Caer Korrigan (Sio)

Revoir l’immense bâtisse fière et immobile de Caer Korrigan s’élever devant ses yeux était synonyme de souvenirs douloureux que Siobhán aurait préféré oublier, voire effacer à tout jamais de sa mémoire. La réminiscence de deux liquides vaporeux dans une fiole, versés au cœur de la Pensine qui s’était chargée de les révéler, quelques mois plus tôt, et dont le propriétaire se tenait à ses côtés. A cette simple pensée, ses yeux se fermèrent, tentant d’ignorer une peau d’ivoire frissonnante, la voix douloureuse d’Ether Korrigan dans un écho.

De retour dans le présent, Luke Korrigan, son époux, avait envoyé à leur fille cadette une lettre succincte et énigmatique. Toujours amère de leur dernière entrevue mais pleine de bonne volonté, Siobhán s’était rendue, ponctuelle, au lieu de rendez-vous que son père lui avait fixé. Sans rien demander. Elle qui, par habitude, avait pourtant toujours un milliard de question à poser, était étrangement silencieuse devant les portes de Poudlard. Comme si quelque chose la tracassait, tiraillée entre sa rancune et l’amour inconditionnel qu’elle portait à son père. Alors, elle avait à peine réagi lorsqu’il avait tenté de la rassurer, même si elle voyait bien qu’il y mettait les formes pour faire en sorte que tout se passe bien, désormais.

« Je suis venue », avait-elle simplement dit comme si elle avait encore elle-même besoin de s’en convaincre.

Et elle avait aussi respecté ce qu’il lui avait demandé. Rancunière, mais pas de mauvaise volonté, quand elle décidait de faire quelque chose, elle le faisait généralement jusqu’au bout. Parce que c’était ainsi qu’elle avait été éduquée. À ne jamais rien abandonner.

Un sourire pincé sur son visage était apparu sur son visage à la mention d’un autel.

Quoi, avait-il aussi épié leurs discussions ?

Probablement que non. Mais Luke n’était pas franchement réputé pour son tact. On lui reconnaissait souvent sa franche maladresse.

C’était ainsi qu’elle s’était retrouvée sur la falaise menant à Caer Korrigan, comme dans un mirage de ce mois de février où elle avait profité des vacances pour y traîner @Finn Gavalagh-Korrigan, bien moins attaché à son passé que sa jumelle pouvait l’être. Elle écouta son père lui expliquer les quelques décisions qu’il avait prise suite à son discours, et cette nouvelle lui arracha un sourire, un peu plus large, cette fois-ci.

L’idée que ses mots puissent l’avoir touché au point qu’il veuille reprendre sa vie en main suffisait à allumer dans les yeux d’azur de la vélane une véritable lueur d’espoir.

Peut-être allait-il tenir sa promesse et cesser de la surveiller sans arrêt ?

« Non, c’est vrai, on ne peut pas. Vivre dans le passé, c’est oublier tout ce qui nous attend et je suis contente que tu l’aies compris. »

Après tout, elle aussi n’avait saisi la nuance que très récemment, aux côtés d’@Edel Almadovar, pas plus loin que dans la salle commune où il l’avait amenée à explorer des horizons nouveaux, et poussée  comprendre tout ce qu’elle avait occulté, pendant toutes ces années. La seule chose que Siobhán pouvait réellement regretter, c’était que son père ait perdu autant de temps avant de percevoir l’ébauche de sa propre libération.

La grande porte était devant ses yeux, à présent. Regardant son père frapper, elle guetta le moindre bruit en provenance de l'intérieur. Et il ne tarda pas à se faire entendre, celui qu’elle n’avait jamais pu supporter.

Eustache O'Gara.

Leurs pupilles se croisèrent, mais celles de Siobhán restaient plus sombres que jamais.

Autant dire que le choix des mots qu’il avait opéré n’arrangea absolument pas les choses. Ce fut son père qui fit le nécessaire pour l’écarter de l’encadrement de la porte, quand la main de la vert-et-argent s’était déjà serrée autour de sa baguette dans son envie d’en découdre avec cet être, dont le simple fait qu'il puisse encore respirer l’exaspérait.

