Down by the water (Siobhán)

Il n'y avait plus de place pour l'animosité ni pour l'hostilité. Avec Saúl d'abord, puis avec Edel, elle réalisait désormais combien elle se plaisait à s'adonner à ces frasques incertaines, à ces jeux de regards. Elle prenait un plaisir fourbe à toucher, à sentir, à contempler, et elle sentait malgré elle l'incendie grandir en elle. Son cerveau s'évertuait à tout arrêter pour limiter les dégâts. Mais pourquoi tout interrompre s'il y avait au fond d'elle une envie profonde de se laisser dévaster ? Elle sentait son corps frissonner alors qu'elle sentait le désir monter. Cette façon dont son corps réagissait lui était étrangement familière.

Pourquoi fallait-il qu'Edel soit si insupportablement séduisant ?

« Qui, alors ? », le questionna-t-elle sans prendre la peine de desserrer ses dents.

Elle laissa sa main descendre plus bas, s'arrêtant sur le torse du Serpentard, décidée à obtenir des réponses avant de se laisser succomber. S'il y avait bien une idée qui lui était insupportable, c'était de ne pas savoir à qui elle avait réellement à faire. Ne pas comprendre ce que l'autre ressentait, ne pas savoir qui il était. Ne pas saisir ce qu'il cachait. Elle refusait toujours de s'ouvrir à ceux qui s'obstinaient trop à lui fermer les portes ; les dés en étaient forcément pipés.

« Tu en sais déjà beaucoup trop sur moi et ça ne me plait pas », fut-elle forcée d'admettre, tout à coup très sérieuse.

Si, jusqu'à ce jour, Siobhán n'avait pas porté quelconque intérêt à Edel, elle semblait avoir fermé les yeux sur ses défauts qui ne la gênaient, finalement, plus tant que ça - en tout cas ce soir-là. La main libre de la vélane se dirigea alors avec délicatesse vers le visage de l'homme qui lui faisait face pour en apprécier toute la douceur. Son regard dans le sien se fit plus pénétrant. Plus intense encore.

« Un prêté pour un rendu », chuchota-t-elle avec un sourire pendu à ses lèvres. « Il faut parfois savoir donner pour espérer recevoir, Edel. Je te pose une question et tu me réponds la vérité. Chiche ? »

Ainsi donc Edel était curieux. Était-elle étonnée de l'apprendre ? Non. Siobhán l'était tout autant que lui, en temps normal déjà dans une recherche constante de satiété, mais ce soir tout particulièrement. Curieuse de savoir jusqu'où elle pouvait aller. Curieuse de savoir ce qui avait bien pu pousser Edel, ce soir-là, à l'empêcher de rejoindre sa chambre. Avait-il planifié la suite des évènements ou bien s'était-il, lui aussi, laissé porté par l'élan de leur corps qui s'attiraient comme des aimants ?

La faiblesse humaine est d'avoir
Des curiosités d'apprendre
Ce qu'on ne voudrait pas savoir

« Moi aussi je suis curieuse. De savoir ce qui se cache derrière ces airs prétentieux que tu te donnes. Derrière cette confiance en toi que tu dégages », confessa-t-elle en descendant la main qui caressait sa joue dans son cou.

Les yeux du Serpentard avaient entamé une longue série d'allers-retours entre les lèvres de la vélane et ses pupilles. Et comme Siobhán se laissait aller, elle-aussi, à ce jeux dangereux de regards... C'était le signe que cette discussion devenait trop bien trop longue. Mais cela n'enlevait rien à son importance. L'Irlandaise se forçait à rester concentrée, même lorsqu'il exerça une pression pour rapprocher encore leurs corps qui se frôlaient. Même lorsqu'il prit la peine d'embrasser sa joue dans un geste d'exquise suavité. Malgré toute la violence de sa déflagration interne à cet instant, elle avait compris.

« C'est Saúl qui t'a demandé de garder un œil sur moi ?  »

À nouveau un regard sérieux, franc. Elle voyait mal son propre père, même particulièrement protecteur, demander ce service à un Serpentard. Encore moins à Edel qui ne devait certainement pas figurer sur la toplist de ses élèves favoris. Siobhán n'en avait pas la confirmation, mais il était évident que le pacte qu'elle et @Saúl Ochoa avaient conclu ensemble, le soir du bal, tenait toujours. Cette idée renforça son sourire. Si elle avait du mal à faire entendre sa voix à son père, il y avait au moins une personne sur cette terre qui l'avait comprise et entendue, même si une partie d'elle s'imaginait qu'elle n'avait besoin de personne pour la protéger.

Siobhán n'avait pas oublié leur échange et se rappelait des derniers mots qu'il avait glissés avant de s'en aller.

« Alors reste là. Mais oublie cette histoire de famille pour le moment. »

L'une de ses mains toujours au niveau de son torse, elle remonta l'autre au niveau de sa joue pour poser ses lèvres sur les siennes dans une étreinte qui libéra tous ses charmes. Sans prendre la peine de se contenir. Pour quelques instants de plaisir.

