Nobody singing to me now

Nobody singing to me now

5 avril 2023

Les trois derniers jours avaient été pour Maeve, plus éprouvant que tout ce qu'elle avait pu connaître jusque-là. Jamais son rôle de cheffe de famille ne lui avait tant pesé. Jamais elle ne s'était senti brisée au point de ne pas retenir ses larmes. Le floi ne cesserait donc jamais de lui prendre, tant qu'elle ne serait pas allée au bout. En finir avec Fearchach McLachlan était la seule idée qui la maintenait à flot.

Elle avait imposé de s'y rendre seule. Le lechi n'appréciait guère que l'on pénètre son domaine en grande délégation mais il avait toujours eu une petite faiblesse pour elle. Quelque chose de presque humain dans le fond. Suffisamment humain pour détourner le regard quand il avait vu la douleur dans son regard.

Ça n'est qu'un ours Maeve, une coquille vide plus exactement avait-il dit dans sa langue d'écorce et de lichen. Une langue que très peu d'entre eux comprenaient encore. Maeve en faisait partie, comme tous les chefs de la famille Cynfeirdd avant eux. Il y avait des trésors, immatériels, plus inestimables encore que ceux qui se chiffraient en or. Malgré tout, le lechi avait tenu parole et garder l'ours dans les entrailles noires de la forêt d'Ysbryd, ou rien ne pourrait l'atteindre sans le consentement de ce terrible maître des lieux.

La chasseresse avait tourné les talons, plus seule que jamais, le coeur froid et brisé. Les ronces et les lianes hostiles s'étaient écartées pour lui céder le passage, se refermant derrière elle pour ne laisser le souvenir d'aucun chemin. Quand elle arriva à la lisière de la forêt, le ciel commençait à pâlir, annonçant le point du jour tout proche.

Elle s'arrêta, figée dans ce regard qu'elle n'avait pas attendu. Il était là, malgré son choix à elle de gérer seule. Elle s'était attendue à Luke, comme les choses étaient de plus en plus tendues entre eux. Elle s'attendait à ce que leur relation vole en éclat d'un instant à l'autre. Mais ça n'était pas Luke. Et c'était bien ainsi, car c'aurait été trop à gérer pour elle à ce moment-là.

Elle délia ses doigts avant de serrer les poings, complètement à nu devant cet homme qui, en quelques jours seulement, avait pris plus de risques pour elle qu'elle n'était disposée à lui en laisser prendre. Mais malgré ses ruades, sa mauvaise humeur, parfois sa mauvaise foi, il était encore là, à l'attendre. Pourquoi ? Méritait-elle seulement un tel compagnon ?

Maeve s'arrêta juste devant Jameson, les yeux rougis et durs. Finalement, elle ferma les paupières, posant son front contre son torse sans plus aucune retenue. Ses doigts agrippèrent sa veste avec force. Elle pleurait. En silence. Nue sous son voile de dignité. Qu'Eochaid ait failli la couper en deux avait été une chose déjà suffisamment difficile à avaler. Il ne l'avait pas reconnue, elle l'avait lu dans son regard furieux, c'était ce qui lui avait le plus fait mal. Mais les paroles du lechi planaient sur elle, aussi vilaines et sadiques que les sarments que cette créature du diable déchaînait sur tout ceux qui avaient le malheur de traverser son domaine. Elle se sentait tout simplement transpercée, déchirée, épousant l'image de ce jeune homme qu'elle avait retrouvé une fois, les chairs en lambeau, face contre l'humus fraîchement nourri de sa vie. Maeve était froide, et, pour une fois dans sa vie, elle avait simplement envie de baisser les bras.

Elle plongea littéralement dans cette étreinte, sentant un poids se lever de ses épaules comme il refermait ses bras autour d'elle. Pendant un bref instant, le reste du monde n'existait plus. Elle respirait son odeur, se gorgeait de cette chaleur familière et enveloppante. Elle plongea son regard dans le sien tandis que sa patte d'ours caressait ses cheveux blonds.

Elle le suivit sans vraiment le suivre près du puits, à quelques pas de la petite garde. De l'autre côté du précipice, Caer Cynfeirdd veillait gravement. Ils attendaient probablement son retour mais elle ne pouvait pas revenir si vite. Le coeur lourd, elle se laissa glisser à côté de lui, repensant au nombre de naïfs qui étaient venus avant eux, jeter une pièce d'or dans le puits pour rechercher la bénédiction des faes. L'amour n'avait pas besoin de bénédiction. Seulement de promesses et d'actes.

« Il ne m'a pas reconnue parce qu'il n'était pas là. Rien qu'un ours, c'est ce qu'à dit le Lechi. », finit-elle par avouer, après de longues minutes de silence. Ses doigts serraient ceux de Jameson avec force puis finalement, elle tourna son regard vers lui, détaillant ce visage qu'elle n'avait jamais si peu embrassé. Un long silence s'installa à nouveau pendant lequel elle ne le quitta pas des yeux. Comme si elle s'apprêtait à prendre une décision.