« Ne vous avisez pas de reparler ainsi de mon sang devant moi, ni de manquer à nouveau de respect à mon père », chuchota-t-elle près de son oreille en s'approchant suffisamment de lui pour que Luke ne perçoive pas la teneur de ses paroles. « Ou la prochaine fois, je vous jure que je vous fais avaler votre cravate et l’entièreté de votre costume sans vous laisser la possibilité de les mâcher. Les vélanes ne sont pas très commodes, quand elles sont énervées, vous savez. Même quand elles ne le sont qu'à moitié. Et vous savez comment sont les Korrigan. Alors maintenant, imaginez le mélange des deux. »

Son air était tellement menaçant qu'il aurait du suffire à effrayer ce bon vieux Eustache qu'elle détestait. Mais impossible de savoir si c'était la vision d'une porte devenue liquide sur le sol ou bien les menaces d'une Korrigan au sang impur qui avaient agrandi ses yeux dans leur orbite au moins qu'ils menaçaient d'en sortir. Mais peu importait, en vérité. Le visage de Siobhán s'était éclairci, simplement parce qu'elle avait eu l'occasion de remettre Eustache O'Gara à sa place.

Ne manquait plus que le deuxième monstre qui reposait dans ce château, en la personne de son grand-père que son sous-fifre courut immédiatement chercher.

Levant ses yeux bleus vers son père d'un air qui semblait demander s'il était sûr de lui et si tout allait bien, Siobhán ne put s'empêcher de s'enquérir :

« Qu'est-ce qu'on fait là, papa ? Et pourquoi est-ce que tu m'as amenée avec toi ? Cet homme me déteste et je ne suis pas certaine que ma présence puisse t'aider à faire entendre ta voix. »

Les murs blancs de Caisleán Korrigan étaient fades. Ternes. Insipides. À l'instar de tous les sentiments et souvenirs que Siobhán nourrissait à l'égard de cette bâtisse. Probablement était-ce lié au fait que @Luke Korrigan s'était vu refuser d'y mettre les pieds alors qu'elle n'était qu'une enfant.

Le sens logique de la vie aurait pourtant voulu qu'il en devienne l'héritier, au vu de la condition d'Eochaid.

Mais — et ça n'avait rien d'une surprise — la vie se targuait souvent de ne répondre à aucun sens logique. Elle se faisait même une joie de s'essayer à la nage à contre-courant, au risque parfois de finir noyée, aspirée dans les profondeurs des rivières les plus téméraires en plein cœur des tumultes qui la ponctuaient, parfois.  

Pourtant, le château avait cette odeur familière, de celles qui laissaient derrière elles un voile de nostalgie, un doucereux vague-à-l'âme né d'une mélodie olfactive ravivant des souvenirs engloutis par le temps. Un murmure indéfinissable qui n'affichait sur son visage rien d'autre qu'une moue de dégoût alors que Siobhán pouvait déjà imaginer le visage de son grand-père apparaître en haut des escaliers.

La voix de son père et les informations qu'il lui donnait lui fit relever la tête. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la vélane n'était pas du genre à poser de questions, lorsqu'il s'agissait d'aider un membre de sa famille. Son père ne faisait pas exception. Pourtant, une partie d'elle aurait préféré être prévenue d'un sujet aussi sérieux qu'un duel les opposant à son vieillard de grand-père, car elle savait bien que Luke ne mentait pas : ses vieux os restaient entourés et protégés d'une chair de duelliste né.

Sans compter qu'aussi fière qu'elle était que son père ait fait appel à elle pour sa placidité, la Korrigan ne pouvait s'empêcher de penser qu'en le suivant, elle n'avait fait qu'ajouter un nouveau point sur la liste des discordes potentielles qui pouvaient survenir entre elle et son frère jumeau.

Mais cette fois-ci, au moins, elle pourrait dire qu'elle ne savait pas. Parce que c'était tout simplement la pure vérité.

