Edel & Siobhán
Son cœur perdit à nouveau le rythme si régulier de ses propres battements lorsqu'il comprit qu'Edel garderait le silence. Aucun mot ne sortit de la bouche de Siobhán en retour. Ni jugement, ni empressement, alors qu'elle crut lire entre les lignes une vérité qu'il lui avait déjà laissé sous-entendre. Ce
jamais qui avait déjà résonné en elle à la manière d'un
toujours et qu'elle eut l'impression de déchiffrer à nouveau dans ses yeux en lui disant qu'ils avaient le temps.
Parce que cela voulait dire qu'il ne leur était en rien compté et qu'il s'ouvrirait à elle quand il serait prêt. Une petite moue ravageuse s'installa malgré tout sur son visage maquillé, s'effaçant à l'instant où il reprit la parole pour lui parler de sa mère.
Sans le savoir, il avait les mots justes, ceux qui la transperçaient systématiquement par leur vérité sous-tendue. Une partie d'elle craignait pourtant de livrer l'entièreté de ses secrets les mieux enfouis, précisément quand il lui laissait justement la possibilité de ne pas parler. Elle fit le choix de se prêter silencieusement à l'exercice auquel il l'avait invitée en dirigeant doucement ses propres mains vers ce bijou.
Lorsqu'il parlait de la berceuse de sa mère, elle se sentit fondre intérieurement sous cet amour tendre qu'il lui vouait, l'exprimant plus à travers la tonalité de sa voix que par des mots.
À cet instant, seule la voix de
@Maeve Cynfeirdd trouvait son écho en elle. Pourtant, les fragrances qui parvenaient à son nez n'avaient rien à voir avec son parfum, cette fois-ci. Ces arômes lui étaient inconnus et elle sentit son intérieur se resserrer alors qu'elle avait l'intime conviction que c'était un extrait de sa mère qui l'envahissait. Sans savoir comment ni pourquoi ;
elle savait. Et si elle se trompait, la sensation était de toute façon trop paisible pour être écartée.
Ce n'était pas un souvenir, plutôt une présence invisible qui provoqua en elle un véritable raz-de-marrée. L'océan qui glissait sous ses pieds finit par lui monter aux cils alors qu'elle fut saisie par une nouvelle pensée qui ne l'avait jamais effleurée jusque-là : sa mère la tiendrait-elle véritablement pour responsable de ce qu'il s'était passé, ou bien Siobhán était-elle la seule à se fustiger ?
Elle ne pouvait pas pleurer.
Pas encore, pas maintenant, pas devant lui. Et si les larmes venaient à couler, elles ne seraient pas remplies de tristesse, uniquement du réconfort qu'elle avait trouvé dans les réponses qu'elle cherchait. Si elles n'étaient pas tout à fait déchiffrées, il étaient certain qu'elles seraient désormais ancrées à l'intérieur de cette cage dans laquelle elle s'était elle-même enfermée.
Edel était encore là lorsqu'elle ouvrit les yeux, mais il s'était éloigné. Ses mains se relâchèrent brusquement en rejoignant chacune leur côté. Siobhán prit le temps de l'observer, tant que lui même n'avait pas tourné son regard vers elle. Au-delà de l'emprise physique qui les réunissait, elle eut soudain l'impression d'être liée à lui d'une manière nouvelle, par la force d'une attirance qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant pour quiconque. Mais ce fut la violence de l'une de ses pensées qui la transporta soudainement, alors qu'elle réalisait qu'il n'y avait qu'avec lui qu'elle aurait pu expérimenter ce qu'elle état actuellement en train de vivre. Aucun autre nom ne lui vint en tête, parce qu'il était le seul à l'avoir vue telle qu'elle était.
De jour, comme de nuit, sans jamais la juger.
Il l'avait comprise dès le premier jour, à l'instant même où il avait voulu lui barrer la route, voyant en elle ce que peu de gens avaient pris le temps de mettre en lumière jusque-là. Il la sublimait autant qu'il faisait battre son cœur.
Dans une cadence nouvelle, plus incertaine, mais en même temps tellement libératrice.
Elle leva la tête vers le ciel pour ravaler les larmes qui faisaient briller ses yeux. Aucune ne devait s'écouler.
Pas encore, pas maintenant, pas devant lui. Pas après cette trêve avec elle-même qu'il venait de lui accorder. Parce qu'elle savait que ce n'était pas ce collier qui l'avait portée vers quelque chose de mieux.
C'était lui.
D'un pas lent, elle se rapprocha du vert-et-argent et se contenta de le serrer contre elle. Loin d'être habituée à de telles effusions de tendresse, la consonance de ce geste n'était pas ordinaire et s'éloignait du désir qui les embrasait, même s'il n'était jamais bien loin d'eux.
«
Ce n'est pas que je ne veux pas t'en parler, c'est que je n'ai pas assez de vocabulaire pour le faire. Mais ça viendra, j'en suis sûre », lâcha-t-elle simplement, gardant la chaleur de cette position sans même bouger alors que son visage s'était niché sur le haut de son torse.
Il y avait dans sa phrase, des sous-entendus si profonds que même elle ne les percevait pas.
Quelques secondes, quelques minutes s'étaient écoulées quand elle décida finalement de s'éloigner. Tous les questionnements suscités par cette expérience étaient enfermés sagement à l'intérieur d'elle et attendraient le bon moment pour se révéler à nouveau.
Quand elle serait prête à passer à l'étape supérieure.
Quand elle pourrait accepter l'éventualité de se pardonner.
En attendant, alors que les vagues venaient lui chatouiller les pieds, une brusque envie de liberté la saisit.
«
Viens avec moi. »
Jusqu'où ? Ses paroles ne le disaient pas. Loin de se laisser aller en la présence de celui qui la transformait en sa meilleure version, Siobhán entreprit de retirer les roses qui tenaient ses cheveux. Sa crinière retomba rapidement dans son dos, alors que sa robe suivant son mouvement avant d'atterrir sur le sol.
Elle ne garda sur elle que le strict minimum, l'équivalent d'un maillot de bain pour recouvrir ce que la décence voulait cacher. Et puis, sans réfléchir, elle se jeta à l'eau avant de disparaître comme une sirène dans les flots. À quelques mètres du rivage, dos à Edel, l'Irlandaise frotta son visage pour se débarrasser de ce qu'il restait de son maquillage avant de se retourner vers lui.
Il ne le voyait certainement pas de là où il était, mais ses yeux pétillaient alors que toutes les larmes qu'ils contenaient s'étaient évanouies dans l'océan. Sans qu'elles n'aient jamais coulé.