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au-delà des apparences x juliet

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Féline, la démarche cadencée et toute de noir vêtue, tu arpentes les vastes étendues du parc de Poudlard avec une distinction singulière. De loin, il serait bien probable de te confondre avec une silhouette sombre et semblable à celles que l’on peut observer dans les cas de paralysie du sommeil. Des silhouettes étranges, filiformes et floues mais toujours ténébreuses et menaçantes. Il n’y a pas une seule personne qui ose franchement croiser ton chemin ici. Triste réputation de professeure sanguinaire.

Sans le moindre bruit, tu parviens jusqu’à la lisière de la Forêt Interdite. Un lieu parfait pour les instants de méditation que tu t’offres parfois, lorsque tu en as le temps. Car il est rare que tu sortes de tes quartiers. La salle de Défense Contre les Forces du Mal recèle le chemin menant à tes appartements personnels et il est vrai que tu n’en sors que trop peu. D’où peut-être ce teint blafard que tu arbores de plus en plus.

L’aube se lève doucement, l’environnement tout autour de toi est bercé d’une brise silencieuse et rafraîchissante. Une brume opaque caresse les pans de ta robe de sorcière. Tu prends de longue inspiration, expirant en totalité l’air de tes poumons. Méditation profonde et indispensable à l’équilibre de ton énergie magique. Un lieu hautement positif bien qu’effrayant sous bien des aspects. Curieuse, tu aperçois un troupeau de Sombrals au loin. Tes pas se tournent vers ces créatures fantastiques au physique cadavérique.

Une figure féminine, blonde, se tient à proximité de ces bêtes. “Marshall, vous, ici …” soulignes-tu en la saluant d’un simple signe de tête. Il n’y a rien qui puisse réellement vous rapprocher l’une de l’autre. Il n’y a rien qui soit réellement à la hauteur de susciter l’intérêt chez l’une et chez l’autre. Rien. Tu viens t’agenouiller pour te mettre à hauteur des plus petits. Ils n’ont rien à craindre de ta présence et cela s’observe dans le comportement du plus jeune Sombral dont l’attention se tourne vers ta main tendue. Sa mère, bien sûr, est sur le qui-vive, mais le petit s’approche prudemment. Dans ta main, une pomme que tu as dérobée des cuisines du château. “Vous pouvez les voir, vous aussi ?”

@Juliet Marshall
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Juliet a encore le visage barbouillé par le sommeil. Appelée en urgence par Sir Thomas Ferguson, petit nobliau inventé de toute pièce par un peintre sorcier qui a fait don de son œuvre à Poudlard pour remercier l’institut de n’avoir fait de lui qu’un sorcier médiocre – autant dire que le jeune homme tout de peinture faite a longtemps été exécrable avant de se faire mater par le reste de la populace accrochée aux murs –, la jeune femme avait dû gérer, au saut du lit, une mauvaise blague qui avait tourné au drame quand le dindon de la farce se fut retrouvé avec des cloques sur tout le corps qui, sans cesse, naissaient, grossissaient et se rompaient, ne laissant qu’une peau à vif sur laquelle repoussaient de nouvelles grosseurs. Juliet, armée jusqu’aux dents d’une résistance à toutes sortes de conséquences de maléfices, n’avait pas bronché face à ce que le professeur d’astreinte avait fui, et s’était occupée de son patient avec cette efficacité qui avait fait d’elle une médicomage irréprochable aux urgences de Sainte-Mangouste.

Une heure avait été nécessaire pour qu’elle parvienne à conjurer les éruptions, et une bonne demi-heure supplémentaire pour mettre au point la potion qui en effacerait les derniers vestiges et régénèrerait la peau torturée. Elle était ensuite restée au chevet de son malade, le temps pour elle de s’assurer qu’il s’endormait et que sa potion agisse – et le temps pour l’adrénaline de redescendre, laissant la fatigue de son réveil abrupt retomber sur ses épaules.

