Ye Ni Waranikala

Ses yeux noirs sondait cet homme qu'elle connaissait finalement trop peu. Ima sembla se réjouir de sa prise de position mais avait-il bien conscience qu'elle ne reprendrait jamais les projets de son père ? Nyéléni n'en était pas convaincue sur l'instant.
Mieux valait être claire.

« Vous comprenez que si je fais cette démarche ce n'est pas dans le but d'agiter l'Empire sous le nez du gouvernement malien n'est-ce pas ? Je ne cherche qu'à m'assurer une vie tranquille, pour moi et mes proches. Même si j'ai tout à fait conscience que cela ne se fera probablement pas sans heur. », elle n'était pas si naïve. Le gouvernement malien chercherait à se débarrasser d'elle qu'importe ce qu'elle dirait. Il ne voudrait pas prendre le risque que des impérialistes se réveillent avec quelques idées. Ce qui se produirait, indubitablement.

Là encore, son regard le scrutait, cherchant à lire dans la moindre réaction. Se montrerait-il finalement un fervent impérialiste ou tout au contraire, pouvait-il être convaincu du bien fondé de son projet ?

« Je n'ai pas d'ordre à vous donner Ima Soninké quoi que j'apprécie que vous m'ayez accordé votre aide. A mon sens votre connaissance des lois et votre statut de Président du Magenmagot, ancien ou actuel, sera un gage de légitimité. Mais vous êtes le mieux placé pour savoir quel rôle vous siérait le mieux dans tout cela. C'est un choix que vous faites et il m'importe qu'il soit fait en toute liberté, non parce que vous vous sentiriez quelque obligation que ce soit envers moi. »

Les mains croisées dans le dos, elle acquiesça comme pour indiquer qu'elle n'en ajouterait pas plus pour l'instant. Il était essentiel à ses yeux de ne pas entrer dans un rapport pyramidal que ce soit dans un sens ou dans l'autre. De son côté, elle s'efforçait de ne pas regarder cet homme comme un époux envers qui elle aurait eu des devoirs. Elle attendait de lui qu'il fit de même et ne la regarde pas comme le symbole d'un Empire survivant. Mais il semblait que c'était plus facile à dire qu'à faire, dans les deux cas.

Le magistrat ramena la question de  @Yeleen Sô . La jeune femme, quoi que leur lien se soit un peu distendu du fait des derniers événements, était l'une des raisons pour lesquelles Nyéléni envisageait un changement de stratégie si radical.

« Elle ne vit pas chez moi, mais ses visites sont régulières. Pour autant, je doute que la mettre au courant de tout ceci soit une excellente stratégie. », pointa l'expat, se remémorant la pléthore d'avertissements qu'elle avait eu à l'égard de la jeune femme et qui ne l'avait pourtant pas empêcher de reprendre le nom des Sô et de la sacrifier elle, Nyéléni, sur l'autel d'une famille qui lui avait toujours fait défaut. Elle le comprenait mais n'en concevait pas moins un extrême scepticisme quant à la capacité de discernement de sa nièce dans cette histoire, « Yeleen est une jeune femme extraordinaire a bien des égards... », ajouta-t-elle, pensive, avant de reprendre, « Etes-vous parfaitement au fait de la situation actuelle des Sô, M. Soninké ? Vous avez quitté le Mali il y a fort longtemps il me semble. Je me permettrais de re-situer pour le cas précis de Yeleen Sô si vous le voulez bien. », cela lui paraissait essentiel, « Yeleen est la fille de Radhiya, septième née de Mawdo Sô, précisément la petite fille de sa seconde épouse Ciramadi Cissé. Mais elle est aussi de la lignée des De Clare par son héritage paternel, que cela lui plaise ou non. Un héritage blanc donc. Ce dernier fait annule pour ainsi dire toute légitimité à la succession de Mawdo Sô - les impérialistes ne sont pas connu pour leur indulgence envers tout ce qui peut leur rappeler de près ou de loin l'ingérence du colonisateur - et en soi, c'aurait pu être une protection suffisante tant contre la haine du gouvernement malien que contre les désidératas des impérialistes. Mais en tant que ma nièce, Yeleen ferait un excellent moyen de pression. Comprenez bien : ceux qui parlent des héritiers disséminés et parents lointains de Mawdo Sô ne sont que de doux rêveurs. Je ne dis pas qu'ils ont forcément tord d'y croire mais personne n'a vu ni entendu parler de ces prétendus survivants depuis une vingtaine d'années. Il doit bien en rester quelques uns qui, comme moi, ont eu la peau plus dure que les autres mais pour les impérialistes puristes, les options sont assez limitées. Quant aux autres impérialistes, ils seraient trop heureux de se débarrasser des Sô pour se faire une place sur le trône. Mais ceux-là sont surtout des imbéciles et fort heureusement, leur opinion ne fait pas poids jusqu'à présent. Face aux impérialistes, le gouvernement malien a poursuivi la même stratégie depuis vingt ans. Elle consiste à l'élimination, non pas des Sô, mais de ceux qui pourraient trouver grâce aux yeux des impérialistes. C'est un schéma suffisamment simple pour comprendre que Yeleen aura évidemment besoin d'une protection. Maintenant je ne vous dirais pas comment elle en est venue a recouvrer le nom de sa mère malgré mes mises en garde répétées et à me donner en pâture à vous-même, malgré tout ce que j'avais bien pu lui dire de nous et des traditions odieuses qui nous liaient, mais au vu de ces choix, il me paraît plus prudent de ne pas lui donner la moindre raison de penser que notre famille, si petite soit elle, pourrait être remise en question.  »