« Je ne t'ai pas accordé la moitié du temps que tu méritais ces derniers jours. », soupira-t-elle finalement.

Elle ne voulait plus parler de l'ours, ni d'Eochaid. Pas parce que c'était encore trop douloureux mais peut-être parce qu'elle redoutait de négliger d'autres choses, tout aussi importantes.

« Et tu es quand même là. Avec moi. », elle ne lui ferait pas l'affront de lui repointer la porte de sortie. S'il avait voulu se désengager, il l'aurait sans doute fait, à tout moment. Quand elle lui avait soufflé dans les bronches parce qu'il s'était invité sans sa permission dans ce projet fou qu'elle ruminait depuis des mois. Devant la multitude de regards dubitatifs d'Aderyn et les remarques plus douteuses de Geraint. Au moment de mettre sa vie en jeu face à une veuve multicentennaire et un vieux chasseur solitaire. Ou devant les caprices des plus jeunes, qui n'avaient pas voulu de lui ici. Mais il était toujours là, à tenir sa main, à caresser sa joue. A partager le silence. « Merci. », sa voix se mourut sur ses lèvres tandis qu'elle posait sa tête sur son épaule avec l'intime conscience de tenir dans le creux de sa main quelque chose de fragile et éphémère. Quelque chose d'essentiel.

Comme il la bousculait doucement, Maeve sourit malgré elle. En dépit de ce sentiment que son âme avait été mise complètement à vif par ces derniers jours. En dépit du poids des responsabilités qui l'écrasait littéralement. Elle sourit à Jameson, tendant le front pour accueillir un baiser sur sa tempe et fermer les yeux un instant. Comme un instant de silence où tout en elle se tut. Un instant de paix.

Toujours, répondit-il. Il serait toujours là et Maeve n'avait aucun mal à le croire, elle qui pouvait parfois se montrer si sceptique. Elle qui était la première à poser les limites. Cette fois-ci, elle n'en posa aucune, acceptant simplement cette promesse à demi mot, d'être toujours là pour elle, quoi qu'il arrive.

« Tu sais qu'à partir de maintenant plus rien ne me dissuadera n'est-ce pas ? Je vais faire la peau à cet enfoiré de McLachlan. Quoi qu'il advienne. », elle préférait être claire.

Ce toujours avait bien trop de sens pour elle pour qu'elle n'en prenne pas la mesure ou qu'elle laisse le moindre doute sur ses intentions. Elle ne voulait pas qu'il ait le sentiment d'avoir été trompé ou qu'elle ait pu lui cacher quoi que ce soit. Elle ne voulait pas qu'il ait de regret non plus.

Patiemment, elle attendit qu'il se désiste mais il n'en fit rien alors, elle glissa sa main sous le pan intérieur de sa veste et, après une petite hésitation, en ressortit une petite serviette de velours noir, soigneusement repliée sur elle-même. A l'intérieur, on pouvait sentir un petit objet en longueur, dur et irrégulier.

« Je n'étais pas tout à fait sûre que t'offrir ceci soit une bonne idée, mais je le fais. »

Elle le faisait avec ce même sourire doux, presque raisonnable, qu'elle avait eu quand il l'avait embrassée quelques instants plus tôt. Son regard le quitta pudiquement, cherchant le secours du ciel désormais teinté des fastes de l'aurore.

Dans le petit mouchoir de velours noir, une cuillère à soupe en bois d'olivier noble dont on avait patiemment sculpté le manche pour y faire figurer un sarment de lierre entrelaçant un manche percé de symboles. Une serrure. Deux virgules. Un coeur. Une clé. Le cuilleron double, évoquant la forme d'un coeur, était une curiosité en lui-même.

Cette petite mention, même si tu n'es pas d'accord, lui tira un semblant de regard noir, doublé d'un petit sursaut amusé. Elle abdiquait. Qu'elle le veuille ou non, il semblait que tenir Jameson à l'écart de tout cela, s'était la meilleure garantie de le voir débarquer au pire moment. Elle l'avait bien vu quelques jours auparavant même si la manière dont il était arrivé jusqu'à elle n'était pas cent pour cent claire.

C'était probablement le meilleur moment pour lui faire ce petit cadeau, en apparence insignifiant. Si elle avait voulu qu'il en connaisse la signification exacte, elle n'aurait pas laisser de la lui donner. Mais il y avait chez Maeve ce petit côté joueur auquel Jameson répondait toujours. Comme quand il avait craqué le sortilège multi-centenaire qui protégeait la porte de son bureau à Poudlard. Cela faisait toujours son petit effet sur elle alors elle ne doutait pas qu'il finirait pas craquer aussi le message que portait la jolie cuillère en bois. En attendant, elle suscitait une série d'idées transparentes comme verre. Le sourire sur les lèvres de Maeve s'étira. Un simple sortilège de désillusion suffit à leur offrir le reste.

