Turn to Gray

Aram écouta silencieusement Saúl lui dessiner les tournures de ses prochains mois. Sa réflexion ne l’étonna pas beaucoup. Depuis quelques temps, il avait de moins en moins de difficulté à recruter des aides ponctuelles dans ses activités frisant l’illégalité, ou plongeant allègrement dedans. Tous les hybrides d’Angleterre, ceux qui ne rentraient pas tout à fait dans les cases, ceux qui avaient du sang aux origines douteuses, ceux qui miroitaient d’écailles au soleil, ou aux poils un peu trop drus, éprouvaient soudain des difficultés à s’insérer sur le marché du travail magique classique. Surtout quand les employeurs devaient les signaler dans un registre spécial.

Mais quand le demi-vélane voulut en savoir un peu plus sur sa manière de se préparer il ricana en secouant la tête.

- Ah ça c’est sûr, tes talents me seraient bien utiles. A vrai dire, avec ton don, je suis sûr que je serai déjà le roi du monde. Tiens d’ailleurs…

Son sourire se fit plus railleurs en poursuivant.

- Ça te dirait pas de devenir roi ? T’aurais qu’à séduire la reine, récupérer le diamant pour moi, et puis régner tranquillement sur le monde non magique.

Son rire s’intensifia avant de se terminer dans le goulot de sa bière. Tout n’était pas si simple évidemment. Le Ministère de la Magie gardait un œil constant sur les affaires de la famille royale moldue. Certains agents étaient même infiltrés au Buckingham Palace et le Ministre de la Magie était en lien direct avec le Premier Ministre non-magique. Le secret magique continuait d’être préservé, dans une certaine mesure, mais il était nécessaire que les gouvernements s’entendent sur certains points.

- Pour le matos, il suffit de faire une liste de course au Congrès, commença Aram en jouant avec l’étiquette de sa bouteille afin de répondre aux questions de son coéquipier.

Si on pouvait compter sur une chose avec la Congrégation Tzigane Magique, c’était qu’elle était capable de remuer ciel et terre pour trouver les items les plus rares et les matériaux les plus précieux qui pouvaient faire basculer une épineuse impasse en un fulgurant succès.

- Et… pour le repérage…

Les pupilles sombres du Romanez glissèrent lentement jusqu’à la figure du petit prince qu’il examina attentivement en guettant sa réaction.

- Eh bien il se trouve qu’il a déjà été fait pour nous. Les plans détaillés, les protections magiques mises en place, les agents déployés sur place… tout a été minutieusement retranscrit dans de précieux petits dossiers. Et ces petits dossiers - ça va te plaire – il suffit qu’on aille aller les chercher dans les sous-sols du Ministère de la Magie.

Le sourire du Romanez s’élargit alors qu’il s’avançait sur son siège en fixant Saúl de son air niais et un brin ahuri. Comment le mexicain prendrait-il le fait que le sans en donner la moindre impression, Aram avait mené cette discussion jusqu’à proposer à cet ancien Auror qui venait de quitter son boulot de dévaliser sans vergogne les sous-sols de son ancien employeur ?

Saúl éclata de rire à la proposition d'Aram. Séduire la Reine d'Angleterre était une mission assez particulière qui lui plaisait très franchement. Pas sûr qu'il aille jusqu'à conclure avec la vieille dame, mais il était quasiment certain qu'elle n'avait pas du bien s'amuser sur ce plan-là. Peut-être qu'il pourrait lui apporter l'exotisme dont elle manquait dans la vie de tous les jours ?

« - Elle a quoi ? Quatre-vingt-dix ans ? Je déballe le paquet et elle monte direct au septième ciel parce que son petit cœur aura lâché. Même pas besoin de la toucher. »

Content de sa connerie, Saúl se surprit à se demander ce qu'il ferait s'il était Roi d'une nation aussi importante que l'Angleterre. Outre le passé colonial qu'elle se payait et qui n'avait rien de ragoûtant, c'était quand même l'un des pays les plus puissants du monde où les gens désespérés venaient chercher un coin de paix en espérant un avenir meilleur à celui qui les attendait chez eux.

Saúl était un parfait exemple de cette immigration.

