Alcohol doesn't solve any problems, but then again, neither does milk — ft. Michel-Ange Grimm

Michel-Ange & Siobhán
Never-Utopia



À l’instant où Apolline Dunn avait fait son entrée, les jeux de regards avaient fusé tout autour de la piscine. Mais celui que Siobhán avait guetté parmi tous les autres était celui de Xris, qui s’était immédiatement détourné de celle qu’il convoitait. Siobhán aurait presque pu entendre le bruit de son coeur qui s’était brisé dans sa poitrine au moment où leurs yeux s’étaient croisés, malgré les basses de la musique qui résonnaient bien trop fort dans ses oreilles. Le semblant de sourire qu’il avait arboré quelques instants plus tôt s’était évanoui en un claquement de doigt, juste avant qu’il ne disparaisse à son tour.

La vélane n’avait pas bougé. Elle avait simplement observé le Serpentard nager à son strict opposé, lui rappelant avec acidité le soir du Bal de Yule, quand il s’était contenté de tourner les talons devant elle en apercevant la Dunn se pavaner dans la foule. Ce souvenir l’avait empêchée de le suivre tout de suite. Et puis, les remords avaient fini par la rattraper.

Si, lors de leur première rencontre, elle n’avait pas daigné le suivre par pure fierté, elle n’avait pu se résoudre à le laisser seul alors que, depuis, elle avait appris de quoi ses secrets étaient faits.

(…)

La musique s’était éloignée alors que Siobhán tentait, tant bien que mal, de retrouver Xris dans cette immense propriété. Pour éviter de parcourir les lieux trop dévêtue, elle avait enfilé un kimono de plage blanc, laissant seulement deviner le maillot de bain noir qu’elle cherchait pourtant à cacher.

Au fond, elle regrettait déjà de ne l’avoir pas suivi immédiatement, pétrifiée par cet égo qui l’avait assommée. Et puis, Xris avait peut-être déjà quitté la soirée, sans même dire au revoir. À cette pensée, elle sentit une petite boule naître là, quelque part dans sa gorge. Mais, rapidement, elle laissa toute l’espace libre de ses pensées à nouveau à ce plan qu’elle avait malicieusement fait naître dans sa tête alors qu’elle était encore dans la piscine. Deux coeurs meurtris pouvaient-ils n’en faire qu’un ?

Sa marche se stoppa quand elle aperçu une silhouette de dos, tout près du labyrinthe qui séparait le lieu de la fête et le manoir des Rosewell. Plus Siobhán se rapprochait, plus elle se rendait compte que cette carrure n’avait strictement rien à voir avec celle de Xris. Mais elle ressentait le besoin de s’en assurer, juste au cas-où.

Mais, alors qu’elle était trop prêt pour reculer, l’évidence lui fit détourner les yeux.

« Michel-Ange, c’est toi ?! »

S’il était de dos, c’est parce qu’il était, tout simplement, en train d’uriner sur l’une des haies qui délimitait le labyrinthe, chantonnant gaiement sur un air de She's A Rainbow, des Rolling Stones.

« Laisse tomber, je vais plutôt faire comme si je n’avais rien vu », déclara-t-elle simplement en se couvrant les yeux à l’aide d’une seule main.

D’un geste rapide, elle se retourna, bien décidée à poursuivre ses recherches.

Siobhán avait déjà eu le temps de faire quelques pas avant que Michel-Ange ne se décide à la suivre, manquant de la faire tomber avec lui lorsqu'il arriva à sa hauteur. Il lui avait demandé de l'attendre, mais, comme à son habitude, elle ne pouvait s'empêcher de faire le contraire de ce qu'on espérait d'elle. Le Poufsouffle ne ferait certainement pas exception. Surtout que l'envie de passer du temps en sa compagnie n'était clairement pas d'actualité.

« Hé ! », s'exclama-t-elle d'une voix forte alors qu'elle dut se rattraper comme par magie pour ne pas chuter à son tour. « Tu es complètement saoul Michel-Ange ma parole, tu sens l'alcool à des kilomètres, c'est probablement pour ça qu'une odeur agréable te surprend. »

Ça n'avait rien à voir avec l'alcool, elle le savait bien. Juste avec ce parfum qu'elle dégageait sans s'en rendre réellement compte. Une douce odeur sucrée qui s'échappait de sa personne par le simple fait d'exister, et qui expliquait pourquoi elle avait passé tant de temps éloignée des hommes qui subissaient ses charmes. Parce qu'elle avait horreur de ne pas pouvoir contrôler ce don qui était le sien. Encore plus quand il s'agissait d'un Poufsouffle qu'elle n'avait aucune envie de séduire en cet instant, plutôt de faire disparaître d'un coup de baguette.

