Full Strawberry Moon

Full Strawberry Moon

ft @Dâriush Aslan

1er juin 2023

Est-ce que tu sais qui c'est, Dariush Aslan ?

Ashlyn fit les yeux ronds alors qu'elle était en train de recoudre un des deux jeunes loups qui étaient en consultation à l'officine. Déjà parce que personne ne lui avait jamais demandé de renseignements auparavant, et ça faisait pour beaucoup partie du deal lorsqu'on entrait dans son cabinet, et encore moins à propos du guérisseur Aslan. Elle le connaissait pour avoir échangé deux ou trois banalités, mais elle n'était pas plus intéressée que ça par le personnage qui, s'il était décrit plutôt comme quelqu'un de discret et de travailleur, ne lui inspirait pas grand-chose. Ce n'était pas seulement lui mais bon nombre de ses collègues, à l'exception près de @Zahra Jekyll qui excitait chez elle une curiosité et une envie de discuter.

Quoi qu'il en soit, Ashlyn ne répondit pas et haussa les épaules. Les deux jeunes loups ne tentèrent pas davantage d'obtenir une quelconque information de sa part, alors qu'elle finissait d'extraire les résidus d'argent logés dans une des plaies. C'était des blessures par balle récentes, ce qui portait à croire que ces deux gamins n'étaient pas que des gamins perdus.

Ça aussi, elle ne le discuterait pas, puisqu'elle s'attachait fermement à soigner quiconque de présenter et en demandait le moins. C'était comme ça qu'Ashlyn vivait son serment et cela lui allait très bien.

(...)

La nuit commençait doucement à se coucher sur Londres, et Ashlyn a plié bagage. Il lui restait encore trois nuits avant la prochaine pleine lune, dont deux gardes. A croire que quelqu'un faisait exprès de lui donner les pires horaires possibles, l'empêchant de récupérer son sommeil. Ça commençait à se voir aux cernes indélicates qu'elle cachait tant bien que mal sous un léger maquillage (plus parce qu'elle n'avait pas le temps que pour une autre raison).

« Bonne soirée Jenny », souffla Ashlyn en faisant un petit signe à l'infirmière qui finissait de vérifier que toute la paperasse était en ordre.

« Bonne soirée Docteur Laskaris », reprit de volée Jenny, non sans un sourire sincère. Reposez-vous bien.

Ashlyn ne perdit pas son temps et traversa les couloirs de Sainte-Mangouste. Elle prendrait juste un café avant de partir. Cela la mettrait un peu en retard à l'officine, mais qui allait lui reprocher son retard franchement ?

Elle s'arrêta à la première machine trouvée et chercha dans ses poches quelques pièces. Le contact avec la morille la brûlait toujours mais grâce à ses gants, le contact était tout juste désagréable. Elle mit deux morilles dans la machine qui commença à faire un bruit infernal.

En attendant que le café ne coule, Ashlyn tourna machinalement la tête vers la fenêtre qui donnait sur les jardins entourant la bâtisse et séparant les différentes ailes. Dehors il faisait déjà noir et la lune s'affichait, déesse insolente. La seule caresse de ses rayons sur sa peau réchauffait son âme. Sa présence avait quelque chose de rassurant et d'agréable. Comme les bras d'une mère. Elle pouvait même presque croire sentir cette odeur sauvage, ce parfum fauve qui…

Ashlyn sursauta en se pressant soudainement à la fenêtre. Deux loups-garous longeaient en silence le bâtiment, avançant avec toute la discrétion des prédateurs en chasse.
Le fait qu'ils ne s'arrêtent à aucun moment à l'endroit d'une porte portait à croire qu'ils avaient une cible dans le bâtiment.

Un petit 'mmmh' s'échappa de ses lèvres, alors qu'elle semblait en pleine réflexion.

La machine fit un petit bip bip pour indiquer que le café était servi.

(...)

Les deux loups se faufilèrent en silence dans les jardins, se fondant dans l'obscurité. Leur truffe ne leur servirait à rien puisqu'ils n'avaient aucune piste, aussi ils levaient régulièrement la tête pour jeter un œil dans les couloirs de l'établissement.

Ce n'était pas la première fois qu'ils se trouvaient à faire la mauvaise besogne, mais cette fois, c'était bien plus personnel. C'était même essentiellement personnel.

Si @Fergus Clearwater et @James Grey n'avaient pas incendié la petite maison de maître de Bristol, jamais Darren Blackstone ne serait mort, et alors aucun de ses deux frères, Darryl et Drake, ne seraient à chasser le médicomage lié à la famille Clearwater.

Tout ça faisait partie d'un cercle de violence dont on ne savait plus qui ou quoi avait commencé, tout ce qui comptait c'était d'y mettre un terme. Envoyer des messages, toujours plus forts, toujours plus violents. S'ils avaient pu avoir Fergus, aucun des deux loups n'aurait choisir Dariush Aslan comme cible, mais il fallait ce qu'il fallait.

Oeil pour oeil, dent pour dent.

La porte s'ouvrit, faisant se reculer dans l'obscurité les deux loups. Leurs pelages gris sombre les faisaient devenir eux même des ombres. Leurs yeux brillèrent pourtant en voyant que la cible était bien là, et qu'elle était seule.

On leur avait appris à frapper fort et vite, aussi ils n'hésitèrent pas une seule seconde.

Les deux fondirent sur Dariush dans un grognement terrible.

Une gueule se referma sur la gorge du premier tandis que l'autre enfonçait ses canines non pas dans Dariush Aslan mais dans l'abdomen du loup brun qui s'était interposé.

Un concert de grognements s'éleva, alors que les trois gueules se disputaient les unes les autres. L'odeur du sang s'éleva rapidement dans les airs et alors que la gueule d'un des deux loups voulut attraper le mollet du Aslan, la gueule du loup brun le croqua dans douceur au niveau de l'épaule et l'envoya de toutes ses forces contre les portes qu'elle avait dû défoncer pour sortir.