L'esprit facétieux d'Edel aurait pu le pousser à s'éloigner de Siobhán à l'instant où elle avait posé ses lèvres sur les siennes, par pure fierté d'avoir vu tomber sa proie dans ses filets. Il n'en fit rien. Au lieu de ça, il l'avait habilement guidée jusqu'au mur le plus près, comme une manière de montrer qu'il la tenait encore et qu'il n'était pas prêt de la lâcher. Comme depuis le début de la soirée.

La Korrigan se demanda tout à coup ce qu'elle faisait là, si elle véritablement était autre chose qu'un pantin en perte de contrôle entre ses mains. Il avait pourtant été très clair : c'était sa curiosité qu'il cherchait à assouvir. La vélane ne devait surtout pas l'oublier, alors qu'Edel avait noué ses doigts aux siens, tentant de l'emmener plus loin encore. Elle entra dans son jeu en faisant quelques pas vers lui. Elle faisait ce qu'il fallait pour lui donner l'impression qu'elle allait le suivre, avant de s'arrêter net, le regard taquin. Siobhán attira le Serpentard vers elle en tirant sur sa main sans le brusquer, puis le guida insidieusement, à son tour, contre le mur. Excepté que cette fois, c'était elle qui le tenait.

« Quand est-ce que vous comprendrez que je n'ai besoin de personne pour veiller sur moi ? », avait-elle chuchoté dans son oreille, la poitrine collée contre son torse, ses mains dans les siennes.

Elle pensait à son frère, à son père. Aux deux hommes de sa vie qui avaient toujours cherché à la garder sous leur aile protectrice, alors qu'elle avait su décrypter, seule, les secrets de famille qui l'empêchaient d'avancer. Alors qu'elle avait toujours pris soin d'elle-même quand il le fallait, alors qu'elle avait toujours su déterminer la part de bonté en elle au point d’étouffer toutes ses envies de manipulation, y compris quand il aurait été plus simple de faire semblant.

« Te faire ressentir plus que ça ? Te faire oublier tout le reste ? Fais attention Edel, on pourrait presque penser que tu as un cœur et qu'il a besoin d'être purgé... »

Siobhán lâcha la main gauche d'Edel et posa sa paume à nouveau droit sur son cœur battant.

« Dommage que je ne sois pas un jouet », poursuivit-elle en redirigeant son regard, tiraillé, vers le sien.

Toujours cette même peur d'être utilisée qui la retenait et l'avait éternellement empêchée de s'approcher des hommes. Même si elle savait bien, cette fois-ci, que son pouvoir était inefficace sur le Serpentard.

Siobhán avait pourtant tout à gagner à se laisser couler dans cette légèreté, que probablement seul Edel pouvait lui apporter.

Aussi difficile était-il de l'accepter.

La lueur de malice qui faisait briller les yeux d'Edel avait perdu en intensité, au profit d'un autre éclat. Son regard avait alors suffit à donner aux mots qu'il avait prononcés un tout autre sens, beaucoup plus sérieux qu'il n'avait jamais été jusqu'ici.

« Bonne réponse... », avait-elle chuchoté de la voix la plus basse qu'elle pouvait, avec un sourire en coin.

La vélane n'était pas friande des promesses, toujours apeurée à l'idée qu'elles ne soient pas tenues. Mais elle refusait expressément d'être prise pour une idiote, elle qui vouait, paradoxalement, une haine toute particulière aux faux-semblants. Si elle avait bien conscience que ses actions passées et à venir auprès du Serpentard ne l'engageaient en rien, Siobhán avait toujours ce besoin criant de s'assurer de la sincérité des gens avant de les laisser entrer dans sa vie. Et Edel avait bel et bien fait un pas dedans, ce soir-là, tout aussi espiègle qu'il en avait l'habitude.

Elle n'avait aucun moyen de savoir si elle faisait réellement le bon choix, ni s'il était judicieux de lui faire confiance. Mais après tout, ces derniers temps, elle prenait plaisir à se laisser aller aux nouvelles rencontres, positives ou négatives.

Elle se devait d'accorder à Edel le bénéfice du doute.

Le baiser d'une extrême douceur qu'il avait déposé sur ses lèvres l'avait encouragée en ce sens alors que celui qui était venu caresser le dos sa main l'avait pleinement décidée à ouvrir les portes un peu plus grand, droit vers sa confiance. Tant pis si elle se trompait.

Au pire, la mascarade ne durerait qu'une seule soirée.

Au mieux... Elle ne s'était même pas risquée à y penser, naturellement tournée vers le pire à venir pour éviter toute déception.

Alors qu'Edel montait les marches vers sa chambre et que sa décision était prise, Siobhán prit un instant pour s'assurer que la salle commune était bien vide, derrière elle.

Puis suivit discrètement le vert-et-argent avant de disparaître, à son tour, dans la pénombre des escaliers.