Cynfeirdd-Korrigan Assemble

Le changement de scène fut rude. Freya avait beau avoir passé sur permis de transplanage récemment et avec facilité, ce genre de déplacement lui retournait toujours le cœur. Il y avait quelque chose de perturbant à perdre ses repères visuels. Il faudrait sûrement quelques mois d'entrainement avant que son cerveau assimile ce genre de données et lui permette des déplacements plus agréables. Freya lâcha la pierre de foyer et comme les autres, suivit Luke jusqu'au portail.

Il se fit évidemment refouler.

Freya laissa son regard vagabonder quelques instants sur Caer Cynfeirdd, la demeure ancestrale de la famille tandis qu'elle pénétrait sans problèmes dans l'enceinte, suivant machinalement les pas de sa sœur. Ca faisait depuis les vacances de Noël qu'elle n'était pas rentrée et quelques années qu'elle n'y était pas venue régulièrement. L'endroit gardait toutefois une immense valeur à ses yeux. La galloise se revoyait jouer avec sa sœur et son père, ses cousins lorsqu'ils étaient de passage. Elle revoyait sa mère aussi, forte et indépendante, elle qui était inébranlable, tel un roc au milieu d'un torrent déchaîné. Après quelques échanges de courtoisie avec sa grande tante Rowene, Freya pénétra dans la chambre.

Voir sa mère aussi faible sur ce qui s'apparentait sur le moment à un lit de mort, fut un véritable choc.

Freya resta figée quelques instants. Le temps de voir Blo se ruer auprès de sa mère et de s'installer à ses côtés. L'aiglonne n'en croyait pas ses yeux. Elle voulut imiter sa sœur mais sa réserve naturelle et les circonstances la poussèrent à plus de retenue. La galloise tourna la tête et posa un regard plein de détresse au professeur Clearwater. Perdue, elle cherchait visiblement des réponses et probablement un acompte sur ce qu'il s'était passé.

- Qu'est-ce... Racontez-nous tout, je vous prie Professeur.

Freya demanda éventuellement une fois que tout le monde était dans la pièce, faisant fi des invectives immatures de sa sœur. Elle pouvait la comprendre mais Jameson possédait assurément les clés qui leur permettraient de comprendre la situation.

Les tensions qui animaient Luke et Finn n’avaient rien d’un mystère et il semblait qu’à mesure que les jours s’allongeaient, la liste des griefs que l’étudiant avait à reprocher à son père aussi. Finn était souvent considéré comme un mec immature, un grand gamin dans l’âme qui n’en faisait qu’à sa tête. Les rumeurs n’étaient pas totalement infondées, mais beaucoup ne soupçonnaient pas les réflexions qu’entretenait Finn, en totale opposition avec sa maturité émotionnelle égale à celle d’un enfant de huit ans les mauvais jours.

Il fallait croire qu’aujourd’hui était un mauvais jour, que l’étudiant s’était levé du pied gauche. En réalité, tout allait bien avant que Flinky ne lui soit envoyé par son père. Rien à reprocher à l’elfe de maison, tout à blâmer chez Luke ou presque.

Freya avait souligné l’inutilité d’une querelle dans un tel moment et elle avait totalement raison. Il n’était pas judicieux d’apporter plus de tensions à une situation déjà prête à déborder, mais Finn ne pouvait faire autrement. Il ne rétorqua rien, comprenant toutefois que le message était passé auprès de son père. C’était l’essentiel, pour une fois on l’avait écouté. Et pour ça, il avait fallu aller jusqu’à la provocation publique. Comme c’est dommage. Si Luke pensait s’en tirer facilement, Finn se promettait de recommencer dès que possible. Il n’y avait pas de raisons que le vase ne déborde que de son côté.

La pierre de foyer l’embarqua tout droit vers Caer Cynfeirdd où Finn se contenta simplement de suivre Siobhán. Ils connaissaient si bien ce lieu pour y être venu des centaines de fois gamins qu’ils n’avaient plus à réfléchir quant à la manière de rentrer dans l’enceinte du domaine.

Finn laissa tout le monde se précipiter dans la chambre alors que lui restait un peu dans le couloir. Qu’était-il arrivé à Maeve? Personne ne lui avait soufflé mot de ce qu’il s’était passé et le jeune homme imaginait toutes les possibilités, particulièrement les pires.