Dariush glissa quelques secondes sur le carrelage blanc alors que la louve brune poussa de nouveau un grognement sur les deux jeunes loups dont elle reconnaissait désormais parfaitement l'odeur.

Les deux se regardèrent et, se faisant la réflexion que d'entrer dans Sainte Mangouste serait une erreur, ils s'enfuirent non sans un regard méprisant pour celle qui était intervenue.

Ashlyn resta quelques secondes droite, observant les environs pour être bien certaine qu'ils ne reviendraient pas, avant d'elle-même vaciller. Les coups de crocs avaient bien percé son pelage épais et cela se voyait seulement à ses bouts de patte blanche devenus rouges par endroit.

Elle resta quelques secondes de plus alors qu'elle se rendait compte que dans le moment, et en ne pensant qu'à le sauver, elle avait mordu Dariush Aslan.

Elle avait mordu Dariush Aslan.

Elle avait mordu.

Sa queue se rabattit doucement entre ses jambes alors qu'elle se retournait doucement pour voir l'homme allongé sur le carrelage. Un petit couinement désolé s'échappa d'elle.

Full Strawberry Moon

01.06.2023

Certaines potions demandaient d'être réalisées à certains moments de la journée ou de la nuit. Pour Dâriush, c'était une chose qu'il avait toujours trouvé poétique, comme si la magie elle-même demandait à des forces supérieures d'exercer son art lors de la préparation de certaines potions. Aussi, l'Iranien, de garde, n'avait rien d'autres de mieux à faire que de s'installer tranquillement à la clarté de la lune, dans le laboratoire, pour s'envelopper dans la quiétude de la nuit, au rythme des clapotis à la surface des potions.

Au-dehors, le mal arpentait les rues pour venir le cueillir dans la quiétude de la nuit.

Couteau en argent dans sa main bronzée, Dâriush appuyait du plat de la lame sur une fève soporifique en chantonnant doucement une vieille chanson iranienne qu'il avait entendue à la radio ce matin lorsqu'il prenait son café en compagnie de son père. Sans se douter une seule seconde que cette soirée serait la dernière qu'il vivrait en tant que Dâriush, simple guérisseur de Sainte Mangouste, frère jumeau de Narghis (@Asel Misra) et grand frère chiant de @Mira Aslan, il concoctait ses filtres du mort-vivant dans l'insouciance la plus totale.

Soudain, la porte s'ouvrit à la volée.

Dâriush leva son regard vers celle-ci, sourcils froncés prêt à apostropher la personne qui venait le déranger ainsi quand ses yeux noisette croisèrent les regards de deux loups qui l'observaient, prêt à bondir.

Il déglutit péniblement. Sa pomme d'Adam, plus visible que jamais, trahit la peur qu'il l'envahit tout à coup.

Il n'avait pas besoin de sortir de Serdaigle pour se douter du sort qu'il lui était réservé. Prêt à faire jaillir un bouclier pour se protéger du premier assaut, Dâriush sursauta en voyant un troisième loup apparaître devant lui pour le défendre.

Reculant d'un pas tout en serrant sa main sur cette petite lame d'argent, Dâriush tenta d'esquiver les attaques contrées par le loup brun pour lui permettre de s'échapper. Le guérisseur voulait s'enfuir. Il se fichait bien de savoir qui venait de s'interposer pour le défendre. Il n'y avait que le bon sens qui l'animait : celui de la survie.

Mais l'un des loups parvint à trouver une ouverture dans la défense du loup brun. Il envoya aussitôt sa gueule pour lui mordre le mollet. Dâriush, qui transpirait à grosses gouttes, voulut sauter pour l'esquiver, mais la pression qu'exerça le loup brun de sa mâchoire puissante sur son épaule l'immobilisa sous la douleur.

Un hurlement de douleur s'échappa de ses lèvres pour mourir au moment où son corps percutait une table de pierre. Le souffle coupé, il rebondit malgré lui pour tomber tête la première au sol. Son sang mouilla ses cheveux noirs avant de se répandre doucement sur le sol de l'hôpital.

Mais l'inconscience l'avait déjà gagné.

La nuit était passée mais elle n’avait pas pu trouvé le sommeil. Au lieu de ça, elle s’était assise, le regard grave, juste à côté de la table basse de son salon. Ses yeux chocolats étaient rivés sur la silhouette endormie de Dâriush Aslan, allongé dans son canapé, torse-nu et bandé tout autour de l’épaule. Elle ne l’avait clairement pas loupé et en même temps, plus elle y repensait, plus elle se disait que si ça n’avait pas été elle, ça aurait été l’un des frères Blackstone. Égoïstement, elle aurait préféré que ce fut l’un d’eux plutôt qu’elle, car désormais, il fallait qu’elle soit honnête avec elle-même : il était devenu sa responsabilité.
Sa main se posa sur son visage alors qu’il fallait avaler le fait qu’en voulant le sauver, elle l’avait fondamentalement condamné son existence toute entière à changer, à muter. Ce n’était pas aussi grave que d’avoir une maladie, mais il serait à tout jamais lié à elle sans qu’il ne l’ait choisi. C’était presque comme un mariage. L’idée lui déplaisait au plus haut point, non pas parce qu’il était laid ou autre, mais parce qu’elle s’était toujours dit qu’une vie de solitaire, à seulement avoir à gérer ses deux petites sœurs, c’était plutôt pas si mal. Fonder une famille, c’était des responsabilités, et elle en avait déjà bien assez comme ça à sauver des vies au travail.