S'en vinrent les sempiternelles questions pour ce genre de plan. Saúl ne comptait pas se lancer dans n'importe quelle entreprise sans être sûr, sans être rassuré. Voler un fizwizbiz était quelque chose, voler un cristal dans un domaine moldu en était une autre. Surtout que de ce qu'il comprenait, il y avait des enchantements et autres joyeusetés dans le plan. Quelque chose qu'il n'eut pas besoin de se renseigner pour en comprendre la raison.

Étant désormais un ancien auror, il savait que la famille royale britannique était sous protection sorcière pour des raisons évidentes : notamment éviter le chaos qui s'en suivrait si un sorcier allait s'en prendre directement à eux pour diverses raisons.

Saúl semblait réfléchir lorsqu'Aram continua de lui dévoiler la suite du plan. Par On, il comprit le congrès des Tsiganes, bien sûr. Les enchantements de protection et les agents, ok. Mais...

« - QUOI ? » Fit-il, surpris, les yeux écarquillés comme s'ils allaient lui sortir de la tête.

« - T'es pas sérieux... Hein ? »

La surprise laissa rapidement la place pour accueillir un rire franchement amusé.

« - Bonito, t'es vraiment le pire homme que cette terre est portée. »

Saúl observait les traits rieurs du visage d'Aram avec un sourire amusé. Moins de vingt-quatre heures qu'il n'était plus Auror, qu'il n'était plus Agent du Ministère et le voilà en train de conspirer pour le cambrioler.

« - Hermano, t'as de la chance que la Mama n'est pas là, sinon, elle nous aurait tués tous les deux. »

Il leva sa bière vers le Romanez avant de la vider d'un trait.

« - Quand ? » Lâcha-t-il, après un rot sonore, laissant alors sous-entendre qu'il le suivrait.

Après tout, il n'était plus à un problème prêt. Par contre, il comptait bien en savoir plus sur ce Congrès des Roms. Ils avaient l'air d'en savoir beaucoup trop sur beaucoup trop de choses. Il se garda bien de le dire à Aram. Ce n'était pas par manque de confiance en lui, mais c'était ainsi que Saúl fonctionnait. Il n'avait jamais bossé pour eux. D'abord trop jeune, puis à l'école et enfin au service de la nation. Il se rappela de la mise en garde d'Aram sur eux, mais allait-il réellement la prendre en compte ?

Si Saúl s’était payé une bonne tranche de rigolade en imaginant séduire la vieille reine, son visage avait perdu cette sublime lumière qui le caractérisait quand Aram avait évoqué entrer illégalement dans les archives du Ministère. Sans perdre son sourire, le Romanez avait noté l’évolution de ses émotions sans en perdre une seule miette. Le demi-vélane était par moment comme un livre ouvert pour lui. Après tout, le petit prince n’avait jamais appris à camoufler ses expressions puisque son pouvoir résidait justement dans la manière qu’il avait de les utiliser pour manipuler son entourage. Son don était fascinant pour Aram qui paraissait ne jamais pouvoir se lasser de l’observer.

Mais rapidement, le choc avait laissé place à un sombre amusement et malgré lui, le rom se sentit également gagné par l’amère ironie de la situation. Il accueillit le compliment de son cousin en levant modestement sa bière dans sa direction. Le pire homme que la terre eu jamais porté, hein ? Voilà sans doute pourquoi Saúl ne s’était jamais montré particulièrement ravi à l’idée qu’il se rapproche de sa sœur… C’était une crainte pourtant infondée. Aram avait intégré les Ochoa comme sa propre famille, et il n’y avait rien de plus important au sein de leur communauté. Aussi, il se serait coupé les mains si ces dernières avaient pu leur faire le moindre mal.

- Et je te tuerai de mes propres mains si tu lui dis quoi que ce soit à ce sujet, compléta-t-il avec un sourire en se reniant lui-même alors que Saúl évoquait sa mère. Cette dernière avait ce côté protecteur, nerveux et colérique des femmes de son sang. Une vraie tzigane. Il ne donnait d’ailleurs pas cher de leur peau si Angela venait à avoir vent de leur mauvais coup à venir.

