C'est pour une petite autorisation d'absence... (Ima)

Le Président du Magenmagot était en train de trier une épaisse liasse de documents relatifs à la réglementation sur les zones protégées moldues quand une voix hésitante se fit entendre droit devant lui en l’interpellant. Stupéfait, il releva vivement le visage pour voir un jeune étudiant bien planté sur ses frêles jambes dans son bureau, un sourire gêné fendant son visage qui n’avait pas encore complètement perdu toutes les rondeurs de l’enfance. Alors qu’il se présentait, le magistrat jeta un coup d’œil à sa porte entrouverte en retenant un soupir agacé. A quoi lui servait son armée de secrétaires et d’assistants si n'importe quel étudiant venu pouvait librement venir l’importuner en plein travail ?

Mais la fébrilité apparente du jeune homme l’intima à la patience, et il se contenta de croiser les bras en écoutant ce qu’il avait à lui dire. Au fur et à mesure de son discours cependant, il ne put empêcher une moue interloquée de se peindre sur ses traits. Finalement, quand l’étudiant eut fini, Ima s’abandonna à une faiblesse qu’on lui avait rarement vue : poser son visage contre ses doigts pour en camoufler en partie la fatigue qui le submergeait.

Lorsqu’il releva le regard vers le jeune homme, celui-ci était bien plus dur et froid que celui qu’il lui avait offert jusqu’alors.

- Monsieur Grimm… Est-ce que vous êtes réellement venu voir le Président du Magenmagot pour lui expliquer que non content de n’avoir pas respecté la règle stricte imposée par la directrice de l’établissement de vous fréquentez, en vertu de l'article 13 prononcé à la libération du ministère ; vous avez également soudoyé un membre du personnel dudit établissement ; ce qui – je vous le confirme – est bien illégal. Pour non-respect de votre règlement, vous risquez un renvoi immédiat de votre université. Pour corruption d’un employé rattaché au ministère, c’est jusqu’à dix ans d'emprisonnement et une amende de 45 000 gallions.

En réalité, dans les faits, l’étudiant n’avait que peu de chance d’être condamné, mais le magistrat souhaitait lui faire comprendre la gravité de ses actes, de ses paroles et de leurs conséquences. Lentement, le Soninké se leva pour contourner son massif bureau de bois.

- L'elfe de maison que vous mentionnez devra également être renvoyé. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Quand votre directrice n’autorise aucune sortie de son établissement, mettant en avant la sécurité de ses étudiants dans un contexte règlementaire ordonné par l’actuel Ministre de la Magie qui met selon elle en péril certains de vos camarades – que sa crainte soit justifiée ou non – vous assumez pleinement le fait de quitter l’établissement sans raison valable. Vous m’expliquez ensuite avoir des liens certains avec ce même ministre en fréquentant sa fille.

Le malien faisait à présent face à l’étudiant, et il se reposa contre son bureau en croisant de nouveaux les bras pour le toiser de toute sa hauteur.

- Ayant l’obligation de rester neutre dans toute cette affaire, je me permettrais cependant d’adopter pour l’occasion le point de vue de la partie qui pourrait vous en tenir rigueur : votre directrice. Tout me porterait à croire que vous avez dressé la liste de tous vos petits camarades hybrides pour apporter secrètement le document tant attendu par votre Ministre et beau-papa. Et en cas de tels doutes pesant sur votre conduite bien peu respectueuse des règles, je ne prendrais certes pas le risque de vous réintroduire dans mon établissement, ne pensez-vous pas ?

En soupirant, Ima secoua la tête pour reposer ses mains sur le pan du bureau contre lequel il s’appuyait.

- Le seul espoir auquel je puis me raccrocher est de penser qu’un garçon ayant si brillamment mis au point cette stratégie ne serait pas venu trouver le plus haut magistrat réputé être en opposition au parti qu’il défend pour lui demander un si ridicule service. Alors je vous en prie Mr. Grimm… Dites-moi que tout ceci n’est qu’une vaste plaisanterie…

Le jeune étudiant se mit à lui parler. Trop. Ima ferma un instant les paupières, sentant la migraine le cerner d’un peu trop près. Sans grande surprise, le jeune homme semblait sincèrement étonné, voire révolté, par tout ce qu’il venait d’entendre. L’innocence se lisait sur son visage scandalisé, aussi facilement que cette fière nervosité qui lui servait de masque.