Les yeux d’Ashlyn glissèrent sur la table, d’un air un peu triste. Elle n’aurait jamais cru faire une telle erreur. Elle ne s’était pas posée de question et avait agi comme son cœur lui avait dit. Elle l’avait sauvé, mais à quel prix ? Et qu’est-ce qui avait poussé ces deux têtes de linotte à s’en prendre à lui ? Les frères Blackstone n’étaient pas des mauvais bougres, malgré une histoire un peu dramatique, alors qu’est-ce qui faisait qu’ils avaient sciemment choisi de se transformer pour l’attaquer ?

Elle se leva un instant, disparaissant dans la cuisine pour revenir finalement avec deux cafés chauds, qu’elle avait préparé noir. Je ne sais même pas comment il prend son café, pensa-t-elle, l’air plus grave encore, comme si cette information était essentielle. En réalité, ce n’était que l’écho du fait qu’elle ne connaissait que trop vaguement Dâriush Aslan. Elle ne savait même pas s’il avait voté Dunn ou s’il préférait le thé. Elle posa les deux tasses sur la table basse avant de venir s’asseoir de nouveau de l’autre côté , faisant attention à ne faire aucun bruit.

Derrière ses mèches brunes, elle avait fait en sorte qu’il soit présentable. Elle avait épongé son sang sur le sol de Sainte-Mangouste, tout en cherchant désespérément de quoi se rhabiller. Maintenant qu’il n’y avait pas un seul bruit dans tout l’appartement, elle sentait sur ses épaules la fatigue se poser, délicatement. Elle piqua du nez quelques secondes, avant de voir finalement Dâriush bouger. Le changement de son rythme cardiaque l’avertit. Elle releva le nez ; le café était tiède entre ses doigts.

Quand il croisa son regard, elle eut un tout petit sourire désolé pour lui.

« Hey... ça va ? »

Elle avait l’air coupable, et en même temps, ne l’était-elle pas en quelque sorte ? Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille. Sous ses ongles, on devinait du sang séché, puisqu’elle n’avait pas encore pris le temps d’aller se laver. Pour l’heure, elle voulait seulement lui dire combien elle était désolée.

« Fais doucement, fais doucement, tu vas te faire mal sinon », continua-t-elle en le voyant se redresser dans le canapé, « j’ai bandé assez leste, pour éviter que ça te tire. Pas besoin de points pour une morsure... Quoi qu’on fasse, la première reste à vie... »

Sa gorge se serra un peu alors qu’elle baissait les yeux.

Sommeil agité, emprisonné dans ses rêves plus sombres les uns que les autres, Dâriush semblait avoir erré dans sa propre psyché lorsqu'enfin, il ouvrit les yeux dans ce salon dont il ne connaissait rien. Un mal de tête épouvantable l'assaillait. Mais ce n'était rien face à cette douleur qui immobilisait son épaule comme si on lui avait soudé cette dernière pour qu'il ne puisse plus se servir de son bras.

Les yeux plissés, trop dormis, mais pas assez reposés, Dâriush n'arrivait pas à aligner ses pensées. Incapable d'aligner une pensée cohérente alors qu'il tentait de reconnaître l'endroit, il tenta du mieux qu'il put de se redresser dans ce canapé. Torse nu, il se figea à mi-distance pour observer le visage d'Ashlyn, cette guérisseuse du service des blessures par créatures magiques.

Il ne comprit pas tout de suite ce qu'il dit. Mettant ce court instant à profit pour se redresser du mieux qu'il put pour lui faire face, il attira à lui un coussin du bout de ses doigts pour couvrir son ventre. Dâriush avait les paupières lourdes, et ce fut sa seule réponse lorsqu'Ashlyn lui demanda si ça allait. Il avait l'impression qu'on avait utilisé son corps comme sac de frappes. C'était une sensation plus désagréable que réellement douloureuse. À vrai dire, il n'y avait que ce pansement et cette sensation de chaleur qui l'agaçait réellement.

Enfin, ce n'était que lorsqu'elle prononça le mot morsure que tout lui redevint aussi clair que de l'eau de roche. D'un bloc, les souvenirs de la soirée lui revenaient avec la force d'un rouleau compresseur. La peur se vit de suite sur son visage alors qu'il jetait des regards à droite, puis à gauche, dans l'espoir de trouver une aide quelconque.

« - Aïe... » Gémit Dâriush en portant sa main valide à son épaule alors qu'il venait de se faire mal en tentant de quitter les lieux.

Sa tête lui tourna aussitôt le forçant à retomber mollement sur le canapé, à bout de force. Il était Guérisseur. Il n'avait pas besoin de lui demander s'il allait devenir l'un des leurs. Il n'avait pas besoin de... Il n'avait pas besoin de sa compassion. Et qui était-elle au juste ? Comment se faisait-il qu'elle fût là et... Et où étaient les loups qui l'avaient attaqué ? Pourquoi l'avoir mené sur ce qui semblait être chez elle pour le soigner quand elle avait très certainement tout ce dont elle avait besoin au sein de son département à Sainte Mangouste ?

De ses pensées tourmentées, on ne voyait que son visage trahir cette tourmente qui l'enfonçait peu à peu dans une panique pour laquelle il n'avait pas assez d'énergie pour y répondre correctement. C'était comme si... Bien sûr que non, il ne pouvait s'y résigner. Cette larme qui roula le long de sa joue basanée pour se perdre dans sa barbe noire témoignait de cette peur douloureuse dans laquelle il semblait être pris au piège.

Son souffle s'était fait plus rapide. Son cœur battait la chamade. Bizarrement, il avait cette curieuse sensation de l'entendre.

Dâriush se racla la gorge, mais il ne put cacher la terreur dans sa voix brisée.

« - Qu'est-ce qui s'est passé ? » Avait-il demandé en revoyant la scène se dessinait sous ses yeux.