Saúl avait entreprit de vider d’un coup sa bière – preuve qu’il venait de prendre sa décision. Il faisait toujours ça avant de l’annoncer, comme si ce geste avait le pouvoir de sceller ses paroles. Aram attendit patiemment qu’il se livre à lui, mais sans aucune crainte. Dans les signes qu’il avait montrés, sa frustration, son exaspération, la manière dont ses yeux sombres brillaient de cet éclat dangereux… Le petit prince lui avait déjà tout dit. Aussi, sa simple interrogation n’amena qu’un sourire satisfait aux lèvres d’Aram.

- Je savais que je pouvais compter sur toi, se contenta-t-il de lui répondre avant de terminer lui aussi sa bière, partageant pour l’occasion cet accord tacite entre eux.

Sa bouteille vidée, il la déposa avec force sur la table avant de se lever. Il n’y avait pour l’heure rien à dire de plus. Son rôle ici était terminé. Il avait allumé la mèche de la revanche, et même lui était bien incapable de prédire la force de l’explosion qui soufflerai sur le pays.

- Je te recontacterai quand l’heure sera venue principito, t’as pas besoin d’en savoir plus que ça pour l’instant…

La connaissance était encore et toujours le bien le plus précieux et plus dangereux à détenir. Mieux valait pour lui qu’il assure cette charge seul le plus longtemps possible. Il ne mettrait dans la boucle son cousin qu’au dernier moment pour le protéger le plus longtemps possible. Le Romanez n’avait aucnue envie de lui faire prendre des risques insensés. Et pourtant, l’idée de commettre l’irréparable, avec lui, dans l’ombre de l’illégalité le remplissait de joie. Usant de son privilège de cousin, il attrapa le demi-vélane par le crâne pour lui coller un baiser sonore sur le front.

- Ce diamant ne sera jamais plus resplendissant que toi amigo… T’es vraiment le plus beau…

Et sans une parole supplémentaire, il s’éloigna avec autant de bizarrerie qu’il était apparu, son fidèle niffleur qui le suivait rendu obèse par le magot qu’il avait de nouveau camouflé dans les replis de sa peau.

Un sourire amusé effleura les lèvres de Saúl alors que le Romanez le quittait pour vaquer à d'autres occupations. Le mexicain resta quelques instants attablés, mains jointes sur la table, jusqu'à ce que le visage de sa mère ne se dessine de l'autre côté de la rue. Comme n'importe quel enfant après une mauvaise journée, il voyait Angela et cela lui suffit. Son cœur se leva doucement dans sa poitrine alors qu'un nœud semblait se défaire. Elle s'approcha avec un air désolé comme si elle savait déjà ce qu'il venait de faire. Les larmes lui montèrent doucement aux yeux, mais rien n'en sortit. Il se contenta de sourire jusqu'à ce qu'elle n'arrive à sa hauteur.

Incapable de se lever malgré l'envie démesurée de le faire pour s'agenouiller devant elle et pleurait dans ses jupons, il se contenta d'enfouir son visage sur son ventre. Les bras d'Angela lui serrèrent alors la tête et les épaules dans une attitude réconfortante et protectrice. Elle ne dit rien, se contentant de se montrer présente pour son fils qui en avait désespérément besoin. Il approchait la quarantaine, mais il était toujours son petit filou de la première heure.

Angela avait les cheveux blanchis par l'âge. Pourtant, elle n'en restait pas moins d'une beauté à couper le souffle. C'était une femme élégante malgré son apparence qui ne la mettait pas forcément en valeur comme elle le devrait. Loin d'enflammer les catwalks dans les plus grandes villes d'occident, elle avait volontairement fait le choix de se vêtir sobrement. Un choix qui, bien que simple, la sublimait comme si on avait détaché des étoiles du plafond céleste pour l'en habiller.

Saúl finit par se reculer, saluant sa mère faiblement avant de lever son visage vers elle. Angela plongea son regard dans celui de son fils, lui caressant doucement le visage de ses deux mains. Un sourire plein de chaleur s'étala sur sa face réchauffant le cœur meurtri de Saúl. Elle le lâcha pour pousser la porte de sa roulotte dans laquelle elle s'engouffra. Son fils se leva alors, récupérant les deux bouteilles de verre, et disparut derrière elle.