Pieces of the Sun

Il n'y avait quasiment aucune chance qu'Asel fasse attention à ce jour plus qu'à un autre. Pour elle, le calendrier offrait une panoplie assez répétitive de spécimens du genre - lundi, mardi, mercredi, vous avez compris - parmi lesquels quelques uns se distinguaient. Parmi ceux-là, la Course de Rolling Cheese et les Highland Games partaient bons premiers. Mais elle s'était fait un devoir de marquer ce mardi-là dans son agenda d'une belle couleur rose flashy. Pourquoi déjà ? Impossible de remettre le doigt dessus jusqu'à une heure assez avancée de la journée où elle entendit Gretchen McAllister expliquer par le menu que la St Valentin n'était qu'un fête stupide et commerciale. Pour le coup, l'air faillit lui manquer. Asel ressortit du cours de métamorphose, affolée. Comment avait-elle pu ne pas se rappeler ? Le pire dans tout cela, c'était qu'elle avait eu dès le départ une super idée de cadeau mais entre temps : impossible de remettre le doigt dessus.

Arrivée aux abords de la grande salle, Asel poussa un profond soupir découragé.

Ils avaient collectionné les moments difficiles en un rien de temps - le dernier en date cette histoire de pacte de sang avec  @Apolline Dunn qui lui demandait des trésors de self control qu'elle n'avait pas en réserve. Il y avait malgré elle comme un froid entre eux depuis, alors il était d'autant plus important de marquer le coup. Lui donner la clé de son appartement aurait été une super idée si elle ne l'avait pas déjà fait au bal de Yule. Résolue à ne pas laisser cette St Valentin tomber à l'eau, Asel choisit de se libérer la journée pour y penser, tant pis pour les cours et le reste. Sa première action fut d'aller trouver Dâriush Aslan à sa pause pour lui demander de ne plus la mettre de garde jusqu'à la fin du mois, elle qui avait sauté sur toutes les opportunités de se tenir occupée ces derniers temps. Elle passa ensuite s'acheter une robe de circonstance, ou plutôt s'en faire vendre une en s'en remettant entièrement aux conseils de la vendeuse. Idem chez le coiffeur du chemin de traverse mais elle ressortit très loin d'être convaincue par ce carré qui faisait ressortir un petit côté peste féérique chez elle. Elle espérait seulement qu'Adil ne serait pas du même avis, pour une fois qu'elle allait chez le coiffeur.

Arrivée en gare de Pré-au-lard, elle tomba dans un attrape-nigaud de première catégorie. Elle était toujours à la recherche du cadeau idéal mais maintenant au moins elle avait ce fantastique bouquin pour lui dire comme le trouver. 300 cadeaux de St Valentin les plus romantiques et les plus coquins. Elle ne rejoignit finalement Poudlard qu'après avoir délaissé la trancheuse à saucisson, les sweaters à texte assortis et les biscuits aux formes douteuses. Pourquoi diable ne pouvait-elle pas remettre le doigt sur cette bonne idée ?

Dans sa belle robe, ses cheveux fraîchement coupés, Asel enrageait le visage plongé dans son oreiller. C'est sans doute le moelleux de ce dernier qui lui ramena sa seule et unique bonne idée de St Valentin.

« Holy cun' ! mais ouiiii ... »

***

La fenêtre s'ouvrit sur un Adil tout droit sorti des milles et une nuit. Instantanément, le visage d'Asel s'illumina et, sans plus se faire prier que cela, elle enjamba le rebord de pierre pour le rejoindre sur son tapis volant. Ses grands yeux mordorés pétillaient d'excitation. Elle avait trente six questions. La première : comment s'était-il procuré ce tapis. Mais surtout, surtout, elle avait très envie de l'embrasser, là, devant la fenêtre. Qu'importe. Il n'y avait personne pour les voir à l'instant T.

« Où est-ce qu'on va ? », demanda-t-elle, les lèvres encore piquée de petits grains d'or évanescents.

Elle contrôla aussi discrètement que possible la poche arrière de son jean. C'est bon, il était bien là.

