A Little peculiar [ft. Saúl]

Ima relu le dossier qu’il avait dans les mains une nouvelle fois avant de relever le visage en fronçant les sourcils. Cette affaire lui disait curieusement quelque chose. Le magistrat se leva brusquement en quittant son bureau, faisant à moitié sursauter son secrétaire qui commençait à s’assoupir, attablé dans son petit vestibule. Tout en marchant, Ima jetait de nouveaux coup d’œil au dossier en notant ça et là les noms des personnes impliquées, et notamment l’agent en charge de l’affaire: Saúl Ochoa.

Le Soninké descendit de nombreux étages jusqu’aux archives, où il entra après un bref échange avec la personne postée à l’accueil. Avançant d’un pas rapide dans les allées que formaient les immenses étagères où s'entassaient un nombre incalculable de boîtes en carton soigneusement étiquetées, le malien s’arrêta devant l’une des tables de travail disposée là à dessein. Agitant sa baguette pour faire venir à lui plusieurs dossiers bien spécifiques, il les feuilletait au fur et à mesure qu’ils arrivaient dans ses mains. Les coïncidences n’étaient pas frappantes, et pourtant, un nom revenait parfois. Pas de manière assez systématique pour attirer l’attention, mais assez régulièrement cependant pour alerter le Président du Magenmagot.

Il fit quelques copies temporaires des fichiers qui l’intéressaient avant de ranger soigneusement les dossiers dans leurs emplacements. Les parchemins se glissèrent d’eux même dans un fichier cartonné qu’il plaça sous son bras avant de reprendre l’ascenseur. Il était déjà un peu tard, mais l’agent serait peut-être toujours dans les locaux… Ima préférait ne pas remettre ses soupçons à plus tard, même si tout ceci n’était sans doute que le fruit de son cerveau un peu trop surmené.

L’ascenseur s’arrêta à l’étage du bureau des Aurors, qui lui semblait bien vide sans @Gabriel Standford à sa tête. Le Soninké s’avança de manière bien plus mesurée, saluant quelques têtes qu’il croisait, avant de trouver le nom qui l’intéressait sur une petite plaque posée sur la porte.

- Agent Ochoa, demanda-t-il en frappant au carreau de la porte avant de l’entrouvrir.

L’agent, qu’il avait déjà croisé plusieurs fois sans avoir jamais eu l’occasion de d’échanger réellement avec lui était bien là, et Ima entra en s’avançant pour lui serrer la main avec un sourire poli.

- Bonsoir, je suis Ima Soninké, président du Mangenmagot. Est-ce que vous auriez quelques minutes à m’accorder ? J’aurais besoin de votre aide sur une affaire bien particulière…

L’agent l’invita à entrer, dévoilant ainsi l’intimité de son bureau. Ima n’aimait jamais rien tant que de découvrir l’organisation de travail de ses collègues. La disposition des objets trainant sur un meuble, des choix de documents affichés au mur, les détails de quelques babioles personnelles parmi le matériel professionnel... Le Président pouvait analyser l'éthique, la rigueur, les valeurs d'un agent d'un seul coup d'oeil.  Si le fouillis du collègue d’Ochoa, qui eut le bon ton de quitter la pièce à leur entrée, dévoilait de nombreuses informations sur lui-même; le bureau de l’agent que le magistrat était venu voir était pour sa part d’une propreté clinique.

Mais même une non-information était une donnée intéressante à creuser. Ima passa rapidement le regard sur l’Auror à la tenue impeccable. Ochoa était-il maniaque, ou avait-il appris de la manière forte à ne donner aucun indice à de potentiels ennemis qui pourraient s'en servir contre lui ? Après tout, le Soninké n’avait pas sous les yeux n’importe quel agent. Un demi-vélane dans un bureau d’Auror était aussi surprenant qu’un anglo-malien à la tête du Magenmagot.

Malgré leurs apparents atouts dans la vie, l’insertion professionnelle des vélanes et leur descendance était bien moindre en comparaison de celle du restant de la population magique. En effet, les représentations sur cette minorité magique étaient extrêmement négatives, et souvent basées sur idées fausses rarement déconstruites. Les gens n’appréciaient pas cette perte de contrôle que les vélanes pouvaient produire, et sans doute qu’une pointe de jalousie complétait ce dégout instinctif qui s’emparait souvent d’eux.

