Multiples sont les routes [ft. Adil]

Samir eut un sourire impatient à la destination de l’étudiant de sa maison qui l’avait ramené jusqu’à sa salle commune. La matinée avait été chargée. Il avait dû prendre le train de très bonne heure de Brighton, en passant par Londres pour rejoindre la gare de Pré-au-Lard. Là, un sorcier de l’université l’avait récupéré pour l’amener jusqu’au château qui l’avait vraiment impressionné. En comparaison de l’académie de Beauxbâtons, il avait tout-de-même l’air… plus vieux. Plus médiéval. Comme si les sorciers de Grande-Bretagne n’avaient pas vraiment changé depuis ce temps-là. Il y avait de quoi être intimidé, mais Samir ne s’inquiétait pas vraiment. S’il avait su s’intégrer à Beauxbâtons, il n’y avait pas de raison pour que ça se passe différemment ici… Cette question lui semblait même pour l'heure être le dernier de ses soucis.

La directrice l’avait reçue pour lui présenter brièvement l’école et poser sur son front un espèce de vieux chapeau déchiqueté qui l’informa de son acceptation dans une des maisons du château. Samir ne sût pas trop quoi en penser, mais la couleur qu’on attribua à ses vêtements lui plût instantanément, alors qu’il se sentait porter un petit bout du drapeau de son pays sur lui. Enfin, pour clore l’entretien, un étudiant qui semblait avoir plus ou moins son âge lui fit visiter les espaces principaux du château avant de le guider jusqu’à leurs quartiers dans lesquels une chambre lui serait attribuée. L’étudiant était bavard et avait entreprit de lui raconter toute l’histoire de leur guilde à emblème de serpent à laquelle il semblait très attaché. Malheureusement pour lui, Samir n’avait que trop attendu ce moment pour être encore retenu plusieurs heures.

- Merci, c’est sympa, je peux me débrouiller maintenant, le coupa Samir avec un léger accent que les cours n’avaient pas finis d’effacer. L’étudiant parut déçu et il baissa le bras alors qu’il était en train de lui montrer tout un tas de sorciers blancs sur l’immense portrait devant lequel il s’était planté. Sans prendre de gants, Samir se détourna pour sortir de la salle, cherchant à retrouver la grande pièce dans laquelle il avait trouvé pas mal d’étudiants. En croisant l'un d'entre eux, le jeune homme l’arrêta avec un certain empressement.

- Salut, je cherche Adil Mesli. Tu sais où je peux le trouver ?

L’autre l’observa avec un air étonné avant de hausser les épaules.

- Adil ? Je sais pas, dans la salle commune des Gryffondor peut-être ?

- Et elle est où ?

Le garçon le fixa de nouveau avec un air surpris avant de pointer du doigt un escalier.  

- Faut que tu rejoignes la tour Gryffondor… C’est au septième étage…

Avec un hochement de tête, Samir le remercia avant de suivre la direction indiquée. Le château était un véritable labyrinthe, avec ses couloirs aux ambiances si particulières, ses escaliers qui bougeaient tous seuls, ses armures qui bloquaient des passages… Samir dû redemander son chemin à tous les étudiants qu’il croisait avant de finalement arriver devant le grand portrait qu’on lui avait décrit. De nouveau, il avisa une étudiante qui sortait du passage en l’arrêtant.

- Excuses-moi, je cherche Adil Mesli, il est là ?

La jeune sorcière haussa les épaules avec un air presque effrayé. Mais sans s'en formaliser, Samir poursuivit avec une certaine insistance.

- Tu peux aller le chercher s’il te plait ?

Quand l’étudiante disparut derrière son portrait, Samir se tourna avec un soupir stressé. Son plan avait été soigneusement exécuté jusqu’à ce point bien précis. Depuis que le jeune algérien avait appris de la bouche de sa mère avoir un grand frère qu’elle avait abandonné un peu avant sa propre naissance, il avait tout mis en œuvre pour le retrouver. Peu lui importait les obstacles de la langue ou de l’argent, Samir savait qu’il trouverait comment les surmonter. Mais sa projection n’allait pas beaucoup plus loin que le moment présent. Que ferait-il s’il se retrouvait là, devant lui ? Qu’allait-il bien pouvoir lui dire ? Et s’il ne le croyait pas ? S’il le traitait de menteur ? Ou pire, haussait les épaules d’indifférence ?

Peut-être aurait-il mieux valu l’observer de loin ? Quelle idée de venir jusque dans son université pour le rencontrer… Et s’il lui avait plutôt écrit une lettre ? Ou contacté son oncle, dont Alida lui avait parlé du bout des lèvres ? De toute façon, l’étudiante s’était sans doute enfuie sans chercher à faire ce qu’il lui demandait. Il ne verrait certainement pas Adil aujourd’hui, et prendrait le temps de réfléchir un peu mieux à la manière de l’aborder.