Il y avait quelque chose dans ce baiser, une saveur qui lui avait manqué sans qu'elle puisse dire en quoi ni pourquoi. C'était cette sensation de ne faire qu'un à nouveau. Peut-être le temps avait-il fini par étouffer sa jalousie maladive ? Elle ne préférait pas se poser la question.

Adil commandait au tapis d'une main de maître, comme s'il avait fait ça toute sa vie. Notre sigheanach ne put s'empêcher d'avoir une pensée pour son cousin Sabri et ses tentatives désespérées de lui inculquer un tant soit peu de maîtrise sur un tapis volant. Nul doute que ça pèserait dans la balance le jour où elle présenterait Adil au reste de la famille.

Tirant de sa poche une minuscule bourse, il semblait prêt à lui faire une annonce et cette fois-ci, Asel ne se fit pas de film. Elle attendit patiemment de voir ce qu'allaient découvrir la minuscule bourse garnie de papier fin. Elle reconnut le bijou au premier coup d'oeil. Le pendentif était brisé. Elle eut un instant d'hésitation trop frileuse sur le coup pour accepter l'idée qu'il avait pu briser un pacte de sang... pour elle. Jusqu'à ce qu'il lui en donne confirmation. Un poids se leva aussitôt de son coeur et elle se rendit compte que cette sensation de suffocation ne l'avait pas quittée depuis la fameuse conversation près des serres.

Son regard plongea dans celui d'Adil, effectuant l'aller retour entre lui et le bijou, toujours incrédule.

« Merci... », souffla-t-elle d'une voix étranglée avant de le serrer dans ses bras avec force, « Je t'aime tellement Adil. Je sais que ma jalousie c'est loin d'être un cadeau. Je fais de mon mieux je te jure. Je ferais toujours de mon mieux. »

Cette promesse ne venait pas de nulle part. Asel avait toujours cette crainte dévorante que tout ça devienne trop pour lui ou qu'il s'en lasse. Et elle n'avait jamais les mots pour expliquer ce qu'elle ressentait. Cette peur quasi irrationnel de la lassitude et de l'abandon. Pourtant elle savait que ça ne pouvait pas venir d'elle. Jamais. C'était peut-être le plus effrayant au final.

« Mais comment ? Je croyais - tu n'as rien fait à Apolline j'espère ?!!! »

Dans le doute... on ne savait jamais qui de lui ou d'elle pouvait se montrer le plus extrême.


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Elle aurait pu se lover dans cette étreinte pour l'éternité. La chaleur de sa peau contre la sienne affolant comme toujours ses sens, elle ferma les yeux avec un sourire bienheureux, posant sa joue avec tendresse contre sa tête.
Malgré tout, elle ne put s'empêcher de ramener @Apolline Dunn sur le tapis (au sens propre...). C'était sans animosité, plus parce qu'elle se souciait de sa meilleure amie qu'autre chose et qu'elle se doutait que ce genre de rupture, même si elle n'avait rien d'amoureuse, ne pouvait qu'être difficile à encaisser. Et encore, elle n'avait aucune idée de ce qu'Adil avait bien pu faire pour rompre le pacte, encore moins qu'il ait pu le faire dans le dos d'Apolline.

Quoiqu'il en soit, il ne lui cacha pas que leur relation n'était plus au beau fixe et cela lui fit de la peine. Elle trouverait bien le moyen de leur faire recoller les morceaux mais, pour une fois, elle se montra suffisamment subtile pour n'en rien dire, se contentant d'un sourire compréhensif. Sur cette promesse d'Adil, le tapis amorça une descente en douceur. Ils étaient arrivés dans un de ces villages pittoresques qui bordaient la Forêt Interdite et qui avaient la réputation de faire le bonheur de nombreux vacanciers à la saison haute. Sans qu'elle puisse remettre le doigts dessus, quelque chose semblait vouloir faire tilt dans son esprit. Les petites fées qui voletaient partout ne lui mirent pas la puce à l'oreille, en revanche, l'allée de l'éternel Printemps alluma dans son regard quelque chose de purement féérique.

