Windowstill (Xris)

Plus son regard s'attardait sur Xris, plus Siobhán se demandait comment elle avait pu louper ce qui s'établissait aujourd'hui devant elle comme une évidence. La tristesse creusant jusqu'à ses traits. Ce regard qui semblait s'attarder autour de lui sans pour autant réellement voir quoi que ce soit d'autre dans son champ de vision. Son ami semblait hanté par des troubles qu'elle n'aurait su nommer, et cette vérité qui s'allumait devant elle lui laissa un goût amer dans la bouche.

Cette dispute n'avait rien arrangé. Mais il lui était impossible d'en vouloir à @Edel Almadovar. Outre cet amour qu'elle lui portait, elle savait que ses intentions étaient pures même s'il ne les avait certainement pas énoncées de la bonne façon. Comment aurait-elle pu lui reprocher une réaction alors qu'elle avait eu la même, au départ ? À la différence qu'elle savait prendre du recul et de la hauteur quand Edel préférait souvent foncer tête baissée dans le tas qui s'offrait à lui. Avec des œillères de sa propre invention, sans aucun doute.

Pour autant, il lui avait été impossible de répondre à ce merci. Parce qu'elle avait le sentiment de ne pas le mériter.

Xris avait le regard baissé et elle l'imita. D'où elle était, la vélane pouvait presque entendre les voix de son esprit s'agiter alors qu'il semblait avoir mille choses auxquelles penser à cet instant. Tout ce qu'elle pouvait encore faire, c'était lui offrir une parenthèse de répit, pour ne pas le laisser terminer cette journée sur une note aussi négative. Son regard s'alluma un instant.

Elle avait une idée.

« Je reviens ! », lui lâcha-t-elle alors qu'elle était déjà partie en direction des vestiaires.

Réouvrant la porte d'un coup de baguette — elle connaissait les sortilèges dont son capitaine avait usé pour protéger leur espace de toute intrusion, bien qu'elle n'ait jamais demandé pourquoi il ressentait le besoin de prendre autant de précaution — Siobhán disparut un instant à l'intérieur du bâtiment. Nul doute que Xris devait se demander ce qu'il se passait.

Son balais dans la main, la jeune femme revint à la hauteur du Serpentard, un sourire aux lèvres. Au passage, elle avait attrapé le sien, abandonné sur la pelouse.

« Ça te dit qu'on prenne de la hauteur ? Je suis certaine que tout te semblera plus petit de là-haut. »

Son bras se tendit vers lui pour lui proposer son propre balais.

Sa voix trahissait sans nul doute son excitation à l'idée de laisser le vent balayer son visage dans l'ombre de la nuit. Elle s'imaginait déjà danser avec le reflet de la lune, flirtant avec la surface du Lac Noir.

Xris ne répondrait peut-être pas à son invitation avec la même effervescence, ni le même engouement.

Mais une partie d'elle — probablement la plus naïve — était persuadée des bienfaits à venir de cette escapade nocturne.

Quelques secondes se passèrent pendant lesquelles elle garda son bras tendu, portant à son bout l’impressionnant balais de son ami. Siobhán se demanda jusqu’au dernier moment si elle avait bien fait de prendre cette initiative. De se laisser emporter par ses envies de liberté. Sur le moment, ça lui avait semblé être la meilleure chose à faire. Parce qu’elle-même prenait toujours de la hauteur quand ça n’allait pas. Souvent, elle se contentait de la tour d’astronomie, quand l’étendue infinie du ciel aurait pu constituer sa seule limite. Et si elle partait parfois voler seule sur son balais, il lui fallait admettre que ce genre de moment ne gagnait réellement en valeur que lorsqu’il était partagé. Et ce soir, sa compagnie serait de choix.

Parce que Xris avait fini par accepter la sienne. Enfin.

Un soupir de soulagement discret s’échappa de sa bouche, ponctué par un large sourire en coin lorsqu’il lui proposa son balais et qu’il la mit au défi.