Son petit clin d'oeil adressé à @Xris Andērson lorsqu'@Apolline Dunn l'avait rejoint ne lui avait pas échappé. Non content d'avoir été choisi, il fallait en plus qu'il se pavane. Et Siobhán détestait ce genre d'attitude. D'autant plus qu'il était aussi à l'origine de toute la peine de @Céleste Delacroix.

La Korrigan se retourna subitement vers lui, s'arrachant à sa proximité. Un sourire dont on pouvait facilement cerner toute l'ironie s'afficha sur son visage. Le ton de sa voix montait, sans qu'elle ne s'en rendre vraiment compte.

« Pourquoi ? Parce que ça te ferait du mal de voir la personne que tu aimes embrasser quelqu’un que tu détestes ? », siffla-t-elle en serrant les dents.

Son regard n'affichait plus de la lassitude ou du désespoir face à cette situation. Il était emprunt d'une colère sincère, qui puisait sa source dans toute la loyauté que Siobhán entretenait envers le peu de personne qu'elle pouvait qualifier d'amis.

« Au moins, tu saurais ce que ça fait. »

Nul besoin de citer les prénoms des deux personnes auxquelles elle faisait référence. D'autant qu'un peu de jugeote suffirait à Michel-Ange pour comprendre de qui elle parlait.

« Ne l'insulte pas devant moi. Ou je te promets que quelqu'un d'autre finira avec la mâchoire carrée. »

La demie-vélane n'était pas quelqu'un de violent, mais il ne fallait pas s'en prendre aux siens, jamais. Même si elle n'était pas aussi proche de Xris que cette phrase le laissait entendre, Siobhán avait beaucoup d'estime pour lui et savait combien il souffrait de cette situation.

Elle était probablement la seule, d'ailleurs.

Tout, absolument tout dans l'attitude de ce garçon était un appel à la faire sortir de ses gonds. Siobhán commençait à comprendre pourquoi @Xris Andērson ne le portait pas dans son cœur. Ils n'avaient jamais parlé ensemble de Michel-Ange, seulement d'@Apolline Dunn. Mais de ses yeux d'émeraude, elle avait bien vu que le vert et le jaune étaient deux couleurs qui ne se mélangeaient pas. Qu'ils ne se portaient aucune affection l'un pour l'autre — voire qu'ils se détestaient.

À un moment donné pourtant, la vélane avait laissé le bénéfice du doute au Grimm ; si @Céleste Delacroix avait eu des sentiments pour lui, c'est probablement qu'il y avait une raison. Mais en cet instant, alors que le Poufsouffle rebroussait chemin, force était d'admettre qu'elle ne saisissait pas bien laquelle.

« En fait, tu comprends rien », avait-elle simplement déclaré, elle-même époustouflée par l'absurdité de la scène qui se déroulait sous ses yeux.

Sa voix s'était faite plus basse, cette fois-ci. Mais Michel-Ange, s'il était doué d'une audition à peu près dans la moyenne, devait avoir saisi sans mal chacun des mots bien articulés qui étaient sortis de sa bouche, même s'il lui tournait le dos.

Siobhán n'en revenait pas du discours qui lui avait été servi. Son regard s'était perdu un peu plus loin, quelque part sur le sol, guettant un brin d'herbe qu'elle ne voyait même pas vraiment.

Et dire qu'il avait même osé une petite leçon de féminisme, suffisant à l'irriter avant même qu'il ne poursuive davantage son laïus.

« T’es tellement centré sur ta petite histoire d’amour avec Dunn, t’es tellement consumé par ta jalousie envers Xris que t’as même pas pensé à elle une seule seconde. Tu n'as même pas envisagé que je pouvais parler de quelqu'un d'autre. »

Cette fois-ci, le silence prit toute la place vacante. Siobhán ne savait même pas s'il l'entendait encore, s'il avait stoppé sa route, ou bien s'il était déjà parti rejoindre les autres. Son cœur avait parlé, sans retenue. Elle qui avait passé plusieurs semaines auprès de  @Céleste Delacroix, pour recoller les morceaux que Michel-Ange avait piétinés. Elle qui lui avait fait la promesse de rester à ses côtés et de l'aider. Elle qui l'avait regardée se relever avec une force d'esprit admirable quand il avait été question, quelques mois plus tôt, de la laisser quitter l'école.

La Korrigan ne comprenait pas comment le prénom de sa meilleure amie ne s'était pas de lui-même imposé dans la tête du Poufsouffle. Et rien que pour ça, les regrets n'allaient pas se montrer.

