Il reste toujours une étincelle d'espoir * SASKIA*

Assise sur le lit, Saskia chantonnait comme à chaque fois qu’elle attendait, laissant le temps à Luke de se préparer. Les yeux perdus au travers des immenses fenêtres qui faisaient tout un pan de l’infirmerie, elle clignait un peu hagard des yeux en attendant le verdict que pouvait bien porter ce Vieux Sang qui coulait en elle. Ses doigts, longs et blancs, lissaient le drap blanc que Luke avait tiré sur elle, alors que sa langue soufflait du bout des lèvres une vieille chanson suédoise que sa mère leur chantait parfois quand elles étaient petites.

En voyant le professeur de métamorphose revenir, elle posa sur lui ses yeux avec une mine un peu fatiguée. Le chemin était long d’ici au Marché mais surtout la semaine avait été particulièrement difficile. Svea avait perdu par deux fois le contrôle de sa malédiction et avait bien failli gober tout cru Mr Gabble, un gobelin très fidèle de la petite boutique. Il s’en était failli de peu pour que le mercredi ne vire au drame et maintenant Svea ne sortait plus du jardin, s’adonnant tantôt à une forme de méditation sensée la détendre, tantôt à la destruction sous sa forme de linnorm des environs.

La voix de @Luke Korrigan la sortit de ses songes et la jeune Nibelungen eut un petit sourire amusé, mais ne répondit pas à sa proposition. Ce n’était pas la première fois en effet qu’il le lui en parlait mais plus elle visitait l’école, moins cela lui disait. Fallait dire que l’idée de s’enfermer avec une jeune adulte dans une chambre et de se voir dicter le rythme de sa journée étaient loin de lui vendre du rêve. Si elle devait mourir jeune, elle préférait encore en profiter un peu.

« Mes transformations sont toujours stables, mais j’ai l’impression d’avoir hem moins de souci avec les transformations traumatiques… Je veux dire, ça m’arrive moins souvent. J’imagine que c’est plus stable dans ce cas… »

Par traumatique, Saskia entendait toutes ces fois où elle n’avait rien décidé et où son corps, poussé dans ses retranchements par l’angoisse ou la peur, avait fini par se défendre de lui-même en enclenchant le processus de métamorphose. Il avait réussi à assimiler que si sous cette forme toute fine et souriante il ne faisait pas peur, en revanche le serpent-cornu lui était bien plus intimidant.

Le regard de Saskia se posa sur Luke qui recommençait avec son éternelle promesse, cette dévotion toute particulière qu’elle devinait lier à l’état de son propre frère. La peine se lisait toujours un peu en lui dans ces moments, comme un constat d’échec. Elle aurait aimé lui dire que ce n’était pas elle qu’elle aurait aimé sauver mais se retint, osant seulement un petit sourire pincé, donnant un air vipérin à ce visage de porcelaine.
Mais il devait s’en douter. Si elle venait encore à Poudlard, ce n’était pas tant pour elle ni vraiment pour cette promesse que Korrigan lui avait faite. C’était pour Svea, pour Cecilia, pour toutes ses sœurs qui payaient chèrement le prix d’une vie mise au ban par les autres.

« Vous faites déjà beaucoup Luke. Je sais que vous faites tout ce qu’il est possible de faire » souffla-t-elle doucement alors qu’elle sortait du lit au même moment, glissant en dehors sans un bruit comme un serpent l’aurait fait.

Elle remit en place ses cheveux, faisant tinter le petit bracelet d’or qui décorait son poignet – il avait la forme et la couleur d’un serpent doré, petit clin d’œil rappelant tous les apparats des Nibelungen forgés d’or et aux lignes vipérines.

Saskia suivit d’un regard curieux ce que le professeur était en train de faire, penchant la tête juste avant de fermer les yeux pour éviter la poudre violette qui voletait tout autour d’elle en un voile délicat sans la toucher. Quand elle rouvrit les yeux, ce ne fut que pour voir l’étrange magie ondulait tout autour d’elle.