« D'accord », lâcha-t-elle simplement.

C'était l'une des rares fois où elle ne chercha pas à en savoir plus, tant l'objectif était simple à comprendre. Sans appel. Sérieux et appliqué, son visage se fermait un peu plus à mesure que les secondes passaient.

« Attends plutôt qu'on sorte d'ici, avant de dire ce genre de choses. Ce ne sera qu'en dehors de ces murs que tu verras si tu as réellement choisi le bon jumeau.»

Implacable, elle savait pertinemment que son père pensait ce qu'il disait. Qu'il était réellement fier d'eux, même s'il manquait probablement d'un soupçon d'objectivité quand le sujet touchait à ses enfants. Dans un sens, il les idéalisait certainement.

Mais la poitrine de la vélane se gonflait de prétentions, et c'était tout ce dont elle avait besoin pour affronter l'homme qui venait justement d'apparaître devant eux, digne chasseur qui conservait instinctivement toute sa hauteur sur ses proies.

Durant tout l'échange qui s'en était suivi, Siobhán n'avait rien dit, agrippant plus fort que de mesure sa baguette lorsqu'elle s'entendit qualifiée de "rejeton à bec et à plumes". Ses dents s'étaient serrées, et si son père n'avait pas fait un geste pour la retenir, elle ne se serait probablement pas abstenue de lui répliquer toute la haine qu'elle nourrissait à son égard à travers quelques sortilèges soigneusement choisis. Au lieu de ça, elle resta immobile malgré les insultes qu'il proférait. Attendant sagement de le voir accepter l'honneur de pouvoir affronter son fils en duel : existait-il plus belle récompense pour un guerrier que de se plier aux coutumes pour lesquelles il avait été éduqué ? Comment aurait-il pu refuser le cadeau d'un fils qu'il avait rêvé de faire disparaître probablement toute sa vie ? Alors qu'elle croisait son regard, Siobhán se mit subitement à regretter l'impénétrabilité et l'absence de tendresse dans le regard de Géraint Cynfeirdd. Au moins, à lui, il lui restait une part d'humanité, que le croûton qui leur faisait face semblait avoir bel et bien égaré, sur sa route.

Perdue dans ses pensées, écoutant seulement d'une oreille le son du venin du serpent qui se distillait dans l'air, la vélane ne remarqua la transformation de son père qu'une fois que celui-ci avait bondi sur son géniteur. Si ce dernier avait probablement oublié de réagir en pensant que Luke était tout bonnement incapable d'attaquer, Siobhán, elle, n'avait pas su anticiper qu'il manquerait de discernement, refusant de se soumettre à attendre le bon moment pour attaquer. Car le vieux barbon avait un don pour susciter la haine et la colère à chacun des mots qu'il prononçait.

Le rejeton, quant à lui, n'attendit pas que son grand-père se fasse dévorer sous ses yeux pour réagir, quand bien même elle aurait probablement préféré le savoir déjà mort à l'heure qu'il était.

La mort n'était une issue souhaitable pour personne et elle n'allait certainement pas laisser son père commettre un patricide ou quelconque nouveau meurtre, en dehors d'un temps de guerre révolu qu'il disait vouloir mettre derrière lui.

Par réflexe, elle brandit sa baguette et tenta quelques sorts pour tenter des les arrêter. Trois, pour être exacts. Tous manquèrent leur cible, probablement parce qu'elle avait la volonté de ne blesser aucun des deux. Mais à sa grande surprise, son père se contenta d'une seule bouchée avant de reprendre sa forme humaine, mettant lui-même fin à sa propre sauvagerie.

Mais il avait encore ce regard, dans lequel on lisait toute sa volonté de mettre fin à ce qui l'avait si longtemps hanté.

Elle n'attendit pas que le vieux Korrigan sorte de sa douloureuse léthargie, et, cette fois-ci, déterminée, son Stupéfix vint l'atteindre le temps de faire entendre raison à son père.

Une nouvelle fois.