Son cœur fut incapable de ne pas se serrer tant il était évident que cette phrase aurait pu être prononcée par Edel, lui qui prenait les grandes décisions de sa vie comme s’il s’agissait d’un jeu grandeur nature. Ces deux-là avaient tant en commun et il lui était impossible d’accepter que leur amitié, bafouée par quelques mots de trop, aurait pu s’arrêter ce soir la. Il fallait qu’elle trouve un moyen de les réconcilier. Quelqu’il soit. Et vite.

Son myocarde reprit de sa vigueur lorsque ses yeux bleus croisèrent ceux de Xris, rieur. Son sourire lui fit oublier un instant le froid qui régnait désormais à l’extérieur, comme une veste chaude et douce qui serait venue la réconforter. Elle préférait mille fois ce visage-là. Celui qui, un instant, s’accordait à vouloir s’éloigner de ses problèmes, pour espérer, peut-être, mieux les appréhender. Sans oublier toutefois que la vie pouvait offrir bien plus que ce qu’on pouvait s’imaginer. Il suffisait simplement d’accepter d’ouvrir les yeux assez grand pour le voir. Et, ce soir, c’était ce qu’elle lui donnait. Une ouverture sur un instant précieux et partagé, qui aurait au moins le mérite de lui permettre de faire abstraction de tout ce qui pouvait le tarauder.

« Tu crois réellement que je t’aurais proposé une envolée si je n’étais pas sure de moi ? », demanda-t-elle d’un air qui se voulait faussement hautain.  

Xris mesurait près du double de sa taille, à quelque chose près, et maîtrisait son balais mieux que n’importe quel autre membre de leur équipe. Mais Siobhán était une Korrigan. Plus petite, plus rapide, avec un brin de ruse qui pouvait parfois faire la différence sur un balais. Le talent inné des autres ne l’impressionnait pas plus que ça. Il la poussait simplement à redoubler d’efforts pour espérer finir par être meilleure. Sa détermination courrait quotidiennement dans son sang.

Se saisissant du balais que lui proposait son capitaine, celui qu’il utilisait personnellement aussi bien pendant les entraînements et durant les matchs, la jeune femme n’attendit pas ses consignes pour prendre son envol, le rejoignant sans plus attendre pour se rapprocher un peu plus près des étoiles qui les regardaient.

Son regard se perdit quelque part dans cette grande étendue sombre et perlée. Elle eut un sourire en voyant sa mère briller de mille feux, ce soir-là.

« On ira là où le vent nous portera », annonça-t-elle avec conviction une fois qu’elle fut arrivée à la hauteur de son ami, l’ayant regardé quelques instants faire ses tests envolés.

Passer du temps avec Edel la poussait à faire usage de ses phrases évasives, sans véritable réponse apportée. Des phrases qu’elle avait détesté par le passé et qu’elle se surprenait, avec le temps, à apprécier. À l’image de ses sentiments pour lui qui se renforçaient. Xris ferait-il le rapprochement ?

Par chance, un vent de nord ouest la menait exactement où elle voulait aller. Prenant de l’altitude pour disparaître dans l’obscurité de la nuit, la vélane attendit d’être hors de portée pour faire peser le poids de son corps sur l’avant de son balais, augmentant considérablement sa vitesse alors qu'un souffle invisible la dirigeait vers le Lac Noir.

La lune montrait timidement son premier quartier qui se reflétait sur cette étendue sombre et obscure qui ne paraissait plus si impressionnante vue d'en haut. La Serpentard chercha son capitaine du regard et fit un geste de la tête pour lui indiquer qu'elle s'apprêtait à plonger en piqué.

Ce qu'elle fit sans attendre son approbation, même silencieuse.

Au dernier moment, elle redressa la barre pour poursuivre son vol de manière plus conventionnelle. Il lui aurait suffit de tendre sa jambe pour toucher l'eau, et la vélane ne put s'empêcher de laisser ses doigts flirter avec la surface, provoquant un frisson sur sa peau blanche qui contrastait sans mal avec la pâleur sélénite qui ne suffisait pas tout à fait à la éclairer. Siobhán mit fin à ce moment de grâce, regagnant un espace du ciel où elle serait moins à découvert, attendant de voir si Xris profitait pleinement de cet instant.

« Alors ? », lui demanda-t-elle simplement lorsqu'il fut à sa portée.

