Happy New Year * SIO*

« Ne t’inquiète pas, je sors avec Céleste », avait certifié Siobhán à son père pour le rassurer lorsque celui-ci lui avait demandé ce qu'elle avait prévu pour le nouvel an. Sans doute était-il préoccupé à l'idée que sa fille puisse être seule pour vivre ce moment si important socialement.

« Je ne peux pas, je suis avec mon père et Finn, ce soir », avait-elle ensuite rétorqué à Céleste lorsque cette dernière lui avait proposé d’aller à une fête avec elle, la veille du 1er janvier.

Bien entendu, aucune de ces affirmations n'était vraie.

Siobhán avait pourtant bien prévu de passer la soirée accompagnée. Seulement, elle avait fait le choix délibéré de ne pas s'entourer d'êtres humains.

La jeune Irlandaise s'était habillée le plus simplement du monde, sans artifices, aux couleurs de sa maison. Elle avait relevé ses cheveux roux en un chignon rapidement mais parfaitement exécuté, puis, elle avait chaussé ses bottines pour se rendre dans les enclos des créatures magiques de Poudlard. C'était auprès d'elles qu'elle se sentait le mieux comprise.

Alors qu'elle marchait pour se rendre à la lisière de la forêt interdite, un sourire sincère avait envahi son visage à l'idée de retrouver les hippogriffes qu'elle pourrait mignoter, les niffleurs qu'elle allait cajoler. Elle se stoppa net lorsqu'un défilé d'images du passé prit toute la place dans son esprit sans qu'elle ne puisse le contrôler. Puis, une lumière et une voix désappointée, en provenance de celui qui venait d'essayer de pénétrer dans sa tête. C'était un Pendragon qu'elle avait déjà croisé à Poudlard sans vraiment le regarder et qui venait troubler sa soirée qui s'annonçait pourtant parfaite, encore quelques minutes auparavant.

« Oui ce n'est que moi, et il n'était pas nécessaire que tu rentres dans ma tête pour le savoir. Entre gens civilisés, il suffit simplement de poser une question pour que quelqu'un s'annonce ! », se braqua-t-elle sans sommation.

À l'école primaire, un jeune sorcier qui ne contrôlait pas ses pouvoirs avait involontairement pénétré son esprit en la touchant, une fois. À l'époque, ses souvenirs étaient plus simples, plus joyeux. Siobhán n'avait aucune envie qu'un inconnu s'approprie aujourd'hui des morceaux plus tristes de sa vie. Probablement parce que ça la rendait vulnérable aux yeux des autres et qu'elle ne supportait pas cette idée. Encore moins s'il s'agissait d'un homme.

« J'avais promis à Mrs Jones que je viendrais m'occuper des hippogriffes ce soir, puisque tu veux tout visiblement tout savoir. Mais elle ne m'avait pas dit qu'on serait deux », siffla-t-elle en allant chercher le matériel nécessaire.

Signe qu'elle acceptait de l'aider, sans le lui dire pour autant.

La vert et argent avait prononcé là un énième mensonge lié à cette soirée du 31 décembre. Qu'allait-elle devoir inventer encore pour passer cette soirée aussi paisiblement qu'elle l'avait prévu en premier lieu ? Les prochaines minutes le diraient certainement... Même si la paisibilité ne semblait plus au programme de cette veillée, au vu des attaques que le Pendragon avait asséné à son égard. La Korrigan ne put retenir un rire narquois.

« C'est vrai, d'ailleurs, j'avais prévu de passer la soirée avec mes amis Mangemorts mais finalement ils ont préféré décliner. Quelques moldus à aller martyriser sans aucun doute. Parce que c'est le propre des Serpentards à tes yeux, n'est-ce pas ? De martyriser les gens. »

Dans son exaspération et sa surprise de croiser le Gryffondor dans ces espaces où elle avait l'habitude d'évoluer seule, Siobhán faisait des gestes insensés et multipliait les allers-retours, oubliant systématiquement une brosse ou un nettoie-bec. L'Irlandaise savait pourtant par cœur où était positionné chaque objet dans ces enclos. Aucun doute : Galahad jouait avec sa tête.

« Ça ne t'est jamais venu à l'idée que les Serpentards puissent ne pas être tous foncièrement mauvais, Galahad ? Ce n'est pas parce que des idiots de ma maison ont décidé d'aller refaire vos tapisseries que tous les Serpentards ont approuvé. Je n'étais même pas au courant avant d'entendre les rumeurs. »

En tenant ces propos, la voix de Siobhán s'était légèrement adoucie, sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte. Empathique par nature, la vélane pouvait facilement s'imaginer la déception du préfet des Gryffondor en voyant sa salle commune attaquée. Et regrettait sincèrement ces actions, même si elle n'y avait pas participé.

