What remains (Sigrid)

Glenn s’enquit sur sa supérieure alors que Sigrid laissait le filet d’eau froide descendre dans sa gorge. Elle eut un sourire pincé, détournant le regard vers la lanterne qui les illuminait. “Non, pas encore.” répondit-elle, ses pensées allant vers  @Nott Tyrfing. L’idée de plaidoyer pour sa liberté avec une ancienne amie, une femme qui l’avait vu sous ses pires jours, une alliée de ses parents qui plus est, lui donnait le tournis. “C’est une vieille connaissance.” dit-elle, sans réellement savoir pourquoi elle lui avouait sa réalité. “On pourrait penser que ça rendrait les choses plus faciles.” Sigrid n’élabora pas, mais la fin de sa phrase indiquait que c’était tout le contraire. Elle observa la lanterne encore un moment, silencieuse, avant de retourner son regard vers Glenn, les yeux fatigués, mais doux. Elle était résignée.

La Norvégienne suivit du regard le gîte que Glenn lui désignait, écoutant en silence ce qu’il avait à dire. Ses yeux s’étirèrent longuement sur le gîte, et si elle n’en montra rien, une boule dans son estomac se forma. Plus.
Plus de loups voulaient dire plus de possibilités d’erreurs, d’accidents, ou simplement plus d’attention sur une terre dangereuse, une mine d’or pour le Ministère. Au fond, une partie d’elle était reconnaissante, empathique, pour les bonnes choses que Glenn tentait de faire ici, mais la présence de sa sœur dans le lot représentait la marge d’erreur que Glenn ne semblait pas vouloir voir.
Il avoua la complexité de la situation, et Sigrid ramena son regard vers l’homme. “J’imagine.” souffla-t-elle, même si son ton ne se voulait pas entièrement rassurant. Elle comprenait, même si elle n’approuvait pas.

Son attention se tourna vers l’homme à nouveau. Le chef de famille, qui semblait toujours en prendre plus sur ses épaules. Elle avait envie de lui demander si la charge commençait à lui peser. Comment faisait-il? Sous la couche de reconnaissance, Sigrid cachait une certaine déprime de voir l’homme réussir là où elle avait échoué lamentablement. Malgré la brise fraîche du mois de mars, Glenn ne semblait pas affecté. Sigrid serra ses bras sur sa poitrine machinalement, comme pour se protéger du froid, alors qu’en réalité, c’était surtout une manière de se rassurer elle-même. Elle porta son verre à ses lèvres.

“Mais on est tous ensemble pour gérer alors je sais que ça ira.”
La blonde battit des cils, comme pour encaisser le coup. L’ultime coup de hache en plein torse. Là se cachait la réelle différence entre elle et lui: Glenn pouvait se reposer sur sa famille. La famille de Sigrid reposait entièrement sur elle. Il y a peu de place pour le soutien lorsqu’on est seul à la barre.
@Klara Haukland n’avait jamais réellement compris cette réalité, l’ayant souvent accusée d’être une grande sœur contrôlante. Elle n’avait jamais vu l’ampleur du tableau, Sigrid ayant souvent couvert les coins tranchants de la vie avec ses paumes pour éviter que les petites ne s’y blessent. Elle comprenait facilement comment Klara avait pu trouver refuge ici, c’était familier: Glenn pouvait prendre soin d’elle comme Sigrid avait pris soin d’elle.
La blonde eut une pointe d’envie, l’espace de quelques secondes, se demandant si un jour quelqu’un pourrait prendre soin d’elle, comme Glenn prenait soin de tous ses loups.

Elle chassa ses pensées rapidement alors que le Yard la ramenait à la réalité. “Klara?” demanda-t-elle, prise en pleine rêverie. Elle chercha ses mots un instant. “Ce n’est pas que je ne lui fait pas confiance. C’est juste qu’elle…” Sigrid chercha les mots un instant. Il y en avait tant pour décrire la complexité de sa sœur, et pourtant elle cherchait une manière de résumer ses craintes à son nouveau gardien. “Elle est…” Son regard passa du plafond au sol, creusant pour la meilleure manière de s’exprimer. “Instable.” Elle observa Glenn, ses yeux froids cherchant à travers ceux de l’homme, espérant y voir la lueur de compréhension qui lui indiquerait qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. “Elle a un bon coeur, et de la passion, mais… elle est comme une flamme. Elle réchauffe, mais elle brûle aussi. Et lorsqu’on en perd le contrôle, impossible de savoir ce qui va être affecté.” Elle soupira.

“Tu as rencontré Rafael.” (@Rafael Lundgren) Elle roula des yeux à la mention du jeune homme qui dormait sur son canapé depuis la fermeture de l’école. Une autre responsabilité qui lui était tombée dessus malgré elle. “Il a été mon cauchemar pendant des semaines. Je craignais la réaction de Klara lorsqu’elle apprendrait leurs fiançailles, et j’avais raison. J’ai voulu la protéger, j’ai vraiment cru que ce serait le meilleur compromis pour attiser sa colère, mais…” Sigrid passa une main dans ses cheveux, visiblement plus agitée, sans réellement se rendre compte qu’elle parlait d’un sujet décousu que Glenn ne connaissait pas réellement. “Elle a fini par fuir la Russie sans en avertir personne, et elle a réussi à attirer Rafael avec elle. Évidemment... Et puis elle est arrivée ici, s'est fait mordre, elle...” La Norvégienne seccoua la tête, réalisant qu’elle s’égarait et qu'elle s'aggravait elle-même. Elle soupira, revenant à ses moutons.