Xris était dans les airs comme s'il était chez lui. À l'aise sur n'importe quel balais, même si ce n'était pas le sien, tant qu'il le transportait haut, et loin. Il semblait qu'il pouvait faire plier n'importe quel vulgaire morceau de bois taillé pour leur faire quitter terre selon son allégeance. Siobhán n'avait pu s'empêcher d'admirer l'aisance avec laquelle il s'appropriait cet air qu'ils respiraient. Et ses traits, pensifs, exprimaient tout ce qu'il ne voulait pas raconter à voix haute. Tout ce que lui inspirait cette balade nocturne lorsqu'il survolait le château, tous ces souvenirs omniprésents qu'il pouvait observer d'un peu plus haut.

Mais lorsqu'il revint à sa hauteur, il ne dit mot sur ces ressentis. Probablement sentait-il qu'il avait atteint sa limite, et tout laissait à penser qu'il s'était déjà trop confié pour une seule soirée en racontant à Siobhán ce qu'il s'était passé.

La vélane ne put s'empêcher de lui sourire, elle aussi saisie par une brusque envie de liberté que cette nuit pouvait leur apporter si l'un et l'autre daignaient se prêter au jeu. Si l'un et l'autre acceptaient de lâcher prise, le temps d'une seule soirée. Car si les deux Serpentard étaient en tous points différents, ils partageaient pourtant bien plus qu'une maison et des camarades en commun. Ce besoin de contrôle qui ne leur laissait que trop rarement de répit, cet irrémédiable nécessité de maîtrise qui ne les autorisait jamais à laisser tomber les rênes de leur vie. Au lieu de ça, ils s'obstinaient à les tenir, trop fermement sûrement.

Pas ce soir.

« Finn et moi, on a grandi à Castel Korrigan. Dans le domaine, il y avait un lac, vaste et profond autour duquel mon père nous interdisait de nous rendre. Donc, tu imagines bien qu'on y passait tout notre temps... », avoua la vélane en souriant de nouveau. « Parfois, on piquait de vieux balais que plus personne n'utilisait et... » Tout à coup, elle stoppa son récit, se rapprochant légèrement de son ami. « Ne lui raconte jamais ça... », chuchota-t-elle comme si  @Luke Korrigan pouvait l'entendre. « Je disais, donc. On piquait de vieux balais et on demandait à un elfe de nous suivre au cas-où. » Ces derniers mots laissaient présager le pire, et il fallait avouer que la nièce de @Maeve Cynfeirdd y mettait toutes les formes pour ponctuer son récit et le rendre vivant, comme un barde le ferait. « On prenait un peu de hauteur avec Finn, et on plongeait en piqué en même temps. Celui qui se rapprochait le plus de l'eau avait gagné. Et, bien sûr, celui qui plongeait vraiment dans l'eau avait perdu et devait préparer le goûter de l'autre comme s'il était un roi. »

Plonger dans ces souvenirs la fit rire. Les deux jumeaux avaient une certaine fierté et, une fois, ils avaient fini tous les deux à l'eau, non sans affoler l'elfe qui les surveillait et à qui ils avaient interdit de prévenir leur père.

« Tu veux jouer ? »

Xris avait raison.

@Edel Almadovar l'avait peut-être bien contaminée.

Le plaisir de virevolter dans les airs fut décuplé par l’approbation de Xris, qui acceptait sans broncher de se prêter à des jeux d’enfants auxquels Siobhán se demandait s’il avait déjà eu accès.

Elle ne connaissait que peu de choses de son passé ou de la famille Andērson, mais la lecture de mots imprononcés, entre les lignes, avait été suffisante pour comprendre ce qu’il n’y avait, parfois, pas besoin de dire.

Il n’y avait qu’à voir la manière dont Xris se comportait au quotidien. Sur la réserve, il ne se laissait que rarement aller. Son regard dur se voulait le témoin d’un passé qui ne l’avait pas vu s’épanouir comme les autres enfants de son âge.

Et surtout, il avait du mal à faire confiance.