Ima s’était depuis longtemps investi dans des politiques de discriminations positives pour faciliter l'intégration des vélanes dans le monde du travail, et avait même personnellement éteint la colère de certains collègues mécontents de travailler de concert avec l’agent Ochoa, sans que ce dernier n’en ait été informé. Mais l’heure n’était plus à la défense, aussi Ima entreprit de sortir les quelques portraits qu’il avait conservé dans son porte-document qui flottèrent en l’air comme s’il les avait punaisés sur un mur invisible.

- King Graham, Waylon Duke, Raul Cain, John Wilkins, Collin Kane… Est-ce que ces noms vous disent quelque chose ?

Trois d’entre eux au moins devaient lui être connus car l'Auror avait été impliqué dans leur arrestation ou leur interrogatoire.

- Ces cinq hommes ont tous été inculpés pour violence aggravée sur femmes et enfants au sein de la famille. Et ils ont tous connus un sort plus ou moins similaires et que personne n’envierait…

Trois d’entre avaient été lourdement blessés dans de terribles accidents dont ils étaient apparemment sortis amnésiques, tandis qu’un quatrième était encore dans le coma. En agitant sa baguette, Ima avança le portrait du dernier sorcier.

- Il se trouve que Collin Kane est porté disparu. Vous êtes le dernier agent à l’avoir interrogé, il y a quelques semaines de cela. Est-ce que vous vous souvenez d’un détail particulier qui vous aurait marqué et qui pourrait nous donner une piste ?

Le visage de l’agent en face de lui était bien trop lisse pour être innocent. Ima l’avait rapidement compris. Cependant, il ignorait le degré de culpabilité d’Ochoa et à quel point il avait été ou non impliqué dans ces disparitions et accidents. Le malien observait ses pupilles sombres dont le feu brulant était savamment contrôlé, et il ne pouvait s’empêcher d’avoir un certain respect pour la manière dont Saúl gardait une maîtrise totale du moindre de ses traits.

Ima avait cependant une si grande habitude à se retrouver en compagnie de sorciers qui se savaient coupables et tentaient de conserver un masque irréprochable sur eux qu’il n’était pas dupe. La perte de toute marque d’émotion était parfois aussi incriminante qu’un aveu de culpabilité. Pour autant, rien ne prouvait la responsabilité effective de l’agent dans cette affaire. Les Aurors côtoyaient souvent la violence, et apprenaient au fil du temps à s’en détacher. Leurs attitudes s‘en retrouvaient souvent biaisées alors qu’ils apparaissaient en décalage par rapport aux réactions attendues devant certains faits.

Saúl semblait ne se souvenir de rien, et se permit même de poser une question si ingénue qu’elle ne put que faire sourire Ima.

- On ne m’a pas refusé l’accès au dossier, lui répondit-il pourtant avec tout le sérieux qui le caractérisait, alors que le portrait retrouvait sa place aux côtés des cinq autres. Il existe en toute honnêteté bien peu de dossiers auxquels je n’ai pas accès…

La menace était à peine voilée, et il éplucherait celui de l’agent avec un nouvel intérêt. En attendant, le malien garderait pour lui ses soupçons et ferait ce qu’il faudrait pour avoir Ochoa à l’œil.

- Avec le départ du chef Standford et en attendant la nomination de sa remplaçante, je souhaiterais outrepasser légèrement mes fonctions en vous proposant de nous associer temporairement vous et moi sur la recherche de notre concitoyen disparu. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient et si vous n’avez aucun dossier urgent qui serait prioritaire évidemment. J’espère que nous pourrons retrouver rapidement M. Kane, et si possible plus vif que mort.

De sa malette, il ressorti le dossier complet de Collin Kane alors que son portrait retrouvait sa place naturelle dans le dernier. Les quatre autres portraits furent déposés en une pile parfaite sur le bureau de l’agent.

- J’ai le sentiment que ces affaires sont intimement liées. Peut-être pourrions-nous dénicher de nouveaux indices en les relisant sous cette nouvelle lumière. Ce que je vais m’attacher à faire de mon côté.

Placer l’agent Ochoa sur cette affaire lui semblait tout autant risqué qu’intéressant. Ses prochains faits et gestes seraient passés au crible par le magistrat qui n’attendait rien de moins qu’un faux pas de sa part pour le prendre sur le fait, comme retourner sur le lieu du crime afin d’effacer de potentiels indices. Et si Ima se trompait, ce qu’il espérait au plus haut point, l’irréprochable conduite de Saúl effacerait sa présomption de culpabilité et sa redoutable efficacité serait plus que bienvenue.

- La disparition de Collin Kane est également inquiétante pour son ex-compagne qu’il a l’interdiction formelle d’approcher. Peut-être pourrions-nous commencer par aller la voir, qu’en pensez-vous ?

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