Il inspira un grand bol d’air avant de rentrer doucement dans la chambre où son regard se perdit un long moment sur la blessée. Elle n’avait pas l’air d’aller bien. Pas du tout même. Finn sentit une immense angoisse monter en lui alors qu’il se remémorait le souvenir de sa mère aperçu dans la pensine. Allait-il perdre aussi Maeve, celle qui avait été sa mère de substitution?

« Siobhán, qu’est-ce qu’il s’est passé? » Il regarda sa soeur d’un air perdu, ne réalisant qu’à cet instant que le professeur Clearwater se tenait là, lui aussi. « M. Clearwater? » demanda-t-il sans plus d’explications. Il resta sur le palier, incapable d'avancer davantage.

Sa phrase resta en suspend. L'oreille fine de la chasseuse avait capté de l'agitation dans le couloir. Elle ne fut donc pas surprise de voir son beau frère entrer de manière très cavalière et se précipiter à son chevet, le visage blême. Avant même qu'elle ait pu se récrier contre une auscultation, Luke lui prenait déjà le pouls. Si l'attention la touchait droit au coeur, le geste, lui, ne pouvait être toléré. Elle retira son poignet dans un geste presque élégant mais ferme.

« Depuis quand es-tu devenu médicomage Luke Korrigan ? », piqua-t-elle, plus taquine que mauvaise, « Ne vas pas t'attirer aussi les foudres d'Aderyn. Je vais bien. »

Pour sûr, sa mère aurait détesté voir qu'on repasse derrière elle. Pour avoir raccommodé des générations de Cynfeirdd revenant de chasse, Aderyn Cynfeirdd avait largement mérité sa réputation dans le domaine.

Avant même qu'elle ait pu apporter une réponse à la question de Luke, tous leurs enfants - comme elle aimait à le dire - se déversèrent dans la grande chambre parentale, chacun à sa façon, emplissant la pièce d'une aura d'inquiétude que Maeve avait tenté de son mieux de ne pas attiser. Elle entendait encore Eochaid se plaindre de l'impressionnante hauteur sous plafond, et des dimensions gigantesques de cette pièce, réservée à leur seul usage. S'il avait été là ce jour-là, il aurait probablement vu les choses sous un autre angle.

Sur les talons de Luke, Blodeuyn était arrivée, fusillant Jameson du regard en guise d'entrée en matière. Maeve fronça les sourcils, notant pour elle même qu'elle devrait recadrer cela plus tard, seule à seule. Il ne faisait certes pas partie de la famille mais c'était montrer bien peu de gratitude compte tenu de la situation. Son regard alla de l'un à l'autre, constatant une forme de retenue chez Jameson, plus qu'inattendue.

Son regard se porte ensuite sur Freya qui venait d'entrer au moment même où le visage de Blodeuyn venait se lover contre elle. Maeve posa sa main en douceur sur sa tête, dans ce même geste affectueux et enveloppant qu'elle avait pour elle depuis l'enfance. Sans surprise, Freya se montrerait moins démonstrative, réservant pudiquement ses ressentis. Maeve n'en prit pas ombrage. Elle connaissait ses filles et il lui suffisait d'un regard pour savoir qu'à ce moment précis, l'une comme l'autre avait surtout besoin d'être rassurée. Siobhán arriva sur ses entrefaites, suivie de près par son frère, Finn. Le long regard qu'elle échangea avec Jameson ne lui échappa pas, mais là encore, la matriarche préféra réserver sa réaction pour plus tard.

Finalement Finn franchit lui aussi la porte. Maeve lui adressa un sourire qui échoua à le tranquilliser. Elle savait bien pourquoi. S'il y avait bien une chose qu'elle s'était toujours attachée à montrer à leurs enfants, c'est le visage d'un parent solide. Antithèse parfaite de ce que son lit donnait à voir actuellement. Mais elle ne laisserait pas s'installer d'image moribonde dans leurs regards. Elle était peut-être physiquement épuisée mais le mental d'acier dont elle avait hérité été toujours en éveil, très loin de se laisser abattre.

