In the air tonight (Sio)

Les iris d’Edel étaient remplis d’or liquide, fondus par la chaleur du feu qui était venu les embraser. La vélane n’en était plus vraiment une quand elle les sentait parcourir son corps en long, en large, en travers. Le regard du Serpentard laissait toujours derrière lui quelques soupçons de poussière dorée, sublimant chacune des parcelles de son épiderme à chaque fois qu’il s’y attardait un peu trop.

Ça n’avait plus rien à voir avec un pouvoir, un don, ou même de la magie.

Certaines personnes voient tout simplement ce qu’il y a de plus beau en nous et parfois… ça suffit.

Siobhán sentait bien qu’il se retenait. Qu’il cherchait encore à explorer les limites, les mêmes qu’il voulait à tout prix franchir. Parce qu’Edel était comme ça. Il n’y avait aucune barrière qu’il ne souhaitait pas outrepasser, aucune règle qu’il ne cherchait pas à transgresser. Cette envie d’aller constamment au-delà de tout était encrée en lui, comme marquée au fer rouge dans chacune de ses décisions, qu’il prenait toujours sans avoir besoin de le dire.

L’existence de Siobhán avait été dictée par la norme et les conventions. Compter dans sa vie quelqu’un qui visait constamment à y déroger avait quelque chose de foncièrement grisant quand on cherchait toujours à tout contrôler. Surtout depuis qu’elle s’était rendue compte qu’il n’y avait pas de risque à se laisser succomber, tant que c’était ponctuel et que ça le restait. Tant que les questions savaient rester assez en retrait pour ne pas venir tout gâcher.

« La faute à qui ? », avait-elle simplement glissé tout doucement, près de son oreille.

Et puis, les pas du vert-et-argent la guidèrent, dans un mélange savoureux entre lenteur et empressement, vers ce lit où elle avait déjà dû perdre quelques-uns de ses cheveux de feu. Il était évident que tous deux se languissaient déjà de la suite, sans pour autant la précipiter.

À califourchon sur ses genoux alors qu'il s'était assis au bord du lit, Siobhán se saisit du visage d'ange terrible d'Edel entre ses doigts pour prendre le temps de le regarder. Sa bouche, le petit sourire enjôleur qui s'y dessinait. Ses yeux, la passion qu'elle y lisait. Elle s'y arrêta d'ailleurs un instant avant de se saisir de l'invitation qu'il avait formulée.

Bien sûr, elle aurait pu attendre encore, faire monter davantage cette pression qui les submergeait déjà.

Mais en avait-elle réellement envie ?

Absolument pas.

Ses lèvres se posèrent sur les siennes, multipliant d'abord les baisers qu'elle y abandonnait avec tendresse. Les uns après les autres. S'aventurant jusque dans son cou avant de remonter systématiquement au point de départ. Puis, ils se firent de moins en moins nombreux, mais toujours plus gourmands.

Jusqu'à ce qu'elle décide de retirer ces vêtements qui les embarrassaient.

La Korrigan, toujours très polie par nature, ne savait pas refuser une invitation qui lui était présentée.

[...]

Alors que la lumière du dortoir se faisait plus naturelle à mesure que le soleil se levait sur Poudlard, Siobhán se laissa réveiller, comme tous les matins, par les clapotis lénitifs des eaux du lac noir qui venaient caresser les vitres. Elle avait de la chance qu'Edel ait été réparti à Serpentard, car sans ce simple bruit, il lui était difficile de trouver le sommeil — et cette nuit-là, elle avait du le chercher à plusieurs reprises, ouvrant les yeux à chaque fois que la présence du vert-et-argent se rappelait à ses côtés.

Tournée dos à lui, elle se contenta de ramener les draps brodés sur elle avant de pivoter pour retrouver la chaleur de son corps, puisque ses mouvements nocturnes l'en avaient tenue éloignée.

