Hopeless Opus — ft. Maeve Cynfeirdd

Si Siobhán se refusait à aimer plus que de mesure, c'est tout simplement parce qu'elle craignait que la vie ne reprenne ce qu'elle avait un jour accepté de donner. Comme elle l'avait fait avec sa mère, vingt-et-une années plus tôt, en saisissant son dernier souffle quand ses jumeaux se voyaient offrir leurs premiers cris.

La peur d'aimer allait de pair avec la peur de perdre. C'était logique. Presque mathématique.

Alors, toute sa vie, Siobhán avait appris à se méfier des autres et de leurs sentiments. Son cœur l'avait guidée sur des sentiers de solitude dans lesquels elle s'était lancée sans même le questionner. Maeve avait remarquablement réussi à lui montrer toute sa richesse intérieure, en lui apprenant à s'aimer elle-même avant d'aimer les autres. Et, en grandissant, sa nièce avait même fini par apprendre à trouver le bonheur en elle avant d'aller le chercher ailleurs. C'était de loin l'une des plus belles leçons de vie qu'elle avait pu lui inculquer, même si la vert-et-argent l'avait sûrement prise un peu trop au pied de la lettre.

Car depuis, elle contrôlait si soigneusement l'entrée à son cœur qu'il devenait difficile d'y accéder. Et pour cause : il y avait déjà beaucoup de monde qui dansait à l'intérieur. Finn. Son père. Maeve. Blo. Céleste. Tous auraient pu se perdre dans cet espace si vaste qui leur était réservé. Mais toutes ces personnes qu'elle aimait étaient aussi des personnes qu'elle pouvait un jour perdre. Et il était difficile ne serait-ce que d'en imaginer l'éventualité quand, aujourd'hui, leurs bonheurs étaient, justement, devenus indispensables à sa propre vie.

Alors, lorsque Maeve déclarait qu'il n'y avait aucun souci à se faire à son sujet, il était difficile pour Siobhán de ne pas ressentir tout l'inverse, surtout après avoir vu ce qu'elle avait vu dans ce tiroir de son bureau. Comment aurait-il pu en être autrement ? Celle qu'elle considérait comme sa deuxième mère s'engageait sur un chemin bien trop dangereux, et il était hors de question de la laisser s'y perdre. Comme il était inconcevable de la perdre tout court. Les mots ne suffisaient pas à définir cet amour qui les unissait, tout simplement parce qu'il était trop fort pour être raconté. C'est en tout cas la première pensée qui s'imposait dans son esprit lorsque la main de sa tante caressait sa joue dans un geste tendre.

À cet instant précis, Siobhán redevenait la gamine que Maeve avait pris sous son aile des années plus tôt. Un subtil mélange entre force et fragilité dans lequel elle se perdait encore parfois.

« Si tu le dis. Après tout, c'est vrai. Je me fais du soucis quand c'est toi qui m'a tout appris. Mais quel genre d'élève ne finit pas un jour par avoir peur de se retrouver sans celui ou celle qui l'a toujours guidé ? »

Un petit sourire pincé s'était dessiné sur son visage. Au fil des années, avec de la patience et beaucoup de dévotion, un lien de confiance solide et durable s'était tissé entre ces deux femmes. Mais cette effusion de sincérité prouvait bien la nécessité de toujours garder un œil ouvert sur les siens : si Siobhán s'était laissée aveuglée, si elle n'avait pas été attentive aux petits signes, elle se serait laissée berner, pensant bêtement que tout était normal alors que rien ne l'était. Néanmoins, s'il y avait encore une chose à laquelle elle savait qu'elle pouvait se fier, c'était sur cette histoire que sa tante avait commencé à écrire avec le directeur des Gryffondor.

Si Jameson était celui qu'elle avait choisi, alors il était certain que ce serait vers lui que la Korrigan se tournerait en premier, persuadée que l'intuition de sa tante sur ces sujets était la bonne.

« Tu sais très bien que ça ne marche pas sur moi, ces choses-là », marmonna-t-elle à moitié lorsque les mots de Maeve rompirent le silence. « Ne t'inquiète pas pour moi. Tout va très bien. En plus, l’avantage c’est que, si un jour ça ne va pas, je connais une excellente psychomage qui tient une permanence à Poudlard et qu'on m'a chaudement recommandé», lâcha-t-elle en souriant, le visage faussement angélique.

Maeve avait un don pour faire parler les cœurs même les plus silencieux. Il fallait l’admettre.

« Revenons-en au sujet qui nous intéresse, tu veux ? Comment tu as rencontré Jameson ? Ici, à Poudlard ? »

Cette question frôlait l’indiscrétion mais aurait probablement le mérite de lui en apprendre davantage sur celui qui avait conquis le cœur insaisissable de Maeve Cynfeirdd.

