Fake a smile

Saúl et Mira réapparurent dans un petit appartement du Londres moldu. Probablement vers Soho, ou quelque chose dans ce goût-là, de ce qu'on peut voir par delà la fenêtre. Pour Mira, en tout cas, difficile d'être plus précise si elle connaît un peu le côté non magique de Londres. Pour l'heure, Saúl se reculait de la jeune sorcière pour lui laisser reprendre contenance le temps que lui-même se remette de ses émotions.

Très vite, l'effet de la potion capillaire se dissipa. Saúl était en train de retirer la magie qui couvrait son corps pour reprendre sa propre apparence. Ses différentes métamorphoses savamment exécutées laissaient place à ce visage sculpté par les dieux de la guerre et de l'amour, s'amusant avec arrogance des ravages qu'il pourrait faire avec le don dont mère nature l'avait affublé.

Mais au-delà de ce visage sorti d'un rêve, il y avait une fatigue indescriptible. Quelque chose animait les traits du mexicain et il ne fallait pas sortir de Serdaigle pour se rendre compte de la souffrance profonde dans laquelle ce dernier semblait se trouver sur le moment.

Se laissant tomber sur ce canapé bon marché, il enfouit aussitôt les mains dans son visage, las de ce qu'il traversait en ce moment. Sa résilience était mise à mal, pourtant, il y avait une part de résignation dans son attitude aux antipodes de ce que Mira avait pu voir lors de leur première rencontre lors de sa visite de la boutique Aslan. Saúl finit par relever le regard vers Mira, se forçant à sourire pour la rassurer un peu.

« - Ne t'inquiète pas. On reste là quelques instants, histoire d'être sûr que personne n'ait suivi notre trace puis je te ramènerais chez toi. »

Saúl l'invita d'un signe de la tête à s'asseoir sur le fauteuil en face de lui.

L'appartement était petit, sombre, et ne semblait pas être utilisé sinon de rare fois. La seule vie qu'il y avait dans cette maison, c'était le balai et le plumeau qui semblaient n'avoir rien à faire de ce dont ils les entouraient, continuant à nettoyer le sol ou le mobilier peu lui importait qu'il fasse vent ou neige.

« - C'était une mauvaise idée de cette marche, mais j'ignorais à quel point... »

Se passant une dernière fois la main sur le visage pour tenter d'effacer ses tourments de ses traits durs, Saúl fit un sourire pour Mira, tentant de la mettre à l'aise, comme s'il souhaitait qu'elle passe à autre chose le plus rapidement. Nul doute que son don appuya cela, bien que ce fut fait sans qu'il ne s'en aperçoive.

Dans son autre main, il y avait toujours sa baguette magique, prête à être utilisé si quelqu'un remontait jusqu'à eux.

Mira prit à peine conscience du transplannage, preuve qu’il avait été très bien maîtrisé. Mais dans la peur du chaos qui venait d’exploser autour d’eux, elle n’avait pas compris pourquoi ce mystérieux sorcier s’était emparé d’elle et craignait qu’il ne s’agisse que d’une menace supplémentaire. Aussi, quand ils atterrirent dans un sombre appartement inconnu, la jeune Aslan s’éloigna d’un pas du sorcier qui ne se préoccupa pas tant d’elle en s’affalant sur un sofa.

Alors qu’elle l’observait en essayait de calmer ses tremblements, elle finit peu à peu par le reconnaître. Le client de l’épicerie ! Quelques sortilèges savamment exécutés l’avaient empêchée de bien discerner ses traits un peu plus tôt. Mira retint à grand peine une exclamation de surprise, tentant de faire des liens entre tout ce qu’elle comprenait peu à peu. L’homme était un ami de l’ancien chef du bureau des Aurors. Peut-être un Auror lui-même ? Et camouflé dans une mission d’infiltration de la marche ? Mais dans ce cas-là, pourquoi n’était-il pas resté pour protéger ses concitoyens ? Pourquoi l’avait-il sauvé, elle ?

Tout en poursuivant son examen silencieux, Mira perçut que le sorcier n’était pas au meilleur de sa forme. Un instant, elle crut qu’il s’était blessé. Mais le visage caché dans ses mains, il donnait plutôt l’impression de lutter dans une complexe bataille intérieure. Prenant sur lui, il finit cependant par relever le visage avec un sourire renversant pour la rassurer en l’invitant à s’assoir. La jeune mécamage s’exécuta silencieusement tandis qu’il pestait sur la tournure qu’avait pris la manifestation. Mira fixa un instant ses mains qu’elle avait sagement posé sur ses genoux pour en cacher les tressaillements avant de relever lentement ses cils vers le sorcier.