“Klara fera ce que Klara veut. J’ai passé des années à essayer de la canaliser. Elle n’a jamais très bien contrôlé ses émotions, et la lycanthropie ne fera qu’empirer son cas. Tu as une bombe sur ton domaine, et malgré les manipulations les plus délicates qu’il soit, un jour elle explosera.” déclara-t-elle, observant Glenn dans les yeux, sérieuse.

Sigrid connaissait sa cadette. Sans Asta, sans leurs parents, sans leurs repères familiers, Klara finirait par causer des problèmes. Elle voulait que Glenn le réalise.

Dire que la réaction de Glenn la prit de court était un euphémisme.

Elle pouvait sentir son visage se tordre, ses sourcils s’arquant en une expression blessée. Elle était incapable de retenir ses muscles faciaux de trahir la force de l’impact des mots de Glenn. Elle aurait aimé être de ces personnes qui ne dévoilent rien, qui ravalent leurs sentiments comme de l’eau. Mais Sigrid avait toujours trop ressenti de choses pour être capable de proprement masquer la force de ce qu’elle vivait, offrant au monde le spectacle de ses sentiments.

Choquée.
Et simultanément, fatiguée. Une attaque de plus, et pourtant la trahison ne la surprenait plus. Sigrid n’était pas jalouse de sa sœur, pour s’être trouvé un gardien comme l’Alpha. Elle espérait seulement qu’un jour, quelqu’un, n’importe qui, prenne sa défense avec autant de dévotion: elle était épuisée d’être du mauvais côté des arguments, pointée du doigt. Elle en avait presque l’habitude. Elle se sentait idiote d’avoir espéré quelque chose de différent avec Glenn.

Elle laissa l’homme parler, encaissant toutes ses paroles avec de grands yeux ronds, incrédule.
Comment les anglais appelaient-ils ça? La mort par un millier de coupures?

"Je ne veux pas que tu reviennes si c’est pour croire qu’elle ne mérite pas d'être épaulée."
La phrase eut l’effet d’une pierre dans son estomac, elle ne pensait pas un jour être vulgairement bannie du domaine comme une ennemie. Et malgré la peine, quelque chose d’autre pris le dessus: la rage. La même colère qui l’avait envahi, lorsque ses parents avaient ouvertement douté d’elle. Comment osaient-ils?

Puis enfin, Glenn semblait atteindre la fin de son monologue.
“Mais à ce rythme-là, tu vas la perdre et moi aussi parce que son instabilité, elle doit le tenir de toi." Le coup de grâce. L’insulte quant à sa propre condition, gratuite. Que savait-il vraiment d’elle, mh?
Et puis, quelque chose la heurta plus qu’elle ne l’aurait imaginé, à la possibilité de perdre Glenn. Elle ne le connaissait pas vraiment, et franchement, elle aurait préféré ne pas vivre les circonstances de leur rencontre, mais maintenant qu’il était là, sa présence était devenue familière. La norvégienne était blessée à la pensée de devoir tout reprendre à zéro, coupée de son entourage, pour la deuxième fois. Ce serait peut-être pour le mieux, pensa-t-elle.

Sigrid prit une grande inspiration silencieusement, le souffle saccadé, mais les yeux rivés vers ceux du lycan. L’auror savait bien comment encaisser les coups sans baisser la tête.
Elle s’en voulait de s’être ouverte à lui. Elle en voulait à Klara d’être venu au Royaume-Uni. La blonde était à deux doigts de se libérer, de vivre plutôt que de survivre, et en quelques mois seulement, elle était à nouveau tourmentée par un passé qui s'accrochait à elle avec une force paniquante, comme pour la noyer.
Un étrange sentiment familier l'envahit, mais elle l’ignora.

Les doigts toujours fermement resserrés sur le verre, elle fit un pas silencieux vers Glenn. Elle avait envie d'agripper le col de son chandail, rien que pour que sa poigne de fer témoigne de toute la force de ce qu’elle avait à dire. Elle s’absteint. Si son regard se voulait menaçant, comme ceux d’une mère protégeant son petit, sa voix était rauque sous l’émotion, basse dû à leur proximité, comme un secret.

“J’ai pris soin de cette fille depuis son premier souffle. Je l’ai protégé. J’étais à son chevet quand elle était malade, je l’ai encouragée dans ce qu’elle entreprenait.” Elle pouvait sentir ses oreilles chauffer sous la colère, le sang bourdonnant dans ses tympans. Elle prendrait tous les coups sur sa personne, mais n’accepterait pas que tous ses efforts passés soient balayés du revers de la main.