« Tu peux le voir toi aussi ? »

Tout à coup, elle était tout excitée. Son regard pétillait et sa petite frimousse montrait d'elle tout ce qu'il y avait de plus espiègle et joueur. Elle n'avait pourtant rien fait, si ce n'était se couper les cheveux avant de venir, mais il semblait que le décor l'avait parfaitement épousée ou alors était-ce l'inverse. Elle ressentit comme une étrange vibration remonter du tréfonds de son être et ses grands yeux noisette s'allumèrent d'un voile plus doré que d'ordinaire.

« Je croyais que seuls les fays pouvaient venir ici. C'est ce que racontent les fées des faery pools... », argua-t-elle aussi pensive qu'émerveillée.

La main d'Adil entrelacée à la sienne, Asel suivit le mouvement sans vraiment voir où leur hôte faune les menait, trop fascinée par les merveilles du jardin où ils venaient d'entrer. C'est finalement la voix au timbre profond d'Adil qui la tira de sa contemplation.

« C'est... mìorbhaileach. Plus que ça... tu es fou Adil Mesli. »

C'était dit avec tout l'amour du monde. Elle tendit sa main à travers la table pour appeler la sienne. Ce besoin de contact, de fusion, exacerbé par l'environnement dans lequel ils se trouvaient. Peut-être pour la première fois de sa vie, Asel se sentait proche de ces petites créatures qui voletaient autour d'eux, comme si dans le regard d'Adil, quelque chose en elle se sublimait.

Elle eut un pauvre rire moqueur.

« Promets moi que tu ne vas pas te moquer. J'ai amené quelque chose pour toi... »

Mais dans ce décor, son cadeau manquerait clairement de lustre. Ca ne faisait rien. Elle le lui offrirait quand même.

Elle eut une petite seconde d'hésitation avant de fourrer sa main dans son sac. Un vrai sac de fille comme Charlotte en avait par dizaine. Le genre de truc où on ne pouvait même pas mettre sa baguette mais pour ce qu'elle avait à en sortir c'était suffisant. Elle s'éclaircit la voix, tout à coup elle avait chaud et une petite pointe de stress faisait battre son coeur trop vite. Et s'il trouvait son cadeau nul. C'était sûr. Dans le cadre où ils étaient ç'aurait l'air complètement naze. Pourtant elle y avait mis du coeur. Mais maintenant qu'elle la tenait dans sa main, elle n'était plus si sûre d'avoir envie de la lui montrer.

Finalement elle franchit le cap, présentant dans sa main offerte une petite pelote de laine écrue parfaitement roulée sur elle-même certes, mais une pelote tout ce qu'il y avait de plus ordinaire.

« Je l'ai cardée et filée moi-même, sans baguette... c'est pas si facile en vrai. C'est la première tonte d'Asil... ou Adel... tu sais qu'on ne lui a jamais vraiment donné de nom au final... c'est vrai qu'on ne peut définitivement pas l'appeler Asil mais comme on l'a mis au monde ensemble, avec Pim's, je trouvais que la symbolique était... jolie. »

Il lui semblait que le flot ininterrompu de mots qui se déversait de sa bouche ne s'arrêterait jamais. Ça n'était après tout qu'une pelote de laine mais à y bien regarder, c'était surtout un fil très long, presque sans fin, et très solide. Un fil qu'elle avait créé avec patience et amour, en pensant à lui. A tout ce que le fil de leur vie leur réservait. A ce lien d'attachement si particulier qui les unissait et dans lequel elle plaçait une confiance aveugle quel que soit le nom qu'il fallait lui donner. Elle n'était pas sûre qu'il y verrait la même chose qu'elle mais, pour une rare fois, c'était elle qui était à court de mots, trop pudique pour se dévoiler d'avantage.

Si Adil était familier des vieilles traditions celtes, sans doute aurait-il une idée de quoi faire de ce fil dans les temps à venir.

A nouveau elle s'éclaircit la voix pour dénouer le nœud qui la tenait au ventre. Elle n'était pas loin de remballer cette stupide pelote de laine à vrai dire.

A la mine sceptique d'Adil, elle sut tout de suite que son idée de cadeau était lamentable. C'était à prévoir, elle avait déjà fait tous les efforts du monde pour ne pas louper la date. Qu'elle eut fait un sans faute aurait été plus que miraculeux. Elle se fendit tout de même d'une explication pour essayer de sauver les meubles, avec sa maladresse habituelle et alors elle constata qu'il était au bord des larmes. Franchement Asel, mais tu pouvais pas la fermer pensa-t-elle.