-  La marche, commença-t-elle lentement d’une petite voix. Vous y étiez par conviction ou… pour d’autres raisons ?

Se rendant soudain compte de son impolitesse, elle blêmit encore un peu plus avant de reprendre en balbutiant, repositionnant son voile dans sa chevelure.

- M… Merci de m’avoir sortie de là… Vraiment… Au milieu de tout ça j’ai… complètement perdu mes moyens. Alors merci. Je ne connais même pas votre nom…

Elle avait relevé le menton vers lui, ses fins sourcils plissés dans une appréhension bien visible. Les cris qui avaient surgis, les flashs des sortilèges, la panique gagnant la foule… C’était la première fois qu’elle vivait ce genre d’évènement. Est-ce que le sorcier en face d'elle était lui aussi ému ? Il avait en tout cas un air harassé.

- Vous êtes inquiet, continua-t-elle à deviner d’une voix hasardeuse. Les gens qui étaient là-bas sont vos amis ? Glenn Yard. Et… Oh ! La femme enceinte !

Prise d’un soudain vent de panique, elle se releva brusquement en plaquant une main sur sa bouche. Dire qu’elle s’était tellement centrée sur sa propre petite personne qu’elle en avait oublié la sorcière dont le sort l'avait pourtant préoccupé quelques instants plus tôt. Quelle inconcevable égoïste !

- Il faut y retourner, voir si tout va bien pour elle !

« - Ni l'un, ni l'autre. J'y étais par peur. » Répondit Saúl lorsque Mira hasarda quelques suppositions sur la raison de sa présence à cette manifestation.

Comme il l'avait prévu - bien qu'il ne fut pas le seul - les choses avaient mal tourné, laissant sous-entendre que les évènements de 2009 n'étaient pas si loin bien que presque quinze ans s'étaient écoulés depuis. Saúl avait peur de voir @Edel Almadovar ou encore @Siobhán Gavalagh-Korrigan. Il n'avait pu les voir depuis le retour des lois sales, le frustrant pas mal, lui qui avait envie d'aller taper l'arrière du crâne de son cousin ou de se perdre dans le regard de la jeune demi-vélane devenait de plus en plus pressant.

Mira était une sorcière visiblement engagée pour la cause des hybrides. Ravie d'une telle prise de position de sa part, elle qui semblait toute frêle et si fragile à ses yeux, Mira semblait être une jeune femme pleine de ressources, mais surtout une sorcière de conviction. Saúl ne releva rien de cela pour le moment, appréciant voir l'inquiétude qu'elle avait dans son regard. Il y avait quelque chose de doux que ses émotions, aussi fortes soient-elles, ne pouvaient défaire. Balbutiant maladroitement quelques excuses, elle lui demanda son nom.

Saúl posa son regard quelques instants sur la table basse, la commissure de ses lèvres légèrement relevée trahissant alors un petit sourire espiègle. Le souvenir de leur entrevue dans cette fameuse boutique au chacal bleu venait chasser leur récente mésaventure au Pré-au-Lard.

Mais elle ne semblait pas lui laisser de répit. Son inquiétude semblait incontrôlable, preuve de son bon cœur. Elle se faisait un sang d'encre pour les gens restés sur place et cette pensée, bien que Saúl s'en fichait personnellement, lui plut. Cela allait bien avec ce qu'il imaginait d'elle, reprenant alors à imaginer quel genre de sorcière elle était sous ce voile qu'elle continuait de porter avec pudeur.

Le mexicain leva la main afin de pouvoir lui répondre. Mira était stressée et c'était quelque chose que lui avait appris à mettre de côté dans une situation pareille grâce à sa longue formation d'Auror. Néanmoins, il n'était pas sûr que ce qu'il eut appris durant toutes ses années lui soit utile et efficace si jamais cela touchait quelqu'un de sa famille. Saúl était un Serpentard. Il ne se préoccupait que de ce qu'il l'intéressait lui et seulement lui, faisant de lui un curieux profil chez les Aurors.

« - Ne t'inquiète pas, il ne leur arrivera rien. Concernant la femme enceinte, son mari était présent. Et même si ça me tue de le dire, il est redoutable en duel. »

Ce qui était vrai. @Scott Nightingale n'était pas devenu professeur de Combats magique sans aucune qualification.