« Donc t’as raison, on a absolument rien à se dire. Et effectivement, on ne peut pas être amis. »

La tristesse pouvait se lire dans les traits amoindris du jaune-et-noir. Mais dans ceux de Siobhán, immobile, on n'y voyait rien d'autre que l'aigreur qui avait envahi son cœur en pensant aux derniers mois compliqués que sa meilleure amie avait traversés.

Pour un garçon qui n'en valait visiblement pas la peine.

Chacune de ses paroles avait coulé vers elle dans un flot presque interminable, que rien ni personne ne semblait pouvoir arrêter, à part lui-même. Siobhán avait vu dans cette longue explication l'opportunité de se saisir d'un deuxième son de cloche, elle qui se refusait d'habitude à juger sans savoir vraiment. Alors elle avait écouté. Patiemment, sans l'interrompre, même quand son propre intérieur bouillonnait de rage, tantôt à la mention d'@Apolline Dunn, tantôt lorsqu'il parlait du rôle joué par Céleste dans sa guérison.

Si d'habitude, Siobhán arrivait à prendre assez de recul sur une situation pour se forger son propre avis sur la question, cette fois, c'était différent. Son jugement avait été sans appel, dès les premiers instants. Malgré elle. Parce que l'attitude détestable du Poufsouffle avait pris le dessus, parce que le visage qu'avait montré Michel-Ange ce jour-là avait suffit à la convaincre qu'il n'y avait rien à aller chercher, à part davantage de rancœur.

Et pourtant. La vue de ses larmes l'avait saisie et pétrifiée, empathique comme elle était. Sous ce masque qu'il avait bien voulu montrer depuis leur arrivée, se cachait en fait une vérité bien plus profonde que n'importe qui n'aurait pu l'imaginer.

Mais derrière les épaules du jeune homme, qui avait perdu toute leur splendeur, il y avait le visage de son amie qui la regardait. Et ses yeux bleus qui la toisaient.

« Reste que tu n'aurais pas dû la laisser partir. On ne laisse pas partir quelqu’un qu’on aime. », affirma-t-elle d’une voix assurée, ses émeraudes perçant la distance.

Elle marqua une pause, après avoir détourné le regard.

Parfois, si, il le fallait.

« Enfin, ce n'est pas comme ça que je vois les choses. Si tu l'aimais autant que tu le dis, pourquoi tu ne l'as pas retenue, hein ? C'est elle qu’il fallait aller chercher. Céleste, c'est le genre de personne pour qui il faut se battre, quitte à y laisser des plumes. »

Elle défendait bec et ongles une histoire d'amour achevée, dont elle savait à peu près tout mais qui ne lui appartenait même pas.

Quand il était question d'amour et de sentiments, son imagination était sa seule limite, parce qu'il n'avait jamais été donné à Siobhán d'aimer. Ni à huit ans, ni maintenant. Et même si l'amour venait un jour frapper à sa porte, il n'était même pas dit qu'elle saurait le reconnaître.

Non, vraiment, elle ne savait pas ce que c'était d'aimer.

Alors, il était beaucoup plus facile d'émettre un jugement sur ce que ressentaient les autres, puisqu'elle n'avait pas de sentiments qui lui étaient propres. Elle n'en avait jamais eu. Mais ça, elle ne l'admettrait pas. Encore moins devant Michel-Ange. Elle préférait largement garder le silence sur les propos qu’il avait tenus à son égard. Il n’y avait rien à en dire, de toute façon.

«  Ce qui est fait est fait. On ne peut pas revenir en arrière, ni même effacer ce qui s’est passé. Tu as fait tes choix. Je les entends. »

Il y avait une nette différence entre « entendre » et « comprendre ». Mais sa voix s’était calmée, le rythme de son cœur redescendait. Rien n’avait changé pourtant, mais la souffrance qui l’avait poussé à parler sans s’arrêter suffisait à faire redescendre la pression. Il n’était pas indifférent comme elle l’avait initialement pensé.

C’était tout ce qui importait.

Désormais, seul l’avenir comptait. Et cette discussion avec Michel-Ange avait au moins le mérite de resserrer la main de Siobhán autour de celle de Céleste. Jamais elle ne la lâcherait. Et elle ferait tout pour s’assurer de son bonheur. Comme promis.

«  Par contre, on maitrise le présent et le futur… »

C’était un fait incontestable. Si ses actions passées ne le définissaient pas, son comportement envers @Xris Andērson avait de quoi le rendre exécrable.

