Comme un air de déjà vu

Il s'était passé quelques jours depuis sa dernière discussion avec Ima Soninké. Une conversation qui avait soulevé un violent vent de changement dans la vie de Nyéléni Sô et de ses rares proches. Elle ne savait encore trop que penser de tout cela. Elle prenait un pari risqué et quelque part au plus profond d'elle, elle craignait pour ce qu'elle avait à y perdre. Balayant l'idée d'une gorgée de café brûlant, Mademoiselle Faux-Orpin reporta son attention sur un énième dossier de candidature. Avec le printemps qui arrivait, comme l'année précédente, les étudiants de tout poil se rêvaient explorateurs libres comme l'air. Elle avait retrouvé sans la moindre surprise le profil taché de gras du persistant Bobby ( @Braxton Clearwater ) et ses éternels bonbons au miel. Mais d'autres, plus sérieux, donneraient matière à réfléchir. Cela étaient soigneusement classés sur la pile de gauche, les autres disparaissaient impitoyablement entre les mâchoires gloutonnes de la corbeille à papier. Elle avait d'ailleurs très bien travaillé ce jour-là.

Un regard coulé à la dérobée à l'immense horloge du hall lui indiqua qu'il était temps de servir le café. @Nero MacGregor était rarement en retard et depuis le premier jour, ce petit café auquel ils se montraient assidus avait finir par devenir une institution. Franck, l'homme d'entretien, lui lança d'ailleurs un joyeux bientôt la pause en passant. Elle lui répondit d'un sourire solaire tout en tirant de son sac à main une seconde tasse, un peu plus grande que la sa tasse créole. Étrangement, la céramique entra en résonance avec le comptoir de marbre blanc avec une amplitude plus qu'inhabituelle.

Iris fronça les sourcils, sentant comme une vibration magique percer son esprit. Puis il y eut comme un murmure lointain puis un écho de plus en plus franc.

Revenue de sa stupeur, la secrétaire abandonna les deux tasses et la pile de dossiers à leur triste sort, trop certaine que si elle ne la suivait pas dans la seconde, elle perdrait le fil ténu de la voix qui venait de la toucher.

***

Un curieux vent chaud se formait à quelques mètres de l'étrange compagnie. Au milieu des bouleaux au tronc blanc, une volute de poussière rouge et fine, nettement visible, s'agrégeait en douceur pour donner corps à une femme élancée, les cheveux rassemblés au sommet de son crâne dans un chignon presque parfait. A quelques petits mèches rebelles sur ses tempes, on pouvait deviner que cette masse d'ébène savamment disciplinée frisait à loisir au naturel.

Avisant d'un œil sévère la scène sur laquelle elle faisait son entrée, la pimpante secrétaire pressa le pas vers les trois hommes avant de s'agenouiller à la tête de celui qui l'avait appelée, peut-être malgré lui à en juger sa réaction.

« Que s'est-il passé ? », demanda-t-elle en plaçant spontanément ses mains sur les tempes d'Ima Soninké. Elle n'avait jamais été bonne en médecine traditionnelle, encore moins en médecine occidentale, mais elle savait au moins comment apaiser un corps agité par la douleur. Une infime vibration de magie y suffisait, n'importe quelle sorcière connaissait cette pratique chez eux. Un geste très doux qui éteignait les pleurs des enfants aussi bien que les gémissements des adultes.

« Il m'a appelée. », répondit-elle en voyant l'expression du seul des trois hommes qui avait l'air de tenir debout. Elle se permit de le sonder rapidement lui aussi. Il n'était finalement pas complètement indemne mais vu l'état d'Ima Soninké, il lui faudrait patienter. Quant au troisième larron, elle ne savait pas encore ce qu'il fallait en faire.

« ... », il lui fallut quelques secondes pour comprendre la blague, si c'en était bien une, « C'est très drôle. », souligna-t-elle d'un ton quasi pince-sans-rire alors qu'il pointait sa baguette vers elle, réitérant sa première question.

Elle s'apprêtait à donner une réponse à l'homme qui accompagnait Ima, de ce genre de réponses cousues de fil blanc comme elle pouvait en distribuer treize à la douzaine mais ce fut Ima qui prit la parole le premier, soulignant qu'elle se mettait en danger.

« Je me demande pour qui vous me prenez Ima Soninké. Vous ne pouviez tout de même pas espérer que j'attende de vous voir revenir les pieds devant en terminant mon café ? », gronda-t-elle non sans une certaine dose d'humour cette fois.

Elle n'avait peut-être pas fait front devant la République mais elle était très loin d'être une simple secrétaire, c'était le moins que l'on pouvait dire. Finalement, la réponse que son ami malien fit à l'autre homme satisfaisait pleinement à préserver son anonymat. Elle se demanda un instant si l'autre homme allait accepter ça si facilement mais quelque chose lui disait qu'Ima avait suffisamment d'autorité pour faire respecter sa demande. Peut-être pour la première fois, elle ne craignit donc pas d'être découverte. Elle adressa un regard de remerciement à Ima, s'attardant longuement sur cette étrange dynamique qu'ils formaient tous les deux et où elle ne savait toujours pas quelle était vraiment sa place.

« Je n'avais aucune intention de vous nuire mais je ne pouvais pas fermer les yeux. » admit-elle finalement à l'attention de l'autre sorcier, dont elle ne connaissait toujours pas le nom. Elle ne se sentait pas vraiment légitime de le lui demander, sachant qu'elle n'envisageait pas de lui rendre la pareille.

Elle eut une pensée pour Jameson, se demandant s'il aurait mieux accepter les choses, s'ils s'étaient rencontrés dans un contexte similaire. Elle ne le saurait probablement jamais.

Ima la tira de sa réflexion. Nyéléni le suivit du regard, fortement sceptique. Le moins que l'on pouvait dire c'était qu'il savait faire bonne figure mais trompait-il vraiment quelqu'un. Dans le doute, elle réprima un petit commentaire en l'observant sans se mêler de l'affaire qu'il était en train de conclure avec le fameux Ochoa. La petite ride du lion qui s'était creusée entre ses sourcils s'atténua quelque peu, en constatant qu'il savait aussi se montrer raisonnable et accepter un aller-simple pour Sainte Mangouste.

« Je renterai chez moi quand je vous saurais entre de bonnes mains. Je ne suis pas en sucre Ima alors je vais au moins vous amener à Sainte Mangouste si ça ne vous fait rien. », opposa la malienne d'un ton posé mais qui n'admettait guère qu'on la contredise, « Monsieur Ochoa. », fit-elle par mesure de politesse, avant d'ajouter un simple « Merci. » qui en disait plus long qu'il n'en avait l'air.

Arrivée à hauteur d'Ima, elle s'apprêtait à l'escorter loin de cette drôle de scène où elle l'avait trouvé.