Le guérisseur avait l’air perdu mais il la reconnaissait, ce qui était plutôt un bon point. Le mauvais point aurait été de partir sur un « tu es qui », ce qu’elle aurait au passage trouvé plutôt vexant. Ashlyn souffla doucement, se levant quand il tenta de s’enfuir, avant de le voir s’écraser de lui-même et mollement dans le canapé.

Les cafés sur la table basse étaient froids depuis et il ne devait pas être très à l’aise torse nu, à en juger par sa posture et le coussin. Elle se gratta la joue avant de partir un moment, murmurant un petit « attends je reviens » au passage. L’appartement n’était pas très grand alors de là où il était, Dâriush pouvait l’entendre fouiller dans ce qui semblait être un meuble ou une armoire.

Elle revint pour déposer un t-shirt large qu’un de ses coups d’un soir avait dû laissé dans un coin. Elle ne l’avait pas jeté parce que ça faisait toujours de bons pyjamas.

« J’espère que ça t’ira », commença-t-elle, mais elle ne gagnerait pas encore trente minutes avec ce manège, alors elle se posa, détournant le regard le temps qu’il se rhabille.

Ses mains jointes au dessus de ses genoux, elle semblait chercher ses mots, nerveusement, mais il n’y avait pas vraiment de bonne façon d’annoncer ça, pas vrai ? Elle se sentait presque aussi mal que le jour où elle avait dû dire, pour la première fois, qu’ils avaient perdu le patient. Ce n’était qu’un tout petit garçon, ce qui avait rendu la tâche plus dure encore à l’époque. Là elle se retrouvait face à un homme, mais il lui paraissait si vulnérable qu’elle avait bien peur de le voir fondre devant elle à l’annonce.

Elle se mordit l’intérieur de la joue et comprenant qu’elle n’avait pas le choix, et qu’il avait l’air d’être au bord de la crise, elle souffla :

« Je t’ai mordu cette nuit », Ashlyn baissa les yeux, un peu pâle, « je suis désolée Dâriush, j’ai voulu... j’ai voulu te sauver quand j’ai vu ces deux loups s’en prendre à toi, mais dans la précipitation, je n’ai pas fait attention à ma force et la morsure était trop profonde... Je... Je t’ai mordu, et désormais, tu m’es lié. Tu es... », elle posa sa main sur sa bouche, ses doigts tremblaient. Elle ne savait même pas vraiment le formuler. « Tu es de ma famille désormais. C’est un lien qui est sacré chez les loups. Quelque chose que l’on offre rarement, et, je suis navrée, j’ai... j’ai merdé, et maintenant tu m’es lié... », répéta-t-elle, comme si elle-même n’arrivait pas à se faire à l’idée.

Peut-être se trompait-elle ? Peut-être que c’était un des Blackstone qui l’avait mordu ? C’est ce qu’elle avait cru au début, mais elle ne pouvait pas être bête. Elle le savait aussi bien qu’elle avait eu le goût de son sang entre les crocs.

Elle inspira doucement, préférant garder son calme. Lentement elle se leva de son siège et se dirigea vers Dâriush. Se penchant en avant, tout en le gardant à une distance raisonnable, elle vint poser sa main sur son front, puis la fit glisser jusque devant les yeux du Aslan. Le contact chaud de son derme contre le sien avait un effet viscéral, implacable. Il s’imposait alors en eux deux un étrange sentiment de satiété, d’harmonie.

Ashlyn entendit le coeur de Dâriush se ralentir jusqu’à devenir synchrone avec le sien. Un des nombreux effets du lien. Au bout de quelques minutes, elle retira sa main, tout en murmurant :

« Respire Dâriush. Je sais que ça fait beaucoup à ingérer, et que tu n’avais absolument pas prévu de devenir un loup-garou du jour au lendemain, mais je prendrais soin de toi, je te le promets. Tu ne seras pas seul. »

Dâriush enfila le tee-shirt sans demander son reste, murmurant à peine un merci du bout de ses lèvres alors qu'il l'observait sans trop savoir comment se positionner encore. Regardant le café un court instant avant de regarder Ashlyn qui semblait se comporter comme un enfant ayant fait une bêtise qu'elle tentait de raconter à son père, l'Iranien ne bougea pas, se sentant un peu plus à son aise, son corps changeant derrière ce tee-shirt un petit peu trop grand. Il avait posé ce coussin derrière il s'était caché sur le côté, laissant une de ses mains dessus.

Triturant un fil de couture d'un air stressé, son regard fuyant se posa de nouveau vers Ashlyn qui prenait une profonde inspiration pour lui porter le coup fatal. L'Iranien ferma les yeux avec douleur lorsqu'elle lui confirma directement la blessure à son épaule. La sensation de ses crocs sur sa peau sombre se fit ressentir comme une réminiscence de la nuit passée. Dâriush avait baissé le regard, jetant un coup d'œil vers la fenêtre comme s'il envisageait une fuite en avant sans trop savoir s'il survivrait à sa chute ou pas. L'idée d'y rester ne sembla pas le déranger tant il se sentait sali par l'idée d'être devenu un loup-garou.

Sa vie, quoiqu'il puisse être arrivé, s'était terminée hier. Il s'en rendit compte, les larmes aux yeux alors qu'il avait toujours pensé que la mort de sa mère avait suffi à cela. Visiblement, Dâriush avait nourri l'espoir d'une vie meilleure. Une vie qui ne serait plus jamais accessible maintenant qu'il était devenu le paria tant décrié dans les médias sorciers. Devenu monstre, sa vie ne lui appartenait plus. Il n'avait qu'une envie, c'était de retrouver la présence réconfortante de ses sœurs.