Les mots de Maeve avait fait l'effet d'une flèche venue toucher sa nièce en plein cœur. La pointe en était venue percer sa cage thoracique, rompant les barrières de protection de son épiderme, jusqu’au myocarde, une à une. Le prénom de sa mère avait résonné dans sa tête en touchant sa cible, à l'instant même où sa tante avait parlé de deuil. C'était beaucoup plus facile quand ce mot n'était qu'effleuré dans une conversation, seulement sous-entendu, à peine mentionné. Parler de deuil aussi clairement, même s'il n'était pas directement question de celui auquel elle s'évitait quotidiennement de penser, rendait les choses concrètes, véritables, ineffaçables. Douloureuses, plus que de mesure.

Parce qu'elle était partie, parce qu'elle ne reviendrait jamais. Ce n’était pas comme Eochaid, autour duquel on nourrissait encore l’espoir qu’il revienne, qu’il réapparaisse, laissant croire que tout était encore possible aux yeux de ceux qui l’aimaient. Même transformé, il était toujours vivant, quelque part. Alors qu’avec sa mère, tout était différent. Parce qu’elle était partie, ailleurs. Parce qu'être endeuillé signifiait, d'une manière ou d'une autre, devoir apprendre à la laisser s’en aller, pour toujours, sans espoir de retour. Ni maintenant, ni plus tard, ni jamais. Parler de deuil, c’était sentir de plein fouet l'absence sauvage de celle qui lui avait toujours manqué, à toute les étapes de sa vie, et la voir se réimposer à elle, inlassablement. Comme si elle naissait encore le jour de sa mort.

« N'en parlons plus. S'il te plait. »

Elle avait lutté contre cette vague de tristesse qui l'avait envahie en refusant d'assombrir son doux visage, même si ses traits s’étaient durcis. Au lieu de ça, elle avait préféré se concentrer sur cet autre sujet qui la mobilisait dans cet échange, lui permettant de focaliser son attention sur autre chose pour la détourner de cette vive douleur qui avait pris possession de sa poitrine.

Maeve avait tout fait pour qu'elle ne manque de rien, et pourtant, le trou béant en elle laissé par ce qui lui avait été retiré ne s'était jamais refermé.

« Il n'y a aucune autre finalité que celle de m'assurer que tu iras bien », avait-elle attesté pour éviter que Maeve ne se doute de quoique ce soit.

C’était vrai, en soi. Même si l’enjeu était double, Siobhán faisait tout ça dans l’unique but de protéger cette deuxième mère qui lui avait été donnée. Bien sûr, le bonheur de Maeve lui importait avant tout, et c'était aussi cette raison qui la poussait à s'assurer de la fiabilité de cette relation qu’elle avait entamé avec le directeur de Gryffondor. Car il était hors de question pour Siobhán de faire confiance à un homme de passage, surtout s’il s’agissait de lui confier, en quelques sortes, la vie de quelqu’un qui lui était cher. Son choix devait se porter sur un homme qui aimait Maeve, et qu'elle aimait en retour. Leur dévotion se devait d'être réciproque et sincère.

« À la chasse, hm ? Bien, on ne peut pas être parfait, je présume... »

Dommage, car jusqu'ici, @Jameson Clearwater n'avait marqué que des bons points. Il fallait dire qu'il s'agissait là d'un des seuls espaces de discordance qui les opposait, Maeve et elle. Siobhán avait, depuis longtemps, rompu avec les traditions ancestrales de sa famille et souhaitait ne rien entendre des activités de ceux qui avaient décidé, au contraire, de les perpétuer. C'était justement parce qu'elle savait que Maeve s'y adonnait encore qu'elle préférait enchaîner, se rapprochant d'elle en lui saisissant doucement les mains.

« Il faut que tu vives, Maeve. Survivre n'est pas une option. Surtout quand il s'agit d'attendre quelque chose qui ne se produira peut-être jamais. Et si jamais il y a miracle... Il sera toujours temps de te poser les bonnes questions. Mais d’ici là, personne ne peut le faire pour toi. »

Elle avait marqué une pause.

«  En tout cas, sache que tu pourras toujours compter sur moi. Pour ce choix et pour toutes les autres décisions que tu prendras… enfin, presque toutes. »

Car il y avait bien des aspects sur lesquels leurs avis pouvait diverger. On était jamais assez trop prudents quand il s’agissait de faire une promesse comme celle-ci. De celles qui impliquaient des mots comme toujours ou à jamais.

«  Je dois retourner en cours. Excuse-moi. »

S’excusait-elle réellement de prendre congé ? Ou bien d’avoir fouillé ses affaires ? Ou petit être encore d’aller en révéler le contenu à celui dont elles venaient de tant parler ?

Il était grand temps pour la vélane, en effet, de faire quelque chose des informations qu’elle avait obtenues en entrant dans ce bureau. Car Siobhán  ne pouvait porter plus longtemps le poids de ce qu’elles sous-entendaient réellement, à savoir que la vie de Maeve était en danger et qu’il fallait l’empêcher de commettre l’irréparable. Le plus tôt serait le mieux.

Elle embrassa Maeve sur sa joue, rapidement, ne sachant pas encore s’il elle venait de prononcer un mensonge ou une vérité lorsqu’elle se glissait hors de la pièce. Tout dépendrait si Jameson était dans son bureau au moment où elle irait frapper à sa porte.