L’aube pointait. Assise sur un de ces fauteuils qu’elle avait fait installer au côté de chaque lit pour les invités, elle observait le visage blême pour s’assurer qu’il dormait profondément. Puis, tel un fantôme, elle se leva, quitta l’infirmerie en veillant à la verrouiller, et sortit du château. Dans l’air frais empesé d’un brouillard constitué de filaments de brume, elle resserra les pans de son gilet sur elle, balaya d’un regard le parc vide qui s’offrait à elle, et étudia ses options : rentrer chez elle, mais pour quoi ? Elle n’allait pas se rendormir pour si peu de temps, et elle avait des vêtements de rechange à l’infirmerie. Elle squatterait la salle de bain d’un professeur – peut-être celui qui l’avait laissée seule avec son patient, plutôt que de l’aider – pour se doucher. Rester à l’infirmerie n’était pas envisageable, elle allait y passer la journée et n’avait pas envie de la commencer aussi tôt, pas ce matin, pas dans de telles conditions. Elle n'avait pas laissé tomber Sainte-Mangouste pour en reprendre les travers. Juliet avisa la Forêt interdite, qui s’étendait, masse sombre, à la lisière du parc. Et pourquoi pas ?

La jeune femme fit soigneusement le tour pour éviter les berges du Lac de Poudlard, emprunta un sentier familier, qu’elle connaissait par cœur, jusqu’à eux.

Le troupeau occupait une clairière perdue au beau milieu du sous-bois, bordée de hauts arbres sombres dont les ramures formaient une voûte protectrice au-dessus. L’aube peinait à percer l’épais feuillage. Une partie des animaux était encore allongée, engourdie de sommeil ; les plus jeunes, cependant, étaient déjà debout, s’empressant dans les jambes de leurs mères. L’un des Sombrals, l’entendant arriver, tourna sa tête vers elle, l’avisa, puis, la reconnaissant, détourna son attention pour reprendre la surveillance qu’il exerçait sur le troupeau, à l’affût du moindre danger.

Juliet s’approcha d’un animal qu’elle connaissait bien, fit courir sa main le long de sa colonne vertébrale et lui tendit la main ; il y fourra son nez et fourragea dans sa paume avec sa lèvre supérieure.

« Désolée, je n’ai rien pris. Je n’avais pas prévu de venir. »

La créature continua une seconde de plus, puis releva le nez ; elle le gratta entre les deux oreilles. Il n’avait pas l’air de lui en vouloir.

Elle posa son front contre le sien. Elle avait encore envie de dormir.

« Marshall, vous ici… »

Juliet sursauta et fit volte-face. Son cœur cognait contre sa poitrine alors qu’elle avisait la silhouette élancée, sombre et silencieuse, de Cléopatra. Le Sombral qu’elle câlinait une seconde auparavant souffla par les naseaux, comme contrarié.

« Vous pouvez les voir, vous aussi ? »

Juliet ne répondit pas tout de suite. Avec la professeure, elle n’avait jamais su sur quel pied danser. Sans lui être antipathique, elle ne lui était pas sympathique. En toute franchise, elle lui faisait un peu peur, comme à peu près tout le monde au château, sans doute ; et elle entendait parler d’elle par le biais des étudiants, certains débarquant à l’infirmerie à la suite d’un cours musclé de Défense contre les Forces du Mal. Les deux femmes ne s’étaient jamais découvert d’atomes crochus, et Juliet restait sur ses gardes avec elle. Il était vrai qu’elle n’appréciait que peu les méthodes d’enseignement dont elle entendait parler.

Mais qui était-elle pour juger une femme qu’elle ne connaissait pas ? Juliet avait toujours eu à cœur de ne jamais préjuger et, si elle avait ce réflexe comme toute personne, elle s’empressait de l’effacer pour donner à l’autre le bénéfice du doute.

Cléopatra avait ce bénéfice. D’autant plus maintenant que Juliet découvrait que la professeure pouvait elle aussi voir les Sombrals : si c’était aisément explicable pour l’infirmière qui, dans sa carrière de médicomage, avait vu plus d’un patient passer l’arme à gauche, pour quelqu’un qui n’était qu’un professeur, certes de Défense contre les Forces du Mal, cela sous-entendait une partie d’histoire bien sombre.