Comme si en son propre foyer, on l’avait assez poussé à se méfier, au point même que les années ne lui avaient pas permis d’abaisser la garde. Là-dessus, Siobhán lui ressemblait. Mais pour ce qui était du reste, elle avait eu la chance de grandir au beau milieu des siens, auprès de ses cousines, de son père, de sa tante et de son frère. Baignée dans un amour profond, malgré une grande part de pudeur qu’elle avait conservé vigoureusement, avec le temps.

Certains sentiments n’avaient pas besoin d’être basculés sous une lumière blanche et blafarde pour être prouvés. C’était un travail quotidien que de montrer aux autres à quel point on pouvait tenir à eux. L’amour pouvait prendre tellement de formes que le plus important restait parfois de savoir le repérer quand on doutait de lui. Peut-être n’avait-on jamais enseigné à Xris à quoi il ressemblait réellement.

Siobhán se promit de lui montrer ce qu’était l’amitié, la vraie, et à quel point l’on pouvait la confondre avec la famille, de celle qui nous regarde grandir. La première étape pour prouver qu'elle tenait réellement à lui était de commencer par réparer ce qui les liait, @Edel Almadovar et lui, depuis leurs débuts à Poudlard.

Pensive, ses yeux d’azur se concentrèrent tout à coup sur son objectif : battre celui qu’elle venait tout juste de challenger. Parce que c’était ça aussi, parfois.

L’amitié, la famille.

C’était souvent l’amour vache, avant même l’amour tout court.  

Et l’exercice avait été répété assez de fois pour être entièrement maîtrisé. Du moins, elle le croyait dur comme fer, y compris en donnant le signal pour qu’ils s’élancent, tous les deux, vers l'imposante étendue d’eau sous leurs pieds.

Cramponné au manche de bois du balais de Xris, elle ne doutait pas une seule seconde des performances de l’objet magique, ni même des siennes.

Pourtant, elle aurait du.

Sûrement trop focalisée sur la victoire, elle en avait oublié la prise en compte de son environnement, pourtant consciente qu'il était à la base de tout lors d'une séance de vol.  

Trop tard.

Une bourrasque, une seconde d’attention qui lui avait manquée, et la vélane fut propulsée sur la terre ferme sans même pouvoir demander son reste.

Son premier réflexe fut d’amortir sa chute en déposant son bras sous elle.

Encore une mauvaise décision.

Car ce fut lui qui se plia sous son poids, déclenchant immédiatement une douleur qui irradia tout son corps avant de revenir à son origine. Mais la Korrigan n’était pas du genre à se plaindre. La douleur n’était rien d’autre qu’une information transmise au cerveau et loin d’elle l’envie de partager à voix haute ce que son corps ressentait devant Xris, qui s’était précipité à son chevet.

« J’ai mal calculé la vitesse du vent et son orientation, je crois », admit-elle, bien que difficilement, devant celui qui était aussi son capitaine. « Ça m’apprendra à vouloir jouer à autre chose qu'au Quidditch. »

La dernière partie de sa phrase était sortie comme un marmonnement alors qu’elle essayait de manipuler son bras pour montrer qu’elle n’avait pas mal. Avec succès, jusqu’ici, puisqu’elle pouvait effectivement le bouger. Contente de voir qu’elle n’avait rien de cassé, la vélane se leva immédiatement en prenant appui sur ses os valides… avant de retomber aussitôt, misérable et incapable de s’appuyer sur sa cheville.

Son corps lui avait-il donc transmis des données erronées ?

« Non. Me fais pas ça », lança-t-elle comme si elle s’adressait à ce dernier. Comme si elle demandait à son propre corps de de ne pas la lâcher. Puis, se retournant vers Xris : « C’est sûrement rien », l’informa-t-elle.

Le croyait-elle elle-même ?

Avec un sourire qui se voulait rassurant, elle lança un Episkey, prouvant dans le même temps qu’elle était persuadée qu’il s’agissait d’une blessure mineure.

Une fois.

Deux fois.

À deux reprises, la vert-et-argent avait échoué son sortilège, dissimulant avec beaucoup de peine les tremblants de son bras encore endolori.

Elle comprenait sans mal, désormais, qu’elle aurait du mal à garder la face devant son ami.