Toxicity behind Love

Elle avait trouvé que cette invitation à le rejoindre était beaucoup trop mystérieuse pour être honnête. Intérieurement, Asel bouillonnait d'excitation car, finalement, elle ne voyait pas bien pour quelle raison il avait été si formel et, à un moment où un autre, dans sa tête de piaf, l'idée qu'il puisse peut-être la demander en mariage avait germé. Dans un endroit rempli de fleurs, ça n'était pas déconnant. Tempérant de son mieux ses ardeurs, elle avait même fait un petit effort de présentation malgré l'absence de Charlotte puis s'était rendue aux serres un peu à l'avance comme convenu, le coeur et le pas légers.

Il ne lui avait pas fallu dix secondes pour attraper la silhouette élancée d'Adil au lieu du rendez-vous. Les yeux d'Asel pétillaient quand elle posa ses lèvres sur les siennes, profitant qu'ils étaient seuls pour se permettre un petit écart à leur règle.

Elle ne s'était jamais sentie aussi proche de lui. La naissance de son petit frère avait été un moment exceptionnellement fort. Un instant privilégié dans la vie des Mesli auquel elle avait eu la chance de pouvoir prendre part au-delà de toute espérance. Ça n'était pas le premier bébé qu'elle accouchait - à croire que les prédictions du Dr Oslek valaient peut-être quelque chose finalement - mais c'était le premier qu'elle accueillait avec autant d'amour. Ça n'était bien sûr pas son petit frère à elle, mais ce qui était sûr, c'est que le lien qui la liait à cet enfant était déjà très fort.

« Tu voulais me voir ? », demanda la jeune femme d'une voix presque chantante.

Il n'y avait aucun doute, aujourd'hui Asel était sur son petit nuage et rien ne pourrait l'en faire descendre.

Elle adorait cette façon qu'il avait de rougir quand ils s'embrassaient. C'était comme un cadeau, une promesse. Quelque chose de puissant. De la pudeur tout simplement mais pas que. Ses yeux mordorés ne le quittaient plus quand il démontrait malgré lui à quel point il était sensible à la moindre petite marque d'affection. C'était ce garçon là qu'elle avait mis tant de temps à avoir, derrière les multiples aller retour à l'infirmerie. Celui-là qu'elle aimait jusqu'à la dernière étincelle de son âme de feu follet.

Elle fit tous les efforts du monde pour n'avoir aucune réaction en le voyant glisser la main dans sa poche, l'excitation étant à son comble. Elle ne voulait pas avoir l'air d'une de ces filles. Celles qui ne vivent que de rêves de robes blanches et de fleurs. Pourtant à l'instant, elle devait bien admettre qu'elle était en plein de dedans à ceci prêt qu'elle se fichait de la robe, des fleurs et de tout le saint-frusquin. Tout ce qui l'intéressait, c'était cette promesse qu'ils seraient toujours là pour s'éclairer l'un l'autre et se tenir la main. Elle savait bien que dans leur jeu amoureux, la balance pouvait se déséquilibrer à tout moment. Qu'elle n'était pas à l'abri d'être condamnée à aimer pour toujours un Adil qui se serait désintéressé d'elle. Cette conversation, elle l'avait eue à maintes reprises avec sa mère. Sa mère qui l'aimait de tout son coeur et qui, bien malgré elle, ne pouvait pas s'empêcher de projeter ses propres angoisses et son vécu dans ce bonheur sans tâches qu'ils avaient déjà entre les mains.

Elle savait tout cela. Mais elle était trop entière et intense pour pouvoir prêter l'oreille à la petite zone d'ombre au centre de sa feuille blanche. Elle avait déjà du mal à ne pas se jeter dans ses bras avec un oui solaire qui aurait répondu à toutes les questions qu'il ne lui avait pas encore posées. Et lui ne faisait rien pour infléchir cette idée qu'il allait lui demander sa main... enfin...

Qu'est-ce qu'Apolline venait faire là-dedans ?

Asel fronça les sourcils, son enthousiasme douchée par la mention de son amie, qui évinçait toute probabilité de demande en mariage. Ou alors elle n'avait rien compris. C'était peut-être ça.

Il lui tendit un pendentif.

Elle n'était certes pas une spécialiste des demandes en mariage mais ça ne ressemblait plus du tout à ça. Encore qu'elle lui aurait dit oui même avec un pendentif mais celui-ci était assez glauque, il fallait se le dire. Intérieurement, c'est un soupir à fendre l'âme qui accueillit le petit objet, soupir qu'elle parvint à garder en dedans pour ne pas amener sur la table un sujet qu'Adil n'était pas prêt à effleurer semblait-il.

Et puis il eut cette petite phrase. Presque anodine finalement.

Les yeux mordorés de l'écossaise, effarés, quittèrent le bijou pour accuser celui à qui elle aurait tout donné. Son joli teint doré perdit pratiquement toute chaleur. Asel était livide mais son regard était était noir comme une nuit sans lune. Il semblait jeter des pourquoi ? comme on planterait un poignard dans le coeur d'un traître. Et sa bouche, réduite à une fine ligne rageuse, se refusait à délivrer le moindre mot. Ils auraient été assassins, à n'en pas douter.

Elle reposa son regard sur le petit objet qui enlaçait le poignet d'Adil, possessif, et dans son coeur, elle sentit sourdre une haine sans nom.

Elle ne disait toujours rien. Si son regard ne s'était pas posé sur le visage d'Adil à un moment donné, nul doute qu'elle l'aurait planté là pour ne plus jamais lui adresser la parole. Qu'il aille se faire foutre. Mais cet expression de terreur sur le visage du kabyle la retint de n'en rien faire. Elle ne pouvait pas passer à côté de cela, alors elle continua de l'écouter, sans mot dire.