A son regard, on pouvait voir que Nyéléni ne plaisantait pas. C'était un refus catégorique qui ne disait pas son nom.

Elle ferma les yeux un instant, se laissant porter par le rythme soigné de la voix d'Ima Soninké. Comme à son habitude, elle ne le coupa pas, prenant soin de conserver dans un coin de sa tête les informations les précieuses. Ni impérialiste ni républicain. L'idée lui tira un sourire. A une époque, il semblait que la moindre âme qui vive au Mali dusse être de l'un ou l'autre parti. Tout cela pour quoi au final ? Il ne lui en restait qu'un goût amer.

La mention de leurs destins liés ne ferait rien pour l'adoucir? Mais son attitude à lui si. Elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine forme de compassion envers cet homme qu'elle avait pourtant cru détester pendant de nombreuses années. Si elle avait souhaité un nombre incalculable de fois que leurs places fussent échangées, maintenant qu'elles l'étaient en quelque sorte, elle n'y trouvait aucun réconfort si ce n'était, peut-être, celui de savoir qu'il n'avait jamais rien souhaité de tout cela.

« Je voudrais vous libérer de cette idée mais ce serait mentir que de dire qu'elle n'existe pas chez moi aussi, par moment. »

Elle ne pouvait se départir d'une forme de méfiance farouche à son égard. Sentiment injustifié de toute évidence mais qui ne s'était encore trouvé aucune raison de vraiment s'éteindre. Le temps aurait sans doute son mot à dire là dessus.

Elle aurait pu poursuivre avec lui ainsi encore un long moment. C'était un débat d'idées qui s'extériorisait presque naturellement, reconnu d'office comme chose commune. Pourtant, il s'en écarta préférant revenir à des sujets bien moins philosophiques que celui de leur attachement mutuel et quelque part, c'était bien mieux ainsi.

« Elle est en fin d'études, je ne doute pas que l'idée de se loger finira par se poser même si Poudlard reste sa résidence principale pour l'instant. », un instant, l'idée de réitérer l'expérience d'une collocation en période de stage la traversa puis elle la laissa filer, estimant que dans un premier temps du moins, il ne serait pas raisonnable qu'elles partagent le même toit. Mieux valait attendre de voir comment les choses se mettraient en place et si elle était effectivement amenée à quitter l'appartement des Popplewell, quoiqu'à son grand regret. « J'imagine qu'il ne sera pas difficile d'assurer sa protection en toute discrétion pour le temps qu'elle sera sous l'égide du Capitaine MacGregor ... »

L'insinuation était suffisamment claire. Si au départ, l'idée de voir sa nièce s'engager dans la Brigade de Police Magique ne l'avait pas enchantée, cela s'avérait finalement une belle aubaine dans la situation qui était la leur.

« Kinkéliba ? », demanda-t-elle alors qu'elle s'apprêtait à se resservir.

C'était la 3e fois qu'ils se retrouvaient autour d'un collation et le moins que Nyéléni avait noté, c'était qu'Ima Soninké avait toujours fort à faire. Elle ne manqua pas ce petit regard qu'il adressa à sa montre, devinant que leur entrevue touchait à sa fin. Elle acquiesça avec un sourire doux, quand il lui demanda un café, avant de s'éloigner vers le coin cuisine.

La musique des grains qu'elle roulait dans sa main était douce à l'oreille et bientôt, un parfum plein de caractère rempli la pièce. Elle savait sélectionner les essences et en tirer le meilleur. Bien sûr, peu de gens soupçonnaient qu'elle puisse faire son café à la main. La plupart imaginait qu'il tenait ses propriétés de quelques rituels vaudous ou autre, tandis que d'autres se contentaient de le boire sans se poser de question. Elle se faisait un malin plaisir à ne jamais interférer dans ces théories.

Toujours attentionnée, comme c'était une seconde nature chez elle, elle revient avec une tasse du délicieux breuvage mais aussi un thermos qu'il pourrait emporter en soutien pour ce qu'il avait à faire. C'était un de ces thermos magiques qui conservaient les boissons comme fraîchement préparer ad vitam. Et elle en avait une sacré collection à force que les uns et les autres lui en ramènent.