« Oui », finit-elle par répondre. « Je n’ai pas toujours réussi à sauver les sorciers qui arrivaient dans mes urgences. »

Distraitement, elle caressa l’encolure osseuse du Sombral demeuré à ses côtés.

« J’étais médicomage à Sainte-Mangouste », précisa-t-elle, sans trop savoir pourquoi. « Aux urgences. » Elle venait de le dire, oui.

Juliet passa une main sur son visage chiffonné.

« Pardon, j’ai été réveillée en urgence. » Elle avait l’impression de répéter ce mot depuis cinq minutes. « Comme quoi, ça ne s’arrête jamais… » Elle observa quelques secondes de silence. Devait-elle demander pourquoi la professeure voyait les Sombrals ? Non. Trop intime. Elle l’observa donner une pomme à un poulain. « Vous aussi, vous les connaissez bien, alors. Ils sont farouches, j’ai mis du temps à ce qu’ils me fassent un peu confiance. Ce sont de bons compagnons quand on veut se couper du monde… » Elle s’interrompit. Ca allait vite, dans sa tête. « Pas comme moi, je parle tout le temps. Vous êtes sûrement ici pour avoir la paix. Le silence. Tout ça. » Mais elle ne voulait pas s’en aller. Elle voulait être avec les Sombrals, elle aussi. Elles pouvaient bien se partager la clairière, non ? De nouveau, Juliet l’observa. Contrairement à elle, qui avait troqué son pyjama contre un jean, un t-shirt et un gilet qui traînaient, Cléopatra était toute apprêtée. « Vous êtes matinale… », ne put-elle s’empêcher de remarquer, avant de presser les lèvres pour s’empêcher d’en rajouter.

@Cléopatra Amonwë
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Sous les rameaux immenses vos silhouettes se fondent dans la colonie équine. La blonde, la main tendue vers l’avant, propose des gestes affectueux à l’un des Sombrals. Rien ne saurait tromper la quiétude des lieux. A l’interpellation, elle sursaute. Il serait mentir que de dire que tu n’as pas pris un soupçon de plaisir à cette réaction : tu aimes surprendre, avoir une longueur d’avance. La réaction de l’animal ne t’échappe pas. Bien au contraire. Tu es habituée par ces comportements à ton égard. Tu intimides, femme enténébrée dont les gestes sont soudains.

Cette réputation qui te précède, tu voudrais bien parfois la balayer d’un revers de la main comme tu fais disparaître les restes de Chaporouges décapités après un enseignement de Défense Contre les Forces du Mal. Si seulement tout était si aisé. L’aveu de ce que certains pourraient considérer comme un échec médical. Le rapport à la mort des soignants, paraît-il n’est pas toujours très clair. Un hochement du menton de ta part, simple mais suffisant à la mention de sa carrière passée au sein de Sainte-Mangouste.

“Vous voilà bien dans l’urgence, Miss Marshall”, ironises-tu afin de détendre l’atmosphère comme tu peux. Et surtout avec ce que tu as … C’est-à-dire un humour bien à toi, teinté de sarcasme. En revanche, tu ne sous estime pas son rôle que tu juges primordial au sein du château. Avoir en charge autant d’étudiants - dont bon nombre sont envoyés à la fin de tes classes - il faut être armée pour tenir le choc. “Éternel recommencement … Que s’est-il passé ?” Curieuse, tu tends l’oreille, prête à en recevoir une explication.

Le petit s’empare de la pomme écarlate et offerte. Le fruit est rapidement réduit en morceaux moins fermes et plus tendres sous la mastication régulière mais encore frêle. La panthère acquiesce. Effectivement, tu es en mesure de les voir, d’apprécier leur compagnie. La jeune femme expose très clairement les raisons de ta présence ici. Tu recherches le calme et la sérénité. Ce qui est si rare pour ton caractère orageux. “Vous ne dérangez pas, vraiment”, soulignes-tu alors que tu détournes ton visage blafard vers le sien.

