Con la brisa

Mira avait dû poser une nouvelle journée de congé afin d’aider à la boutique de son père. Sa sœur  @Narghis Aslan avait en effet choisi d'accompagner Jamsheed pour rencontrer d’importants fournisseurs à l’autre bout de la ville. La cadette Aslan n’avait en aucun cas pu refuser cette demande expresse de son père. Elle le savait, ce dernier avait tendance à se reposer autant qu’il le pouvait sur elle pour soutenir Narghis dans la petite épicerie. Mira le soupçonnait de tenter de lui faire abandonner son emploi principal dans les presses de la Gazette, au profit de celui de boutiquière. Peut-être que Jamsheed pensait qu’à force de donner des coups de main, Mira se rendrait compte que sa place était ici, auprès de sa famille. Malheureusement pour l’iranien, son plan ne fonctionnait pas du tout.

Loin de s’épanouir dans le rôle de vendeuse, Mira s’y ennuyait souvent, et était loin d’égaler la douce prévenance de sa sœur qui plaisait tant à la clientèle. La jeune mécamage avait en effet acquis à l’atelier certaines manières un peu plus rudes dont elle avait parfois du mal à se défaire. Plus spontanée, un peu plus bruyante… Sa vivacité pouvait parfois réfréner ceux qui venaient ici en pensant se faire cajoler par la légendaire et extrême politesse iranienne. Le seul plaisir de la sorcière était de se parer de belles brodures de son pays natal avec des châles légers et chatoyants. Ses changements vestimentaires l’aidaient à trouver le bon ton en fonction de l’endroit où elle se trouvait : une iranienne avenante et réservée à la boutique, une mécamage efficace et rigoureuse à l’atelier, une jeune femme ouverte et pleine de joie de vivre dans les rues de Londres…

Mais ces différents univers se mélangeaient souvent, et penchée au-dessus de son comptoir, son voile brodé de fils d’or négligemment jeté sur sa lourde chevelure, Mira ne pouvait s’empêcher de bricoler un petit mécanisme dont elle avait fait l’acquisition il y avait plusieurs semaines de cela et qu’elle n’avait jamais pris le temps de réparer. La clochette tinta, marquant l’entrée d’un nouveau client, mais Mira pris le temps de serrer un dernier engrenage avant de se tourner vers le nouveau venu. Elle sursauta cependant légèrement en l’apercevant, comme si elle ne s’attendait pas à voir quelqu’un là où il se tenait.

Sa surprise tenait plutôt au type d’homme qu’il était. Certainement pas un habitué de l’épicerie. Le sorcier était grand et large d’épaule, son manteau sobre enveloppant élégamment son impressionnante silhouette. Un teint hâlé venait renforcer l’empreinte de ses deux pupilles aussi sombres que brillantes. Il y avait quelque chose chez lui que la jeune iranienne trouvait tout à la fois fascinant et effrayant alors qu’elle eut du mal à détourner le regard de sa si singulière figure. Ses battements de cœur augmentèrent mais elle n’aurait su dire s’ils réagissaient à la beauté hors du commun de l’homme ou à l’impression de danger qui se dégageait de lui.

Mais lorsqu’il lui sourit, elle ne put que laisser s’échapper le petit mécanisme de ses mains qui retomba sur le comptoir en s’ouvrant en deux. Avec son sourire, toute impression de menace avait disparu de ses traits et c’était comme si le soleil venait d’entrer dans la boutique. Mira tenta de lui sourire en retour, tout en rougissant furieusement devant son air empoté. La phrase qu’il prononça cependant – avec un léger accent – suffit à la faire redescendre sur terre. Il cherchait après Narghis évidemment. Une pointe de jalousie lui entailla le cœur qu’elle chercha bien vite à réprimer. Son amour incommensurable pour sa sœur la pousserait à être heureuse pour elle, quoi qu’il lui en coute.

- Non, en effet, je suis sa sœur Mira, convint-elle avec un léger sourire poli en hochant lentement la tête. Narghis n’est pas là aujourd’hui, et sera de retour demain. Je peux peut-être vous aider en son absence ?

Son sourire grandi alors qu’elle était persuadée que l’homme n’était pas venu pour leurs produits de première qualité, mais bien pour trouver l’aînée des Aslan. Mais après tout, ne pouvant répondre à ses attentes, elle pouvait aussi bien le pousser à l’achat.

- A moins que vous ne préfériez que je lui transmette un message ?

