L’impuissance de se taire [ft. Will]

C’était une belle journée. Elle donnait envie de sortir profiter du ciel bleu qui n’avait pas été vu en Ecosse depuis de bien trop longues semaines. Même l’air, clément, s’était réchauffé pour faire de cette expérience de promenade la plus charmante qui soit. Amy se sentait d’humeur nostalgique en s’approchant des grands rosiers du château. Elle n’avait pu amener Elijah Junior avec elle par risque de se faire emporter par un des nombreux rapaces qui tournoyaient dans le ciel par ce beau temps. La jeune sorcière s’était pourtant promis de lui fabriquer une belle armure magique avec des gros pics pour le protéger de toute attaque, mais en l’absence de talent, cette idée resterait de l’ordre du rêve.

En approchant d’une rose, la jeune fille ferma doucement les yeux pour la sentir à plein nez, avant de grimacer en haussant les épaules avec déception. Franchement… L’odeur n’était pas top. Ces fleurs, c’était quand même beaucoup de bruit pour rien…  Amy préférait les petites fleurs sauvages qui ne ressemblait pas à grand-chose mais qui avait pourtant beaucoup à offrir. Cette description lui fit soudain penser à @Sheraz Mahal, et la jeune Jordan frappa son poing dans sa main. Mais oui ! Elle allait demander à l’ingénieur de Poufsouffle de l’aider à construire une armure à son lapin !

Cependant, avant qu’elle ne songe à remonter dans le château pour le trouver dans l’une de ses cachettes d’intello – sans doute un trou sombre dans le mur ou une alcôve sinistre bien éloignée du soleil – son pied buta sur quelque chose. Avec surprise, Amy se pencha pour ramasser un petit carnet bleu foncé. Évidemment, la jeune sorcière ne put s’empêcher de l’ouvrir pour y trouver de jolis mots bien écrits et pour la plupart raturés. Ils parlaient de sentiments et de flammes, de charme et d’égoïsme, de brasier et de rimes, de pétales et de cœurs… Des poèmes d’amour !

Avec un soupir de ravissement, la jeune Poufsouffle se mit à lire tout en marchant, sa découverte faisant naitre des larmes d’émotion à ses yeux ; et elle ne mit pas longtemps à comprendre que ces textes lui étaient directement destinés. Un mystérieux inconnu était tout simplement tombé amoureux d’elle ! Ça n’était pas très étonnant, mais toujours touchant ! Un instant, elle se demanda si @Zoran Borkovic n'était pas l’auteur de ces poèmes avant de s’esclaffer bruyamment à cette idée ridicule ! Il l’aurait secouée comme un pommier s’il l’avait appris !

Mais le destin ne mit pas longtemps à mettre sous ses yeux le potentiel auteur de ces jolis mots. Un jeune étudiant était assis là un peu plus loin, agitant sa longue plume sur un carnet bien similaire à celui qu’elle avait trouvé, cherchant l’inspiration en relevant les yeux vers la chouette perchée à côté de lui. Avec un gloussement, Amy s’approcha en sautillant avant de sauter d’un bond jusqu’à l'endroit où il s'était posé.

- Oui-oui ! Avec un grand sourire, elle s’agenouilla à côté de lui avant de lui agiter le carnet qu’elle avait trouvé sous le nez. Je crois bien qu’on a des choses à se dire toi et moi, tu penses pas ?

Le jeune étudiant fut apparemment tant ébloui par son charme naturel qu’il n’arrivait à aligner deux mots sans bégayer. Amy lui offrit son sourire le plus attendri en consentant à lâcher le carnet sans jouer un petit peu avec lui. Elle le trouvait tellement attachant, à écrire assis au milieu de ces petites fleurs qui semblaient tant l’inspirer.

- Je t’en prie, appelles-moi Amy, s’esclaffa-t-elle avant de s’affaler à côté de lui sans prendre le temps de lui demander son avis. Elle se demandait si son prénom se transformerait en Mimi dans sa bouche. Oui-oui et Mimi… Ça sonnait ben !

En posant son menton sur sa main, elle lui lança un regard amusé alors qu’il devait sans doute se demander pourquoi elle restait ainsi à côté de lui.

- Okay, j’avoue tout ! Dans un cri, Amy céda devant la pression que ne lui mettait pourtant absolument pas Will. J’ai lu ton carnet ! C’est vraiment très beau ce que tu écris ! Et je dois t’avouer que j’ai rapidement compris qui était cette mystérieuse admiratrice…

Elle détourna la tête pour glousser derrière sa main. Évidemment, il s’agissait d’elle. Amy avait du flair pour ce genre de choses et avait très vite compris que le pauvre garçon s’était éperdument épris d’elle. S’ils s’étaient rencontrés plus tôt, l’histoire aurait pu se dérouler tout autrement. Malheureusement pour Will, le cœur de la jeune Poufsouffle était déjà pris, et elle était dans l’incapacité de répondre à ses sentiments. Elle voulait cependant éviter de briser violemment les espoirs de son camarade et prit le temps de choisir avec précaution ses mots.