« Un serpent ? » Un petit sourire se dessina sur le visage pâle de la Nibelungen mais elle ne répondit pas. Visiblement @Maeve Cynfeirdd avait oublié de lui dire deux trois petites choses à son sujet qu’elle n’allait certainement pas mettre sur la table ce soir. Mais au moins sa magie marchait.

Se faisant d’une docilité inquiétante – à la façon du serpent qui offre son cou sans pour autant cacher qu’il a des crochets, Saskia ouvrit les bras, laissant Luke faire ses inspections sans rechigner. La pudeur n’était pas une qualité de la famille Nibelungen qui avait fini par embrasser leur propre condition.

Les iris de la Malédictus tombèrent sur Luke Korrigan alors qu’il oubliait de passer sur le flan gauche, tout près du dessous de son sein. Il y avait là trois petites écailles dorées dont une ne tarderait pas à tomber. Elle eut un petit moment de silence, avant d’écouter ce que le professeur avait à dire.

« Entendu » souffla la serpente, observant ce que le sorcier était en train de dessiner.

Saskia pencha la tête avant de murmurer tout bas :

« Est-ce que vous… voulez une de mes écailles, Luke ? »

Le regard vairon de la Nibelungen croisa les deux pupilles bleus de glace du professeur. Elle avait presque eu l’impression de lui faire une avance tendancieuse tant il avait l’air à la fois surpris et intéressé. La Malédictus eut un petit sourire amusé, avant de faire descendre une bretelle de sa robe, continuant sur sa lancée :

« Dans ma famille, nous avons des écailles qui nous poussent au fur et à mesure des années, mais nous les perdons aussi. Elles repoussent toujours, plus belles et plus brillantes. J’en ai une qui commence à foncer, je pense qu’elle va bientôt… »
Et comme elle disait ça, elle laissait glisser le devant de sa robe sombre pour dégager son flan et faire apparaître trois écailles dorées juste à côté de son sein gauche qu’elle tint dans une seule main. De sa main libre elle vint tirer délicatement sur l’une d’entre elle qui, à la façon d’une dent d’enfant, semblait ne plus tenir que par un fil seulement. Elle la tira encore un peu et elle tomba alors raide dans le creux de sa main.
« …tomber. Peut-être que ça pourrait t’aider ? En tout cas, ne le dites à personne. Je ne suis pas sensée les donner, mais si ça peut aider alors... »

Les Nibelungen étaient pour beaucoup des créatures magiques au Vieux Sang. Des alchimistes auraient payé cher pour ne serait-ce que quelques gouttes de sang ou une écaille et pourtant elle était là, à lui offrir ses veines, à lui offrir cette écaille. Si Svea l’apprenait, peut-être se changerait-elle ici en linnorm pour mieux le dévorer.
Elle le ferait oui, mais pas Saskia. Si elle avait pu faire plus pour sauver ses sœurs, elle n’aurait pas compté ni son sang ni ses écailles.

Un sourire amusé se dessina sur le visage de Saskia alors qu’il la qualifiait de fascinante. Ce n’était pas la première fois qu’on lui faisait la remarque, mais c’était bien la première fois qu’un homme préférait encore fixer son regard sur ces trois écailles plutôt que sur sa gorge blanche. Enfin, presque tous. Il y en avait bien chez qui ça créerait quelques tensions en effet. Elffin évitait toujours soigneusement cette zone, comme si elle lui rappelait qu’elle et lui n’appartiendraient jamais au même monde.

Elle baissa les yeux sur l’écaille qui était en effet une partie d’elle-même qu’elle lui offrait. Est-ce qu’il y avait une signification là-dedans ? Aucune, pensa Saskia. Ce n’est jamais qu’une écaille. Comme on offrirait une mèche de cheveux ou un mouchoir ? Les filles Nibelungen y voyaient plus qu’une écaille. Elles s’imaginaient Galadriel offrant trois cheveux seulement, princières et dominantes.