« Tu ne peux pas le tuer. On ne peut pas faire ça. Tu m'as amenée pour que ça ne se produise pas. Je sais que tu en rêves, et une partie de moi aussi. Je suis d'accord, il faut qu'on le mettre hors d'état de nuire, mais je t'interdis de le laisser avoir cette emprise sur toi. Il reste... ton père. »

Un père indigne, cruel et féroce, certes, mais un père malgré tout. Quelqu'un sans qui Luke ne serait pas là aujourd'hui.

Ses démons avaient un nom et chaque atrocité de la guerre lui revenait encore aujourd'hui en mémoire, impactant ses actions au présent. De la même façon, il ne faisait aucun doute que tuer son propre père laisserait des traces indélébiles.

Aussi monstrueux que le doyen Korrigan puisse l'être, Siobhán savait que son père ne pourrait pas revenir sur ses actions une fois ses décisions prises. Et elle voulait lui donner un aperçu de ses alternatives, avant qu'il ne commette l'irréparable et qu'il finisse par le regretter. Tôt ou tard. Car après tout...

« Il doit bien y avoir des cachots dans ce château, non ? Peut-être qu'on pourrait simplement l'y enfermer le temps... »

Le temps que la nature fasse le reste, n'osa-t-elle poursuivre.

Le sang dégoulinait des lippes de son père et, un instant, Siobhán fut saisie par la scène qui se déroulait devant ses yeux. Jamais ce liquide rougeâtre n'avait évoqué quoique ce soit d'autre qu'une profonde indifférence. Mais le simple fait de savoir que c'était celui de son grand-père lui fit faire un pas en arrière. Quand son père finit par reprendre ses esprits, elle poussa un soupir de soulagement, aussi discret que possible. Décidément, ces temps-ci, la vélane avait un véritable impact sur son géniteur et, finalement, elle se dit qu'il avait bien fait de faire appel à elle. Sans quoi, elle n'osait imaginer comment aurait pu se terminer cette sombre entrevue.

Quand Luke la remercia, elle eut un petit sourire en coin, fière de lire une sincère reconnaissance dans les yeux bleus fatigués de son père. Son visage prit ses traits mauvais, mesquins même, quand Eustache fut empêché d'intervenir. Il n'avait que ce qu'il méritait, ce lèche-botte de première.

Mais elle savait qu'ils n'en avaient pas fini, ce que la voix grave de Luke se chargea de confirmer alors qu'il redonnait un peu d'énergie au vieillard immobile. Visiblement, il n'était pas parti pour l'enfermer, sans quoi il se serait probablement assuré d'avoir refermé la porte des cachots avant de lancer le contre-sort.

Un semblant de vigueur s’amoncela dans son corps flétri, lui permettant progressivement de retrouver assez de force pour se lever... et parler. Siobhán observa la scène avec une pointe de mépris, incapable d'oublier les mots qu'il avait eu pour Luke avant d'être réduit au silence, même si leur teneur semblait avoir désormais changée. Elle observa de plus près la baguette de cet aïeul qu'elle n'avait décidément pas choisi, la faisant pivoter avec habileté entre ses doigts sur le chemin pour la Tour Seamrog, se gardant bien de commenter les murs décrépis qu'ils croisaient au gré des couloirs.

En arrivant dans la grande Bibliothèque, la vert-et-argent ne put s'empêcher un regard fasciné. Tous ces livres et ouvrages dont les reliures anciennes contrastaient avec celles, plus récentes, lui prodiguaient subitement l'envie de passer un peu plus de temps que prévu ici. Mais le ton pressant de son père la ramena à la réalité alors qu'il montrait clairement au vieux fou qu'il avait repris les commandes et que désormais, c'était lui qui décidait. Siobhán ne regarda la scène que d'un œil, jugeant que c'était la place de son père, même si elle tenait toujours en main sa baguette que l'on venait désormais lui réclamer.