Jusqu'ici, la vélane avait toujours pris le pli de s'éclipser dès que les premiers rayons du soleil venaient chatouiller son visage encore endormi.

Mais ce jour-là, même si elle savait que plusieurs cours l'attendaient, Siobhán n'avait aucunement envie de le quitter.

Restait à savoir si elle parlait du lit ou de celui qui dormait encore paisiblement dedans.

A chaque fois, ses réveils auprès d’Edel s’étaient déroulés presque systématiquement de la même façon. Ouvrir un œil, puis deux, toujours la première. Briser la distance qui les séparait pour profiter de la chaleur du corps encore endormi du vert-et-argent. Déposer un petit baiser tendre sur sa joue, comme pour profiter d’un dernier contact avant d’éclater la bulle dans laquelle ils s’étaient immiscés pour la soirée. S’asseoir nue sur le bord du lit, partir à la recherche de ses vêtements généralement répartis de manière aléatoire aux quatre coins de la pièce. S’habiller sans faire de bruit et se faufiler au dehors en repassant le film de la nuit en continu, toujours avec un petit sourire doux.

Mais ce matin, tout était différent, sans aucune raison particulière. Siobhán n’avait simplement pas envie de quitter cette bulle dans laquelle elle se sentait si bien.

« Salut », chuchota-t-elle dans un sourire pour lui rendre celui qu’il lui avait adressé.

Rien que pour ça, elle avait bien fait de rester. Ce sourire dont lui seul avait le secret faisait tourner sa tête, lui remémorant instantanément quelques fragments de la nuit passée.

Il aurait pu s’étonner de la voir rester, lui demander pourquoi elle ne s’était pas éclipsée, comme à chaque fois. Il aurait pu lui dire de s’en aller, qu’une fois la nuit passée, lui montrant qu’une fois la lune couchée, ils n’avaient plus rien à partager. Mais il n’en fit rien, préférant lui intimer de se pousser tout en s’approchant d’elle, dans un profond paradoxe qui était devenu la norme quand il s’agissait d’eux.

Avait-il au moins remarqué que cette attitude n’était pas habituelle ? Prêtait-il seulement attention à ce genre de détails insignifiants qui ne l’étaient peut-être pas tant que ça, au fond ? Éludait-il volontairement la question parce qu’il ne souhaitait pas connaître la réponse ? Et quelle était la réponse exactement ?

Il y en avait une, toute trouvée, qui lui brûlait les lèvres lorsqu’il se risqua à lui demander de quoi elle avait envie, là, maintenant.

Toi. 

Mais ses lèvres ne pouvaient se résoudre à la prononcer. C’est dans ses yeux qu’il fallait aller la chercher.

« J’ai envie de rester au lit toute la journée », confia-t-elle plutôt dans un murmure, la tête fondue sur l’oreiller. «  Tu ne m’as pas laissée assez dormir, cette nuit. Je vais être bonne à rien. »

Les yeux de Siobhán, un peu plus clairs à cause de la lumière, se faisaient aussi plus brillants sous l’effet de la fièvre qui l’envahissait alors qu’elle mordait sa lèvre dans un sourire. Sous les draps, ses jambes partirent à la recherche des siennes pour les entremêler.

«  Mais je ne vais pas t’empêcher de vaquer à tes occupations. Pas une deuxième fois. »

Pourtant, tout dans son regard indiquait le contraire, l’appelant silencieusement à rester auprès d’elle.

«  Toi, tu as envie de quoi ? »

Le moment qu'ils étaient en train de partager était précieux. À leur manière, les instants qui les avaient tenus éveillés tout au long de la nuit l'étaient aussi. Mais sous la lumière du jour, si la connexion entre leurs corps persistait encore, il y avait aussi un lien nouveau qui se créait, à mesure que les minutes passaient ; il se dessinait petit à petit entre leurs esprits. Peut-être que si Siobhán était restée dans ses bras les autres matins, elle s'en serait rendue compte plus tôt.