« C'est nul hein ? Je suis vraiment pas douée... t'es tellement meilleur que moi pour ça. », se confondait-elle, sincère, spontanée et... à côté de la plaque comme à son habitude. Finalement il prit la petite boule de laine et la rangea avant de lui prendre la main et ce n'est qu'à ce moment là qu'elle comprit, dans l'intensité du regard qu'Adil portait sur elle qu'elle n'avait pas tant merdé que ça. Le poids qu'elle avait sur le cœur se leva tout à coup et entre leurs doigts enlacés, la lumière pétillait avec une fougue nouvelle. « Je t'aime Adil Mesli. » fit-elle simplement, apaisée.

Lui, n'avait plus besoin de mots. Plus posé qu'elle, étrangement en symbiose avec l'expression pure de ses sentiments, quand chez elle, cela se révélait étonnamment désordonné et sémillant. Ils avaient cette étrange façon de se refléter l'un l'autre, sans se ressembler en rien. Absorbée qu'elle était dans la contemplation de ce moment d'intimité sage, elle ne prêta aucune attention au serveur et à ses coupes jusqu'à ce qu'Adil porte un toast. Elle suivit le mouvement, trinquant sans le quitter des yeux. Au moment où ses lèvres touchèrent le fin breuvage, Asel sentit une étrange énergie la traverser comme un courant électrique mais elle n'en fit pas cas, trop captivée par son amoureux pour cela.

La conversation coulait naturellement entre eux, faisant s'envoler chaque minute de leur repas sans qu'ils ne s'en rendent vraiment compte. Même Asel qui bougonnait toujours quand son grand père optait pour un menu végétarien ne trouva absolument rien à redire à l'enchainement des mets délicats qui passa sur leur table. Ils devaient probablement approcher du dessert quand Adil fit une chose parfaitement inattendue.

Il posa entre eux, une petite boîte, sans rien dire, visiblement très mal à l'aise. Les immenses yeux de chouette d'Asel s'agrandirent encore plus, brillants d'excitation. Il ne fallait pas être extralucide pour voir le petit scénario qui se déroulait dans sa tête mais elle fit de son mieux pour se contenir et, quand la boîte s'ouvrit, elle essaya au mieux de ne pas se laisser entraîner vers le bas par son ascenseur émotionnel. Ca n'était pas une bague de fiançailles mais un petit mouton mécanique, qu'elle ne put s'empêcher de trouver trop mignon même s'il n'était pas très assuré sur ses pattes. L'idée que leur cadeau respectif tourne autour des moutons lui égaya le coeur sans qu'elle sache vraiment pourquoi. Elle le suivit du regard, intriguée. Il lui toucha le doigt et commença à se déglinguer. Dans un moment de panique - l'idée qu'elle avait pu casser le cadeau d'Adil l'avait vaguement effleurée - Asel se leva de sa chaise un peu brusquement, juste pour constater qu'Adil se trouvait près d'elle. Elle lui adressa un regard étonné, se demandant ce qu'il faisait puis suivit sa main qui s'apprêtait probablement à ramasser....

Il avait mis genou à terre. Le coeur d'Asel bondit dans sa poitrine. Spontanément ses mains vinrent se placer sur son visage, laissant apercevoir ses yeux rieurs et ses pommettes plus saillantes que d'ordinaire. Elle lui en rendit une, qu'il serra tendrement en lui posa la question, c'est alors que la magie des lieux s'exprima à travers Asel. Elle eut un petit éclat de rire cristallin en lui donnant mille oui guillerets. Elle l'attira à elle, le redressant d'un geste presque empressé pour poser ses lèvres contre les siennes, exultant de bonheur. Et comme elle pressait ce baiser fou d'amour contre sa bouche, à nouveau cette vibration de magie féérique la parcourut. La lumière qui naissait du contact semblait presque les envelopper entièrement et d'ailleurs, les plus petites fées, attirées par ce chatoiement, formaient une nuée gracile autour d'eux. Doucement, leurs pieds décollèrent du sol, rien qu'un tout petit peu...