Délicate de Minuit

Délicate de Minuit

feat.  @Edel Almadovar

Un sourire tendre passa sur les lèvres de Brynn, alors qu’elle lui prenait délicatement des doigts la fleur suspendue entre leurs deux mains. Il n’y avait ni épines ni irritants sur les dahlias. Elles étaient belles et douces, sans l’amertume des mufliers, sans la ronce des belles sauvages. Sa bouche mima un petit merci sans qu’un seul son ne sorte, alors qu’elle observait sans retenu la fleur. Elle aurait pu l’observer pendant des heures entières.

Un instant, elle releva ses yeux sur lui, sans paraître accablée d’un chagrin.

« Toutes les bonnes choses ont une fin » souffla-t-elle, comme pour lui répondre, faisant rouler la tige entre ses doigts, son nez venant se perdre dans les épaules qui caressèrent sa bouche. Ses grands yeux verts s’étaient accrochés au visage d’Edel. Elle ne s’en était pas rendu compte, mais il pouvait afficher un air sérieux, un air investi. C’était rare. Elle lui avait toujours trouvé un air de chat sauvage, de ces races qui ne s’intéressent à rien d’autre qu’à leur confort.

Elle redressa doucement la tête, sortant le nez des pétales délicats.

« C’est ce que je suis intrinsèquement ; si je n’étais pas les fleurs, alors je ne serais pas. » Brynn pencha doucement la tête sur le côté, ses yeux se faisant plus perçants sur lui : « La colline est toujours imaginée avec son lot de taillis. »

D’un petit geste de la main, Brynn rangea la fleur dans ses cheveux. Le bleu midouze sortait comme un éclat de constellation dans le blond délavé de ses cheveux.

Elle s’enfonça de nouveau dans son fauteuil, croisant de nouveau les jambes.

« Et toi ? Que serais-tu ? Que serais-tu si tu avais eu un père ? »

La question avait du sens pour elle. Si elle avait eu un père, peut-être aurait-elle été son père, peut-être aurait-elle embrassé sa vision du monde, aurait-elle été le reflet de ses ambitions ou des envies, peut-être aurait-elle été un peu moins elle et un peu plus lui.

Délicate de Minuit

feat.  @Edel Almadovar

Un petit rire passa sur les lèvres pâles de la jeune fille. Le même, bien évidemment. Comment aurait pu-t-il en être autrement avec Edel Almadovar ? Ses doigts glissèrent sur la fleur, effleurant du bout des doigts le contact délicat et rassurant des pétales. Elle la laisserait probablement mourir, sans avoir l’idée de la stabiliser avec un peu de glycérine ce qui selon elle était de la barbarie. Non, elle la laisserait faner avant de la faire sécher.

Parce que les choses mortes étaient belles aussi, parce que la fin faisait partie de l’histoire de tous les êtres. Les seuls qui défiaient l’éternité n’étaient que des créatures impures échappant aux lois de la nature.

Dans le regard de Brynn, un moment d’incertitude passa. De qui parlait-il ?
De son père ?
Ce n’est pas à lui qu’elle pensa en premier pourtant.

La petite serpentard baissa les yeux, froissée soudain, mais eut finalement un petit sourire chafouin. Il pensait toucher juste, mais ce n’était pas encore là, Edel, pas encore. Tout près… mais pas ici.

« Je ne l’ai pas connu, et j’ignore qui il est. »

Brynn haussa doucement les épaules.

« Ma mère était jeune quand elle l’a rencontré, et puis un jour elle s’est présentée enceinte devant mon grand-père. Ses frères ont aussitôt demandé le nom du garçon qu’elle fréquentait, mais elle a refusé de le leur donner. »
Brynn ferma doucement les yeux, tenant sa tête du bout de sa main, comme si elle s’endormait. Il lui semblait avoir raconté de milliers de fois la légende de Branwen la bafouée. Ce n’était jamais avec honte ou fierté. C’était l’histoire comme elle s’était passée, dépouillée de ses artifices, de son fantasque légendaire. Les faits, froids et cruels, seulement.
« Mon grand-père lui a tout pris alors ; son nom, sa liberté. Elle lui donna jusqu’à ses habits et c’est nue, dit-on, qu’elle se rendit jusqu’à Gorsedd Arberth, à une époque où même les chasseurs redoutaient d’y mettre un pied. On ne s’y tentait jamais car des fées malicieuses tenaient d’une main de fer le bois et ce jusqu’au lac qui borde le tertre. »
Un petit silence s’installa, alors que Brynn rouvrait lentement les yeux, l’air plus las que triste.
« Elle ne m’a jamais rien dit à son sujet, même à moi, même au bout de vingt ans elle le tient encore secret. Ce n’est pas vraiment qu’elle a peur que je le rapporte, ou que j’aille le voir… Je crois que ma mère aime seulement l’idée d’avoir fait une enfant seule. De m’avoir eu et aimé seule. »
Elle haussa les épaules, avant d’ajouter, d’un air plus léger :
« Certains serpents à l’état sauvage, quand elles ne rencontrent aucun mâle, peuvent se mettre à avoir des couvées d’œufs d’elles-mêmes. Les jeunes serpents sont systématiquement de petites femelles. »

Un sourire cette fois plus doux et énigmatique barra le visage de la jeune Gwent, qui jetait un regard à Edel. Elle le détailla un long instant, avant de rajouter, cette fois sifflotante comme une aspic :

« Quelqu’un qui n’existe pas ne peut pas nous manquer, je crois. C’est plus cruel de connaître et de ne plus voir ; ça fait naître ce vilain sentiment qu’est le manque, pour peu que l’inconnu ne nous effraie ou ne nous blesse pas. » Brynn se redressa dans le fauteuil, croisant doucement les bras devant elle : « Et comme je doute de lui ressembler, je n’ai même pas ce respect-là à lui offrir. »

Délicate de Minuit

feat.  @Edel Almadovar

La jeune femme sembla réfléchir, pesant le pour et le contre. Jamais personne ne lui avait vraiment demandé d’où lui venait cette capacité à parler avec les serpents. Beaucoup s’arrêtait et la jugeait avant même de l’avoir entendu. La couleur de sa maison n’aidait en rien. Si elle devait avoir un aspic pour chaque fois qu’elle avait entendu «mangemort» associé à son nom...

« De ma mère, qui le tient de sa propre mère avant. Ma grand-mère était une des dernières descendantes d’une vieille famille de fourchelangue du Pays de Galles, des druides qui guérissaient grâce au venin des serpents qui les suivaient. »

Si le serpent était souvent associé à la mort et à la luxure, il avait chez les druides et au sein de la vieille magie, toute une dimension de réincarnation, de renouvellement, de finesse d’esprit. Le serpent était également lié à la fertilité, symbole de Brighid, déesse des puits, de l’eau et du feu.

Un sourire amusé passa sur les lèvres de Brynn, voyant en sa mère l’image parfaite de ce que pouvait être une druide moderne, habillée de ses longues robes et coiffée de buis ou de cornes de cerf.

La petite blonde pencha la tête, jetant un oeil curieux à Edel.

« Est-ce qu’il te manque quelque chose en ce moment ? »