Pourtant, en se retournant, Samir se figea, alors qu’il tombait nez-à-nez avec un étudiant plutôt grand, et carré d’épaules, au teint plus halé que ceux qu’il avait jusqu’à présent croisé, et aux deux pupilles sombres posées sur lui. Adil. C’était lui. Sûr et certain. Le portrait craché de leur père. Mais avec le même regard investigateur de leur mère. Samir sentit les battements de son cœur ralentir alors qu’il l’observait, se sentant soudain brisé par le poids de cette rencontre. Quand Adil l’interrogea, Samir se contenta de poser ses mains sur la tête en se mordant la lèvre, les yeux soudain rendus brillants par l’émotion. Le jeune algérien dû détourner le regard avant de le reposer longuement sur l’étudiant.

- Tu es Adil, c’est ça, souffla-t-il sur un ton interrogatif alors qu’il connaissait parfaitement la réponse.

Samir secoua lentement la tête en le scrutant attentivement. D’étranges questions lui venaient de manière désordonnée. Est-ce que son frère parlait derja comme lui, ou uniquement anglais ? Adil était plus costaud que lui… Il faisait du sport ? Il avait un air fermé, presque hostile à son égard. C’était peut-être le pire moment, et le pire endroit pour discuter… Mais l’émotion qui prenait le jeune Mesli à la gorge était plus forte que tout et ses mots sortirent bien malgré lui, avec ce léger accent de Constantine.

- Je suis Samir… Je viens d’arriver ici…  Je suis… Je suis le deuxième fils d’Amar et de Nima… Je suis ton frère. Samir Mesli…

C’était dit… Sans aucun tact, ni enrobage… Si dans son imaginaire, Samir s’était dit qu’il tomberait dans les bras de son frère en le découvrant, c’était en réalité à présent loin d’être le cas. Au contraire, le jeune Samir fourra nerveusement les poings dans ses poches, se tendant imperceptiblement en attendant la réaction d’Adil. Devant son mutisme, il eut le besoin de continuer à parler - sans vraiment savoir que dire – mais préférant des mots au silence.

- Enfin… Amar je le connais pas… Et toi… J’ai appris que t’existais y’a pas longtemps… Du coup, ben… C’est pour ça que je suis là. Je suis venu pour te rencontrer.

Samir observa Adil et il eut l’impression de voir l’information faire peu à peu sens dans son regard, avec toute la violence qu’elle sous-entendait. Son frère commença par rejeter ses propos avant que la colère ne le gagne brusquement. Il traitait Samir de menteur et le jeune Mesli voyait sa crainte se réaliser sous ses yeux. Si dans ses anciennes vies, il aurait réagi de la plus sanguinaire des manières si on l’avait accusé ainsi, il se découvrait étonnement sans défense devant ce frère qui laissait en suspend de nombreuses questions qu’il n’avait jamais eu la force de se poser.

Adil attrapa Samir par le col en lui criant sa douleur, et le jeune homme n’eut aucun geste de recul. Si l’étudiant souhaitait le frapper, qu’il le fasse. C’était loin d’être la première fois que Samir se serait pris un coup au visage, et il n’était pas le dernier non plus pour en donner. Mais il n’éprouvait aucune agressivité envers celui qui semblait pourtant sur le point d’abattre son poing sur lui. Au contraire. La tempête de ses émotions déstabilisait tant Samir qu’il en perdait ses mots, ce qui lui arrivait rarement.

Le long de ses joues, des larmes se mirent également à couler en réponse à celles d’Adil et avec une certaine brusquerie, il attrapa son crâne entre ses mains pour le rapprocher du sien, et sentir pleinement cette souffrance qu’il souhaitait partager avec lui.

- Je suis désolé Adil, souffla-t-il en serrant les dents, souhaitant canaliser et contenir le déchaînement de leurs émotions fraternelles mais bien distinctes l’une de l’autre. Je suis désolé mon frère… Je savais pas… J’te jure que je savais pas…

Samir ne savait plus dans quelle langue il s’exprimait, de l’anglais au derja, en passant par le français. Il ignorait pour qui ou pourquoi il s’excusait. Tout ce qui lui importait c’était de décharger ce flot de tension qu’il ressentait entre eux. Ces années d’ignorance, de non-dits, d’isolement qui éclataient furieusement aujourd’hui. Ses mains le calaient avec force contre lui, avec la sauvagerie que donne l’inhabitude d’une proximité inconnue.