“Ils ont cette faculté à accueillir les âmes incomprises, pour ne pas dire brisées. Ils ont cette capacité à sentir le meilleur qui sommeille en chacun de nous. J’aime à penser qu’ils m’ont laissé une chance”. Une esquisse, très subtile, au coin des lèvres enveloppées de pourpre. Tu finis par te redresser sur tes talons hauts, sur lesquels tu marches fort bien malgré le sol inégal. “Je ne dors pas beaucoup”. Référence à ces autres rumeurs qui font de toi une vampire. “J’avais besoin de repos, d’être loin du tumulte de Poudlard”. Tu t’éloignes de quelques pas, t’approchant d’un Sombral adulte. “J’aime ce château mais j’ai réellement besoin de m’extraire de son cœur pour mieux me retrouver”. Une nécessité de solitude salvatrice. Si tu n’étais pas une panthère, tu serais probablement une louve.

@Juliet Marshall
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« Vous voilà bien dans l’urgence, miss Marshall. »

Juliet tiqua, manqua de renâcler. Comment était-elle sensée réagir ? Une preuve, s’il en fallait une, de la difficulté qu’elle recontrait à entretenir de franches relations de travail avec la professeure, comme d’autres avant elle. Sa remarque, d’un sarcasme assumé, sonnait à ses oreilles comme l’expression de son doute, le doute qu’elle pourrait nourrir de croire que la petite infirmière de Poudlard a le passé presque glorieux d’une médicomage responsable des urgences du grand hôpital magique de Londres. Après tout, pourquoi, avec un tel prestige, aurait-elle choisi de s’enterrer à Poudlard, avec des jeunes gens qui ne sont certes plus des adolescents mais pas encore des adultes, pour seul public ? Cléopatra, nimbée de ses mystères et à la psyché impénétrable, sa mise toujours impeccable et férocement élégante, pourrait nourrir de cette arrogance propre à ces personnes parées d’une confiance telle que seule leur vérité compte.

Juliet en était là dans ses réflexions, à peser le pour et le contre de cette envie qui la démangeait de demander poliment au professeur d’aller se faire voir chez les grecs, probablement due à la fatigue d’un réveil prématuré et agité et à l’adrénaline évaporée, lorsque Cléopatra lui posa une question. La question. La seule que personne ne posait jamais, ou pour satisfaire une curiosité mal placée. Cette question, qui la percuta par la sincérité qu’elle portait en son cœur. Juliet dissimula sa surprise en restant prudemment tournée vers le Sombral qu’elle chouchoutait, et conserva le silence ; aux aguets.

Elle l’écouta sans piper mot. Elle hocha imperceptiblement la tête lorsque la femme de fer évoqua son sentiment d’apaisement que lui procurait les créatures de sombre réputation, l’écouta lorsqu’elle lui apprit qu’elle ne dormait pas beaucoup, l’écouta encore lorsqu’elle conclut sur son affection pour l’institution et sa profession, qu’elle avait cependant besoin de contrebalancer par un moment hors du temps. Hors des murs, du tumulte de ses résidents, du vacarme des humeurs de ses escaliers et de ses tableaux, du fracas des sortilèges pendant les entraînements, du grondement des potions sur le feu. Les cuisines devaient sans doute être l’endroit le plus calme de tout le château, songeait-elle souvent.

Parce que Juliet la comprenait. Tout ce que Cléopatra lui confessa, elle le comprenait. L’Infirmerie, son infirmerie, avait sa vie propre, que n’épargnait pas l’agitation constante de l’école ; même si Juliet tenait à faire régner un certain ordre pour le bien-être de ses patients, rares étaient ceux qui y passaient plus d’une journée, et ne nécessitaient de repos que d’être inactif, mais pas silencieux. Son Infirmerie vivait, elle aussi. Et elle y était plongée en permanence, entre les allées et venues des estropiés et leurs soutiens, l’entrechoquement des fioles et des potions, le ronronnement du feu sous son chaudron, le chuintement des rideaux aux fenêtres ouvertes, la rumeur des conversations qui se voulaient discrètes sans jamais l’être.