La jeune mécamage n’avait pas pu s’en empêcher… La curiosité avait repris le dessus alors que l’apollon en face de lui ne correspondait au rien à la description que Dâriush avait fait du chef des Aurors. Sacrée Narghis… Quel succès !

L’homme s’approcha avec un sourire toujours plus charmeur et Mira remarqua que son parfum était presque aussi envoutant que ses traits ravageurs. Les yeux du sorcier la détaillèrent attentivement et elle nota parfaitement qu’il avait remarqué son voile. D’un geste fébrile et inconscient, elle le réajusta comme s’il s’agissait d’un masque derrière lequel elle était en mesure de se cacher.

Il s’était tant approché qu’il fut alors en mesure de s’accouder sur le comptoir, la poussant à faire glisser le petit artefact qu’elle réparait à l’autre bout afin de ne pas le gêner. Mais la prévenance de Mira était sans doute inutile, car de par son attitude, l’homme montrait au contraire qu’il était très à l’aise et difficile à incommoder. Son regard sombre se fixa de nouveau sur elle et la jeune Aslan dû détourner le visage pour éviter la rougeur d’habiter une nouvelle fois ses joues.

Finalement, le sorcier lui avoua que s’il cherchait sa sœur, c’était avant tout pour l’un de ses amis. L’intérêt de Mira se raviva au fur et à mesure de ses paroles, alors qu’elle se figeait en le fixant avec une curiosité évidente. Est-ce qu’il parlait de ce blanc qui semblait plaire à Narghis et agacer tant Dâriush ? Voilà qui n’était pas pour déplaire à la cadette qui sourit en se penchant un peu plus vers l’homme qui lui délivrait ces si précieuses informations. Cependant, un regard de sa part suffit à lui faire de nouveau perdre le peu de maîtrise d’elle qu’elle avait récupéré et la jeune sorcière se redressa de nouveau en retrouvant un air plus réservé.

- Un cadeau, acquiesça-t-elle lentement avant de faire le tour du comptoir dans un froissement de sa longue jupe sombre à sequins qui lui tombait à ses pieds chaussés de petites babouches finement brodées de sautoirs brillants. Quelle délicate attention…

Elle posa un doigt sur son menton pour réfléchir à quelques idées qu’elle pourrait lui proposer tout en lui soutirant d’autres informations sur ce mystérieux admirateur. S’élançant dans une allée, la jeune sorcière continua à lui poser quelques questions afin de mieux cerner ses besoins.

- Est-ce que vous connaissez son intérieur ? Un tapis pourrait agrémenter joliment une entrée, ou une chambre… De sa main, elle caressa certains de leurs tapis persans pour les présenter à l’homme. Il habite Londres ? Les hivers sont humides ici, quoi de mieux que de marcher pieds-nus sur un épais tapis persan ? Est-ce que vous saviez que chacun de nos tapis comporte au moins un défaut de fabrication ? C’est pour nous appeler à la modestie, et nous rappeler que la perfection n’est pas de notre monde.

Il était étrange de tenir ce discours justement devant l’être qui lui semblait étrangement le plus parfait qui eut pu fouler la terre…

- Peut-être une manière de rappeler à votre ami son humanité ?... Quel métier faisait-il ?

Avec un sourire poli, Mira hochait la tête alors qu’elle récoltait silencieusement les précieuses informations qu’elle recherchait. Ainsi donc l’homme avait déménagé et vivait à présent à Pré-au-Lard. Voilà un élément qu’elle glisserait certes volontiers à l’oreille de Narghis pour expliquer pourquoi ce sorcier, qui était apparemment souvent venu la voir à la boutique n’était plus si présent. La jeune Aslan baissa la tête avec un air satisfait en apprenant que l’homme s’était rapproché de sa propre sœur et qu’il n’y avait aucune mention dans ce discours d’une potentielle autre personne qui aurait partagé sa vie. Voilà qui était des plus prometteurs… Il pouvait donc en toute impunité se rapprocher de la sienne, de sœur.

L’homme qui se tenait devant elle finit par lui mentionner son métier : Auror, confirmant ainsi les soupçons de Mira. C’était bien le sorcier qu’avait évoqué Dâriush. La jeune Aslan releva les cils avec un intérêt nouveau vers le client qu’elle cherchait à satisfaire. C’était son ami. L’ami d’un Auror. L’ami de celui qui avait attiré l’attention de Narghis. Il lui apparut alors bien plus sympathique, si une telle chose pouvait être possible. Si dès son entrée dans la boutique, une forme d’appréhension était née dans ses entrailles, Mira choisissait à présent de la taire pour lui accorder sa pleine et entière concentration.