« Non pas que cela puisse changer quelque chose à tes yeux, mais je ne cautionne absolument pas ce qu'ils vous ont fait. Et je ne le comprends pas non plus, d'ailleurs », regretta-t-elle en le regardant du coin de l'oeil, faisait mine de poursuivre sa préparation.

Elle marqua une pause, puis lui demanda, avec une pointe d'exaspération dans la voix :

« Maintenant qu'on est là, tu veux qu'on s'occupe de ces hippogriffes, oui ou non ? »

Au cas-où certains se posaient la question, Siobhán n'avait aucunement l'intention de rentrer aussi rapidement à son dortoir.

D'un réflexe habile, Siobhán saisit au vol la brosse qui lui arrivait droit dessus et ne prit pas la peine de remercier celui qui l'avait ainsi lancée. Le Gryffondor restait silencieux, probablement piqué à vif par les remarques et clichés énoncés par son interlocutrice. Il fallait dire que la Korrigan se moquait un peu de sa prétendue vexation ; elle détestait qu'on parle ainsi de la maison dans laquelle elle avait été répartie. Loyale, comme à son habitude, envers ce qui lui était cher.

Puis, Galahad sembla retrouver l'usage de la parole, solidement accroché au même fil rouge. Il nourrissait une profonde haine et un dégoût certain pour tout ce qui arborait une couleur vert et argent. Qu'avait-il donc vécu par le passé pour les détester à ce point ?

« Non, je ne sais pas ce que tu veux dire, Galahad, éclaire-moi », insista-t-elle en se tournant vers lui, la tête penchée, les mains sur les hanches. « Enfin si, j'ai bien compris que tu détestais les Serpentard, par contre, je n'ai pas encore saisi pourquoi. J'espère que ce n'est pas seulement cette histoire de tapisserie qui te met dans cet état parce que si c'est ça, alors tu... »

La Serpentard se mordit la langue pour ne pas finir sa phrase, sachant que la suite serait blessante. Et même si Galahad semblait détester tout ce qu'elle était, elle n'avait pas prévu d'être la peste de la soirée.

« ... alors c'est dommage », termina-t-elle simplement en se rapprochant de l'hippogriffe.

Une vague de bien-être l'envahit à l'instant où elle posa ses mains douces sur la créature. Elle prit quelques instants pour la caresser en une succession de gestes tendres et sentit un sourire pointer à nouveau sur son visage. Elle n'écoutait même plus Galahad, qui acceptait gentiment qu'elle reste à ses côtés à condition qu'elle reste silencieuse. Jusqu'à ce que...

« MAIS ! »

L'hippogriffe dont ils s'occupaient s'agita brusquement, et, sans que Siobhán ne puisse réellement comprendre pourquoi ou comment cette scène avait pu se produire, le corps du Gryffondor se retrouva collé au sien, l'entrainant violemment à terre. La tête de la Serpentard heurta douloureusement le sol et lorsqu'elle rouvrit les yeux, le visage de Galahad touchait presque le sien. Ce qu'il s'empressa de corriger en se redressant et en s'éloignant de quelques mètres, limitant ainsi expressément tout potentiel contact entre eux. La rouquine, elle, mit un peu plus de temps à se redresser : d'abord, parce que ce soudain rapprochement et cette proximité involontaire l'avaient, elle aussi, perturbée. Ensuite, parce que l'arrière de son crâne la faisait souffrir, transformant sa tête entière en une sorte de caisse de résonance.

Elle resta assise, à même le sol, pendant quelques instants, sa main frottant frénétiquement  le haut de sa nuque.

« C'est rien », le rassura-t-elle avec une voix distante en s'appuyant sur ses paumes et ses jambes pour se relever.

Se mettre debout lui fit légèrement tourner la tête et elle dut s'appuyer contre l'enclos pour e pas perdre l'équilibre à son tour. Pour détourner l'attention, la vélane reprit la parole :

« Qu'est-ce que tu lui as fait pour qu'il s'agace comme ça ? Il est doux comme un boursouf, d'habitude... »

La douleur se faisait de plus en plus vive, mais elle décida de faire comme si de rien n'était, s'asseyant simplement sur un seau retourné qui trainait là.

« De quoi on parlait déjà ? Ah oui, c'est vrai, tu m'expliquais ton aversion profonde pour les gens de mon espèce...»