Elle aussi ressentait ce besoin de s’éloigner de tout ça pour s’exiler dans le silence paisible de cette clairière aux abords de la Forêt interdite, elle aussi avait besoin de se vautrer dans cette sérénité où elle s’abandonnait sans même regarder derrière elle. Cet endroit était un sanctuaire. Son sanctuaire.

Leur sanctuaire.

« C’est vrai que je ne viens jamais aussi tôt », murmura-t-elle pour elle-même, bien qu’elle sache que dans ce silence immobile, Cléopatra l’entendrait.

Elles ne s’étaient jamais croisées parce qu’elles ne venaient jamais aux mêmes moments de la journée. Jusqu’à aujourd’hui.

Juliet prit le temps de faire courir sa main le long de l’encolure du Sombral pendant quelques secondes.

Puis, sans trop savoir pourquoi, une impulsion, un sursaut de confiance ou un besoin de se délester, peut-être, elle décida, dans ce moment hors du temps, qu’elle pouvait bien lui offrir une réponse. Après tout, que pouvait-elle révéler de plus grave que le fait qu’elle soit capable de voir les Sombrals ?

« Il s’appelait Alberich et avait été victime d’un accident de désartibulement. Les plaies étaient trop importantes et l’hémorragie trop avancée lorsqu’il est arrivé aux urgences. Il me regardait encore lorsqu’il est mort. » Elle gratta la créature derrière les oreilles. « Je ne sais pas ce qui est le pire : que ça soit arrivé pendant son apprentissage ou que cet accident soit tellement ordinaire. J’avais déjà perdu deux patients avant lui, dans d’autres circonstances, donc, même si je ne l’ai pas vérifié, je ne pense pas que ce soit lui, précisément, qui m’ait permis de voir les Sombrals. Mais c’est lui qui m’a le plus marquée. Il est plus facile de perdre un patient dans des conditions, disons, plus atroces si j’ose dire, qu’au cours d’un accident si… ordinaire. » Juliet ignorait si elle était claire, mais elle n’avait jamais été vraiment douée pour mettre en mot ce qu’elle ressentait.

D’autant que Juliet ne se confiait pas. Jamais. Pas même un journal intime. Tout passait sous le feu de sa verve, sous le soleil de son sourire, sous l’étincelle de son regard. Ses failles, ses faiblesses, sa tristesse comme sa solitude, elle les enterrait dans un sol infertile qu’elle recouvrait de la couverture colorée de son excentricité.

Cléopatra était désormais la seule personne à savoir que Juliet, au-delà de voir les Sombrals, les côtoyait. Un aveu qu’elle n’aurait jamais fait sciemment. Un aveu qu’elle n’aurait jamais fait.

« Si vous le souhaitez, je peux peut-être mettre au point une potion pour vos difficultés à dormir. S’il s’agit de difficultés, évidemment. Moi, si je pouvais dormir toute une journée, je suis sûre que je le ferai. » Comme frôlée par un courant d’air fantôme, Juliet croisa les bras sur son ventre. Un jeune Sombral s’approcha et la poussa doucement dans le dos, puis fit glisser son nez dans la poche de son gilet. Elle le laissa farfouiller en l’observant. De nouvelles secondes de silence s’étirèrent, bien étonnantes de la part de Juliet, et d’autant plus qu’elle ne les trouva pas étrange ou flottantes. Non, ces secondes de silence étaient étonnement confortables. Cette clairière était peut-être réellement hors du temps. « En tout cas, quelle que soit la raison pour laquelle vous pouvez les voir, sachez que j’en suis désolée. Nous ne devrions jamais voir la mort en face quand on n’a pas choisi de faire avec. » Juliet le pensait vraiment. Il n’y avait que les fous pour faire un tel choix.