« - Calme-toi, Mira. Je vais te chercher un truc à boire. »

Saúl se leva du canapé pour passer à côté d'elle avant de disparaître dans la petite cuisine derrière Mira. On entendit bientôt de l'eau bouillie, le bruit d'un placard qui s'ouvre puis se ferme, ainsi que l'ouverture d'une petite boîte en aluminium. Il revint rapidement pour déposer une tasse contenant une verveine d'où on sentait s'élever des odeurs de camomille.

« - Ça va t'aider. »

Il lui serra brièvement l'épaule avant de s'asseoir en face d'elle.

« - Saúl Ochoa-Reyes. » Se présenta le mexicain. « C'est mon nom. » Ajouta-t-il, avec un petit sourire de canaille.

Alors que le sorcier entreprit de lui répondre, Mira prit conscience de son propre comportement qui poussait l’homme – déjà éreinté – à prendre sur lui pour la rassurer. Il se leva même pour aller lui préparer une boisson en cuisine et la jeune femme se rassit, posant de nouveau ses mains sur ses genoux pour les contrôler. Il fallait qu’elle se calme. Ce sorcier venait de lui sauver la mise. Il ne tenait qu’à elle à présent de se recomposer une attitude digne afin que sa présence ne soit pas plus gênante qu’elle ne l’était déjà.

L’homme revint avec ce qui semblait être une infusion qu’il déposa devant la jeune mécamage tout en lui effleurant l’épaule. Mira frémit bien malgré elle à ce contact, peu habituée à ce genre de proximité avec des personnes qu’elle connaissait encore peu. Le sorcier s’assit en face d’elle, consentant finalement à lui révéler son nom dans un sourire qui l’aurait presque fait rougir.

- Enchantée Saúl, lui répondit-elle faiblement en lui renvoyant un sourire bien plus intimidé.

Il fallait dire que le sorcier avait une prestance et un charisme hors du commun. Il émanait de lui une énergie presqu’animale qui lui faisait légèrement tourner la tête, comme c’était le cas avec les parfums un peu trop entêtants. Si Mira avait déjà eu cette impression dans la petite boutique de son père, l’ambiance ici dans cet appartement à demi plongé dans l’ombre était bien différente. Sentant son cœur s’emballer sans bien comprendre si c’était lié à l’appréhension ou à la nervosité, la jeune Aslan se pencha pour attraper sa tasse brulante.

- Merci pour la boisson, merci pour tout… Je vais la boire et m’en aller. Ne vous en faites pas pour moi, vous avez déjà fait bien plus que tout ce que j’aurais osé vous demander…

Ses lèvres pourpres plongèrent dans l’eau encore très chaude sans que cela ne la dérange, habituée à boire du thé bouillant à longueur de journée. La sorcière tentait autant que possible de ne pas fixer de son regard curieux son hôte afin de ne pas paraitre impolie. Pourtant, ses yeux soulignés de khôl revenaient régulièrement à lui et à sa si fascinante figure.

- Excusez-moi Saúl, finit-elle par reprendre brusquement afin de rompre le silence qui s’était installé. Comme je vous suis redevable, il y a peut-être quelque chose que je pourrais faire pour vous ? Un nouveau cadeau à faire dans l’épicerie peut-être ?

Elle se remémorait bien leur dernier échange, quand le sorcier semblait éprouver bien plus d’intérêt à la voir lui présenter la moitié des objets présents dans la boutique plutôt qu’à choisir le présent pour son collègue. Elle n’avait pas non plus oublié que Saúl avait gardé pour lui le petit médaillon-papillon destiné à décorer le papier d’emballage. Ce souvenir fit de nouveau rosir ses joues et elle secoua la tête pour que ses longues boucles brunes viennent les recouvrir.

- D’ailleurs, à ce sujet… Est-ce que le cadeau avait plu à votre ami ?

Celui qui avait apparemment un temps courtisé sa sœur, au grand dam de son bien trop protecteur frère… Mira n’en avait plus entendu parler depuis cette histoire. Narghis cachait peut-être juste très bien son jeu...