Par ailleurs, il semblait bien à la boutiquière que sa proposition de tapis persans n’avait pas fait mouche, et elle cherchait déjà à lui proposer un autre présent quand l’homme se mit à évoquer la passion du prétendant de sa sœur. Alors, la mine de Mira se transforma instantanément. De la vendeuse pudique et raffinée qu’elle cherchait à montrer dans le commerce de son père, elle devint Mira la mécamage, vivant sa passion avec un enthousiasme presqu’enfantin.

- Bricoler des voitures moldues, répéta-t-elle avec un intérêt palpable. Il avait un garage ? Il préférait la mécamagie ou la mécanique traditionnelle ? Il leur apportait des améliorations magiques ? Est-ce que vous savez si…

Se soudain rendant compte de son flot de question, la sorcière s’interrompit en posant le dos de sa main sur ses lèvres avec un petit rire.

- Oh… Excusez-moi… Il se trouve que je suis moi-même mécamage… Je ne travaille ici que par intermittence pour aider ma famille… Je suis passionnée de bricolage mécanique et mécamagique…

Elle secoua sa tête avec un sourire pur excuser son étrange comportement avant de tenter de reprendre le rôle qui devait être le sien en ces lieux.

- Bon, on ne va rien vendre ici qui pourra être en lien avec cette passion, croyez-moi…

Mira était bien placée pour savoir que la boutique ne disposait d’aucun attrait pour un bricoleur du dimanche – preuve que l'attachement du sorcier à ce lieu devait se situer ailleurs…

- Mais nous avons de très bons thés…

Avec un rire désenchanté, elle présenta une enfilade de boites et de bocaux contenant une variété infinie de thé, consciente qu’elle perdait peu à peu son bagou de vendeuse. Le risque allait croissant pour son client de repartir les mains vides…

Le client haussa les épaules devant sa proposition, montrant clairement son désintérêt pour la question. Légèrement déstabilisée, Mira l’observa en cherchant un indice qui lui permettrait de savoir si elle était ou non dans la bonne voie. On aurait dit que le sorcier se désintéressait complètement de la question. C’était pourtant bien lui qui était entré dans cette boutique à la cherche d’un cadeau pour son ami… Mais l’homme s’accoudait au comptoir, attendant qu’elle fasse un choix pour lui. Alors, l’iranienne attrapa la première boite qui lui tomba sous la main – un thé noir des Monts Elbourz – car elle appréciait particulièrement les lettres et illustrations dorées par de fines feuilles de métal gravées sur le coffret. C’était subtil et raffiné, à l’image de Narghis.

La jeune mécamage rejoint à son tour le comptoir, prenant soin de contourner l’homme sans l’effleurer dans un bruissement de sa longue robe sombre. Elle entreprit de recouvrir l’étui d’un emballage en papier bleu nuit qui servirait à la fois à le protéger mais également à en faire un parfait cadeau à offrir. La jeune sorcière accrocha un petit ruban autour du paquet avant de le faire habillement friser dans une jolie boucle. Mais l’examen du client sur elle finit par la déstabiliser suffisamment pour qu’elle relève ses lourds cils vers lui. Il s’était mis à la tutoyer, lui posant une question bien intime tout en mentionnant ses yeux.

Mira piqua un fard, ne pouvant ni détourner le regard, ni ouvrir la bouche tant elle était envoutée par ses deux pupilles sombres posées sur elle. Son cœur se mit à battre de manière bien irrégulière alors qu’elle cherchait vainement comment lui répondre mais le soudain sourire de l’homme lui fit oublier jusqu’à son propre nom.

- Mirage… Je veux dire… Mira… Je suis Mira. Mécamage.

D’un geste fébrile, elle lui tendit l’une des cartes professionnelles qu’elle plaçait derrière le comptoir au cas où un brin de publicité s’avérait nécessaire.

- Je travaille dans les presses de la Gazette du sorcier, mais, j’interviens aussi si besoin pour des petits travaux de réparation.

Soudain, l’idée de présenter ainsi ses services lui parut vraiment déplacée, mais le mal était fait. La mécamage se tourna vers le paquet pour redresser le nœud qui tenait pourtant déjà bien en l’air.