Des fous dont elle faisait partie.

Juliet se redressa légèrement et pour la première fois depuis l’arrivée de la professeure, elle lui fit face et accrocha son regard. Le fantôme d’un sourire frôla ses lèvres. « Si je peux me permettre, tant qu’on est là, et puis il n’y a qu’eux qui peuvent nous entendre et ils sont aussi muets que des tombes… » Elle marqua une pause. « Pardon pour la mauvaise blague… je blâmerais bien la fatigue, mais ce ne serait pas honnête. » Elle se gratta la tête du bout de l’index, un tic qu’elle avait quand elle s’embourbait – son ex-mari trouvait ça adorable. Raison pour laquelle elle tentait d’arrêter. « Je disais, hum… est-ce que les professeurs de Défense contre les Forces du Mal sont tenus de les avoir affrontées ? Vraiment affrontées ? Je suis désolée pour cette question qui est sans doute foncièrement ridicule, mais c’est quelque chose qui m’a toujours intriguée. »

Juliet aurait pu partir. Elle aurait pu inventer un prétexte pour quitter la clairière et rentrer chez elle, ou retourner à l’infirmerie, ou aller tambouriner sans remords à la porte du professeur d’astreinte pour lui « emprunter » sa salle de bains. Elle aurait pu s’enfuir, car il ne s’agissait que de ça – d’une fuite, pour ne pas avoir à développer davantage sa situation personnelle déjà bien révélée maintenant qu’elles étaient toutes les deux prises au dépourvu au cœur de leur secret. Et aussi pour ne pas avoir à discuter avec ce professeur qui l’avait toujours mise mal à l’aise.

Mais là, dans cette atmosphère, dans ce silence tranquille et au milieu de ce troupeau paisible, Juliet décida qu’elle pouvait bien rester encore un peu. Après tout, les Sombrals avaient accordé à Cléopatra une seconde chance, ainsi qu’elle l’avait déclaré ; pourquoi pas elle ?

@Cléopatra Amonwë
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La mélodie de ses ossements qui craquent un à un sous le roc. Sinistre réminiscence qui parcourt à l’instant ton psychisme déjà bien abîmé par la vie. L’horreur, tu peux affirmer aujourd’hui y avoir fait face. L’horreur de perdre un être cher est bien plus ardue que celle qui règne sur les champs de bataille orchestrés lors de ces compétitions illégales d’affrontements magiques auxquelles tu participes. La panthère, cette signature originale et tout à fait singulière. Celle que tu arbores depuis ce jour-là. Celle qui t’as permis de t’extirper de justesse de cet éboulement. Si cela n’avait pas été le cas, sans doute ne serais-tu plus ici pour y repenser.

L’infirmière admet qu’elle ne vient jamais aussi tôt. C’est assez surprenant de partager un temps avec cette femme. Elle semble si souvent dans le malaise lorsqu’un temps commun est de mise. Il suffit d’apercevoir ces maudites et interminables réunions du staff de l’Université pour s’en rendre compte. Vous n’avez rien en commun - et pourtant bien plus que chacune ne pourrait le penser. Il demeure bien mal aisé de vous imaginer vous adresser un quelconque sourire en public. En revanche, peut-être parviendrez-vous à vous asseoir côte à côte sans jamais vous mordre à la carotide ? C’est probable, d’autant que tu te fais écoute de ses intimes confidences.

Tu ignores s’il existe une valence affective entre son geste - celui de gratter l’arrière de l’oreille du petit Sombral - et la mention d’Alberich. Un homme victime d’un désartibulement. Un accident terrible pour qui a déjà pu observer les séquelles laissées par un tel événement. Ce regard dont elle parle te fait froid dans le dos : tu as connu l’identique. A la mention de la perte d’un patient, tu fais immédiatement une connexion avec ce qu’elle pourrait penser intimement. Oui, cela te semble très clair. Tu hoches la tête, humble devant ce combat interne qui doit certainement persister pour elle également. “Je vois très bien ce que vous voulez dire, Marshall”, te permets-tu de préciser, surtout pour apaiser l’embarras.