Pourtant, il ne perdit pas son aplomb, loin de là. Le plaidoyer qu’il entreprit de déclamer, bancal et par moment insensé, reposait principalement sur ses valeurs de maison. Un Poufsouffle, évidemment. Pourquoi Ima l’aurait-il parié ? Le magistrat soupira bruyamment en croisant les bras, mais sur son visage fatigué apparurent les prémices d’un sourire. Le fait que l’étudiant soit prêt à risquer l’enfermement sans pour autant dévoiler le nom de l’elfe qui avait facilité son évasion le décida bien plus que tous les arguments du jeune homme. Selon le Soninké, il était possible de voir la valeur d’un sorcier à la manière dont il traitait les créatures magiques souvent représentées comme inférieures.

Sur son blouson étaient brodées les lettres du nom avec lequel il s’était présenté un peu plus tôt. Un Grimm. La façon dont il se résignait assez facilement à prendre un avocat prouvait également son appartenance à cette famille fortunée. Ima pinça ses lèvres en l’observant. Il aurait presque préféré ne pas savoir…

- Ne partez pas, M. Grimm. Nous n’en avons pas fini, le rappela-t-il durement alors que l’étudiant faisait mine de faire demi-tour.

- Je ne sais quelle folie vous a poussé à quitter votre université de sorcellerie, mais vous qui vous dites loyal à cette dernière et à ses valeurs, vous devez comprendre la gravité de ce que vous venez de faire.

Ses épaules se soulevèrent alors qu’il prenait une longue inspiration.

- Rien de tout ce que nous vivons actuellement n’est anodin. Un décret imposant de lister une partie ciblée de notre population est des plus alarmant. Une directrice qui ferme les portes de son école face à l’autorité ministérielle est tout aussi préoccupant. Vous ne devriez pas agir face à tout cela avec légèreté.

Son regard le balayait de haut en bas, comme s'il cherchait à juger si le comportement du jeune homme tenait plus du courage ou de l’inconscience. Il semblait attacher beaucoup d’importance aux valeurs qu’il avait citées avec tant de ferveur. Loyauté, tolérance, sincérité, gentillesse… Il protégeait un elfe de maison de sa faute professionnelle. Et à côté de cela, il semblait secrètement fréquenter la précieuse fille du Ministre.

- Un jour ou l’autre, nous devrons tous prendre position, j’en ai bien peur. Et j’espère que ce jour-là vous saurez faire les choix les plus justes…

D’un coup d’œil vers le manteau de sa cheminée, en lien direct avec les plus hautes autorités du pays, il poursuivit.

- En temps normal, j'aurais convoqué votre directrice afin de l’informer de votre escapade, et lui laisser prendre la décision de la sanction qui s’impose à votre égard. Cependant, il se trouve que je ne suis malheureusement plus la personne auprès de qui vous devez vous adresser. Voyez-vous, il se trouve que je suis sur le point de démissionner de mon poste, et ne suis dès lors plus légitime à juger des actes de quiconque. Vous m‘en voyez désolé, mais vous devrez trouver une autre solution pour rentrer au château… Heureusement que vous me semblez être un jeune homme plein de ressource…

Son regard brilla avec une étincelle amusée dans sa direction avant de se détourner lentement pour regagner son bureau où ses dossiers l’attendaient.

Dire que la réaction de l’étudiant le surprit était un euphémisme. D’un air consterné, Ima l’observa s’effondrer dans le fauteuil, révélant alors le fond de ses pensées, aussi transparent qu’un rhum pur – aussi bavard que s’il avait ingurgité la bouteille entière. Si le Soninké avait eu des doutes quant aux raisons de la fuite du Poufsouffle, il pouvait se rassurer sur son éthique, aussi brillante que l’or de sa maison.

Son discours fut un peu plus décevant quand il bafouilla sa crainte de perdre sa petite amie actuelle. Ima se contenta de l’observer en silence, pestant intérieurement contre les élans du cœur qui pouvaient à ce point peser dans la poursuite des combats de ce monde. Ce petit idiot était-il prêt à abandonner toutes ses valeurs pour les beaux yeux de sa belle ?

