A grandmother's love — ft. Eynaelle Sanderson

Tout était vrai, alors. Les faits ne laissaient plus aucune place au doute, qui n'avait plus qu'à garder le silence jusqu'à sa prochaine invocation. Siobhán l’avait compris lorsque sa baguette s’était magiquement liée à celle d’Eynaelle, à l’instant même où elles avaient prononcé la formule. Le magnétisme de leurs pouvoirs réciproques était amplement suffisant.

Les faisceaux lumineux qui avaient rendu visibles chaque recoin de la pièce et la prison dorée dans laquelle elles s’étaient retrouvées captives pendant quelques minutes étaient inutiles à la compréhension des événements et de leurs implications.

Siobhán savait, avant même de lancer son sort, que si les mensonges avaient la part belle dans sa vie ces temps-ci, la Poufsouffle et ses récits n’en faisaient pas partie. Elle avait simplement eu besoin de cette ultime preuve tangible pour permettre à son cerveau d’assimiler l’information.

Et visiblement, ça ne suffisait pas. Son corps resta immobile lorsque Eyna s’en approcha. Sans pour autant la repousser, il ne l’accueillait pas non plus. Il avait perdu toute sa chaleur, comme paralysé par le flegme qui s’en était épris. Que pouvait-elle dire ou faire, surtout quand elle savait que sa mère avait été partie prenante dans ce jeu de dupes, vingt-et-une années plus tôt ? Et que son père avait continué à tirer les cartes de cette profonde mascarade, jusqu’à aujourd’hui ?

Elle laissa Eyna l’enlacer avant de s’écarter, un pas en arrière. Toute attente d’une marque d’affection de sa part était vouée à l’échec.

A la base, Siobhán voulait juste rencontrer quelqu’un qui était comme elle. Pas se découvrir toute une famille. Elle en avait déjà une. Et encore quelque jours plus tôt, son petit clan lui convenait parfaitement.

Avait-elle besoin d'une autre cousine ?

D'une autre tante ?

D'une grand-mère ?

Son cœur et son sang devaient-il ne faire qu'un ou bien fallait-il les opposer ?

Qu’allait-elle dire à Finn ?

Et qu’allait-il penser de tout ça, lui qui avait déjà du mal à s’entendre avec leur père et qui ne savait encore rien des recherches que sa sœur avait entreprises ?

Une petite voix avait énoncé chacune de ces questions dans sa tête. D'abord une fois, puis toute en même temps, jusqu'à transformer son esprit en un véritable capharnaüm au cœur duquel elle ne s'entendait plus penser. Par réflexe, ses mains se joignirent à ses tempes, puis ses oreilles, comme pour faire taire un bruit devenant trop fort. Sauf qu'il n'existait pas réellement, en tout cas pas ailleurs que dans sa tête.

« Je suis désolée, je ne peux pas. »

Elle avait au moins pris la peine de s’excuser, mais prononcer un mot supplémentaire semblait au-dessus de ses forces. Siobhán prit la direction de la sortie, et resta bloquée, la main sur la poignée. Elle racla sa gorge, comme pour en éliminer les nœuds, puis répéta :

« Ce n’est pas contre toi, Eynaelle, mais je ne peux pas. Ni parler, ni te dire combien c'est dur, ni écouter l'hymne du deuil des vélanes. Pas maintenant. Je ne peux pas. »

Il y avait des peines que seul le corps pouvait supporter. Le cœur, lui, restait alors péniblement à la traîne, incapable de ressentir et de continuer à avancer normalement. Il fallait ensuite accepter de le laisser sur le bas-côté, le temps du passage de relais.

C’est exactement ce que Siobhán faisait, face à Eyna. Seul son corps la guidait ; son cœur traînait encore la patte, incapable d’apporter à cette nouvelle cousine le réconfort qu’elle attendait. Alors qu'il aurait été beaucoup plus simple d'expérimenter la difficulté de ces révélations à deux, la vélane se revit opter pour le seul choix qui l'avait guidée ces dernières années : la solitude.

Avec le recul, ce manque de considération profond la briserait, elle qui n’était pas habituée à lâcher la main de ceux qui en avaient besoin. Mais ce temps là n’était pas encore arrivé et, pour le moment, elle ne pensait qu’à se sauver elle-même. Se sauver tout court. Entre révéler de simples vérités et se retrouver confrontée à l'un des fruits de ces mensonges, il y avait un pas que Siobhán n'était visiblement pas prête à franchir. En tout cas, pas tout de suite.

Malgré son envie de se précipiter au dehors, la vert-et-argent marqua une pause lorsque la Poufsouffle dans son dos reprit la parole. Parce qu’elle restait polie, même lorsqu’elle souffrait.

Des chasseurs de vélanes.
Tuer.
Attention.
On sera avec vous.

Elle aussi, elle avait été confrontée à ces hommes qui détestaient absolument tout ce qu’elle représentait. Elle aussi, ils l’auraient probablement tuée s’ils en avaient eu l’occasion. Finalement, Eynaelle et Siobhán partageaient plus qu'un nom de famille : elles n'étaient pas du genre à fuir le danger lorsqu’il se présentait. Elles étaient plutôt de celles qui se décidaient à l'affronter. Et qui tentaient de protéger ceux qui pouvaient encore l'être.

« Je les ai croisés, moi aussi », lâcha-t-elle simplement à voix basse, la main toujours crispée sur la poignée alors qu'elle repensait à ceux qui avaient tenté de s'en prendre à elle, puis à son père, puis à Eynaelle.

Sa tête avait pivoté à moitié, les yeux vers le sol. Au fond d'elle, Siobhán fut prise de remords. Parce qu'elle avait peur d'avoir déclenché de nouveau, sans le savoir, une guerre, lorsqu'elle était partie à la recherche des racines de sa mère. Deux attaques en si peu de temps ? Difficile de croire à une simple coïncidence. Elle aurait sans doute mieux fait de s'abstenir et de continuer sa petite vie paisible, sans jamais s'interroger. Elle n'aurait pas perdu son père dans la bataille. Elle ne se serait pas découvert une nouvelle famille. Elle aurait continué à vivre dans le mensonge, silencieusement.

« Merci, Eynaelle. On en reparle plus tard », avait-elle dit en ouvrant la porte, juste avant de se glisser à l'extérieur, si bas que la Poufsouffle n'avait peut-être même pas entendu.

Heureusement, la porte était déjà refermée quand la première larme d'une longue série dévala sa joue.

Siobhán s'appuya un instant, dos au mur, avant de reprendre la direction de son dortoir.

Elle avait une lettre à écrire.