Saskia eut un petit sourire amusé : « Vous devriez. Si ça peut sauver mes sœurs et votre frère », elle le lui plaça au creux de la main, lui permettant de la tenir seul.
Elle n’était ni Svea ni Kaja ou Maja. Ce n’était jamais qu’une écaille morte, comme une peau, comme une mue d’elle-même. Et même si elle brillait encore un peu, de cette magie douce et délicate, toute vipérine, ce n’était jamais qu’une partie de son corps qui avait chu et ne serait jamais plus à elle.

La Malédictus observa la baguette du professeur mais rien ne se passa. Elle lui jeta un regard. Avant même qu’il eut dit quelque chose, Saskia sentit qu’il attendait un autre résultat de sa manipulation. Elle se mordit la lèvre inférieure, attendant qu’il s’explique, mais au lieu de ça il fit quelques pas, attrapa un bocal vide.

La petite blonde n’avait pas bougé d’un pouce. La sensation étrange au sein de ne plus avoir que deux écailles, de devoir attendre désormais la pousse de la nouvelle qui viendrait lui cisailler la chair, percer l’épiderme pour se faire une place. En attendant, la peau était à vif, sensible, fragile. Ce n’était pas pour rien que les dragons se terraient parfois sous la terre le temps de la mue, juste avant la fin de l’hiver. En plus de profiter de la chaleur naturelle des tréfonds de la terre.

« Vous savez, elles ne le vivent pas si mal que ça. » Saskia suivit d’un air intrigué les manipulations magiques. Elle s’approcha, posant ses doigts sur le bois clair. « Elles ne le voient pas toutes comme une Malédiction. Beaucoup de mes sœurs disent d’ailleurs… enfin, elles pensent que c’est une sorte de bénédiction. Un pouvoir rien qu’à nous, différent des autres mais puissants et dangereux. » Saskia eut un petit moment de pause, avant de reprendre avec un sourire gêné : « Mais c’est peut-être qu’un discours pour cacher les plaies. Je l’ignore. Je n’y pense pas souvent. »

Parce qu’il fallait bien, pour Saskia mais aussi pour les autres, vivre avec cette seconde peau. Vivre avec cette peau de serpent qui venait et enfermait leur âme dans des anneaux reptiliens. Était-ce si grave puisqu’elles pouvaient encore se parler et s’aimer, même après la mort de leur vaisseau humain ?

« Il n’y a pas de mal à être un monstre je crois si ça nous permet d’être craintes et respectées. »

Sans demander la permission, Saskia s’installa sur un petit tabouret. Elle attendit que Luke ne continue ses expériences mais il s’arrêta. La Malédictus leva ses yeux sur lui, croisant son regard bleu de glace.
Ses derniers mots durent le toucher puisqu’il lui refusait le titre de monstre.

Saskia eut un petit sourire charmant, détournant le regard sans répondre. A son visage, on pouvait voir que ça l’avait touché mais pas assez pour percer la cuirasse d’écailles. Fallait dire qu’elle y ressemblait fortement à un monstre. Que ce fut ses iris vairons ou même sa forme animale à en faire pâlir n’importe quel magizoologiste…

Luke Korrigan reprit. Saskia planta son menton dans sa main, semblant réfléchir. Ses pupilles – l’une bleu, l’autre marron – cherchèrent l’inspiration vers le plafond puis ensuite à travers les fenêtres, observant les couleurs du ciel. Elle devrait rentrer ensuite. Le Marché n’était pas loin mais il y avait des heures autorisées et d’autres…