Bien sûr, Galahad ne se ferait pas avoir, mais peut-être que cela aurait le mérite de le dérider et de laisser l'occasion à la Korrigan de réfléchir à un sortilège pour soulager sa tête.

Comme tout bon Pendragon qui se respectait, Galahad n’hésita pas longtemps avant de venir jouer les preux chevaliers auprès de la Korrigan, et ce malgré son rejet assumé de tout ce qui avait trait à Serpentard.

Cela n’était pas franchement surprenant, si l'on s'intéressait de plus près à la blessée dont il prenait soin. Le parfum d’une vélane pouvait enivrer quiconque le respirait. Ses yeux pouvaient ensorceler au moindre coup d’œil, au moindre regard partagé. Son corps pouvait hypnotiser d’un simple mouvement. Un seul contact suffirait à rendre fou l'audacieux qui s'était risqué à se laisser toucher, si elle le voulait.

Siobhán, qui commençait tout juste à prendre conscience de l’étendue de ses pouvoirs enfouis, espérait au fond d’elle que les réactions de Galahad n’étaient pas soumises au magnétisme qu’elle avait peut-être créé involontairement lors de sa chute, quand leurs corps s'étaient rapprochés. Par instinct, alors que cette pensée prenait de plus en plus de place dans son esprit, son visage se referma instantanément lorsque Galahad passa sa main dans ses cheveux pour vérifier que sa chute n'avait pas été trop violente.

« Ça va, je n'ai rien », lâcha la jeune vélane en s'empressant de se redresser pour s'éloigner et gagner quelques centimètres de distance.

Elle se disait qu'en agissant ainsi, il reprendrait ses bonnes habitudes, lui donnant finalement raison à propos des Serpentard qu'il percevrait indéfiniment comme de viles créatures assoiffées de violence et aussi froides que les cachots du château. Mais au moins, cette attitude détestable la protégeait, elle.

Cette décision lui revint au visage à la seconde où elle la prit, durant ce même moment suspendu où Galahad croisa son regard, finalement décidé à se confier sur les racines de cette haine profonde qu'il nourrissait envers les vert et argent. Il s'ouvrait à l'instant même où elle se refermait, de peur de l’avoir manipulé sans le vouloir, de laisser exhaler de son corps des messages qu'elle ne souhaitait pas transmettre.

« Comment... Bien sûr que je ne dirai rien. Les Serpentard partagent  leur loyauté avec les Gryffondor, je te rappelle. Et je suis désolée qu'ils t'aient fait subir tout ça », lui avoua-t-elle en se relevant, d'une voix qu'elle voulait plus distante mais sincère en même temps. « Je suis désolée aussi parce que je n'aurais pas du te pousser à me raconter ça alors que tu n'en avais pas envie... »

Les regrets étaient réels, pensés. S'il lui avait dit tout ça, ce n'était certainement pas parce qu'un soupçon d'affection pour elle naissait en lui. Le Pendragon avait donné à une sombre inconnue des clefs pour le blesser, pour l'importuner, simplement parce qu'elle était incapable de contrôler le feu qui la maîtrisait. Elle n'arriverait probablement jamais à s'y habituer.

« Je te l'ai dit, c'est Mrs Jones qui m'a... »

Sa voix resta suspendue dans le vide alors qu'elle avait réalisé que la distance qui les séparait s'était amenuisée. Contrôler ce qu'elle était paraissait si compliqué aux côtés d'un sorcier qui ne lui inspirait rien de désagréable — voire, dont elle commençait à apprécier la compagnie, si celle-ci n'avait pas été bâtie sur une potentielle fausse bonne entente.

« Tu ne devrais pas t'approcher de moi », trancha-t-elle soudainement. « Il vaudrait mieux... que tu restes de ton côté. »

Ses réelles envies ne pouvaient pas prendre le pas sur sa raison.

« C'est plus sûr comme ça », ajouta-t-elle pour se convaincre elle-même.

En le protégeant lui de son emprise, elle se protégeait elle aussi. Tout le monde avait à y gagner. Sauf l'amitié.

Si ce brusque changement d'humeur n'était pas un choix du cœur, il avait au moins eu l'effet escompté sur le Gryffondor qui semblait avoir repris ses esprits. Une fois sa méfiance naturelle envers les Serpentard de retour, il s'était de nouveau éloigné de celle qui faisait partie de la maison détestée,à la fois physiquement et mentalement. Pas de doute, il était bel et bien de nouveau fidèle à lui-même.