La confession qui vint ensuite, acheva de porter la conversation au-delà du seuil pitoyable de sa jalousie.

« Vous avez assisté au meurtre de Mia Callaghan ? »

La reformulation portée par une voix blanche, mue par l'inquiétude, n'avait rien d'anodine. Elle sous entendait autant de questions auxquelles il n'avait pas répondu, laissant de côté l'odieuse trahison pour l'instant.

« Et vous ? »

Elle ne pouvait s'empêcher de repenser aux événements auxquels elle-même avait été mêlée quelques temps avant l'attaque des Clearwater. Nul doute qu'à voir la tête d'Adil, il ne s'était pas juste rien passé ce soir-là dans la forêt interdite...

Elle l'observait dans les moindres détails, écoutant la confession difficile qu'il essayait de lui faire avec toute l'attention du monde. Sa main saisit la sienne pour contenir le tremblement avec douceur. La fine poussière dorée s'éleva timidement comme toujours, la rappelant à l'essentiel. Qu'importait la rage qu'elle avait au fond du cœur, cette incapacité à gérer ne serait-ce que l'idée qu'il puisse être lié à vie à quelqu'un et que ça n'était pas elle... elle ne pouvait pas faire autrement que de s'assurer qu'il allait bien, quand bien même cette histoire arrivait sans doute trop tard.

« Tu n'avais aucune raison de m'en parler avant et puis, c'était un peu le deal... », elle se retrouva à ce moment même incapable de prononcer le nom d'Apolline, elle qui était pour Asel une figure de sœur plus qu'une simple amie, « ... ne pas en parler. », conclut l'écossaise.

Il ôta de sa vue le bijou de la discorde puis, comme Adil lui demandait si ça allait, elle retira ses mains des siennes pour l'entourer de ses bras, le front posé contre son épaule. Elle lui répondit avec un petit hum hum qui voulait surtout faire bonne impression.

« C'est à toi que je devrais demander ça... », renvoya-t-elle sans cesser de le serrer dans ses bras.

S'il y avait une chose dont Asel ne voulait pas, c'était laisser sa jalousie maladive s’immiscer dans cette conversation. Elle l'aurait volontiers déchaînée s'il n'avait pas été question des atrocités dont Adil lui avait fait la description, quoique vague. Elle ne pouvait pas laisser tout ça la déborder, tout simplement parce qu'il n'avait pas besoin de ça après lui avoir avoué un truc pareil. Alors elle choisit de s'effacer spontanément, serrant le jeune homme dans ses bras avec tendresse comme c'était tout ce qu'elle pouvait faire maintenant que le mal était fait.

Elle ne fit pas illusion.

Il rompit l'étreinte cherchant un regard qu'elle ne voulait pas lui rendre. Asel ne savait pas mentir. Ses grands yeux mordorés allaient la trahir à la seconde où il s'y poserait. Et elle n'y pouvait rien. Elle avait beau s'efforcer de faire au mieux pour avoir l'air de rien, l'idée qu'il puisse être engagé à vie auprès d'une autre - quand bien même il n'était pas question d'un engagement romantique - la prenait aux tripes comme un démon rageur.

Qu'aurait-il bien pu se passer s'il avait cherché à taire les raisons de son pacte avec @Apolline Dunn ? L'écossaise n'avait que peu de doutes là-dessus...

Elle acquiesça fébrilement. C'était presque comme si elle le suppliait de ne pas la retenir. De ne pas la forcer à lui rendre ce regard qu'il cherchait désespérément et qu'elle ne voulait pas qu'il voit. Elle inspira pour se donner le courage de répondre quelque chose.

« Plus tard tu veux ? »

Cette fois, Asel baissa la tête, se dérobant pour de bon avant d'entrelacer ses doigts aux siens. Encore une fois, cette fine poussière dorée se souleva de cette caresse mais cela ne suffit pas à accrocher un sourire à ses lèvres.

Quelque chose dans ces mots qu'elle ne comprenait pas la fit sourire malgré tout. Asel ferma les yeux, blottit dans la chaleur de cet amour qu'elle avait pour Adil et cela suffit. Il posa un baiser dans ses cheveux, lui faisant cette promesse qu'elle n'avait pas osé lui arracher. Au fond de son coeur, il devait bien savoir lui aussi que ce genre de sortilège ne pouvait être défait mais elle ne lui en tint pas rigueur préférant plutôt prendre cela comme une réitération de son engagement plutôt que comme des mots en l'air.

« Je t'aime Adil. Quoique tu fasses, je t'aimerai toujours. Je sais que tu ne peux pas comprendre ce que ça veut dire vraiment, mais ça ne fais rien :sache-le quand même. »

Si elle le lui disait ça n'était pas vraiment pour le consoler de quoi que ce soit. Un jour il faudrait qu'ils aient cette conversation sur la jalousie, l'engagement, l'attachement, la naïveté et tout le reste et ce jour-là, il faudrait qu'elle lui fasse comprendre ce que ça veut dire vraiment que d'aimer quand on n'est pas tout à fait de ce monde.

Enfin, elle plongea son regard dans le sien, touchée par le voile humide qu'elle y trouva. Elle leva la main pour lui caresser le visage tandis que lui adopter un sourire et une proposition de faire l'autruche ensemble qui lui parut des plus agréable. Asel acquiesça. Elle avait déjà l'estomac dans les talons.