Suspicieuse, la vélane ne répondit pas tout de suite positivement à sa demande. Lui rendre sa baguette, c'était aussi prendre le risque qu'il change d'avis dans une pièce qu'il connaissait par cœur, un lieu qu'il connaissait certainement par cœur. Levant les yeux vers son père, Siobhán paraissait l'interroger du regard avant que celui-ci ne se pose sur une plume qui trônait sur le bureau.

« Tu n'es pas en position d'exiger quoi que ce soit, encore moins un moyen de nous attaquer ou de te défendre. Alors, il va se servir d'une méthode plus authentique, l'ancien », demanda-t-elle en témoignant de tout le respect qu'elle n'avait pas pour celui qu'elle ne désirait même plus nommer. Elle n'avait visiblement toujours pas digéré qu'il l'ait traitée de rejeton à bec et à plume. « Tiens, ça suffira pour faire ce que tu as à faire ».

Suffisait-il réellement d'un coup de plume pour réparer les erreurs du passé ?

L'attitude de celui qui n'avait jamais tenu son rôle de grand-père la déstabilisait, et il était hors de question de lui offrir un moyen de leur échapper ou de se rétracter.

Sa main droite attrapa la plume, la faisant glisser sur le bois jusqu'à se présenter devant le vieillard, son autre paume, dans son dos, toujours solidement fermée sur sa propre baguette et celle du grand ponte Korrigan — qui ne le serait plus pour très longtemps.

Et, comme il venait de leur donner l'emplacement du dit testament, Siobhán n'attendit pas qu'il ait besoin de le lui répéter pour adresser un nouveau regard à son père avant de regarder à l'arrière du fameux tableaux qu'elle ne prit même pas le temps de détailler. Finalement, cette pièce du château, comme les autres d'ailleurs, lui faisait froid dans le dos.

« C'est ton moment », lâcha-t-elle avec un mépris qu'elle ne prit même pas la peine de dissimuler. Il avait le don de faire ressortir le pire en elle, probablement ce qui lui avait valu d'être envoyée chez les Serpents plutôt que vers la sagesse des Aigles.

Un parchemin jauni par le temps glissait entre ses doigts fins et, à nouveau, elle le fit patiner sur la tablette du meuble boisé, jusqu'à s'insinuer sous les mains crochues de son rédacteur.  

Une moue désapprobatrice s’empara du visage de la vélane en entendant l'infirme l'appeler par un seul de ses deux noms.

En temps normal, Siobhán aurait corrigé avec assurance comme elle le faisait habituellement avec ses professeurs ou quiconque lui faisait l’affront de ne pas l’appeler par son nom complet. Mais, alors que le vieux aurait dû faire partie des meubles de la bâtisse et que chaque mot qui sortait de sa bouche était bon à jeter, un petit morceau d’elle se fendit, quelque part.

Parce que son propre grand-père, son sang malgré tout le reste, considérait qu’elle n’était pas une Korrigan. À ses yeux (globuleux), elle ne méritait pas de partager ses racines. Et s’il aurait été possible de se ravir de cette information au vu de l’homme qui la concédait, son cœur pincé était la seule émotion qui prévalait.

Par habitude, ses traits restèrent neutres. Il était hors de question de donner à cet être de malheur ne serait-ce qu’une once de satisfaction. Montrer qu’elle avait été blessée par ses propos n’était donc ni souhaité, ni souhaitable, et Siobhán se contenta d’appuyer sa baguette plus fort que de mesure, sur lui, quand son père lui intima de tenir l’ancêtre en joue, acceptant avec plaisir l’idée de le soumettre. Histoire de lui faire un peu mal, même si ça ne serait jamais la même douleur que celle qu’il venait, consciemment ou non, de lui infliger.

Penchée sur lui sans lui donner quelconque possibilité de s’enfuir ou de se dégager de son étreinte, la jeune femme gardait un œil sur son père qui s’affairait à récupérer son dû, derrière ce fameux tableau. Et si Siobhán s’attendait à tout moment à réagir à un piège ou à une attaque, il n’en fut rien.