“Je l’ai épaulé toute sa vie.” Une pause. “J’ai sacrifié plus de choses qu’elle ne pourrait comprendre, pour elle.” Sa voix craqua. Elle avait envie de crier, alors elle chuchota.
“Je n’ai peut-être pas de meute, mais elle était des miens. Ne prétend pas connaître ma soeur plus que moi: une morsure ne remplacera jamais l’amour que j’ai cultivé pour cette fille toute sa vie.” Ses yeux étaient humides, mais aucune larme ne coulerait ce soir. Elle les préserverait pour quand elle serait seule, libre de pleurer toutes les injustices du monde loin des regards.

Enfin, elle réalisa la sensation qu’elle avait jusque-là ignoré.
Le picotement familier dans ses doigts, la force naviguant dans ses veines.

Quel drôle de phénomène: être dans un endroit presque dépourvu de magie, et pourtant elle était convaincue qu’à elle-même, elle pourrait alimenter le domaine en entier. Si seulement elle se laissait aller. Si elle cessait de contenir les vagues qui se déchaînaient dans sa poitrine.

Elle fit un pas vers l’arrière, réalisant la proximité entre elle et lui, paniquant à la vue du verre qu’elle tenait: l’eau n’était plus qu’un bloc de glace, le verre givré jusqu’à son bord. Elle déposa le verre sur l’établi à nouveau avec autant d’empressement que si il lui avait brûlé la paume. Sigrid était dégoûtée de lui prouver raison.
Elle passa sa main dans ses cheveux, avant de relever les yeux vers Glenn, cherchant pour quelque chose dans le regard de l’homme qu’elle ne reconnaissait pas elle-même.
“Peut-être que je devrais y aller.” dit-elle avec autant d’énergie que si elle venait de livrer combat. Elle de doutait bien que quelque chose venait de craqueler entre les deux. Elle avait brûlé assez de ponts par le passé pour savoir quand disparaître.
Elle aurait vraiment aimé que les choses soient différentes, cette fois.
Elle hésita avant de soupirer et faire son chemin vers la porte.

La main de Glenn agrippa son poignet, l’empêchant de quitter. Et si une version d’elle aurait aimé tempêter contre ce geste, une autre partie eut envie de se recroqueviller dans le sentiment que quelqu’un tenait à ce qu’elle reste.
Coincée entre les deux, elle s’arrêta, son regard passant de la main de Glenn à son visage, une expression de pur questionnement sur le visage. Que voulait-il dire de plus? Que pouvait-elle faire? Allait-il la bannir officiellement de l’endroit? Allait-il lui faire la leçon? Allait-elle écouter?

"Si tu es là pour veiller sur elle, qui est là pour toi?" Elle sentit la poigne de Glenn se resserrer, la chaleur de sa peau traversant le tissu.
Sigrid battit des cils à répétition, chassant la brûlure des larmes qu’elle retenait, serrant les dents pour contenir l’amertume que provoquait la question. Elle ne laisserait pas la réponse échapper ses lèvres, puisque les l’évoquer à voix haute leur ferait prendre une toute autre ampleur. Elle se contenta de fixer Glenn, son regard encore provocateur. Et si elle était en colère, ce n’était pas réellement contre l’étranger devant elle.

La suite des événements se déroulèrent comme un rêve décousu, Sigrid ayant du mal à traiter les informations qui se présentaient devant elle. Glenn l’invita à rester. Elle hésita un instant, et ne se rendit même pas compte d’hocher la tête, faiblement. Sans un mot, l’homme à guida hors de l’atelier, à l’air frais du mois de mars. Elle se laissa faire, même lorsqu’ils escaladèrent les escaliers du porche jusqu’à l’intérieur de leur demeure, là où elle n’avait mis les pieds.

Sigrid ne réalisa pas réellement ce qui se passait, même une fois assise à table, observant simplement Glenn avec de grands yeux. Elle ne pourrait pas décrire l’apparence de la maison, perdue dans un état second, une situation trop étrangère pour porter attention aux détails. L’odeur de la nourriture réveilla chez elle l’appétit qu’elle avait étouffé toute la journée, réalisant qu’elle était affamée. Elle empoigna sa fourchette avec une gêne digne d’une enfant dans une maison étrangère, levant des yeux inquisiteurs vers Glenn, comme pour demander la permission. Elle n’avait pas l’habitude à ce genre d’attention, ce genre d'interaction. Forcément, c'était une action motivée par la pitié, elle le savait. Elle avait l’impression d’être installée dans un piège, et pourtant, elle avait tant envie d’y succomber.

“Merci.” souffla-t-elle simplement, incapable de lâcher l’homme du regard, le fixant comme une créature qu’elle n’avait jamais rencontré de sa vie. Une curiosité défensive. Elle porta une bouchée à ses lèvres, le goût lui envoyant des frissons dans le dos, un cri du coeur de son estomac vide. Si elle ne faisait pas encore entièrement confiance à Glenn, à sa meute et à son rêve qu’elle considérait comme dangereux, elle se permit une trêve le temps d’un soir, acceptant son réconfort avec autant d’appréhension que si il s’agissait d’un fruit défendu.