Pensant à elles, Dâriush ne put retenir les larmes de ses yeux. Il venait de comprendre qu'elles étaient en danger en sa présence. Sa pire peur était de les perdre, et voilà qu'il était désormais une menace pour elles. Il s'essuya les joues du mieux qu'il put avec un pan du tee-shirt récemment prêté par la sorcière-loup qui se levait de son siège.

Il leva le regard vers elle, presque dans une supplique pour qu'elle ne l'achève, mais la douceur du geste qui suivit le mit hors du temps. Dâriush se figea, sentant son corps réagir à la caresse que cette dernière lui prodiguait. Ashlyn lui imposait un calme qui n'était pas forcément le sien, mais qui lui était plus que bienvenue. L'odeur de la louve l'envahit comme s'il avait le nez collé dans sa chevelure. Il sentit que son épiderme se levait sous la caresse, le faisant tressaillir d'un plaisir qu'il ne s'avouerait pas. Puis il sentit son rythme cardiaque qui se liait au sien, rompant sans le savoir le lien si spécial de la gémellité qu'il partageait avec Narghis.

S'en était-il rendu compte ? Non. Pas encore.

Tout ce qu'il ressentait, c'était une attirance hypnotique pour cette femme dont il ne connaissait rien sinon qu'elle était guérisseuse à Sainte Mangouste au département des Blessures causées par les Créatures magiques. Cruelle ironie.

Lorsqu'Ashlynn lui demanda de respirer, de lâcher du lest, il sentit que sa cage thoracique se gonflait presque contre sa volonté alors qu'il prenait une profonde inspiration. Ses yeux noirs toujours enfoncés dans le chocolat des iris de la guérisseuse, Dâriush semblait trouver un calme surnaturel, ne se doutant pas une seule seconde que celui-ci était aussi éphémère que pouvait l'être la paix en ce monde.

Enfin, elle se recula, laissant les émotions de Dâriush revenir à lui.

« - Je suis devenu un loup-garou... Comment dois-je gérer ça quand le monde entier vous traque comme des monstres, hein ? »

Dâriush se rendit compte à l'instant que c'était la première fois qu'il tenait le regard de quelqu'un d'étranger, d'une femme en plus. En dehors de ses sœurs ou de son père, les personnes qu'il osait regarder dans les yeux étaient rares, et généralement c'était parce qu'elles partageaient quelque chose de fort avec lui, comme un traumatisme par exemple.

« - Je ne veux pas... Je ne veux pas tout ça. Mes sœurs ont besoin de moi comme j'ai besoin d'elles et mon père... Puis à Sainte Mangouste... »

Sa voix était brisée, mais Dâriush détourna le regard comme s'il s'en rendait compte que les sons qu'il émettait changeaient. C'était léger, probablement qu'on ne s'en rendrait pas compte tout de suite, mais il avait cette curieuse sensation de profondeur, comme s'il devenait plus viril comme s'il y avait quelque chose qui changeait progressivement en lui.

Il secoua la tête. Tout ceci était beaucoup trop douloureux pour lui que ce fut sur sa psyché ou son corps qui se changeait pour accueillir la bête qui naissait en lui.

« - Quand... Quand est-ce que je vais... Que je vais me... Me changer ? » Demanda Dâriush, le regard éteint.

Une petite grimace passa sur les lippes d’Ashlyn, mais c’était mérité, n’est-ce pas ? Des monstres à traquer. La Laskaris baissa un instant les yeux, tentant de trouver la meilleure des réponses, mais même aussi calme qu’elle l’était, elle ne trouva pas de bonne réponse, seulement des pistes, des choix, que seul Dâriush serait en mesure de prendre pour lui-même.

« Tu feras comme nous autres. Soit tu te déclareras, soit tu vivras caché. Il n’y a pas vraiment d’autres choix, mais la vie ne s’arrête pas là. Regarde-moi, je suis encore médicomage à Sainte-Mangouste ! »

Sa voix s’était faite un peu plus enjouée, l’air de dire « ce n’est pas si grave tu vois », mais à en juger par la panique qui le submergeait, ça n’avait pas eu l’effet escompté. Ashlyn s’essuya le visage, grimaçant en sentant la blessure de son flan se refermait lentement. Les morsures de loup étaient vraiment douloureuses, mais ça, le Aslan le savait déjà très bien.

« Quoi que tu fasse, où que tu sois, je te protégerais. »

Elle était sincère quand elle le disait. Ashlyn avait toujours été plutôt responsable, du fait qu’elle était l’aînée de la famille, mais aussi et sans doute parce qu’elle n’avait pas eu le choix. A la mort d’Artashir, Haley s’était retrouvée seule pour gérer trois horribles gamines, toutes avec leur petit caractère bien entier. Si Ashlyn n’avait pas été une alliée, qui sait ce qu’il serait advenu pour chacune d’entre elles !

Dâriush lui fit part de sa famille, de ses sœurs. La Laskaris ne savait pas exactement si Dâriush était marié ou non, s’il avait des enfants, des parents desquels il devait prendre soin. Toutes ces choses ne changeaient pas, avec ou sans sa condition. Une seule en revanche était implacable, c’était que les soirs de pleine lune ne lui appartenaient plus.