Samir ne voulait pas réfléchir à tout ce que sa présence en ces lieux pouvait signifier pour son frère. Il se détournait de tout raisonnement qui aurait prouvé la culpabilité de sa mère, de son père, ou de tout autre membre de la famille au courant pour eux. Tout ce qu’il avait souhaité, c’était retrouver ce grand frère perdu. Et maintenant qu’il l’avait devant lui, il ne savait plus quoi lui dire. Se dégageant alors, il recula de quelques pas, essuyant rudement ces larmes qui n’avaient plus coulé depuis de bien nombreuses années.

Avait-il eu raison de venir chercher son frère dans cet endroit où il avait construit une toute autre famille, bien loin de la sienne ? Rien ne semblait plus sûr en ce moment… Samir se sentait douter, peut-être pour la toute première fois de sa vie. Lentement, il secouait la tête alors que l’électricité de son corps cherchait à se déverser hors de lui avec impétuosité. Il tourna le visage d’un côté, puis de l’autre, à la recherche de quelqu’un, ou d’un signe qui lui aurait soudain indiqué la marche à suivre. Il n’y avait personne dans ces couloirs. Peut-être que si des étudiants s’étaient pointés, ils avaient eu le bon ton de tourner les talons devant cette scène.

- J’aurais pt'être pas dû venir, finit-il par marmonner avant de reculer lentement en haussant les épaules pour signifier à Adil qu’il le laisserai en paix s’il le lui demandait.

Adil et Samir:

Adil l’avait repoussé, et à présent, Samir se sentait désemparé. Et si le Mesli agissait de la même manière que son père en l’abandonnant alors même qu’il découvrait qui il était ? Et si Samir avait quelque chose en lui qui repoussait ce côté-là de la famille ? ceux que qui il tenait son sang de sorcier. Samir avait passé son enfance à se dire que lui et sa mère n’avaient besoin de personne d’autre qu’eux, faisant grandir sa haine à l’égard de son père pour s’empêcher de se morfondre sur le poids de son absence. Mais à la découverte de ce que Nima avait fait, sa confiance en elle s’était brisée. Elle avait abandonné son premier enfant, le considérant comme un monstre. Samir ignorait ce qui l’avait empêché de faire de même avec lui – mais il revoyait ce regard apeuré qu’elle avait posé sur lui en apprenant pour ses pouvoirs. C’était précisément cet air-là qui l’avait poussé à tout miser sur ce grand frère inconnu. Mais si Adil le rejetait à son tour ? Il ne lui resterait plus rien… plus personne…

Posant les mains sur son crâne presque rasé à blanc, il observait cet aîné qu’il ne connaissait pas mais dont la moindre réaction lui semblait étrangement familière. Il se sentait peiné, trahi, en colère – mais avait la décence de comprendre qu’il devait laisser Adil digérer l’information. Lui-même avait eu besoin de plusieurs jours, alors même qu’il avait une partie de sa famille qui l’avait aidé à se construire et se stabiliser. Samir s’accrocha à l’idée qu’il était prêt à attendre le temps qu’il faudrait. Il n’abandonnerait pas, même s’il faisait face à un mur. Il reviendrait, encore et encore, jusqu’à ce qu’Adil accepte de lui parler. Le jeune algérien fut sur le point de faire demi-tour alors que son frère l’arrêta, ayant du mal à s’exprimer correctement. Adil lui fit cependant comprendre qu’il souhaitait qu’il reste, mais ailleurs.

Samir l’observa un instant avant de hausser les épaules en hochant la tête.

- Ouais… ouais okay… Mais je connais pas ce château moi…

Il s’était déjà perdu rien qu’en cherchant à trouver les quartiers de la maison à laquelle Adil appartenait. L’algérien pensait pouvoir être en mesure de retrouver le hall d’entrée, et sa propre salle commune, mais c’était à peu près tout. Pourtant, à bien y réfléchir, il y avait bien un autre lieu qu’il avait découvert en arrivant ici.

- Je peux aller à ce village là… Pré-au-Lard. Vers la gare. Je t’attendrai là-bas. Tu m’y rejoins si tu veux. Quand tu veux. Prends ton temps. J’suis pas… Je vais pas partir, okay ?

Samir resta un instant les bras ballants avant de ramener la capuche de son sweat sur la tête. Il faisait froid et humide entre ces épais murs. Les moquettes et tapisseries ne parvenaient pas à le réchauffer, et ne le feraient sans doute jamais. Lentement, il tourna les pas pour se retrouver devant un escalier qui avait choisi de se faire la malle. Le jeune Mesli retint un juron en le contournant pour trouver un autre moyen de rejoindre le grand hall et son immense fontaine.