« Ma grande sœur est un linnorm » lança-t-elle en pensant tout d’abord à Svea, la plus ancienne de leur génération, « en général les gens ne me croient pas que je le dis, mais c’est vrai, c’est un véritable linnorm norvégien. Vous verrez sa taille ! Elle est très impressionnante » souffla-t-elle, non pas horrifiée, « et ses écailles sont de la couleur de l’obsidienne. Elle est… vraiment très belle. »
Saskia marqua une pause, avant d’avoir un petit rire bref :
« C’est assez drôle quand on y pense, mais on aurait presque l’impression que nos formes de Malédictus reflètent notre, mh, personnalité. Ma sœur Svea est un véritable dragon. Même les hommes du Marché n’aiment pas se prendre de tête avec elle, surtout depuis qu’elle a gagné au bras de fer contre Asha Dangerosa (@Maeve Cynfeirdd). Et sans tricher ! J’étais pas là mais c’est ce que j’ai entendu dire en tout cas… »

Le cartel Dangerosa n’était pourtant pas des tendres, mais les familles qui vivaient sur le Marché avaient eu le temps de plusieurs générations pour s’accomoder les uns des autres, avec plus ou moins de succès.

Saskia jeta un œil à Luke, avec un sourire gêné :
« Je dois vous ennuyer à… j’ai pas forcément votre rigueur scientifique » nota-t-elle, avant de froncer légèrement les sourcils, peinée plus qu’en colère, « mais c’est aussi parce que je ne vois pas mes sœurs comme des sujets d’études. Je vois nos entretiens comme des échanges de bon procédé, Luke. »

C’était presque comme être amis avec bénéfices… presque ?

« Non, ça va aller. C’est le temps que ça repousse » répondit-elle simplement, sans vouloir l’inquiéter et parce que c’était la vérité.

Le regard de la petite vipère suivit le Serdaigle jusqu’à ce qu’il s’assoie à côté d’elle. Saskia attendit qu’il prenne la parole à la suite, ne s’attendant pas à grand-chose. Même s’il ne les voyait que comme des sujets, Luke Korrigan avait fait tout ce qu’il avait pu pour elles. Il avait au moins le mérite d’essayer.

Elle pencha un peu la tête pour mieux observer son profil. La Malédictus eut un sourire sincère, laissant au professeur Korrigan le luxe de poser sa main sur elle. Le pauvre avait l’air plus mal à l’aise qu’elle qui, pour la peine, était parfaitement maîtresse d’elle-même. Plus que le geste, c’était l’attention qui la touchait un peu – seulement un peu. La serpentine avait le sang froid et en cela toutes ces petites choses lui semblaient parfois bien futiles et lointaines, trop distantes qu’elle n’arrivait pas toutes à les saisir.

« Merci Luke » souffla-t-elle seulement.

Après quoi, ses iris se levèrent sur le visage de l’animagus, penchant cette fois la tête de l’autre côté en plissant son minois délicat. Qu’entendait-il par vie normale pour ceux qui vivaient sur le Marché aux Trolls ? Et puis, pour avoir une vie normale, ne fallait-il pas être soi même normale ou entrer dans une norme ? Non. On ne pouvait pas demander à un poisson de grimper aux arbres.

Au lieu de ça, Saskia eut un petit rire amusé.

« Je ne crois pas qu’une vie normale me convienne… » Elle jeta un regard aux alentours, sur l’infirmerie bien silencieuse pour un samedi : « Il y a une certaine liberté à se sentir condamnée d’avance et sur une plus courte durée que les autres. On se pose moins de questions. On vit seulement, même si parfois on peut avoir l’impression de survivre, mais c’est aussi le cas des gens normaux non ? »

Elle balaya cette fois la silhouette de Luke d’un regard qui lui signifiait que lui n’avait pas l’air si différent d’elle, malgré leur « vie » bien différente. A lui le poste bien rangé et une carrière brillante. A elle les pavés sous le Pont de Londres et la petite boutique de sa mère où elle confectionnait encore et encore des vêtements avec un soin tout particulier.

L’air un peu maussade du professeur lui retira le sourire qui s’accrochait tant bien que mal à ses lippes. Elle détourna alors le regard, empruntant cette fois une moue perplexe, les yeux perdus dans le vague où dansait des souvenirs lointains.