Mira comptait s'en aller sans demander son reste. Pour sûr, heureusement qu'il lui avait proposé une boisson chaude, sinon elle aurait déjà filé à l'anglaise. Saúl trouvait cette réaction amusante même si teintée d'une certaine frustration. L'idée d'en savoir un peu plus sur cette sorcière si différente de celles qu'il avait déjà pu croiser l'intriguait réellement. Une curiosité qu'il tentait de garder secrète pour éviter de passer pour ce qu'il n'était pas forcément. S'il avait voulu obtenir certaines choses, il lui aurait juste fallu laisser son don faire le travail. Or, il était là tout le plaisir de la chose : savoir l'utiliser quand il le fallait pour ne pas outrepasser son libre arbitre. Quelque chose d'amusant comme s'il marchait sur une espèce de corde à cent cinquante mètres de haut.

Après avoir laissé passer quelques instants de silence entre eux, Mira se sentit redevable. Un sourcil se leva aussitôt sur le visage du mexicain tandis qu'un léger sourire intéressé venait se dessiner sur ses lèvres. L'envie de s'amuser un peu lui traversa furtivement l'esprit, mais à vrai dire, il n'avait pas fait grand-chose sinon fuir un bon combat comme un lâche. Pour Saúl, ce n'était clairement pas un sauvetage en bonne et due forme. Après tout, il n'avait jeté aucun sort sinon enlacer ses bras autour de la sorcière pour se téléporter dans cette planque afin de s'assurer que personne ne les suivrait dans la cohue générale.

« - Je n'ai absolument rien fait qui nécessite une faveur, Mira. » Répondit Saúl, le plus simplement possible, malgré son regard d'une rare intensité.

Il vit le rouge lui monter aux joues. Saúl ne pouvait s'empêcher d'être content de cet effet. Elle n'était qu'une énième victime d'un don qu'il n'avait pas demandé, mais c'était toujours plus plaisant que de voir les fourches se lever à son encontre parce qu'il n'avait pas le sang suffisamment pur pour justifier l'utilisation de sa magie. Comme si ce n'était déjà pas suffisant d'avoir un père complètement siphonner comme héritage sorcier.

Mira lui demanda si son cadeau avait plu à Gabriel. Saúl haussa les épaules. Qu'il lui ait plu ou non, il s'agissait juste là d'un prétexte pour aller lui rendre visite.

Saúl se demanda l'espace d'un instant si les choses avaient été différentes s'il était resté en poste. Est-ce que Saúl serait resté chez les Aurors malgré tout ? Il n'en savait rien. Au final, les choses s'étaient trop vite enchainées depuis début janvier. Il aurait été même plus précis de dire depuis la nomination de Dunn, mais Saúl s'en fichait à l'époque. Il se rendit compte à quel point il fut naïf à l'époque.

« - Ça fait quoi d'être... D'être juste sorcière ? » Demanda le demi-vélane, soudainement.

Une question qu'il ne s'était jamais posée. Mais désormais, Saúl cherchait juste à comprendre tout ce qui se passait. Pourquoi lui qui avait une ascendance plus magique qu'un sorcier devait être considéré comme inférieur ? Comme paria ? Y avait-il quelque chose de si différent que ça entre sa magie et celle de... De Mira par exemple ?

Son visage s'était assombri légèrement, perdant un peu cet éclat qu'il arborait habituellement dans la plupart des circonstances. Mais avec tout ce qu'il se passait... Il avait besoin de comprendre. Besoin de savoir si... S'il devait embrasser, des causes plus sombres pour un avenir meilleur. Un peu à l'image de ces lycans qui renforçaient toujours un peu plus les rangs de la meute.

Le sorcier réfuta avoir mené une quelconque action qui aurait nécessité une faveur en échange. Preuve supplémentaire pour Mira de la générosité gratuite de son sauveur. Le fait qu’il l’appelle par son prénom la décontenança cependant suffisamment pour lui faire perdre le fil de ses pensées et elle se réfugia de nouveau derrière sa boisson chaude pour recomposer le masque impassible et réservé qui habillait généralement son visage.

Mais la nouvelle interrogation de Saúl fut bien plus sérieuse, et bien plus profonde. Etonnée, la jeune Aslan releva le nez vers lui sans rien cacher de sa surprise. Être juste une sorcière ? Lentement, elle reposa la tasse sur la table qui les séparait, prenant le temps de retourner ses mots dans son esprit, les assemblant comme des rouages, poussée par sa pensée logique de mécamage. Elle n’aimait jamais parler trop vite, et encore moins quand une question semblait camoufler à elle seule un flot de doutes et de blessures si peu conscientisés qu’ils semblaient impossibles à cicatriser.