Elle se frotta une main contre l’autre, l’air hésitant :

« Tu n’as pas à t’en faire, tes sœurs pourront toujours compter sur toi, et elles sur moi, désormais. Je, », elle se frotta nerveusement l’oreille, « ta vie ne va pas changer du tout au tout, tu verras, ce n’est pas si différent que d’être humain. »

Bien évidemment, elle ne se considérait pas vraiment humaine. Elle n’était jamais qu’une louve dans une peau d’humaine, et désormais Dâriush était un homme à peau de loup. Et il en était horriblement blessé. Ashlyn baissa les yeux, non pas ennuyée, mais quelque part, blessée. Si une part d’elle, plus raisonnable, comprenait sa détresse, d’autant plus dans ce contexte politique, une autre, plus sensible, plus lointaine, se sentait rejeter. Ashlyn mit ce sentiment sur son instinct, passant sa langue sur ses canines avant de répondre :

« Dans trois jours. La pleine lune est prévue au quatre ce mois. En attendant, tu peux rester ici ou rentrer chez toi. Tu... Je préconiserais que tu reste, si tu as des questions, mais je peux comprendre que tu as, peut-être, besoin d’être entouré de ta famille aussi. Si tu veux que je-je leur dise, vu que c’est de ma faute, je peux aussi le faire. »

Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille, jetant un regard à Dâriush. Après quoi elle baissa définitivement le regard, comprenant qu’il lui faudrait plus de temps que ça pour l’accepter, elle en tant qu’alpha, mais surtout elle tout court. L’idée lui brisait le cœur sans savoir pourquoi, mais elle devinait que c’était un mauvais tour du lien qui s’était crée.

« Pendant ce laps de temps, et dans les premiers temps, il faut que tu saches que ton corps va changer, et tu vas avoir tout un tas de... d’envie, que tu avais pas avant. Par exemple, la viande te fera soudainement horriblement envie. Tes fringales te feront l’effet des famines, et probablement que tu mangeras jusqu’à t’en faire vomir les premiers temps. C’est la faim, celle du loup qui se réveille. Tu auras des humeurs aussi, où il faudra surtout pas te marcher sur les pieds. Tu entendras des sons que tu n’aurais jamais imaginé avant, sentiras des odeurs que tu ne pouvais soupçonner, et verras des choses à des distances incroyables. Si tu te concentres assez, tu pourras même entendre le battement du coeur ou le flux du sang qui coule dans une veine. Les premières fois, la vue du sang excitera tes sens, et celle du muscle te donnera envie d’y croquer. Si jamais tu te bats, dans les premiers temps, tu pourrais tuer quelqu’un, sans le faire exprès, parce que ta force ne sera plus jamais celle que tu avais avant, et puisque tu n’en as pas conscience, tu pourrais briser le crâne de quelqu’un en voulant le cogner. Enfin, tu sentiras parfois ce besoin impérieux, implacable, de te mettre à courir, de respirer fort, d’humer l’air, comme si ça te rendait plus envie. La sensation des mains sur tes poignets, sur ta nuque, te donnera envie de vomir, de la même façon que les endroits renfermés, comme les ascenseurs, te feront l’effet d’une cage. »

Doucement, Ashlyn eut un petit sourire triste. Pour elle qui avait grandi avec tout ça, et qui avait eu le temps de s’apprendre et de se connaître, tout cela semblait assez secondaire désormais. Elle avait dompté ses envies et ses peurs, lui arrivait tout juste dedans après avoir vécu trente ans dans l’ignorance.

« La première lune est la plus difficile. Elle est douloureuse, accompagnée d’une fièvre atroce, c’est celle de ton corps qui s’enflamme face à la morsure. C’est ta part d’homme qui rejette ta part de loup, mais le loup gagne toujours. S’il ne gagne pas, tu meurs. »

Elle attira à elle son café, froid désormais. Elle en but une petite gorgée.

« En tant que loup qui t’a mordu, je me dois de t’éduquer, de t’apprendre la vie comme les vrais loups, les grandes lois qui régissent nos rapports les uns aux autres, comment bien vivre dans la société sans faire du mal à ceux qui t’aime, et puis, généralement, le loup mordu intègre la meute ou la famille du mordant. C’est, pas forcément, quelque chose de... facile, à entendre, surtout si t’as une femme, mais c’est aussi pour leur sécurité. Ça ne veut pas dire que tu ne pourras aller la voir ou vivre ta vie, je ne veux pas que tu abandonnes ton existence, ce n’est pas le but. En vrai tu passeras tout ton temps avec eux, mais les nuits de pleine lune, tu reviendras ici et on passera la pleine lune en famille. Si tu refuses, ton loup sera comme incontrôlable, et risquerait de toute façon de me chercher. Et non, je suis désolée, ce lien n’est pas... on peut pas le... casser... »

On pouvait lutter, on pouvait également vouloir le rompre par la mort d’un des deux, mais c’était un lien implacable. Ni elle, ni lui, n’avaient désormais le choix que de vivre avec.

Elle but une nouvelle gorgée de café, en grimaçant.

Dâriush était bien trop centré sur son propre changement pour se rendre compte que ses propos pouvaient blesser Ashlyn. Avant cela, il n'avait jamais été particulièrement perturbé par la présence des loups-garous, les soignant dans la mesure du possible du mieux qu'il le pouvait lorsque certains d'entre eux se présentaient à Sainte Mangouste. Ils avaient suivi des formations spécifiques aux Urgences pour se parer à toutes éventualités dans la mesure du possible. S'il se montrait toujours un peu plus précautionneux à leur contact, notamment avec leur sang, peut-être par suspicion, l'Iranien n'avait jamais été quelqu'un d'agressif à leur égard. Peut-être était-ce aussi pour cela qu'il entretenait une relation privilégiée avec @Zahra Jekyll, bien qu'il ignorait la présence d'un tel gène dans son arborescence génétique.

L'Iranien ne put s'empêcher de se mordre la lèvre inférieure avec force, laissant perler une goutte de sang dans sa barbe noire, lorsqu'elle lui affirma qu'il n'avait pas à s'en faire pour ses sœurs. Pour lui, sur le moment, c'était inenvisageable. Il y avait quelque chose de difficile à avaler dans le fait de sentir que son corps se changeait presque en temps réel. Dâriush aimait ses sœurs à en crever. Il imaginait difficilement cette malédiction comme un don quoique certains Loups-Garous pouvaient en penser. Probablement le résultat d'une propagande ministérielle qui, malgré toute la bonne volonté du guérisseur à respecter le serment d'Hypocrate, s'était retrouvé influencé par mégarde.

