Hierba Mala (2)

tw : violence familiale.

L'enthousiasme de Saúl s'effrita quelque peu à la question de Siobhán. Il posa son regard sur son joli visage sans rien dire pendant quelques instants, observant uniquement la brise qui soufflait dans ses cheveux. Puis il reposa son regard sur Merlin, l'air profondément vulnérable. Les propos de l'Enchanteresse lui revinrent en mémoire alors qu'elle se faisait prendre la main dans le sac : Il y a des choses qui vous dépassent, en ce monde. Des forces que vous préférez mettre sous silence pour protéger les vôtres. Vous cherchez à dompter une magie en la saccageant avec vos lois pour opprimer tous ceux qui ne partagent pas votre vision de celle-ci. Le monde étouffe par votre arrogance. Vous ne vous en rendez probablement pas compte, trop occupé à satisfaire vos petits égos. Même les moldus s'en rendent compte.

Ces mots avaient percuté son cœur de demi-vélane avec la force d'un bélier sur les portes de son royaume. L'impact avait ébranlé son âme jusqu'à ses abysses, le laissant là, seul, face à ce qui semblait être la plus grosse trahison vécue de sa vie. Il avait mis sa confiance en cette vélane, persuadée d'être la créature la plus bienveillante d'Angleterre. Elle aidait les leurs à se défendre face aux sorciers, en leur apportant une issue de secours vers des contrées meilleures qu'elles furent sur leur plan ou sur celui des fées. Mais elle avait été tout autre. L'espace d'un instant, il avait vu la noirceur la saisir au point qu'il avait du lever sa baguette magique contre elle. Le monde étouffe par votre arrogance. Saúl posa son regard sur le bois de sa baguette magique. Les sorciers avaient tout fait pour réduire les êtres magiques à néant, avant de leur laisser une place d'éternel second dans leur société où ils ne seraient jamais promis à faire de grandes choses.

L'espace d'un instant, il comprit même les actions de Charles Graham (@Luke Korrigan) car dans le cœur de Saúl, son père avait planté la graine de la violence pour se faire entendre. Chaque gifle, chaque coup de poing, chaque coup de pied, chaque sort subi, que ce fût lui, sa sœur ou sa mère, avait arrosé cette graine pour devenir l'homme qu'il était aujourd'hui. Perturbé, s'accrochant à la lumière du mieux qu'il le pouvait pour combattre les ténèbres de ce monde. Une allégorie qui imageait parfaitement le combat de son âme face à ses propres démons.

La vérité était qu'il voulait en savoir plus sur cette secte. Il voulait des réponses. Il voulait comprendre les motivations de l'Enchanteresse. Il voulait être sûr d'avoir bien compris ce qui l'avait changé. Ou peut-être... Peut-être qu'elle avait finalement compris qu'elle n'arriverait à rien tant que les sorciers domineraient leur monde. Mais pourquoi Morgane ? Son règne avait pris fin il y a plus de mille ans. C'était du moins ce qu'il en savait... Et maintenant, il se retrouvait devant la statue de Merlin, à chercher des réponses.

« - Honnêtement, j'en sais rien. Morgane le Fay était l'ennemi de Merlin l'enchanteur. »

Il releva son regard vers Siobhán. Jamais son âme n'avait été à ce point au bord du précipice.

« - Et si... Imagine, elle pouvait réellement nous sauver. Imagine si elle était capable de nous revaloriser aux yeux des autres, de nous rendre égaux aux sorciers. »

Saúl souffla du nez avant de détourner une énième fois son regard de Siobhán. Le soleil disparaissait peu à peu à l'horizon, et bientôt, il n'aurait plus de lumières. Arrivait-il au crépuscule de cette vie ? Devait-il embrasser la part sombre qu'il enfouissait en lui comme la terre s'apprêtait à enlacer les ténèbres de la nuit ?

Le mexicain leva sa baguette magique. Exécutant le tracé rapidement, on l'entendit à peine incanter le revelio.

Alors, l'endroit où ils se trouvaient se mit à briller faiblement. Des traces de magie, ici et là, les entouraient. Derrière le mur qui leur faisait face, il semblait y avoir quelque chose. Autre chose. Les ersatz de magie étaient plus denses.

Saúl fit signe à Siobhán de le suivre. Le cœur lourd, il n'y avait plus cette suffisance qui ornait ses traits. Il n'y avait que le reflet tourmenté de son âme. Ils prirent ce qui semblait être les restes d'un couloir pour se retrouver face à un mur. Littéralement. Au sens propre comme au figuré.

