Hopeless Opus III

Aderyn suspendit son geste en entendant avec quel aplomb l'homme qui accompagnait sa fille s'était présenté. Très digne, la vieille dame releva imperceptiblement le menton :

« Ça n'est pas le genre de ma fille. », réfuta-t-elle d'un ton ferme, choisissant avec élégance de ne pas relever ce qu'il avait dit de leur lien, une première mention paraissant déjà de trop entre eux.

Près de la cheminée, Geraint, lui, se gaussait de la situation même s'il était suffisamment préoccupé par l'état général de Maeve pour s'engouffrer dans la brèche. Il ne manqua toutefois pas une petite pique. Il s'en serait fallu de peu pour que le bonhomme ne prenne un peu trop ses aises chez eux.

« Il voulait dire... l'amant du vendredi soir ma colombe. »

Aderyn leva les yeux au ciel avant de quitter la chambre. Elle descendait dans son jardin d'hiver, cueillir de la branchiflore pour un cordial respiratoire. Geraint prit sa place au chevet de leur fille, toujours inquiet.

« C'est vrai ce qu'elle dit... Maeve n'est pas du genre à faire des conneries. C'est une tête bien faite. Taliesin sait ce qu'elle peut être bornée mais elle ne laisse jamais rien au hasard. Quant à se blesser avec une lame qu'elle a empoisonnée elle-même... »

Son regard se porta longuement sur Jameson, devinant sans mal comment un tel accident avait pu arriver. C'était la raison pour laquelle ils n'emmenaient jamais de novices à la chasse. Encore moins des amants. Mais il ne prolongea pas le raisonnement ouvertement. A quoi bon. Le message était passé sans aucun doute. Il ne fallut que quelques minutes à Aderyn pour préparer son cordial, dans la cheminée monumentale qui éclairait la chambre. A le fit couler dans la bouche de sa fille à petits filets puis attention de longues minutes. A nouveau, Maeve s'éveilla dans un soubresaut, recrachant de l'eau en quantité avant de pouvoir inspirer de l'air à grands traits. Geraint acquiesça silencieusement. Aderyn la serra dans ses bras. Les yeux bleus glacés de la chasseresse se posèrent sur Jameson, longuement, mais sans un mot.

« Ne nous réjouissons pas trop vite. Je n'ai fait que traiter le symptôme mais le mal est toujours là. »
« Certes, l'ennui c'est que pour stopper les effets du poison, il faudrait tuer la Lorelei ou faire revenir à terre le bateau de son fiancé. Or il y a belle lurette que l'un et l'autre dorment dans le lit du fleuve... »

Il réfléchissait tout haut plus qu'il ne répondait à sa femme mais il était conscient de l'urgence de la situation.

« Il y a plus grave... », commença Maeve d'une voix rauque.
« Non, il n'y a pas plus grave ! », écourta Aderyn, plus farouche cette fois.
« Il n'y a pas plus grave, Maeve. Tu n'es pas en état de conduire notre famille et moi je suis trop vieux pour ça. Alors revoyons l'ordre de nos priorités communes. », imposa son père, « Je dois réfléchir. »

Maeve amorça une profonde inspiration qui s'acheva sur une quinte de toux désastreuse. Geraint se tourna à nouveau vers la cheminée. A nouveau la cheffe de famille reporta son regard sur Jameson, trop longuement pour qu'Aderyn n'y voit pas une invitation à leur laisser un peu d'intimité.

« Comment l'as-tu su ? », demanda Maeve avec aplomb malgré son évidente faiblesse. Son regard implacable ne semblait prêt à tolérer aucun détour. Si elle en avait eu l'énergie, elle aurait probablement étripé Jameson mais elle se sentait écrasée de fatigue et de découragement, le corps glacé jusqu'à l'os. Si on lisait toujours dans son regard la même détermination, son visage livide en disait long sur la portée réelle de ses intentions.

Geraint porta un regard appuyé sur le nouveau galant de sa fille. Les mains dans le dos, le chasseur réfléchissait, pesant le pour et le contre, déjà certain de devoir se le coltiner quoiqu'il arrive. Son yeux malicieux glissa sur sa fille.

« Il n'en est pas question. », siffla-t-elle, pratiquement prêt à bondir de son lit si la main d'Aderyn ne l'avait pas retenue.

Il savait bien ce qui lui déplaisait et, en apparence, ça n'était pas à lui de la contredire. Un exercice qu'il lui avait fallu pratiquer sur plusieurs années avant de pouvoir se contenter d'un hochement de tête entendu. Il quitta la pièce en même temps que son épouse, pressentant qu'il valait mieux ne pas donner à Maeve trop d'occasions de lire dans son jeu. Ils ne se débarrasseraient pas de ce Jameson si facilement.