***

Les portes s'ouvrirent sur la trogne sévère de Geraint. Il était encore trop tôt mais lui n'avait probablement pas fermé l'oeil depuis que Maeve était partie avec l'ours. Il n'aimait guère voir sa fille s'approcher de trop près du Lechi, sachant trop bien qu'elle aurait été une raison suffisante pour le faire disparaître des radars pendant une petite centaine d'années, mais ça n'était pas son problème.

« Tu es déraisonnable père. »
« Une preuve de plus que tu es bien ma progéniture. », rétorqua l'ancien. Sans doute sa manière à lui de lui témoigner de l'affection. Il reporta son oeil noir sur Jameson, de cette étrange façon qu'il avait de scruter les autres sans vraiment laisser deviner ce qu'il pensait dans le fond. « J'espère que vous avez bien réfléchi à la manière de séduire votre belle-mère - pas trop attention - j'ai demandé aux jumelles aux jumelles de nous rôtir un bon cuissot de veaudelune pour le petit déjeuner. »

Voilà qui était une invitation officielle à déjeuner en famille. Maeve coula un regard lumineux à Jameson. Les portes de la grande salle à manger s'ouvrirent. C'était une pièce aux proportions démesurées, baignée de lumière et des couleurs vibrantes des vitraux. Ici, la Vieille Dame les saluait tout en continuant de filer sa quenouille. Là le baron Gruffudd était en grande conversation avec Hywel le Nigaud. Pour ces figures du panthéon familial, c'était aussi l'heure du petit déjeuner et les vibrations mélodieuses du verre trempé, laisser deviner qu'ils seraient aussi animé que celui sur l'interminable table familiale. Aderyn était bien évidemment la première et elle se trouvait justement en grande conversation avec Rowene. Une histoire de rubans apparemment. Bronn arriva lui aussi sur ses entrefaites. Il était parmi les plus matinaux, non pas comme Drustan parce qu'il se levait avant l'aube vous s'occuper de ses tâches quotidiennes, mais parce que c'était un ventre sur pattes. Un baiser sur le front de sa mère, comme depuis son plus jeune âge et le colosse s'installa à sa place habituelle, juste comme Geraint s'installait à la présidence du repas, bruyamment et sans aucune forme de délicatesse. Cela ne sembla nullement déranger sa charmante épouse. Mais il n'était pas dit que la même chose, venant d'un autre, passe aussi bien...

#Caer_Cynfeirdd

Si ça n'avait rien d'officiel, la présence de Jameson à ce petit déjeuner en famille était lourde de sens. Surtout quand il entrait à la suite de Geraint. Aderyn, sous son impeccable coiffe ne cilla pas. Mais elle n'était pas plus dupe qu'une autre. Elle connaissait ce vieux roublard qui était son mari comme personne et il avait sa manière à lui, certaines fois, de faire passer en force quelque chose dont il avait décidé seul. C'était bien le père de sa fille de ce point de vue ci. Il faudrait donc trouver à ce Jameson quelques qualités malgré tout. Elle n'oubliait pas qu'il avait été chasser la Lorelei et, de ce que lui avait dit Geraint, il n'était pas resté les mains dans les poches, attendant de laisser faire ceux qui savaient mieux que lui. C'était déjà un point pour lui. Mais ça ne faisait pas oublier ses manières et son effronterie de la première nuit. Avoir à sa table l'amant de sa fille ne lui plaisait toujours pas. Elle avait tout de même la dignité de n'en rien montrer, ou du moins, s'efforçait-elle du mieux qu'elle pouvait de le faire. A en juger par le baiser amusé que Geraint avait poser sur sa tempe, on pouvait en déduire que la vieille dame ne trompait personne.

« Vous prendrez bien un peu de porridge Jameson... », finit-elle par interpeller, sa baguette ordonnant presqu'aussitôt à la marmite bouillonnante de se rapprocher du couple qui lui faisait face.

De l'autre côté de la table, Bronn avait réprimé un petit mouvement de l'avant. Il attendrait son tour aussi patiemment que possible. Quant à Aderyn, elle se réservait bien de dire qu'elle utilisait ce grain si particulier par sa finesse et son onctuosité dont les écossais raffolaient. Il ne fallait pas non plus laisser penser qu'elle aurait pu tenter de plaire à son gendre.

Son attention, braquée sur Jameson, la vieille dame attendait tout comme le reste des convives. Tous s'étaient déjà armé de leur cuillère personnelle. Celle du petit déjeuner...