Saúl leva son regard vers Siobhán lorsque cette dernière lui demanda si ça allait. Le mexicain ne sut quoi répondre sur l'instant, comme s'il eut le souffle coupé. Il n'en savait rien. Beaucoup trop de choses étaient venues perturbés sa vie ces derniers temps et il y avait certaines choses qu'il peinait à digérer malgré toute sa bonne volonté à passer outre ses problèmes en agissant comme il l'avait toujours fait : en ne les prenant pas en compte. Une façon bien à lui de surfer sur les problèmes sans y laisser ses états d'âme, préférant se concentrer sur ce qu'il y avait après plutôt que sur le moment.

Mais aujourd'hui, c'était plus compliqué. Il l'avait probablement trop fait pour pouvoir continuer de le faire sans qu'il n'en paye un jour le prix.

Il ne répondit pas tout de suite, mais Siobhán semblait réellement se préoccuper de lui en lui demandant ce à quoi il pensait. Saúl observa alors le visage de Myrddin en soupirant, le cœur plein d'émotions qu'il détestait. La douleur, la tristesse, la rage, la folie le guettant. Non... Si aujourd'hui, il n'y arrivait plus, c'était parce qu'on l'avait attaqué sur ce en quoi il était le plus fier : sa naissance. Demi-vélane, Saúl avait toujours embrassé cette particularité de toute son âme. Son corps en portait certains signes tant il semblait ne faire qu'un avec cette idée-là d'où la présence des écailles sur ses coudes et ses malléoles.

Il en avait subi des remarques là-dessus. Du racisme, des blagues, certains en avaient même profité pour obtenir ce qu'ils voulaient de lui (et inversement). Cela ne l'avait jamais affecté comme cela. Mais depuis qu'il avait vu ces lettres en capital à la une du journal de la Gazette du Sorcier qui mettaient alors tous les hybrides et êtres magiques dans le même lot que les Loups-Garous à cause de la meute, Saúl avait senti que son monde se brisait de part et d'autre. La trahison de l'enchanteresse n'avait fait qu'exploser tout cela pour ne laisser qu'un Saúl désorienté, errant dans des ténèbres épaisses. Sa seule bouée contre la folie, c'était de retrouver l'Enchanteresse. Il n'avait plus que ça en tête. Il voulait comprendre. Son esprit allant jusqu'à trouver des excuses à l'Enchanteresse.

Parle-moi.

Saúl plongea son regard dans celui de Siobhán et un sourire vint aussitôt éclairé le visage du mexicain.

« - Ça va, t'inquiète. »

Il lui fit un clin d'œil. Elle n'était pas dupe, elle le lui avait prouvé. Mais Saúl n'était pas très loquace sur ses problèmes, préférant faire comme si de rien n’était jusqu'à ce qu'il éclate en plein vol.

« - Bon, allez. »

Saúl effleura la pierre du mur qu'ils leur faisaient face, là même où le revelio les avait mené, mais rien ne se passa. Tapotant sa baguette magique dessus en murmurant quelques incantations de sa connaissance pour provoquer quelque chose - des sortilèges d'ouvertures à des contre sorts plus ou moins connus -, Saúl fronça légèrement les sourcils alors que rien ne semblait se cacher sous cette pierre épaisse aux traces d'une magie qu'il ne connaissait pas.

Il soupira.

Saúl fit comme s'il n'avait rien entendu, préférant garder pour lui ses problèmes, ses pensées, ses tourments. On ne l'entendait jamais se plaindre de ses soucis. Il avait toujours agi ainsi, préférant les enfouir en lui plutôt que les partager. Cela induirait forcément une confrontation avec lui-même et c'était quelque chose à laquelle il n'était absolument pas prêt. Il ne le serait probablement jamais. Saúl avait beau être quelqu'un de bien, il ne cessait de refaire les mêmes bêtises, s'enlisant dans les mêmes problèmes sans réellement le faire exprès.

Le dernier en date étant ses sentiments pour une certaine @Mira Aslan qui semblait tout sauf réellement intéressé par lui. Mais là aussi, il se contentait de se dire qu'il lui faudrait passer plus de temps avec elle, apprendre à la connaître, à échanger avec elle quitte à se dévoiler un petit peu. Il avait d'ailleurs commencé à le faire à la fois où il l'avait sorti de cette marche des Libertés, mais depuis, les choses n'avaient pas bougé d'un iota.

Il se contenta de se focaliser sur le mur où Siobhán finit par le rejoindre. À son tour, elle ausculta le mur, cherchant tout et n'importe quoi pour activer un quelconque mécanisme qui pourrait révéler les secrets de ce mur. Au bout de quelques instants, sans que ni l'un, ni l'autre, ne parviennent à trouver quoique ce soit. Ce fut la proposition de Siobhán qui le sortit de cette espèce de contemplation dans laquelle il s'était enfermé alors qu'elle avait cherché à en savoir plus sur ce qu'il pensait et/ou ressentait.