Encore mieux : son père avait toujours gardé ses droits sur son héritage. Le grand-père s’était simplement bien gardé de le préciser, tenant certainement à voir son fils à l’œuvre, sous un nouveau jour. Sadique comme il était, il fallait admettre que, même pour quelqu’un comme lui, le coup était assez pervers. Assez en tout cas pour mériter qu’on lui crache dessus en guise de récompense.

Mais Siobhán pouvait déjà entendre @Edel Almadovar lui dire qu’elle valait mieux que ça.

…

Siobhán était postée près de son père, les bras croisés sur sa poitrine, observant les deux silhouettes qui s’effaçaient bientôt, au loin. Elle n’avait jamais aimé les au revoir et pourtant, celui-ci laissait derrière lui un subitl goût d’indifférence, doublé d’une saveur particulière qui s’apparentait sans aucun doute à une forme de satisfaction.

Savoir que son père était débarrassé de ce démon là était déjà on ne peut plus satisfaisant, en effet. Parce que son éducation avait laissé des traces bien trop profondes et que la suppression de celui qui en était à l'origine signifiait, quelque part, qu’il pourrait enfin commencer le processus de cicatrisation, utile à toute forme de guérison.

Chez nous…

Quelle étrange sensation que de chercher à voir en ce lieu le refuge qu’il n’avait jamais été, pour aucun d’entre eux. Ni  @Finn Gavalagh-Korrigan, ni Luke, ni Siobhán n'avait jamais considéré ce lieu comme leur maison. Et le serait-il seulement un jour ? Rien n’était moins sûr. Certainement que cela passerait par quelques destructions de cloisons, des peintures à refaire.

Mais, surtout, de nouveaux souvenirs à créer.

« Crois-moi papa. J’y veillerai personnellement », lui répondit-elle en arquant un sourcil à la simple possibilité qu’il puisse un jour devenir comme cet homme qui l’avait enfanté. Puis, elle reprit. « Tu m’idéalises, papa. »

Ce n'était pas de la fausse modestie ou l'envie de se faire mousser qui l'avait poussée à prononcer ces mots. Non. C'était un fait. Son père l'idéalisait et la raison était simple : en tant que père, il manquait cruellement d'objectivité. Et s'il savait lui dire à quel point elle se montrait obstinée et têtue, il avait parfois du mal à voir ses innombrables autres défauts qui la caractérisaient.

Et de tous les héritages dont il était question à ce jour, il y en avait un qui devait être le sien, dans sa totalité.

« Papa. C'est hors de question. On ne partage pas. »

Son ton avait été implacable mais la tendresse de ses yeux avait grandement adouci ses propos. Siobhán s'était tournée vers son père, attrapant ses mains au creux des siennes, sans quitter ses pupilles.

« C'est ton héritage. C'était ton nom qui était écrit sur ce morceau de papier, jamais il n'en avait été retiré ce qui veut dire que tu en es le digne héritier... Je sais que tout ça est synonyme de mauvais souvenirs mais rappelle-toi ce que je t'ai dit, la dernière fois. Il est temps que tu gagnes. » Ces paroles feraient sans nul doute écho à celles prononcées au cœur de la salle de métamorphose et elle se rapprochait de lui pour donner davantage de poids à ses propos. « Tu t'es trop sacrifié. Tu t’es trop battu. Aujourd'hui il est temps que ça cesse et que tu acceptes ce qui te revient de droit. » D'un geste tendre, elle lui rendit la plume. « Par contre, je veux bien qu'on rénove un peu les lieux et je n'ai confiance ni en toi, ni en Finn pour ce qui est de la décoration. Surtout pas en Finn, d'ailleurs... » Son rire se fit léger, avant que ses traits ne redeviennent tout à coup beaucoup plus sérieux. « Je veux qu'on travaille ensemble à faire de ce lieu quelque chose qui te fera oublier le passé. Pour qu'on aille de l'avant. Ensemble. En famille. »

Elle avait insisté sur ce dernier mot.

Parce qu'aucun autre n'était aussi important que lui.  