- Déjà, saches que cette jeune fille est vraiment flattée par tout ce que tu as écrit… Tu es un vrai poète ! Tu devrais écrire des livres ! Vraiment je suis sérieuse ! Mais malheureusement, j’ai bien peur que ton attachement ne soit pas réciproque… C’est pas de ta faute tu sais ! Tu es vraiment très mignon ! Mais tu es resté dans l’ombre trop longtemps, c’est vraiment dommage… Elle a quelqu’un d’autre en tête…

L'étudiante soupira en secouant la tête devant ce gâchis évident de sentiments. Mais bon, avec sa petite tête d’ange, c’était certain que Will finirait bien par trouver une autre dulcinée. Une jeune fille aussi jolie et gentille que lui…

Le pauvre Poufsouffle se mit à transpirer à grosses gouttes au fur et à mesure du discours d’Amy et il feuilleta son carnet comme s’il avait le pouvoir de retirer de son esprit ce qu’elle y avait lu. Mais impossible pour l’étudiante d’oublier de si jolies rimes qui la décrivaient si bien… Il fut bien évidemment touché par son compliment avant qu’elle ne lui brise le cœur en lui avouant ne pas pouvoir répondre favorablement à son penchant. Pauvre garçon…

Il bégayait en parlant de rumeur et Amy fronça un instant les sourcils avant de hausser les épaules. Evidemment, les étudiants devaient parler dans son dos de son mystérieux amoureux. William était sans doute loin d’être le seul à avoir ses sentiments anéantis par cette nouvelle… La jeune Jordan se doutait bien que d’autres garçons et filles étaient  tombés éperdument amoureux d’elle sans pouvoir espérer la moindre réciprocité. La vie était ainsi faite, et Amy était certaine qu’ils finiraient tous par passer à autre chose.

Déjà William s’était remis à écrire. Peut-être que la détresse de son cœur brisé lui inspirait un nouveau poème ? Amy l’observa faire avec un sourire encourageant avant de poser les yeux sur le papier qu’il lui tendait. Elle afficha alors une moue déçue en voyant la faible qualité de sa prose. Non, décidemment, sa plume était bien meilleure quand il était heureux et amoureux. Il fallait absolument qu’elle lui remonte le moral, pour le bien de la poésie !

Mais l’étudiant était très remonté, et il lui demanda sèchement de le laisser tranquille. Choquée, Amy ouvrit silencieusement la bouche en écarquillant les yeux. Il la détestait donc à présent ? Heureusement, il se reprit avec une adorable politesse et lui comme son volatile se baissèrent pour la saluer. Absolument émerveillée, Amy se mit à rire en frappant des mains avant de s’écrier de déception en les voyant s’éloigner.

- Oui-oui, attends !

D’un bond, elle se releva à son tour pour lui courir après. Le spectacle l’avait tant fascinée qu’elle en venait à oublier que sa simple présence resplendissante devait mettre le jeune homme mal à l’aise.

- Tu es poète ET dresseur d’oiseau ? Mais nom d’un Cognard, tu es tellement doué ! Je t’assure que si j’avais pas déjà un petit ami, je serai tombée follement amoureuse de toi ! S’il-te-plait, montre-moi comment tu fais avec ton hibou ! Et promis, en échange, je parlerai à personne de tes incroyables talents !

Le jeune étudiant protesta avec la modestie qui le caractérisait. Amy se contenta de pouffer en sautillant à ses côtés. C’était vraiment drôle sa manière de l’appeler mademoiselle Amy, comme s’il arrivait tout droit d’un autre temps. C’était peut-être le cas d’ailleurs. Oui-oui ressemblait à un jeune fils d’un Seigneur médiéval – pas forcément l’héritier direct, mais plutôt le deuxième fils. L’oublié, le mal aimé. Il avait chez lui une espèce de douloureuse noirceur qui ne semblait pas uniquement tenir au fait qu’Amy lui refusait son amour.

Comme pour confirmer ses soupçons, le Poufsouffle émit un sifflement puissant en envoyant son rapace voler au loin. Il avait à présent tout l’air d’un jeune prince et Amy leva le nez en l’air pour observer avec ravissement le battement des ailes de l’oiseau qui plana au-dessus d’elle jusqu’à un arbre non loin de là.

La jeune Jordan la fixa avec un grand sourire avant de se tourner d’un air surpris vers son camarade qui semblait vouloir lui dire quelque chose. Il avait retiré son gant en cuir et le lui tendit en bégayant de nouveau.

- Tu veux que je le mette, s’étonna la jeune fille en attrapant la lourde protection. Elle avait du mal à comprendre ce que Oui-oui avait derrière la tête.

Le jeune homme lui demandait sa permission pour accrocher le gant sur elle, et Amy commença à sentir l’excitation la gagner quand elle comprit peu à peu qu’il lui proposait de jouer avec son oiseau.