Observant Siobhán pointer sa baguette magique vers la statue de Myrddin, Saúl la vit lancer un sortilège afin de bouger cette dernière. La statue bougea, mais absolument rien ne se produisit. Ceci étant, c'était à cet instant précis où Saúl remarqua quelque chose sur la statue. Cette dernière semblait avoir une espèce de fente. Il la montra du doigt à Siobhán.

« - T'as vu là ? »

Saúl s'en approcha avant de se mettre à genou pour l'observer de plus près. Faisant glisser son index dessus, il pointa sa baguette magique dessus et se mit à lancer les mêmes sortilèges qu'il eut lancés un peu plus tôt sur le mur. Mais rien ne se passa non plus.

Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'il se laissait tomber sur ses fesses, assis en tailleur, le menton dans une de ses paumes de main.

« - Bon. »

Il posa ses mains derrière lui pour déplier ses jambes.

« - Il y a des fois où mon cœur me pousse à vouloir rejoindre cette Enchanteresse... Après ce que le Ministère nous a fait... M'a fait... J'ai bien envie de leur rendre la monnaie de leurs pièces. Je veux croire en un monde où on a tous notre place... Mais est-ce qu'ils le veulent seulement ? Je suis fatigué de toutes leurs promesses... Je suis fatigué de leurs actes à l'encontre des minorités, de nous. Des fois, je rêve de tout brûler. »

Saúl ne l'avait pas regardé. Répondant à ses précédentes tentatives de lui extirper les vers du nez, c'était devant l'incompréhension de ce casse-tête que le mexicain rendait les armes. Il baissa le regard, observant les pavés sur le sol défoncé par le passage du temps.

« - Peut-être, j'y ai vu une fente, non loin du socle. » Répondit Saúl avant d'abdiquer devant la présence réconfortante de Siobhán qui ne cherchait qu'à le faire parler pour l'aider.

Le mexicain se lâcha. Vidant un peu de son sac, le trop-plein, ce qui lui pesait de trop sur ses épaules pourtant robustes, Saúl s'ouvrit à la jeune vélane. C'était plutôt rare, voire même qu'on pouvait compter sur les doigts d'une main le nombre de fois où Saúl s'était ouvert à quelqu'un comme ça, en dehors de @Glenn Yard. Il ne pouvait pas s'empêcher de ressentir un petit malaise en lui, comme s'il attendait quelque chose, un truc, une réaction de la part de la Serpentard qui lui montrerait qu'il n'aurait pas du le faire et qu'il aurait mieux valu qu'il continue de tout garder pour lui.

Saúl s'était retenu de respirer en attendant sa réaction, son jugement, comme si, de ses lèvres, une sentence irrévocable s'en échapperait pour le mettre sur le pilori. Mais ce ne fut pas le cas. Siobhán le prenait de court, le forçant à conserver un peu plus son souffle le temps qu'elle eut fini de dire ce qu'elle avait à dire là-dessus.

Finalement, son soupir s'échappa de ses lèvres au même moment que ses épaules s'affaissèrent. Il baissa la tête, tandis que les mots de Siobhán continuaient de résonner en lui, comme un écho. Il se prit à jouer avec les lacets de ses chaussures de cuir d'un air absent, jugeant le vide que lui procurait cette soudaine confession. La chaleur des mots de Siobhán s'était, finalement, très vite dissipait sans pour autant n'avoir eu aucun effet. Bien au contraire. Mais Saúl, qui n'avait pas l'habitude de se confesser, préféra méditer ses mots, quitte à ne rien en sortir.

Enfin, Siobhán, après un long silence, finit par lui poser une question pertinente. En effet, aucun ministre de la magie n'avait été comme eux. Aucun ministre de la magie, pour autant qu'il s'en souvenait de ses cours d'Histoire de la magie, n'avait eu son sang "sali" par une ascendance magique. C'était pareil au Mexique, ou encore au Brésil ou le reste de l'Amérique latine. Les sorciers avaient pris leurs places, jugeant tout ce qui n'était pas comme eux comme impropre, de seconde zone.

La colère se remit à ronfler dans le cœur de Saúl qui se contenta de lever les yeux vers Siobhán, laissant paraître un peu de la noirceur qui l'habitait, lui qui, habituellement, était un soleil pour son entourage.

« - Faire de la politique ? Quand les plus hautes instances sont entièrement pleines de sorciers qui ne voient que leur profit et les arrangements que peut leur procurer le pouvoir déjà en place ? »

Saúl se releva, peut-être un peu trop pressé par l'agacement qui émanait de lui. Se tapotant les mains pour retirer graviers et poussières qui s'étaient collés à sa peau alors qu'il s'était relevé, Saúl continua :

« - Je n'ai connu que deux hommes capables de faire bouger les choses dans ce ministère : @Ima Soninké et @Gabriel Standford. Des gens qui se battaient pour ce qui était juste. Des gens avec un cœur gros comme ça... Et tu vois ? Rien n'a changé. L'un est dépassé par un Magenmagot toujours plus proche de l'élite sorcière. Et l'autre a finalement abdiqué pour aller s'occuper de sa gosse. »

Il cracha au sol, rageur. Tout ceci l'agaçait sincèrement. Mais au fond de lui, il savait que le chaos n'était pas la voie à prendre. C'était bien là le problème de toute cette histoire : risquer de blesser des innocents ou continuer de servir une politique archaïque aux profits des mêmes familles sorcières depuis des siècles.