Alors que la silhouette de la vieille bâtisse se dessinait sous ses yeux bleus, Siobhán se surprenait à imaginer les lieux différemment. Une liste était en train de se dessiner dans son esprit avec ce qu'elle envisageait de changer, rien qu'au niveau des extérieurs. Et plus ils passaient de temps devant à l'observer, plus les idées s'accumulaient. Elle était tellement concentrée dans cette fiction qu'elle n'écoutait son père que d'une oreille et se contenta de froncer les sourcils lorsqu'il mentionna @Finn Gavalagh-Korrigan.

Si Siobhán ne faisait pas confiance à son frère, ce n'était pas une question de goût. C'était parce qu'elle savait que Finn se montrerait minimaliste, quand elle avait envie d'un bâtiment vivant. Et alors que ses pensées vagabondaient vers d'autres horizons, il y avait toujours ce prénom qui serpentait dans son esprit, en se demandant bien ce qu'il en penserait, lui, de cette idée de rénovation. Car @Edel Almadovar avait beau lui avoir parlé des plans d'une maison, il ne les lui avait jamais montrés. L'Irlandaise croisa les bras sur sa poitrine en se remémorant cet aveu futuriste, sans même savoir s'il envisageait qu'elle en fasse partie. Même si, au fond, elle savait.

Pendant ce temps, son père, lui, allait beaucoup trop loin dans son avenir avec Edel. Mieux encore ; il s'emballait complètement.

« Un jour, peut-être », insista-t-elle en reprenant ses mots alors qu'elle-même ne s'était pas encore posé la question.

Mais si le sujet de la maternité était encore loin, très loin d'être d'actualité dans son esprit alors qu'elle commençait tout juste à prendre ses marques à ses côtés, elle rejoignait son père sur un point.

Edel allait lui présenter sa mère cet été ? Siobhán ne pourrait en faire de même avec Luke puisqu'ils se connaissaient déjà — un peu trop même du côté de son père, mais elle tenta de passer outre pour ne pas remettre ce sujet sur le tapis. Néanmoins, elle pourrait effectivement inviter Edel à passer du temps dans le château, si tant est que Finn acceptait sa présence.

Les deux avaient beau se taire dès qu'elle passait près d'eux, à Poudlard, la vélane était loin d'être aveugle. Elle savait qu'ils faisaient bonne figure pour petit plaisir personnel. Sauf qu'elle n'était pas dupe.

« Mais j'y pense ! », lâcha-t-elle tout à coup, en réaction à une idée qui aurait du naître beaucoup plus tôt dans son esprit, et notamment lorsqu'elle avait pensé à Edel, un peu plus tôt. « Je ne sais pas si tes sources te l'ont précisé... » Elle n'avait pas pu s'en empêcher. Luke n'avait qu'une seule source, et c'était @Braxton Clearwater. « Mais Edel veut devenir magiarchitecte. On pourra lui demander de l'aide pour la rénovation, il pourrait même faire des plans si ça l'intéresse. Enfin, il faudrait que je lui pose la question. Et surtout, avant toute chose, il faudrait que je fasse en sorte que ça s'arrange entre Finn et lui. »

Et maintenant qu'il le disait, elle pouvait tout autant intervenir entre Finn et Luke.

Des yeux accusateurs se levèrent vers son père, mais ce regard était tout autant destiné à son frère, absent. Parce qu'elle savait que c'était précisément Luke qui lui avait transmis ce côté surprotecteur.

Si tous les deux refusaient de le voir, ils partageaient beaucoup de traits en commun.

« Finn est un peu à fleur de peau en ce moment, avec tout ce qu'il s'est passé cette année... Mais je pense que vous devriez vraiment avoir une discussion, en toute transparence, sur tout ce qui fait que vous ne vous entendez pas. Ce sont les non-dits qui pourrissent tout, Papa. »

Frôlant son bras pour lui adresser un geste tendre, sa vélane de fille releva ses aigues-marines vers lui en lui offrant l'un de ses sourires.

La journée avait été intense, mais pas suffisamment pour totalement le lui supprimer.

« Tu le sais, maintenant. »