Elle aurait réalisé avant que ses mots pouvaient être emprunts d'une véritable tendresse, à l'image de ses caresses. Elle aurait compris avant que, même au petit matin, il était capable de la faire rire, comme lorsqu'il s'étonna de sa soudaine paresse à la simple idée de devoir aller en cours. Elle aurait saisi que ses yeux ne la brûlaient pas que lorsque la lune les regardait ; qu'elle aurait pu se laisser tenter même lorsque les rayons du soleil se reflétait sur les eaux troubles du lac de Poudlard.

« Je suis pleine de surprises, tu sais  », avait-elle simplement répondu en le regardant s'éloigner et couvrir ce corps qu'elle prenait tant de plaisir à réapprendre à chaque fois qu'ils cédaient à leurs envies.

Ses yeux se posèrent sur le morceau de tissu rouge-et-or qu'il fit tomber, sans y porter beaucoup d'attention. La vue de Siobhán devait lui jouer des tours et son cerveau devait être encore endormi. Était-ce bien une écharpe aux couleurs de Gryffondor qu'elle avait aperçue ? Par instinct plus que guidée par une véritable curiosité, l'Irlandaise se pencha légèrement pour s'assurer qu'elle s'était trompée.

Mais, visiblement, le soleil permettait aussi de mettre en lumière certaines vérités que les faibles lueurs sélénites ne parvenaient pas à éclairer.

Quelques secondes suffirent à lui faire imaginer le pire des scénarios, qu'elle ne chercha même pas un seul instant à questionner. Siobhán ne se laissa même pas séduire par les douces caresses d'Edel, alors que son corps s'était subitement tendu. Même son invitation ne suffit pas à la ramener et, pour la première fois, la laissa sans réponse.

À son tour, elle s'assit sur le bord opposé du lit, attrapant la chemise qu'elle même avait déboutonné seulement quelques heures plus tôt. Elle fit glisser rapidement ses bras dans les manches, et, une fois debout, attrapa l'écharpe au sol pour la repositionner sur la chaise.

«  Tu fais une collection ? », demanda-t-elle avec une voix innocente juste avant de se lancer en quête de ses propres vêtements, soudainement plus distante.

Bien sûr, c'était une pointe de jalousie qui montait.

Bien sûr, elle ne l'avouerait jamais.

Bien sûr, elle ferait tout pour que ça ne semble pas en être.

Comme à la fête du 11 février dernier, la demie-vélane se forçait à ne pas croiser le regard du Serpentard. À la seule différence que, cette fois, ce n'était pas parce qu'elle avait peur de se laisser succomber, mais bien parce qu'elle entendait la petite voix narquoise de son cœur lui répéter en boucle : je te l'avais dit.

« Je vais essayer de ne pas oublier mes affaires dans ta chambre pour éviter que la Serdaigle ou la Poufsouffle qui viendra à son tour la nuit prochaine ne tombe sur des vêtements aux couleurs de Serpentard, ça évitera de te mettre dans une sale position », expliqua-t-elle avec un petit rire ironique alors que la situation ne la faisait en fait pas rire du tout. «  Si c’est une bleu-et-argent, pourquoi pas Freya, mon autre cousine ? Après Blodeuyn, puis moi, il ne te manquerait plus qu’elle. »

Ses derniers mots s'étaient laissés prononcés toujours avec la retenue qui la caractérisait, tout en sonnant de façon plus cinglante, justement parce qu'elle se faisait plus distante. Parce qu'elle était persuadée, en cet instant, de s'être fait berner. Et ce, même s'ils n'avaient signé aucun pacte d'exclusivité ; probablement s'en voulait-elle d'avoir, elle-même, involontairement intégré cette règle depuis qu'ils se voyaient.

Ses affaires réunies, elle commençait à se rhabiller pour aller prendre sa douche ailleurs.

Comment avait-elle pu un seul instant imaginer manquer ses cours de la journée ?