se contente d’un coup de menton pour leur indiquer d’obtempérer. Celui qui essaiera de le voir contredire son partenaire en public s’expose à une cruelle déception. Une fois qu’ils sont partis, le Médicomage peut revenir au patient. « Pas de souci, je suis là pour ça. Je réserve mon jugement pour demain, voir ce qu’ils vont bien pouvoir écrire. » Parce que s’ils bâclent les rouleaux, ils risquent d’avoir encore plus de problèmes, contredisant même Thesus qui vient pourtant de dire un mot élogieux sur eux.

Et Angel le laisse faire, sachant que ce qu’il a demandé est en chemin. Ce n’est pas souvent que son collègue sèche et il doit avouer que ça ne lui déplaît pas. Il ne pousse pas jusqu’à faire une plaisanterie, attend simplement qu’il lui offre ses conclusions. Ils ont tous leur spécialité, et les domaines que l’autre sorcier couvre sont beaucoup plus étendus que ce qu’il connaît, c’est une certitude. C’est donc une exception, de parvenir à le coller. Et celui-ci est un cas très particulier. Mais il semble prendre son temps et l’Espagnol suit son rythme, l’homme n’est plus en danger. « Il va bien, merci. Trop bien, si on en croit Allegria. » Leur fille ne fait que se plaindre, depuis qu’ils ont déménagé. « Mais rien ne lui convient en ce moment. Les enfants... Mais je ne t’apprends rien. Comment vont les choses, chez toi ? » Au moins, il est bien placé pour le comprendre. L’entrée en matière est terminée, et ils passent finalement au plat de résistance.

Il le laisse essayer, cela ne fera pas de mal au patient. Cela ne lui fera pas de bien non plus, cela dit. « Ne t’en veux pas, c’est un cas très spécifique et extrêmement rare. Ce sorcier n’a pas été mordu par une créature magique. » Il récupère la fiole avec précautions et tapote le verre avec sa baguette. Le liquide se trouble et il hoche la tête, confirmant ce qu’il pensait. Il la rend à Thesus. « Si tu peux l’étudier et y trouver un antidote, tu résoudrais un des plus grands mystères du règne animal. » On lui apporte finalement un plateau avec différentes potions et onguents. Un mouvement de la baguette commence à se faire hypnotique, alors qu’il s’approche de la plaie pour commencer à extraire doucement le venin, brisant le suspens : « Il a été mordu par un serpent du nom de Echis carinatus. Et son venin est une énigme pour nous autres sorciers comme pour les moldus. » L’entreprise dans laquelle il se lance en complexe, les gouttes se mêlant au sang, et n’ayant guère envie d’en enlever plus que nécessaire. « Selon le sujet, il peut provoquer des hémorragies, ou au contraire des caillots. C’est l’hémorragie, pour lui, empêchant la blessure de se refermer, même par magie. » Et c’est une tâche qui lui semble pouvoir intéresser son ami, sur laquelle il adorerait, d’ailleurs, collaborer avec lui.

Alors que j’observais le venin dans la fiole, j’écoutais attentivement le diagnostic d’Angel. Les sourcils froncés, je l’observais encore à la lumière. Il semblait pourtant classique. Le fait qu’il n’ait peut être rien de magique n’en faisait qu’accroitre mon intérêt. C’était d’une fascination… Extrême. Je vis alors que les constantes du patient s’affolèrent brièvement et avant que d’autres Médicomages réanimateurs n’arrivent il était déjà trop tard. Dans un soupire, je me détournais pour le spectacle qui allait suivre. Je n’aimais jamais perdre un patient.

« Très intéressant. » dis-je simplement.

Je rangeais le venin dans la poche intérieur. Enfin, le sang avec le venin, il fallait d’abord que je le purifie pour l’étudier. Et que je loue quelques ouvrages sorciers et moldus sur le sujet. Ils devaient être assez rare.

« Oh, laisse lui le temps de s’acclimater. Cela doit être difficile de changer de vie. Et les enfants sont parfois bien plus complexe qu’une maladie rare. »

Je mis les mains dans les poches de ma blouse, alors que j’entendais derrière moi le rythme de Ste Mangouste qui reprenait. La Mort était notre compagne ordinaire. Nous n’étions pas sans coeur, à Ste Mangouste. Seulement, elle était toujours présente ici et on s’y était habitué comme un spectre en rôdait autour de nous en permanence.

« Est-ce que tu penses que si je purifie le venin je pourrais en isoler assez pour éventuellement lui trouver des propriétés magiques ? Rien n’est un mystère. Cela n’existe pas. Il y a forcément une raison… Mais laquelle. »

J’avais ressorti le flacon avec une névrose brutale qui était devenu presque maladive. Tout le monde savait que j’étais comme ça. Malheureusement pour Angel, ça tombait sur lui. Je lui indiquais de me suivre dans mon laboratoire, le visage marqué par la réflexion.

« Si tu as deux minutes, on peut essayer tout de suite avec des examens simples et basiques pour commencer. Ton expertise me sera d’une grande aide. Bonjour Malicia. »

Malicia Grimm inclina légèrement la tête et rosie à ma vue comme d’habitude. Je ne comprenais toujours pas cette attitude étrange depuis quelques temps.

« Pouvez vous démarrer la centrifugeuse ? »

Je me retournais vers Angel avec un grand sourire.

« C’est un mécamage du Chemin de Traverse qui me l’a conçu. Elle fonctionne comme une centrifugeuse moldu qui permet de fragmentée des éléments et de les séparer dans un liquide. Sauf qu’il a rajouter quelques enchantements permettant d’agir avec les éléments magiques. »

Je lui désignais. C’était un appareil d’aspect vraiment complexe, que Malicia maîtrisait parfaitement. C’était une énorme machine avec des boutons étranges partout.

« Tu devrais mettre ça, ça fait beaucoup de bruit. »

Je lui tendais un casque anti-bruit assez gros.