Dâriush ne s'en rendit pas compte tout de suite, mais la blessure, qu'il s'était infligée avec ses dents qui devenaient plus tranchantes qu'à l'accoutumée, se referma presque aussitôt.

La question fatidique passa sur ses lèvres alors qu'il lui demandait quand est-ce qu'aurait lieu la prochaine pleine lune.

Trois jours avait-il répété plus pour lui la mort dans l'âme comme si l'on venait de proclamer son exécution sur le pilori. Dâriush secoua nerveusement la tête, les yeux pleins de larmes. C'était difficile, beaucoup trop difficile. Et cette sensation de chaleur qui continuait de s'installer en lui n'arrangeait rien à son mal être profond. Il déglutit péniblement lorsqu'il reporta son regard sur Ashlyn alors qu'elle commençait à lui parler du loup qui grandissait peu à peu en lui.

Peut-être était-ce psychologique, mais à mesure qu'elle énumérait certains points, Dâriush avait cette curieuse sensation de ressentir déjà certains changements. Sa peau le grattait par endroit, alors que son derme semblait se couvrir peu à peu d'une pilosité plus dense encore que ce qu'il avait déjà sur sa peau bronzée. Ses articulations commençaient à le travailler, et... Il lui fallut prendre une profonde inspiration pour réussir à se défocaliser de tout cela bien que chaque donnée qu'elle lui énonça s'inscrivait scrupuleusement dans sa mémoire.

Observant sa main lorsqu'Ashlyn lui expliqua de faire attention à la force dont il ferait preuve les jours à venir, Dâriush ne put s'empêcher d'imaginer la tête de ces deux loups gris dans la paume de sa main. L'envie de la leur écraser lui fit naître des pulsions qu'il ne connaissait pas, et même s'il semblait prendre goût à cette violence soudaine, l'Iranien relâcha la pression de ses doigts pour se passer la main sur son visage brûlant et transpirant. Il avait besoin d'une bonne douche. Peut-être que le Loup apprécierait ? Peut-être même qu'il le quitterait ?

Il secoua la tête, réfutant cette idée saugrenue. Dâriush devait faire avec. Il le devait.

Posant sa main sur sa cuisse, il releva son regard vers Ashlyn lorsqu'elle lui expliqua ce qui allait se passer lors de la première lune. Peut-être lui restait-il une façon d'en réchapper ? Peut-être valait-il mieux lui résister pour rester sur le carreau et... Qu'en dirait sa mère s'il se laissait happer par la mort alors qu'elle avait donné la sienne malgré elle pour les protéger de la violence des non-majs ? Qu'en diraient ses sœurs s'il abandonnait face à l'adversité de la vie alors qu'ils avaient toujours fait front tous les trois ? Abandonner son père dans une énième souffrance lui était impossible. Dâriush sut alors qu'il devrait laisser le loup s'exprimait. Et même s'il sentait au plus profond de lui que c'était la meilleure des solutions, il y avait quelque chose qui le dégouta malgré lui.

Tu es devenu un monstre, Dâriush. Tu seras chassé par tes frères comme un lion dans un safari par désir de mort, motivé par la peur ou l'adrénaline d'une chasse dans lesquelles tu n'as pas demandé à y être. Surtout pas en tant que principale victime de cette haine dégoutante d'un gouvernement qui...

... La colère naquit alors, se réveillant dans ses yeux noirs comme si l'on venait d'allumer deux braseros à la place de ses iris. Dâriush prit de nouveau une profonde inspiration. Ses émotions, ses sentiments... Tout était s'en dessus dessous. Passant de la douleur à la haine, de l'envie de mourir à la survie la plus primaire ou encore de la fuite au goût de la bataille entre ses lèvres, l'Iranien se doutait que c'était un effet provoqué par son nouvel état.

L'humain versus le Loup-Garou.

« - Je n'ai personne, sinon mes sœurs et mon père. » Avait-il répondu, le regard toujours brûlant de haine. Il secoua la tête, inspirant de nouveau une profonde bouffée d'air.

« - J'ai besoin de calme. Là, tout de suite. J'ai besoin de... J'ai besoin d'espace. » Reprit-il, un peu comme un écho à ce qu'elle venait de lui expliquait. « J'ai... J'ai besoin d'elles. Je suis prêt à te suivre si tu me permets de garder mes sœurs. »

Dâriush baissa le regard, sentant que les larmes lui montaient aux yeux, la tristesse prenant le dessus sur sa colère soudaine.

« - Je... Dois-je me déclarer ? Tu l'es ? » Demanda Dâriush, d'une petite voix, comme s'il avait peur d'être entendu par ses voisins.

Elle n’aurait pas cru si on le lui avait dit, mais Ashlyn se découvrait délicate dans sa façon d’approcher les choses, pédagogue aussi, quand bien même le moment était compliqué. Elle le laissait prendre la mesure de tous ses changements, se taisant aussitôt qu’il ouvrait la bouche pour ne pas le couper, pour accueillir ses questionnements, son probable mal-être. Ce n’était pas de sa faute, c’était sa part d’homme qui rejetait le loup, ce qui était une réaction presque normale. L’instinct de survie était d’autant plus fort qu’exacerbé par l’animal naissant. Il ne fallait pas qu’elle prenne ses mimiques de dégoût et de colère pour elle, mais il fallait dire que c’était plus facile à dire qu’à faire. Si ça n’avait pas été son mordu en face d’elle, elle serait probablement déjà partie.

Quand Dâriush se collecta, Ashlynn avait fini son café froid et hocha la tête en l’écoutant.