Et puis, il y avait eu ce moment, aussi, où il avait touché son front. Comme si cela lui permettrait de mieux intégrer les informations qu’il venait de lui partager. Siobhán n’avait pu réprimer un mouvement de recul. Si Michel-Ange était sensible à son parfum, elle n’osait imaginer ce que ça donnerait si elle se laissait toucher.

Un regard suffisait amplement.

« … et il n’appartient qu’à toi de les transformer. »

Et voilà qu'elle ressentait à nouveau un brin de tension crisper ses membres et sa mâchoire.

D'abord, parce qu'elle avait senti, lorsque ses joues avait rosi, qu'il n'était pas insensible à ce qu'elle était. Pourquoi, d'ailleurs ? À l'entendre parler, il était fou amoureux. Son don n'était-il pas censé être ignoré par ceux qui étaient déjà voués à un autre être ? N'était-ce pas l'enseignement qu'elle avait tiré, lors de son dernier échange avec @Xris Andērson ?

Peu importait, pour le moment. Parce que la loyauté de Siobhán n'avait d'égal que sa franchise, et qu'il était avant tout compliqué pour elle d'entendre un inconnu parler de la sorte de quelqu'un qu'elle considérait sincèrement. Ses poings s'étaient serrés, figés, à l'image de son corps et de sa voix, qui craignaient probablement de se laisser emporter s'ils venaient à trop se manifester.

« Dommage, t'as laissé passer ta chance », siffla-t-elle.

Impossible de savoir si elle parlait de  @Céleste Delacroix, de @Xris Andērson, d'elle, ou des possibilités qu'il avait d'agir sur ce qui était encore à venir.

À quoi s'attendait-il au juste ? Qu'elle lui fasse une dissertation sur sa vie amoureuse inexistante en toute sincérité alors qu'à part ses larmes, tout en lui jusqu'ici n'avait été synonyme que de déception ? Qu'elle s'accroche à ce simple portrait qu'il dépeignait de Xris devant elle, alors qu'elle venait justement de lui soumettre l'idée d'adopter une autre attitude envers lui ?

Et en même temps, qu'est-ce qu'elle s'imaginait, elle ? Qu'un coup de baguette magique, qu'une seule apparition de sa part suffirait à faire taire toutes ces tensions qui ne l'avaient clairement pas attendues pour exister ?

Sa propre naïveté était une surprise de tous les instants.

« Difficile de faire la part des choses quand tu te montres sous un aussi mauvais jour, Grimm. »

Il l'avait appelée par son nom de famille, incomplet qui plus est ? Siobhán en ferait de même.

Lui laisser le bénéfice du doute était une option tentante bien que rien de ce qu'elle voyait ne lui donnait envie d'y succomber. Pourtant, ses mots étaient bien la preuve de cette ultime possibilité qu'elle lui laissait.

« Je ne répondrai pas à tes interrogations parce que je n'ai strictement rien à dire à quelqu'un qui est incapable de se remettre en question. Et je ne demanderai rien à personne, tout simplement parce que tu n'as aucun ordre à me donner. »

Il avait touché un point sensible en lui demandant si elle était déjà tombée amoureuse. Parce que la réponse sonnait comme une évidence dans ses yeux émeraude, et qu'effectivement, elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'on pouvait ressentir par jalousie. Par contre, elle savait tout de la douleur entraînée par la perte d'un être cher. Faire le deuil de quelqu'un ou d'une relation amoureuse, était-ce réellement différent ? Parce que dans les deux cas, cela signifiait laisser grandir, chaque jour, un trou béant dans sa poitrine jusqu'à ce que le temps ne finisse par potentiellement le refermer. Encore fallait-il qu'il se décide. Un chagrin d'amour n'était-il pas, par bien des égards, comparable à cette douleur ? N'était-ce pas pour cette raison qu'elle s'était promise de ne jamais tomber dans les filets de quelqu'un d'autre ?

Le silence durait un peu trop. Elle devait changer de sujet.

« Tout ce que tu me décris là, c'est du passé. Peu importe vos histoires avec  @Apolline Dunn, peu importe quelles querelles ont opposé vos familles... il n'appartient qu'à vous, et je dis bien à vous, de changer ce qui peut encore l'être. Et si tu faisais le premier pas... Alors tu montrerais que tu es le plus intelligent des deux. Mais... »

Finalement, la tonalité de sa voix s'était fait hautaine, comme à chaque fois qu'une lueur de défi ou de challenge s'emparait d'elle.

Une question allait s'échapper de ses lèvres alors que Siobhán en connaissait déjà la réponse.

« En es-tu seulement capable ? »