- Peut-être qu’à vos yeux je suis juste une sorcière, commença-t-elle prudemment en relevant ses cils sombres vers lui. Mais ma réalité à moi est bien plus complexe que cela…

Elle se tut un instant, avant de croiser délicatement ses doigts entre eux pour les poser sur ses jambes.

- J’ai rarement été « juste » une sorcière au cours de ma vie. J’ai été une iranienne à Londres. Une étudiante voilée à Poudlard. Une femme au milieu d’hommes mécamages dans mon atelier. Une extravertie au sein de ma famille conservatrice.

Elle eut un léger sourire, songeant qu’on pouvait souvent la prendre pour la plus douce des créatures si l’on ne connaissait son penchant pour les sports extrêmes, la mécanique et les moteurs surpuissants. Elle n’en restait pas moins une sorcière calme dont le caractère avait été modelé par une éducation stricte.

- Vous voyez, je ne me suis jamais véritablement sentie appartenir ou même me rapprocher un tant soit peu de la soi-disant « normalité ».

La sorcière décroisa les doigts pour s’avancer sur son siège, plongeant son regard dans celui de l’homme assis en face d’elle. Ce simple mouvement lui provoqua un léger tournis, lui donnant soudainement aussi chaud que si elle avait plongé dans sa tasse de tisane.

- Vous n’êtes pas « normal » vous non plus, lui lança-t-elle doucement. Vous êtes unique par bien des manières. Comme moi, vous ne semblez pas être né ici. Vous vous rendez dans un magasin pour acheter un cadeau à votre ami, sans avoir aucune intention de vous décider pour ce fameux présent. Au milieu de tous vos amis, vous choisissez de sauver une simple vendeuse iranienne que vous connaissez à peine…

La jeune femme eut un sourire presqu’amusé qu’elle cacha derrière le dos de sa main. Le regard intense du sorcier la déstabilisait bien trop et elle préféra détourner son visage avant de perdre contenance. Mira se doutait bien que l’interrogation de Saúl n’était pas sans rapport avec la division actuelle de la société imposée par le gouvernement et qui la rendait malade. C’était après tout la raison de leur présence à cette marche…

- Je ne crois pas du tout à la pertinence d’opposer les gens… Sorciers contre moldus, né moldus et sangs purs, hybrides et le reste de la communauté magique… Nous sommes tous uniques à notre propre façon. Nous rencontrons tous des difficultés liées à nos particularités que nous devons surmonter d'une manière ou d’une autre… Nous avons tous nos propres rêves qui n’appartiennent qu’à nous. Le seul vrai danger dans notre société, c’est de considérer qu’il n’existe qu’une seule manière « normale » de vivre sa vie…

Fronçant les sourcils lorsque Mira ouvrit la bouche, Saúl s'attendait à tout sauf ce qu'elle lui dit. Ses mots, comme une flèche, filèrent droit vers son cœur pour s'y planter avec force. Il l'observa un long moment, l'écoutant avec une attention troublante. Sa gorge se noua, son myocarde se serra et son ventre semblait réceptionner en son creux la pierre la plus lourde qu'il eut jamais vue. Plus rien ne semblait compter sur l'instant sinon la présence de cette sorcière pour le moins atypique. Ses yeux s'embuèrent de larmes, mais aucune ne tomba comme si ces dernières souhaitaient protéger sa dignité.

Un sourire vint éclairer faiblement son visage alors que Saúl baissait le regard. Ce n'était pas souvent qu'on le voyait intimidé. Encore moins devant une femme. Aussi respectueux pouvait-il être envers la gente féminine, il n'avait quasiment jamais baissé le regard devant une femme. Et cette femme s'appelait @Aena Nightingale. Souffle coupé, il n'osait bouger alors que les mots de la sorcière raisonnèrent en lui avec force, soignant chaque parcelle de son esprit meurtri.

Il secoua la tête, retirant une poussière de son pantalon. Son corps bouillait d'une énergie à laquelle il s'était toujours fermé. Et pour en avoir souffert une seule fois, Saúl sut de quoi il s'agissait. N'osant toujours pas lever le regard de peur qu'elle ne perce les dernières défenses de son cœur, le mexicain se contenta de redresser son visage pour observer un coin de la pièce sur sa gauche.