- Oh oui, s’il te plait, accroche-le-moi, trépigna-t-elle en ne pouvant plus cacher son empressement. Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? Il faut que je me tienne comment ? Tu sais que j’ai un petit lapin ? Je dois sentir le lapin… Elle va pas me confondre avec un lapin et m’emmener pour me dévorer ?

La petite sorcière fut secouée d’un rire nerveux qui n’était pas complètement rassuré. Mais alors que son camarade s’assurait que la protection était bien mise, elle se redressa courageusement, prête à lancer son plus beau sifflement. Il y avait un souci cependant. Tournant son regard angoissé vers Oui-oui, elle posa sa main sur son épaule.

- Y’a un souci Oui-oui… Je sais pas siffler ! Mon frère a bien essayé de m’apprendre, mais ça veut vraiment pas, regarde !

La jeune Jordan se concentra pour émettre un espèce de pitoyable crachin qui produisit plus de jet de salive que de bruit.

Son camarade de Poufsouffle sortit son carnet pour lui écrire quelques mots. Il était apparemment bien plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral. Tout l’inverse d’Amy. Écrire était une véritable plaie pour elle et l'étudiante conservait dans la malle de son dortoir des dizaines de lettres commencée et non terminées qu’elle n’avait jamais envoyées. La plupart était à destination de son frère et elle finissait souvent par emplir son enveloppe de paillettes. Le message était on ne pouvait plus clair. Il y avait également une lettre d’amour débutée en première année pour le capitaine de l’équipe @Michel-Ange Grimm mais elle n’avait clairement pas su trouver les mots pour décrire ses sentiments. Si elle avait su que Oui-oui écrivait aussi bien, elle lui aurait demandé de l’aide. Mais avec le recul, heureusement qu’elle ne s’était pas officiellement déclarée. Quelques années plus tard, elle était parfaitement heureuse avec @Zoran Borkovic, même s’il était toujours bougon et qu’elle semblait l’agacer avec le moindre de ses gestes et de ses mots.

La jeune Jordan secoua la tête pour se reconcentrer, se rendant compte qu’elle avait encore laissé ses pensées divaguer. Le Poufsouffle lui indiqua que la chouette était petite et d’un coup d’œil nerveux vers elle, Amy du bien reconnaître que la boule de plumes était adorablement minuscule. Apparemment, les chouettes n’utilisaient pas vraiment leur odorat, preuve qu’elles n’étaient donc pas si parfaites que ça. Oui-oui la rassura sur ses propres imperfections et l’effleura doucement avec un sourire pour lui montrer quelle position prendre.

Il était si doux et attentionné qu’Amy lui jeta un regard débordant d’amour avec un sourire tout aussi niais. Son camarade lui rappela de rester prudente avant de lui indiquer comment donner ses récompenses au rapace. Puis, enfin, les indications furent terminées. Tout cela faisait beaucoup d’information pour une jeune fille avec la capacité de concentration d’un niffleur. Stressée, elle se redressa de manière un peu raide pour éviter de décevoir son ami. Il semblait clairement adorer son oiseau, et il accordait une grande chance à Amy d’interagir ainsi avec la petite chouette. La Poufsouffle espérait qu’elle ne gâcherait pas tout pour une fois.

Le sifflement retentit, et l’oiseau s’envola en direction d’Amy qui resta figée en retenant sa respiration. Oui-oui en face d’elle lui montrait la position à reproduire et elle s’exécuta tant bien que mal. La chouette se posa sur le gant, aussi légère que le petit sac de plumes qu’elle était. Amy souffla doucement alors qu’un sourire ravi s’étalait sur sa face.

En suant légèrement, elle tendit à la chouette ses récompenses, ainsi que son camarade le lui avait montré, avant de tourner son visage rayonnant vers l’étudiant.

- Tu as vu Oui-oui ? Elle est sur moi ! Oh je suis trop contente ! C’est le plus beau jour de ma vie je crois ! Est-ce que je peux la caresser ? J’ai envie de lui faire un bisou mais je suis sûre que tu vas me dire que je peux pas !

Toujours extrêmement prudente, elle restait aussi immobile qu’une statue par peur d’effrayer le volatile. Cependant, et même si l’animal était très léger, elle commença rapidement à avoir mal au bras qui se mit à trembler de plus en plus, ébouriffant la chouette au passage.

- Oh, on dirait qu’elle tremble ? Elle a froid, s’inquiéta la jeune fille sans se rendre compte que c’était son propre manque de muscles qui créait ce phénomène.

La petite boule de plume finit par s'envoler pour retrouver sa liberté. Amy la fixa de ses yeux brillants d'émotion avant de rendre avec une certaine humilité son matériel de protection à Oui-oui.

- Merci pour tout Oui-oui, j'espère qu'on pourra toujours rester amis comme ça, et revivre ces petits moment de bonheur partagé.

Le Poufsouffle allait vite trouver une nouvelle jeune fille auprès de qui s'éprendre, elle en était persuadée ! La jeune fille lui fit un petit signe de la main avant de s'éloigner en sautillant gaiement.