Le bruit tintant de la gourde magique ponctua étrangement la question qu'il lui posa juste à ce moment là. Nyéléni se redressa, chassant le frisson qui lui remonta le long de la colonne vertébrale. Elle s'était bien sûr attendue à ce genre de questions. C'était précisément ce qu'elle avait redouté et ce pour quoi, elle avait envisagé un nouveau sacrifice lorsque Nero était revenu en décembre. Elle avait tout de même le choix. Lui mentir ou jouer carte sur table. Mais elle savait que quoiqu'il arrive, à ce tournant de la conversation, elle jouait la seule chose qu'elle n'était pas disposée à perdre alors elle prit son temps pour peser le pour et le contre.

« J'ai profité du hasard d'une rencontre alors que je cherchais à me séparer de mon unique héritage matériel pour pouvoir me payer cette nouvelle vie. Une mauvaise rencontre pour solde de tous comptes en quelque sorte. », ça n'était pas un mensonge en soi, juste une vérité très épurée. Elle vint le rejoindre sur le petit canapé, les mains posées sur les genoux, « C'est un aspect de ma vie que je n'aimerais pas voir remué. Beaucoup de gens m'ont tendu la main et ce serait mal le leur rendre que d'attirer sur certains d'entre eux des attentions non désirables. Vous savez bien de quel genre de personnes je veux parler... »

Dans sa position, il ne pouvait être dupe de la situation dans laquelle se trouvait les clandestins. Passé un certain niveau de précarité, on ne regardait plus la couleur des mains tendues et il en venait plus de milieu comme le marché aux trolls que des hautes sphères et de la bonne société magique. Elle eut une petite pensée reconnaissante pour Rokia, la prostituée de Zongo. Si elle avait su à qui elle avait tendu là main ce jour-là dans les bas fonds de Cotonou, peut-être se serait-elle montré plus insistante quant à sa proposition de lui donner un travail.

Nyéléni tourna son visage vers Ima Soninké. Sur le minuscule canapé de son appartement, ils n'avaient jamais été aussi proches physiquement. Peut-être un signe de confiance.

« Je n'ai aucune dette si ce n'est de coeur envers ces personnes. Je sais que c'est beaucoup demandé mais, sauriez vous fermer les yeux et me faire confiance ? »

Elle le détaillait de ses grands yeux ourlés de velours noir, comme elle avait l'habitude de le faire quand elle voulait se faire une idée de ce qu'une personne avait dans la tête.

Elle étudia encore longuement ce visage qu'elle ne connaissait pas encore suffisamment pour en tirer des certitudes. Curieusement, de l'étonnante proximité physique - quand on considérait qu'ils s'étaient à peine vus quelques fois - elle ne tira aucun malaise. Elle ne releva même pas vraiment, trop occupée qu'elle était à essayer de trouver la faille. Elle n'en trouva pas.

« Je sais que je ne vous facilite pas la chose, mais je vous remercie. C'est essentiel pour moi. »

Cela ne signifiait pas pour autant qu'elle le croyait capable de fermer les yeux complètement mais c'était au moins une chose de posée entre eux. Elle ne comptait pas pour autant baisser sa garde et ce pour deux raisons. La première, elle l'avait clairement énoncée. La seconde était simplement de ne pas mettre Ima Soninké dans une position inconfortable.

Le café apporta, comme souvent, une issue de secours à la conversation, quoiqu'elle n'en eut pas vraiment besoin. Pour une raison qu'elle ignorait, le malien lui avait toujours inspiré une confiance injustifiée. Une vérité qui se confirmait au fil du temps.

« Je n'ai aucun mérite là-dedans. C'est à Namandié Sô que vous le devez. », avoua-t-elle avec un petit rire amusé. Le nom de sa grand-mère ne lui serait probablement pas étranger. Au pays, il inspirait une forme de crainte révérentielle mais pour elle, il n'évoquait qu'une enfance heureuse. Elle ne dit cependant rien de plus de ce jardin secret, « Mais je dois reconnaître que je ne suis pas peu fière d'avoir hérité de sa recette. »

Et pour cause. Le café avait cela de bien qu'il savait réconcilier tout le monde et briser toute sorte de glace. Nyéléni débarrassa prestement, laissant volontairement le thermos bien en évidence pour palier toute idée de décliner l'offre. Elle n'avait aucun mal à imaginer le genre de journée qui l'attendait, pour le peu qu'elle avait vu sur le cadran de son étonnante montre. L'agenda d'Imelda n'était pas sans similitude ou encore celui de certains employés stars de l'IDEM.

A nouveau elle porta son regard ourlé de velours noir sur le malien sans qu'il y ait de véritable intention derrière. Ils retourneraient sous peu à ce quotidien qui était le leur, du moins pour l'instant.