Les rythmes de son palpitant semblaient perturbés. Ses mains devinrent moites. Retenant du mieux qu'il pouvait l'envie de venir près d'elle pour quérir ses lèvres, il se concentrait du mieux qu'il pouvait pour que son aura de vélane reste le plus longtemps sous son contrôle. Cette sorcière aux mots guérisseurs avait rendu chaque pierre de son château fort comme du sable qui s'égrainait doucement à cause de la brise entonnée par le son de sa voix.

« - OK. »

Peu loquace face au torrent de ses émotions, Saúl prit une profonde inspiration pour trouver le moindre grain de courage qui lui restait. Osant poser ses yeux de braise sur la sorcière à la pudeur voilée, Saúl ne put retenir un sourire. Un sourire capable de désarmer n'importe qui.

Il sentit la joie le parcourir alors qu'il se rendait compte que la normalité qu'on cherchait à leur imposer n'existait pas en fin de compte. Quelque chose qu'il savait déjà, au plus profond de lui, mais qu'il avait eu besoin d'entendre plus que jamais après tout ce qu'il venait de traverser.

Lui, qui était pourtant si fier de ce qu'il était, sentait enfin que les blessures de ses mois passés se refermaient avec douceur.

Qui est-ce qui avait sauvé l'autre, hein ?

« - Merci. Mira. »

Évitant de trop plonger son regard dans le sien pour la capturer dans ses filets, Saúl se contenta de passer sa main dans sa barbe, comme s'il cherchait à s'occuper, les yeux rivés sur le balai qui entrait dans la cuisine sans se soucier de ce qui pouvait bien se passer autour de lui.

Son discours semblait avoir alourdit l’atmosphère au lieu de l’alléger. Soudain Mira se demanda si elle n’était pas allée trop loin dans son partage. Après tout, elle et Saúl étaient encore presque des étrangers, même si leur échange donnait l’impression qu’ils se connaissaient depuis bien plus longtemps. Embarrassée, elle baissa les yeux vers son thé qu’elle récupéra entre ses mains pour les occuper. La jeune Aslan s’intima à le terminer rapidement afin de rentrer chez elle. La mécamage n’osait en effet imaginer la réaction de sa famille s’ils se rendaient compte de son absence alors que les nouvelles de la Marche devaient commencer à atteindre le reste de la communauté magique.

Timidement, la sorcière releva ses yeux à moitié cachés par ses cils épais vers son hôte mais ce qu’elle expérimenta la cloua sur place. Il lui avait lancé un sourire, et c’était comme si plus rien n’existait en ce monde. Il était aussi lumineux que le soleil lui-même et la jeune iranienne se sentait comme un insecte piégé face à une source lumineuse qui l’attirait inlassablement à elle. Eblouie tout autant qu’effrayée, Mira en laissa échapper sa tasse au sol qui se brisa avec un bruit sourd.

Ce son suffit à la sortir de sa torpeur et elle sursauta en rougissant furieusement. D’un sort informulé, les morceaux avaient à peine eut le temps de rouler sur le sol qu’elle les avait de nouveau rassemblés dans une forme de tasse harmonieuse qu’elle reposa en tremblant sur la table.

- Désolée, se précipita-t-elle en se relevant tout-à-fait, se cachant à moitié derrière le voile jeté sur sa chevelure. Il faut vraiment que je rentre chez moi… Je m’excuse pour ce départ précipité… Encore merci Saúl de m’avoir tirée de ce mauvais pas. Je vais mieux à présent… Je vais y aller…

Sans même prendre le temps d’attendre un retour de sa part, elle n’osa poser de nouveau un regard sur lui par crainte de perdre de nouveau ses moyens et se précipita sur la porte pour fuir hors de chez lui. Une fois qu’elle eut atteint la rue, l’air frais lui fit du bien et elle ferma un instant les paupières avant de respirer lentement.

Tout allait bien… Elle était de nouveau en sécurité…

Une brusque envie de retrouver  @Ebenezer Grimm s’imposa à elle et sur l’instant rien ne lui manqua tant que son étreinte chaude et sa présence aussi imposante que rassurante. Mais elle devait en priorité retrouver sa famille… D’un geste de sa main, elle fit apparaitre son patronus – une robuste tortue – pour l’envoyer vers le sorcier afin de lui expliquer brièvement qu’elle s’était bien rendue à la Marche mais qu’elle s’en était sortie sans encombre. Quand ce fut fait, elle s’orienta rapidement à l’aide d’un sortilège de boussole avant de prendre la route de l’épicerie des Aslan.