« Je ne vous ai jamais vus si loquaces envers un dieithryn^{1  »}, souligna-t-elle, remarquant que les enfants évitaient soigneusement de la solliciter. Elle eut un sourire entendu, laissa passer un silence, avant de reprendre, « Ce que dis Jameson est vrai. En partie. », il fallait bien qu'elle apporte une nuance de son cru, plus pour marquer à sa seule attention qu'elle désapprouvait toujours aussi fortement. Son regard s'attarda sur cet homme qu'elle aimait presque d'autant plus qu'il se tenait là, dieithryn, au milieu des membres les plus intransigeants de sa famille, contrairement à ce que l'on aurait pu penser. Elle n'avait pas manqué non plus le regard adressé à Freya. Cela pesait lourd dans la balance. « Mais si je dois vous parler de ce qui s'est passé ce soir, je dois repartir de plus loin pour que vous puissiez comprendre où nous en sommes aujourd'hui. », peut-être était-ce l'esprit des premiers bardes qui courrait dans leur sang et les poussait toujours vers l'histoire à raconter, ou simplement l'esprit méticuleux et précis de la chasseresse.... « J'ai commencé à glisseré mon nom à certaines personnes un peu avant le début de l'année dernière, dans l'idée de me rappeler au bon souvenir de mes anciens employeurs. Après cela, je n'ai pas eu bien longtemps à attendre avant que le Ministère ne me sollicite sur le cas de  @Mayline Smith. Il a suffi pour cela que je rouvre mon cabinet privé sur Darthling Street. Je vous ai volontairement laissés me prêter les intentions que vous souhaitiez à ce moment là. », son regard passa sur Freya puis Blodeuyn sans s'attarder vraiment, « Depuis mon bureau au département de la justice magique, j'étais mieux placée que je ne l'avais jamais été pour apprendre à connaître notre ami McLachlan. », ce n'était pas la première fois qu'ils entendaient ce nom. Tous savaient qui était Fearchach McLachlan et aurait pu reconnaître le grand escogriffe aux épaules cassées dans la rue. Tous avaient suivi avec espoir le cheminement désespérant des quatre plaintes que la famille avait portées contre lui, tout cela pour se voir débouter en dépit même du nombre de précédents classés sans suite contre ce même homme. « C'est le cas de la disparition de Mrs McLachlan qui a été l'amorce de toute cette stratégie. Epouse portée disparue après plusieurs plaintes classées sans suite pour sévices magiques à l'encontre de son époux. », précisa-t-elle à la seule attention de Jameson. Le reste de la famille connaissait les détail par le menu, « Nous étions dans l'impasse avec Eochaid et, même si je savais qu'aucun d'entre nous n'avait baissé les bras, je me devais de risquer une dernière possibilité. La suppression de la cause. C'est, dans la théorie des maléfices, une solution reconnue dans une grande majorité de cas similaires au nôtre. Il me suffisait de mettre un terme à McLachlan lui-même pour éprouver la solidité de ses maléfices. Je crois toujours que cela pourrait être la solution mais mon échec de ce soir a amené d'autres paramètres à notre équation. »

Elle marqua une longue pause qui n'avait cette fois rien de stratégique. Un tel monologue avait puisé dans le peu de réserves qui lui restaient et la fatigue se faisait fortement sentir à présent. Une désagréable sensation de froid lui laissait les membres engourdis, signe que le poison de la Lorelei était toujours à l'oeuvre. Maeve ne se plaignit de rien, affichant ce regard sûr malgré les cernes qui cherchaient à égratigner son image.

« McLachlan, s'il a jamais été un être humain, est désormais corrompu à un tel niveau que le raccourcir d'une tête en plein milieu du Ministère de la Magie ne saurait même pas être qualifié de délit mineur. Je pense qu'il puise sa magie des êtres qu'il retient dans le floi, voire de tout ceux qu'il a pu y ensorceler. »

A cet instant, ils penseraient tous à lui, Eochaid et c'était bien là qu'elle voulait en venir.

« Il y a encore autre chose. Quand je l'ai frappé et qu'il a été forcé de montrer sa véritable nature, Fearchach McLachlan s'est adressé à moi. Il a parlé de conséquences. Je ne prendrais aucun risque compte tenu de ce dont nous avons été témoin Jameson et moi ce soir : nous devons ramener Eochaid à Caer Cynfeirdd, au plus vite. »

Ces derniers mots avaient été énoncés de ce ton implacable qui ne tolérait aucune contradiction. Celui de la cheffe de meute que ses frères pratiquaient plus encore que les autres, avec laquelle ils chassaient en symbiose, comme fondus dans un seul et même esprit de la meute.

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^{1 étranger}