Le 1er avril 2023.
Quand elle était rentrée à Poudlard au matin du 1er avril, Siobhán avait cette étrange impression d’être partie depuis plusieurs jours quand un seul s’était, en vérité, écoulé. Ce sentiment la gagnait souvent quand un autre lieu s’ouvrait à elle pour une durée si réduite ; le temps semblait toujours plus long qu’il ne l’était réellement.
À son retour, l’envie de tout expliquer à Edel dans la suite de sa promesse de la veille lui brûlait les lèvres. Un note écrite de sa plume délicate signait la preuve de son empressement et de son embrasement à l’idée de le retrouver le soir même pour respecter son engagement. Et, surtout, pour combler le manque qui avait grandi en elle comme un nuage annonçant l’orage, naissant à l’instant même où ses mains l’avaient lâché dans le couloir du cinquième étage.
Aucune autre nouvelle n’aurait pu lui faire plus plaisir après la nuit compliquée qu’elle venait de passer à Caer Cynfeirdd que de savoir qu’elle pourrait se perdre dans les bras d’Edel le soir même. C’était bien le seul endroit où elle avait envie de passer la nuit. Quand elle trouvait le sommeil à ses côtés, les cauchemars ne venaient jamais la visiter ; il lui suffisait de puiser dans la chaleur de son corps et de sentir son parfum pour faire fuir toutes ses mauvaises pensées.
Près de lui, elle se sentait protégée.
Comme si rien ne pouvait lui arriver.
Mais une fois éloignée, la réalité était toute autre. Loin de lui, il lui semblait que les effets du manque pouvaient aller jusqu’à complètement l’éteindre si ses yeux bleus s’arrêtaient un instant de chercher les reflets dorés des siens pour ranimer son intérieur. Croiser son sourire quand elle ne s’y attendait pas avait le don de rallumer cette lueur que lui seul avait le pouvoir de faire briller.
À plusieurs reprises dans la journée, elle aurait aimé que le temps passe plus vite — chaque minute qui s’écoulait la rapprochait de céder à sa volonté de le rejoindre plus vite que prévu.
Mais elle tint bon.
Et, alors qu’elle s’apprêtait enfin à se diriger vers les dortoirs des garçons, quand la nuit était tombée et que Céleste avait trouvé le sommeil à ses côtés, Siobhán fut stoppée en plein vol par une première note de son frère qui lui fit l’effet d’une égratignure à vif, interrompant brusquement les élans qui l’avaient embarquée. Comme si elle venait de faire une mauvaise chute et que la douleur, bien que maigre comparée à celle qui allait arriver, l’empêchait d’avancer et la poussait à prendre la mesure des dégâts.
L’idée qu’Edel puisse passer son temps libre avec une autre la bouleversait plus que des simples mots ne pouvaient l’exprimer.
La voilà, la première vérité.
L'autre, c'était qu'il ne lui appartenait pas. Il n’appartenait à personne, d’ailleurs. Il était l’esprit libre qui la faisait voyager rien qu’en parlant. La nuée de papillons qui retournait son ventre au moindre contact. Un repère dans la foule, la garantie que rien ne pourrait jamais lui arriver en sa présence. Un rayon de soleil qui la faisait rire et sourire rien qu’en apparaissant dans son champ de vision, même dans ses journées les plus mornes.
Mais il n’était pas à elle.
Et pourtant, s’imaginer qu’il pouvait jouir de sa liberté auprès d’une autre lui donnait la nausée.
La Serpentard se rassit sur son lit, penaude, les épaules basses, alors qu’elle répondait à son frère en feignant l’indifférence, quand c’était tout le contraire qui animait ses entrailles.
La deuxième note fut pire que la première et s’écrasa sur elle avec la violence d'un piano à queue désaccordé.
Comme son cœur.
Désaccordé.
Le rythme de ses battements se faisait à la fois plus fort et plus aléatoire alors que sa respiration, elle s’accélérait. Les larmes montait dans sa gorge alors que son frère insistait sur cette Gryffondor que lui-même convoitait. C’était comme si l’organe central n’avait plus assez de place pour s’exprimer à l’intérieur de sa cage thoracique. Comme s’il cherchait à tout prix à s’en libérer. Il menaçait d’exploser.
Une seconde fois, elle fit semblant de se préoccuper des ronflements de Céleste à l’écrit quand, en vérité, il n’y avait rien d’autre qui comptait que le triste spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Parce qu’elle faisait enfin le rapprochement entre cette écharpe qu’elle avait retrouvée dans la chambre d’Edel, quelques semaines plutôt, et sa propriétaire, dont il n’avait jamais daigné révéler l’identité. Et pour cause — elle comprenait seulement maintenant pourquoi. Trop tard, alors qu’elle aurait probablement dû tout arrêter au moment où elle avait vu grandir ses premiers soupçons. Au lieu de ça, elle s’était laissée entraîner par ce sourire ravageur, par ce regard tendre, par ces mots trop doux pour qu’on puisse se permettre d’en douter. Elle s’était laissée aller dans l’étreinte de ses bras, croyant bêtement y avoir trouvé sa place.
Rien que d’y repenser, son corps entier tremblait.
La vélane repassa ses jambes sur son lit pour disparaître sous sa couette. Des larmes salées roulaient déjà sur ses joues et venaient s’effacer dans son oreiller à l’idée de devoir silencieusement s’effacer au profit d’une autre. Dans ses pleurs, l’âpreté de la colère qu’elle s’attribuait en sachant qu’elle aurait pu s’éviter cette douleur si elle s’était écoutée. Puis, l’amertume de devoir le laisser s’en aller sans rien lui dire, dans l’unique but de le laisser vivre et interpréter sa propre définition de la liberté.
Pour lui faciliter les choses à lui, mais à elle aussi, tant il lui semblait inconcevable de le regarder dans les yeux pour laisser entrevoir autre chose que la passion qui la dévorait.
Les mots de Maeve retentissaient plus fort que jamais dans son esprit alors qu’elle prenait conscience que tout avait effectivement une fin. Même ce qui n’avait pas encore commencé, visiblement. Siobhán n’avait jamais versé de larmes pour un garçon ; voilà qu’elle était en train de vivre sa première peine de cœur alors qu’elle n’avait même pas eu l’occasion de le lui donner en mains propres.
Elle aurait certainement préféré que ce soit une blague.