« Je ne suis pas déclarée », commenta-t-elle simplement, « comme aucunes de mes sœurs. J’en ai deux. Plus petites. Et ma maman. »

Une tentative de sourire s’inscrivit sur le visage d’Ashlyn, se doutant très bien de ce qu’il pouvait ressentir à ce moment. Retrouver le cocon familial était quelque chose que les loups connaissaient bien. Les loups les plus blessés de la vie qu’elle avait vu, et ceux qui avaient souvent commis le pire, n’en avaient pas - et cela, selon elle, expliquait beaucoup de chose. Sans repère, sans meute, qu’était un loup ?

« Tu peux prendre ta douche ici, sinon je peux t’accompagner chez toi. J’ai pas d’affaires, alors... Ou alors... On peut, je peux te laisser y aller, rencontrer tes sœurs tout seul, et on se revoit, disons, demain soir ? Ou même le soir de la pleine lune. Je sais pas, c’est la première fois que ça m’arrive, alors j’ai pas de protocole », elle mima des guillemets.

En médicomagie, il y avait presque un protocole pour tout, mais malheureusement cette logique ne s’appliquait pas à sa vie toute entière. Haley, sa mère, n’avait pas non plus les réponses à ses questions, puisqu’elle avait été de l’autre côté et que ç’avait été à sa demande. Ashlyn se nota quand même d’aller la voir, pour lui poser des questions sur comment elle avait ressenti sa première transformation, comment elle avait dû apprendre à gérer ce loup en elle.

Elle baissa les yeux, l’air toujours coupable. Ses mains se frottèrent l’une contre l’autre, alors que le bruit de coton qui se frotte lui tirait un frisson agréable.

« Je suis vraiment désolée Dâriush... »

Sa petite voix se mourut alors qu’elle soupirait bruyamment.

Dâriush soupira, l'air quelque peu rassuré. Savoir qu'il existait des Loups-Garous non déclarés maintenant qu'il en devenait un le rassurait plus que ce qu'il n'aurait du. Il y avait bien des choses qui changeaient maintenant qu'il était sous la bénédiction de la lune. Et l'idée de rester cacher le séduisit aussitôt. Peut-être parce que ça lui donnait cette impression de maîtriser cette nouvelle vie qui s'offrait à lui. L'Iranien semblait las, maintenant. Toute cette histoire le fatiguait sincèrement. C'était probablement dû à ce changement qui opérait en lui.

« - Je... Ne vais pas le faire non plus. C'est probablement dangereux, irréfléchi et complètement stupide, mais... Mais je préfère rester secret là-dessus. » Avait-il répondu, montrant son soulagement détendre légèrement les traits de son visage.

Il n'avait pas souhaité blesser Ashlyn en répondant cela. Ce n'était pas quelqu'un de particulièrement extraverti et social, mettant un point d'honneur à en dire le moins possible sur sa personne. Si les raisons étaient plutôt dues à sa pudeur, désormais, cela revêtait une espèce de survie qu'il n'aimait pas particulièrement.

Dâriush savait d'ores et déjà que ce secret risquait de lui pourrir la vie. Pour autant, il était persuadé qu'elle serait toujours mieux que s'il se dévoilait. Après tout, comme venait de lui dire Ashlyn, ça ne l'empêcherait pas de vivre. Alors que s'il se déclarait... Il figurerait sur les listes officielles du ministère comme on surveille des créatures magiques dangereuses avec plus de X sur leur classification qu'un Loup-Garou avait de dents.

Un - très - maigre sourire vint se lover sous cette barbe noire et épaisse lorsqu'elle lui proposa de se doucher ici. Dâriush sentit que le rouge lui montait aux joues, mais il refusa d'un signe de tête.

« - Non, je vais rentrer si mes jambes me le permettent. »

Dâriush prit une profonde inspiration avant de se lever doucement. Son corps lui donnait l'impression d'avoir servi de bille dans un flipper sous les commandes d'un joueur particulièrement énervé. Il manqua de retomber, se servant de ses bras pour retrouver un équilibre précaire avant de reprendre le contrôle de ses jambes.

« - Je reviendrais. J'ai... Je n’ai pas envie de blesser les... Autres. »

Il baissa le regard avant de se mettre à soupirer. Puis d'un air résigné, Dâriush entreprit le chemin menant à la porte de chez Ashlyn. Main sur la poignée, il se retourna lorsqu'elle s'excusa pour ce qu'elle lui avait fait.

Dâriush la regarda un long instant, poignée baissée, la porte légèrement entrouverte. Visage indescriptible, regard vide, il ne semblait même pas la voir alors qu'il réfléchissait à quoi lui répondre. En voulant le sauver, elle venait de le condamner. D'un acte noble, Ashlyn lui avait retiré sa vie. C'était une cruelle ironie dont il se rendait compte.

Quelque chose lui intima de rester et de se rapprocher d'elle. De venir quérir de nouveau cette caresse sur son visage pour qu'elle lui dise de nouveau que tout allait bien se passer. Cette sensation de tout à l'heure avait éveillé quelque chose en lui. Quelque chose dont il ne connaissait rien. Incapable d'y mettre un mot, peut-être que c'était à son tour de venir lui caresser le visage pour lui dire que tout allait bien se passer.

Mais en même temps, s'il y avait bien une chose qui le gardait à cette humanité qu'il sentait déjà se détacher de lui, c'était ses sœurs. Ils avaient tout traversé ensemble. S'il n'avait pas envie de les exposer à ce mal qui le rongeait, Dâriush ne pouvait lutter contre ce réflexe, contre cet instinct de survie en allant chercher leur attention.

Il avait besoin d'elles. Et elles avaient besoin de savoir tous les changements qui allaient opérer prochainement sur lui. Que ce fut sur son corps ou sa psyché.

Alors il baissa la tête, et il lui murmura :
« - Ce n'est pas grave. »

La porte se referma doucement derrière lui.

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