Sa mère s’était-elle déjà plainte une fois ? Il ne lui semblait pas. Les Nibelungen ne se plaignaient jamais. C’était une nécessité plus qu’une force de caractère. La mort n’avait jamais été une option.

« Globalement, mes sœurs le vivent bien, du moins autant qu’elles le peuvent. Certaines en font une force, comme Svea. Elle est très fière de son sang. Elle dit qu’elle a hérité de la férocité des princes-dragons qui vivent dans un pays tout au nord, un pays qui se trouve à l’est du soleil et à l’ouest de la lune. »

Saskia eut un sourire amusé, penchant la tête, ses longs cheveux glissant sur son torse. Elle n’avait pas l’air d’une enfant. Sans doute n’en avait elle jamais eu l’air car les âmes d’enfant ne survivaient pas longtemps au Marché. Ce qu’elle racontait alors n’avait rien d’un conte mais peut-être bien d’une légende familiale, comme quand on raconte que son père a participé aux guerres sorcières.

« Comme dans toutes les familles, ça a entraîné des… des drames familiaux, des disputes, des… souffrances. » Saskia perdit doucement son sourire : « Ma sœur Cecilia est trop fragile pour aller dehors. Vous verriez sa transformation. Elle devient un tout petit serpent, un petit serpent des maïs, gros comme ça », elle ouvrit la paume de sa main de presque rien, « et comme elle se transforme souvent, il n’est pas possible pour elle de sortir trop souvent. Elle est un peu comme un enfant malade chez vous. C’est difficile pour elle car elle a l’impression de passer à côté de la liberté ou de la vie et surtout des choses de l’amour. Mais je ne crois pas que ça soit vraiment dû à notre condition. C’est parce qu’elle est fragile, c’est tout. »

Saskia se redressa, soupirant doucement, lasse : « La seule qui a véritablement souffert quoi qu’elle en dise, c’est Liv. Parce que son mari est un connard qui l’a quitté dès que ça a été difficile, dès qu’elle a commencé à se transformer plus souvent. Il n’a pas attendu que ça soit définitif. Il l’a laissé avec ses deux filles en s’en lavant les mains, parce que ce sont des petites filles. Le garçon, il l’a gardé, parce que ça ne risquait pas de… de finir comme avec elle. »

Le visage de la Nibelungen se froissa de nouveau. Ses sourcils froncés lui donnaient un air terrible, glaçant, bien loin de l’image si lisse qu’elle portait à l’accoutumée.
Elle resta quelques secondes ainsi avant de se détendre, préférant soupirer une seconde fois : « Enfin, j’imagine que c’est aussi ce qui arrive quand on a des maladies héréditaires… »

Elle avait cru entendre parler que les moldus faisaient la même chose pour les cancers mais elle n’avait jamais bien compris le rapport avec le mois de juillet.

Les mains posées sur ses épaules, Luke Korrigan avait l’air d’être sûr de lui et déterminé. Cela fit rire Saskia qui pouffa par le nez. Elle n’osa pas lui demander ce qui le poussait à être aussi certain de lui, aussi affirmé. Elle imaginait très bien que la malédiction du foil qui avait emporté son frère était, en soi, une raison suffisante. C’était peut-être devenu dans la vie du professeur de métamorphose une obsession. A en juger par ses yeux pétillants et avides, sans doute oui.

Le regard de la petite vipère passa sur lui alors qu’il commençait déjà à piétiner en cercle, emporté par un flot incroyable de pensées.

La jeune Nibelungen perdit doucement son sourire, perdue à son tour dans ses pensées. C’est qu’il y avait quelque chose d’ironique pour un homme ayant fait le choix de devenir un animal – de partir à la rencontre même de sa part animale, de ce qu’il appelait agréablement totem – de sauver ceux qui finiraient par épouser ce cœur sauvage. Etait-ce une question de choix ? Etait-ce la peur de se retrouver coincé dans une peau animale ?