La porte se referma sans un bruit derrière le couple, Maeve dardant Jameson du regard comme si elle s'apprêtait à le réduire en charpie. Mais sa première question fut posée sans ambage. C'était ouvertement une porte de sortie devant l'orage qui grondait déjà à l'horizon.

Porte de sortie que Jameson négligea, en bon gryffondor qu'il était. Ca ne faisait rien. Elle finirait pas le savoir de toute façon.

Bien, dans ce cas on peut passer directement à mon autre demande. C'est la dernière fois que tu me fais un coup pareil Jameson. », ça n'était bien évidemment pas une demande mais un ordre. Il s'y ferait.

« Seul l'avenir nous le dira. », répliqua Jameson, avec un petit sourire en coin, laissant sous-entendre qu'il avait bien entendu mais qu'il ne pourrait rien lui promettre. Une répartie bien trop légère pour plaire à une Maeve physiquement diminuée.
« Oh non, ça pas question. Je ne suis pas en train de jouer un autre de ces petits jeux. La chasse n'est pas un jeu, loin de là. Tu aurais pu nous faire tuer tous les deux. »

Il se voyait là comme un sauveur quand à ses yeux à elle, il avait été le plus grand facteur de risque de cette chasse. L'imprévu. L'attachement. Tout ce qu'elle bannissait d'ordinaire.

« Raison de plus pour ne plus avoir de secrets entre nous. La prochaine fois, évite de te projeter un meurtre en plein milieu du ministère. » dit Jameson, en levant les yeux.
« Je n'ai pas d'ordre à recevoir de ta part, surtout pas ici. », ici c'était elle qui les donnait les ordres et elle entendait qu'on y obéisse sans détour, « Et ne lève pas les yeux au ciel. Ca n'avait rien à voir avec nous. »
« C'est une discussion privée, non ? Alors, je fais ce que je veux. Et je te dis ce que je veux. Que ça te plaise ou non. » Répliqua Jameson, agacé, lui faisant bien comprendre qu'il ne lâcherait pas un morceau afin de préserver cette équilibre, cette égalité qui les rassemblait. Le moins que l'on pouvait convenir, c'était que non, ça ne lui plaisait pas à elle.

Elle le fusilla d'un regard en fente de meurtrière

« Ne joue pas à ça s'il te plait. Tu aurais pu te faire tuer, on ne s'en sort pas trop mal. Je ne réitérerai pas l'expérience, » difficile de savoir si à cet instant c'était à Jameson ou à Eochaid qu'elle pensait. Quoiqu'il en soit, elle ne semblait pas prête à lâcher non plus, « Tu veux chasser, soit, mais ça ne sera pas avec moi. Ici ce sont mes règles qu'il faut suivre et avant d'espérer me convaincre que tu as bien fait de t'immiscer , commence par me montrer que tu saurais m'obéir. » , pure provocation de sa part. Jameson : obéir ? Ça n'était pas sa capacité à obéir qui la faisait grimper aux rideaux.

Jameson ricana.

« Chérie, calme-toi, il faut que tu te reposes, tu dis n'importe quoi. », à ce stade, si Maeve avait eu un regard plus perçant encore, le directeur de Gryffondor eût été réduit à un petit tas de cendres. Puis, plus sérieux tout à coup : «  Je ne suis pas venu chasser, je suis venu t'empêcher de faire une connerie. T'es mère de famille, t'as un clan sous ta direction et surtout t'es un modèle pour tes filles. », Laquelle ?, pensa-t-elle si haut qu'il ne put sans doute pas s'empêcher de corriger intérieurement. Tout du moins pour Siobhán « Je ne peux pas te laisser devenir un assassin. Je ne peux pas te laisser finir à Azkaban. Maintenant, tu peux mettre ça sur le compte de l'amour si tu veux, mais je ne veux pas te perdre. Et c'est exactement ce qu'il a failli se passer ce soir. », termina Jameson, l'air grave.

Elle continuait de l'assassiner silencieusement pendant encore de longues secondes avant de se rendre à l'évidence. Ca ne servait à rien d'essayer de lui faire comprendre.

« Fearchach McLachlan n'a plus rien d'un être humain. C'est une certitude. Quant à mes projets je t'avais déjà prévenu que j'irais jusqu'au bout quelles que soient les conséquences. Cette famille est sous ma responsabilité. Chacun de ses membres. Et il n'y en a aucun que je - »

Elle s'interrompit, comme la porte s'ouvrait à nouveau. Ils allaient devoir terminer cette conversation plus tard.


co écrit avec @Jameson Clearwater le casse-bonbon