L'hypogriffe, qui les accompagnait, lui, n'était pas de cet avis et essayait de réduire l'espace qui les séparait en rapprochant Galahad d'un coup de tête. Son attitude d'entremetteur fit sourire brièvement Siobhán. Elle fit aussitôt disparaitre cet appel à la douceur de son visage pour ne laisser aucune faille compromettre le comportement du Pendragon. Le Gryffondor était d'ailleurs en train de l'accuser de porter sur elle les effets d'un artéfact, s'imaginant que c'était la cause de ce soudain rapprochement entre les deux étudiants. Et, si cela ne suffisait pas, de la menacer avec son insigne de préfet.

« C'est bien ce que je pensais... », marmonna-t-elle, sentant la colère monter petit à petit en elle à l'idée de n'avoir pas su contrôler ce qu'elle était.

Désormais certaine d'avoir exercé sur lui une partie de son pouvoir, la vélane sentait la frustration l'envahir : à la fois, parce qu'elle était incapable de se maîtriser, et que cet aveu d'échec venait nuire à ses envies de perfection. Mais aussi parce qu'elle se rendait progressivement compte qu'elle n'avait pas le droit au laisser-aller en compagnie d'un homme, à part s'il était comme elle.

Tout avait été si simple avec @Saúl Ochoa, le soir du bal. Il était si doux de ne pas ressentir le besoin de se poser de questions. De ne pas s'interroger sans cesse sur ses réactions. De ne pas remettre en question chacun de ses mouvements, chacun de ses sourires en se demandant dans quelle mesure ils avaient pu entacher ses liens. Au lieu de ça, avec Galahad et plus globalement avec les autres, elle devait se restreindre, apposer derrière elle de solides barrières pour éviter tout embrasement irraisonné.

« Je ne porte pas de parfum, Galahad... », fulminait-elle, sans oser lever le regard vers lui, de peur que ses yeux soient semblables à ceux d'une harpie.

Du Yves-Saint-Gobelin, tout au plus, mais définitivement rien qui ne puisse malmener la raison de quiconque. Devait-elle lui avouer ce qu'elle était ? Allait-il la repousser, de peur d'être sans arrêt manipulé, lui qui était déjà parfaitement au fait de quoi les vert et argent étaient capables ? Siobhán garda le silence un moment, incapable de savoir quelle était la bonne route à emprunter, la juste décision à prendre, d'autant que fuir n'était pas dans ses habitudes. Elle reprit finalement la parole, incertaine quant à la justesse des mots qu'elle s'apprêtait à employer.

« Tu es un Pendragon et je suis une Korrigan », lâcha-t-elle dans un soupir. « Mais j'ai aussi du sang de Gavalagh. »

Il allait probablement lui réclamer la bouteille d'alcool qu'elle cachait pour tenir un discours aussi incohérent. Ces noms ne signifiaient rien pour lui, alors que pour elle, ils expliquaient tout. Elle n'arrivait pas à prononcer le mot en V, trop effrayée à l'idée d'être rejetée pour ce qu'elle était. D'habitude, les élèves de Poudlard savaient. Certains, même, l'évitaient. Elle n'avait donc jamais eu besoin de se justifier.

« Je ne t'ai pas envoûté, en tout cas pas volontairement. Je n'ai pas voulu ça, c'est juste plus fort que moi...»

Prononcer ces mots, ces maux, la faisaient souffrir car elle était contrainte d'admettre ce manque profond de maîtrise. Elle se demandait ce que Saúl lui aurait conseillé, dans cette situation.

Ne doute pas de toi.

Sa voix résonnait dans sa tête. Les yeux verts de l'Irlandaise entreprirent un aller simple vers ceux, plus sombres mais tendres, du Pendragon.

« Je suis une vélane et je pensais que tu le savais. En aucun cas je n'ai cherché à t'envoûter, ou à t'enlever ton consentement. C'est juste que je ne maîtrise pas... Je ne me maîtrise pas toujours, alors d'habitude, j'évite juste ce genre de situation. »

Sous-entendu, elle évitait toutes les personnes qu'elle était susceptible de séduire sans le vouloir. Elle marqua une pause. Deux pas en arrière.

« Et au vu de ta réaction, je crois que j'aurais mieux fait de m'en tenir à ça. Désolée de t'avoir importuné, Galahad. Et bonne année. »

Les feux d'artifice magiques retentissaient au loin dans le ciel sombre alors que la jeune femme tournait les talons, déçue mais soulagée. Une partie d'elle espérait qu'il la retiendrait, quand l'autre voulait simplement disparaître.

Mais les Pendragon étaient aussi connus pour leur fierté légendaire.