Saskia baissa les yeux, s’engouffrant dans des pensées qui la mettaient quelque peu mal à l’aise. Après tout, l’enfant qu’elle était n’avait jamais vraiment eu le choix. Pouvait-elle être définie autrement que par cette créature – ce monstre – qu’elle était ? Pouvait-elle être autre chose qu’une Malédictus dans une famille où on avait fini par l’ériger comme une tradition, comme l’essence même d’un Nibelungen au point même que certains de ses frères avaient parfois un peu de doute, un peu de rancœur quant à cette incapacité à embrasser leur condition ?

Une petite moue désagréable passa sur le visage clair et lumineux de la serpente. Elle se posait définitivement bien trop de questions et trop peu de réponses étaient livrées en retour. Le jeu était inégal – comme la vie d’une certaine façon.

Luke Korrigan s’arrêta de bouger. Elle posa sur lui ses iris vairons, attendant sagement qu’il lui livre cette incroyable idée qui avait fait briller ses yeux quelques secondes auparavant.

« Mh », elle hocha à peine la tête avant de prendre entre ses doigts le carnet bleu qu’il lui déposait en même temps.

Luke eut un sourire triste en posant sa main sur son épaule. Saskia le sentit sincère. Maladroitement sincère. Elle baissa les yeux sur le carnet avec un petit rire, avant de relever les yeux sur lui, arborant ce petit rictus moqueur qu’on lui connaissait d’ordinaire :

« Vous voulez dire qu’une princesse-dragon ne serait pas allée à Serpentard ? »

Elle retomba doucement du meuble jusqu’au sol, toisant de toute sa hauteur le professeur de métamorphose qui était désormais proche. Le menton bien haut, elle avait ce petit air de reine que lui conférait le rôle de future Mère du Nid. En tant que serpent-cornu, il y avait un quelque chose d’incroyablement puissant en elle, une flamme vivace et brillante.

« Mais c’est gentil – votre compliment » souffla-t-elle, calant le carnet contre son torse, « j’aurai apprécié être dans votre maison, Luke. Vous avez l’air d’un très bon professeur. »

Si seulement elle avait été une élève simplement. A quelques années près, elle aurait pu. Elle aurait pu embrasser elle aussi les voies académiques, devenir un rat de bibliothèque avant de conquérir le Ministère. Au lieu de ça, elle n’était qu’une petite couturière, enchanteresse dont le bout des doigts sublimait tout ce qu’elle touchait.

« Je tenterais de tenir l’exercice et je, mh, remplierais le carnet, mais… »

Elle leva à son tour la main, avant de venir se poser sur le haut du bras de Luke, le serrant avec une pudeur et une tendresse particulière.

« …si ça ne marche pas, ça ne sera pas de votre faute, Luke. Je veux dire, tout ce que nous faisons c’est bien et j’apprécie votre dévotion, mais si vous sentez à un moment donné que c’est trop dur moralement ou que… que ça vous dépasse, n’hésitez pas à me le dire. Je n’ai rien à perdre dans cette affaire mais je sais qu’elle vous touche tout particulièrement, alors… faites attention à vous aussi. »

Saskia eut un petit sourire, avant de lui serrer un peu le bras, comme pour le rassurer à son tour.

« Tentez de ne pas avoir de trop gros espoir, d’accord ? » Elle eut un petit instant de silence avant de relâcher son bras. « Est-ce que vous avez une date où je pourrais revenir ? Je n’ai pas l’agenda le plus rempli mais on ne sait jamais si ça tombe sur une fête ou… vous êtes déjà venu à Litha au Marché aux Trolls ? » Elle passa un regard sur le professeur avant de rire : « Non, je retire ce que je viens de dire. Donnez-moi juste une date. »

Elle avait bien de la peine à imaginer ce pauvre Luke Korrigan passait dans l’Allée des Embrumes alors le Marché aux Trolls serait pour lui la fin de ce joli costume ou de ces jolies chaussures. Carmilla n'en ferait qu'une bouchée et peut-être que Maeve lui en voudrait un peu... juste un peu.