Soudain, un curieux parallèle se fit dans son esprit entre sa situation et celle de l’étudiant. Lui aussi quittait lâchement son poste, comme le jeune sorcier vint rapidement à le souligner. Ne le faisait-il pas par fidélité envers son ancienne fiancée, plus connue dans ce pays sous le nom d' @Iris Faux-Orpin ? Non… Le magistrat secoua doucement la tête en baissant le regard. Ce qui le poussait à agir était bien différent de l’impétuosité qui habitait les histoires d'amour de jeunesse. Plus complexe, plus sombre… Bien moins romantique que la flamme qui semblait habiter le jeune Grimm. Bien plus inéluctable aussi. Et pourtant, Ima n’avait aucune envie de se détourner de ce chemin qui se dessinait à ses pieds.

Finalement, le jeune homme finit par bel et bien se fâcher tout seul. Il s’endrapa si bien dans sa fierté démesurée qu’il trébucha dessus en tentant de quitter son bureau. Le Soninké retint un rire en levant une main pour qu’il puisse faire une pause dans son laïus et lui laisser le loisir de lui répondre.

- Vous avez raison, consentit-il dans un hochement de tête. Un tel choix de carrière demande un engagement sans compromis.

Il soupira avec un sourire posant ses mains à plat sur son bureau avant de croiser de nouveau ses bras.

- Cependant, la lutte pour faire de cette société un monde plus juste pour tous demande beaucoup de temps et d’effort. Ce n’est pas un sprint, mais une course de relais. Et pour des raisons que je peux vous exposer ici, je me dois de passer ce relais.

Il y avait en réalité bien plus que Nyéléni. Ima sentait sa droiture s’effriter peu à peu ses derniers temps, jusqu’à corrompre des indices et faire taire des témoins dans son propre intérêt ou celui . Dans ces conditions, il ne pouvait décemment rester au poste qui était le sien sans finir de perdre le peu de dignité qui lui restait.

- Mais je peux partir en paix en voyant la qualité de la relève…

Si sa phrase était volontairement teintée d’un accent ironique, le magistrat ne pouvait s’empêcher de poser un regard bienveillant sur l’étudiant. Sa fougue, sa ferveur le rendait un brin nostalgique. S’emparant d’un de ses stylos, il le tendit d’un air amusé au jeune sorcier.

- Alors voilà mon relais, Monsieur Grimm, futur Ministre de la Magie. Je vous le donne. J’ai vraiment hâte de vous voir à l’œuvre. La lutte est finie pour moi. Du moins... Je préfère changer d'armes...

Le visage impassible, Ima observa le jeune impertinent lui faire une leçon de morale sans aucun égard pour ses vingt années de services rendus à la nation sans un seul jour de repos, ni pour les raisons de sa démission qui auraient pu être des plus sinistres. Mais l’étudiant eut l’incroyable aplomb d’attraper un document à en-tête du ministère qu’il signa avant de lui tendre.

Le Soninké n’avait jamais vu un comportement aussi hautain et insultant, bien qu’il ait côtoyé d’insupportables jeunes premiers issus de puissantes familles britanniques. S’il avait commencé à apprécier le jeune Grimm, cette image du jeune et sympathique militant se brisa nette et le magistrat sentit une veine palpiter sur son front. Rare et dangereux signe d’agacement profond pour ceux qui le connaissaient. L’étudiant venait de dépasser les bornes et il se retint d’appeler une brigade pour l’emmener lui faire passer une nuit à l’ombre d’une cellule afin de le faire redescendre sur terre.

Alors qu’il s’éloignait après avoir fait preuve d’une toute dernière effronterie, le magistrat leva la main en faisant claquer ses doigts. Sa plume à papote s’agita sur un nouveau parchemin. Rapidement terminée, la lettre se plia en une curieuse forme allongée pour filer à la poursuite de son destinataire. Une fois arrivée à la hauteur du jeune homme, ses plis se transformèrent et prirent la forme d’un visage humain qui se mit à lui déclamer d’une voix forte et monotone.