- Je ne viens ici que de temps en temps pour aider ma famille. Mais c’est loin d’être la torture que vous semblez sous-entendre ! J’aime beaucoup être un soutien pour mon père et ma sœur, et me sentir utile. Je suis particulièrement douée pour vendre du thé à des personnes qui n’en ont absolument pas besoin !

Avec un léger rire, elle ponctua sa phrase en tendant le paquet à l’homme avant que son air amusé ne vienne à se figer. Quel dommage… à présent l’homme allait tout simplement prendre son présent et quitter ces lieux pour ne plus y revenir. Dire qu’elle ne savait rien de lui. Ni son nom, ni son métier, ni ses propres passions. Tant d’éléments qu’elle lui avait pourtant dévoilé si facilement. Pourquoi ne parvenait-elle pas à lui poser la moindre question? Son silence frôlait l'impolitesse. Pourtant, ses lèvres restaient scellées dans un sourire crispé alors que ses mains refusaient de lâcher le paquet qu’elle lui avait tendu.

Alors qu’il attrapait sa carte, le sorcier effleura sa main et ce simple geste suffit à électriser Mira qui sentit des picotements parcourir son corps tout en ayant le souffle coupé. Comment faisait-il pour exercer une telle attraction sur elle ? L’iranienne se sentit presque honteuse de sa réaction et elle laissa consciemment une mèche de cheveux retomber sur son visage pour le camoufler partiellement.

Mais quand il reprit la parole, elle ne put que relever ses cils vers lui, sans pouvoir une seule seconde penser à détourner son regard du sien. Les pupilles sombres de l’homme, profondément enfoncées dans son visage, avaient une intensité presqu’animale. S’il dégageait sur l'instant une douce aura de chaleur, la jeune mécamage ne doutait pas qu’il pouvait avoir un aspect redoutable. Cet air quasiment sauvage lui paraissait tout autant fascinant qu’effrayant. Mais ses mots finirent de la perturber totalement, et elle ne sut que répondre, ouvrant la bouche pour la refermer tout aussitôt.

Heureusement, après son compliment, le sorcier enchaîna sur la thématique préférée de la jeune Aslan en mentionnant la mécamagie et les créasorts. Elle profita du fait qu’il tourne un instant son attention sur la boite à thé pour reculer d’un pas et secouer sa chevelure afin de reprendre ses esprits. La jeune Aslan se trouvait ridicule et il était hors de question qu’elle se laisse ainsi aller à ce genre de coquetterie dans la propre boutique de son père. Mira n’humilierait pas la réputation de ce commerce en flirtant ouvertement avec le premier client venu.

Devant impérativement reprendre le contrôle sur elle, la jeune iranienne connaissait un très bon moyen pour cela. Se plonger dans l'encensement de sa passion.

- La mécamagie est présente partout autour de nous, dans chacune de nos opérations magiques. Ce que je préfère avec discipline, c’est que tout est très simple et d’une logique implacable.

De la poche de sa jupe, elle sortit un minuscule éclat de pierre de lune d’un bleu céruléen, puis cueillit un pétale sur un bouquet de Belles de nuit blanches posé sur le bureau. Refermant les deux éléments dans son poing serré, elle tourna sa baguette au-dessus de ce dernier avant de le rouvrir. Il y avait à présent dans le creux de sa paume un petit médaillon qui pulsait d’une lueur bleutée, et au cœur duquel un minuscule papillon battait lentement ses ailes nacrées. Avec un sourire, Mira accrocha le médaillon au paquet pour en finaliser la décoration.

- Vous voyez ? Tout est une question d’équilibre. Rien n’arrive jamais de nulle part. Je trouve ça plutôt rassurant…

Dans un monde dont la logique avait tendance à lui échapper, Mira aimait à se réfugier dans la reposante certitude que chacun était maître de son propre destin. Il suffisait d’associer de la bonne manière de judicieux ingrédients pour produire le résultat escompté. Si seulement elle pouvait avoir autant de facilité à mener sa vie… La réalité de son rôle de boutiquière la rattrapa bien vite et elle tapota de sa baguette le paquet pour en afficher le tarif.

- Ça vous fera 12 mornilles monsieur…

Elle ignorait son nom, alors qu’il connaissait à présent tant de choses sur elle que c’en était déroutant.

- J’espère que le présent plaira à votre ami… Et n’hésitez pas à lui dire qu’il peut venir choisir d’autres thés de cette même collection...

Un sourire complice s’afficha sur son visage à moitié baissé alors qu’elle tendait la main pour recevoir son dû.