La sorcière noire que tu es laisse entendre un soupir ironique à l’évocation de ces nuits sans sommeil. La proposition de t’en faire un remède ne te laisse pas indifférente. En vérité, tu n’as jamais vraiment consulté à ce propos. Inutile de mentionner que tu préfères prendre cela à bras le corps, toi-même. Et pourtant, tu lâches du lest. “Si cela peut m’aider, alors volontiers”. Une réponse rare te concernant, celle d’un aveu de tes difficultés. “S’il n’est pas toujours difficile de m’endormir, ce sont davantage des réveils nocturnes qui parasitent mon sommeil. Des cauchemars”, trouves-tu bon d’indiquer. “Des cauchemars où il revient. Je pense avoir passé le stade de la culpabilité. Il ne me reproche plus de l’avoir laissé dans cette grotte”.

Tes yeux tranchants comme l’acier frôlent doucereusement le corps cadavérique des bêtes légendaires. “Je l’ai perdu lors d’une mission pour le Ministère. Il était Tireur d’élite Sénior. J’étais Conjureure de malédictions pour le Département des Mystères. Nous étions sur une mission tous les deux, en Roumanie. Les événements ont mal tourné, la grotte s’est effondrée sur lui. Je n’ai eu d’autre choix que de fuir. En vérité, je n’ai pas pu me retenir de fuir, mon corps s’est mis à se mouvoir seul, je n’étais pas en mesure de le contrôler”. Le cas classique des situations potentiellement traumatiques. Si tu avais eu le choix … Peut-être serais-tu restée avec lui. Peut-être pas. Tu as notion que tout cela est éminemment sombre mais l’amour était incommensurable. “Je n’ai jamais connu quelqu’un d’autre qui ait été aussi brillant que lui”. Une esquisse, la première, que tu adresses sincèrement.

“Il m’arrive parfois de sentir son parfum, alors qu’il n’y a rien autour de moi”. Cette fragrance citronnée. “Vous autres, médicomages, vous nommez cela les reviviscences traumatiques, n’est-ce pas ?” Eh bien c’est ton symptôme, et Belzébuth sait combien il persiste encore et encore. “Je pense que se confronter à la mort est aussi douloureux qu’il nous fait grandir. Miss Marshall, d’autres cultures vivent avec leurs morts sans qu’aucune séparation que celle des corps ne soit perceptible. J’ai grandi dans les us et coutumes africains”. Des pratiques et rituels qui habitent encore ton quotidien de sorcière occidentale.

“Je suis également désolée pour ce qui vous est arrivé”. Tu croises son regard, le tien est plus souple que d’ordinaire. Ton faciès pâle s’illumine un temps après le bien mauvais humour qui pourtant noir vient toucher ton égo. “Je ne vous blamerais pas pour votre bien mauvais humour”. Sa prochaine question a cela de surprenant qu’elle concerne directement ta posture d’enseignante. “Il existe bien des manières de devenir professeur de Défense Contre les Forces du Mal”. Tes talons impeccables font le tour des équidés, tu viens caresser le museau de l’un d’entre eux. “Certains sont recrutés seulement sur leur palmarès académique, sans jamais les avoir affrontées”.

Tu croises ses prunelles, la mine sévère. “Inutile de vous dire combien je méprise ces individus”. Tu laisses entendre un rire sarcastique. “Il m’apparaît impératif d’avoir approché notre sujet d’étude avant de l’enseigner. Sinon comment transmettre la quintessence de son art ?”, reprends-tu en te redressant fièrement de toute ta hauteur. “La fraude n’est pas à mon goût, vous l’aurez compris”. Tu maintiens un silence. “Vous n’êtes pas de ces personnes, Marshall, je peux le sentir. Je ne me trompe que rarement sur les autres et je sens que vous avez un sacré aplomb. Auriez-vous connu une autre carrière ?”

@Juliet Marshall
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