Saúl se passa les mains sur son visage basané. Il les conserva sur chaque côté de sa face un court instant comme s'il cherchait à refermer le couvercle sur cette marmite pleine de colère qui ne demandait qu'à jeter tout son contenu un peu partout autour d'elle. On le vit prendre une profonde inspiration avant de finalement laisser tomber ses mains à mesure que ses poumons se vidèrent.

D'une voix beaucoup plus calme, mais pas moins pleine de ressentiments, il reprit :

« - Mais tu as raison... Tu as raison, Siobhán. Le chaos n'est pas un chemin à prendre. »

Il haussa les épaules, mains ouvertes vers elle, avant de, finalement, sourire.

« - Peut-être que c'est ta génération qui changera les choses... »

Un air espiègle vint animer sa face basanée étalant ce sourire qui dévoilait la blancheur de ses dents.

« - Hein, Madame la Ministre Gavalagh-Korrigan ? »

Courber l'échine n'était pas dans les habitudes de Saúl. Pour autant, il était vrai que c'était probablement la seule solution envisageable quoiqu'il puisse ressentir comme colère dans le fond de son cœur. Puis ce n'était pas comme s'il n'avait pas déjà fait le premier pas en ce sens dernièrement bien que le sortilège auquel il était désormais lié lui empêcher de révéler le secret de ses activités. Aujourd'hui, ce n'était qu'un moment sorti du temps, comme une pause au milieu de tout le chaos de sa vie de ces derniers mois. Il lui arrivait toujours de rêver à une vie meilleure, mais il semblerait qu'il lui faudrait attendre encore un peu. Tout du moins, tant que la politique du gouvernement serait aussi problématique.

Bien sûr, il ne suffisait pas de sortir de Serdaigle pour se douter que ceci n'était qu'une petite partie de tous les problèmes que le mexicain cachait au fond de lui. Des soucis, des démons qui l'éloignaient toujours un peu plus de son idéal, de son envie d'être heureux et tranquille. Du genre à les enfouir plutôt qu'à les affronter, il lui faudrait pourtant le faire un de ces jours.

Mais pas aujourd'hui. Pour le moment, il avait d'autres choses à faire. Une excuse comme on aurait pu s'en douter.

Sa réflexion changea doucement sous le courant des mots de Siobhán. Le feu intérieur qui ronronnait en chacun d'eux était toujours plus fort. Si certains finissaient par abdiquer, s'agenouillant devant l'impérialisme sorcier, d'autres, comme eux, gardaient l'éclat de leur flamme toujours plus intense qui leur servait de guide dans les ténèbres toujours plus vindicatives.

Face à cette pensée, on vit les sourcils de Saúl qui se levaient un bref instant avant qu'il ne reconcentre son attention sur l'étudiante à ses côtés.

Un sourire vint se dessiner sur ses lèvres lorsqu'elle évoqua le lien qui les unissait. Comme une douce chaleur, cette même sensation que l'on ressentait après avoir mangé un morceau de chocolat lorsque l'on s'approchait un peu trop d'un détraqueur loin de son fief, Saúl sembla se détendre enfin, lui permettant ainsi de souffler et d'apaiser cette tension qui lui saisissait le cœur.

Un éclat de rire s'échappa de ses lèvres sombres lorsqu'elle retourna ses mots à son égard. Saúl ferait un très mauvais ministre. Non pas pour ses idées, mais pour sa façon de faire qui ne cesserait de faire couler de l'encre et du sang pour tenir le pays dans une quiétude quasi parfaite, quitte à devoir faire preuve d'une violence sans pareille pour se débarrasser de la crasse sombre qui se cachait dans l'ombre des ruelles, prêtes à s'émanciper pour plonger de nouveau l'Angleterre dans une ère de terreur.

Un rire qui se tue dans un sourire plein de chaleur alors qu'il passait ses bras autour d'elle pour la serrer brièvement contre son cœur.

« - Merci. » Murmura-t-il dans le creux de son oreille avant de se détacher avec pudeur.

« - Il commence à se faire tard. J'vais te ramener au château, viens-là. »

Saúl saisit avec douceur la main de la Serpentard, puis il resserra sa poigne. L'instant plus tard, ils disparurent dans une volute de fumée.