The Changeling

The Chaneling

20 novembre 2023

S'il y avait bien une chose que Geraint se refusait à comprendre, c'était ces petites entrevues que Maeve accordait à son benjamin juste avant les chasses. S'il a quelque chose à dire qu'il le dise devant tous marmonnait toujours le vieux loup, contrarié par cette manière qu'avait Elffin de toujours se trouver à côté de la règle, en dehors des clous, comme un fait exprès pour lui donner de l'urticaire. Maeve ne répondit pas, endossant un sourire attendri comme elle descendait les escaliers sans plus chercher à défendre son frère ou à se justifier. Geraint la poignarda de son oeil de vipère, attendit qu'elle disparaisse de sa vue puis alla se poster à la fenêtre avec un sourire satisfait. Quoiqu'il se refuserait toujours à l'admettre, il éprouvait une immense fierté à voir ses enfants partir à la chasse...

La crinière blonde de Maeve s'éloignait dans la cour où Drustan rentrait justement les chiens après leur sortie de la nuit.

« Joli tir. », fit-elle pour annoncer sa présence.

Elle sourit. Mais ça n'était pas à Elffin qu'elle avait donné rendez-vous ce jour-là. Confiante, elle vint se poster aux côtés d'Eurion pour observer l'exercice de tir auquel lui et sa lance excellaient mieux que personne. Quoique le vieux loup trouve à redire, il n'y avait guère que leur tante Rowene pour disputer le trophée de la précision à Eurion. Peut-être justement Elffin, mais en s'écartant des méthodes plus traditionnelles.

Contre toute attente, c'est un petit billet discrètement échangé la veille, après le repas qui a suscité cette entrevue et sans doute un peu de curiosité de la part de son frère. Il n'était pas inhabituel pour Maeve de solliciter l'un ou l'autre de ses frères pour une chasse en petit comité. Ça n'était pas en cela que cette fois ferait exception, c'était plutôt par la manière dont elle avait déjà commencé, à l'insu d'Eurion.

La chasseresse se hissa d'un mouvement preste sur la petite clôture de bois, grossièrement taillée. Maeve observait son cadet, jaugeant de la réponse qu'il lui ferait tout en lui donnant un peu plus de précisions sur ce qu'elle avait en tête. Son petit message, très succinct, ne laissait supposer qu'une chasse dans le Dartmoor. C'était sans doute suffisant pour qu'il s'attende à confronter tous les démons de la Forêt du Wistman mais il méritait tout de même un peu plus d'explications... « J'ai rencontré un homme en revenant de Dartmoor avec Drustan l'autre soir. Un pauvre diable qui cuvait son whisky à l'auberge en répétant à qui voulait l'entendre que l'accouchement avait fait perdre la raison à son épouse. Je ne lui ai d'abord pas prêté attention - j'étais là pour les chiens de wisht - jusqu'à ce que je me rende compte qu'il était en fait parfaitement sobre. J'ai vu son épouse. Elle n'est pas folle mais elle tourne en boucle sur la même rengaine. Apparemment son bébé ne serait pas le sien... »

Elle laissa planer cette conclusion jugeant qu'il en tirerait les conclusions qui lui paraissaient à elle, évidentes.

Dartmoor était un petit village magique lové dans les contreforts de la région du même nom. On y allait volontiers en touriste pour ses paysages bucoliques et ses auberges pittoresques mais eux y trouvaient surtout un élevage très réputé, de ces chiens de chasse pour lesquels Drustan a la main. La forêt du Wistman qui rampait jusqu'aux murets est du village, avait la réputation d'être un nid à pixies et à faëries tout juste tenu par le Wild Huntsman un gardien sombre qu'il valait mieux ne pas contrarier. Il était de fait assez rare que des chasseurs de monstres, comme les appellaient les bonnes gens, se risquent à poser le pied sur son territoire.

C'est pourtant là où Maeve semblait vouloir les amener ce soir là. Silencieuse, elle scruta la réaction de son frère sans plus piper mot.

Un fin sourire de renard vint poindre sur les lèvres de Maeve, comme elle détaillait avec application les attitudes d'Eurion, toujours sur le qui-vive. Elle s'était attendue à quelques objections. Ca n'aurait pas été lui, cet esprit rationnel et pragmatique qu'elle était venu chercher pour cette chasse.

« Tu n'es pas obligé de venir. », fit-elle plus taquine que sérieuse.

C'était un fait, en soi rien ne l'y obligeait mais elle gageait tout de même qu'il se laisserait prendre au jeu. Un jeu dangereux certes, mais ils l'avaient dans le sang. Elle écouta néanmoins ses arguments. Après tout, elle avait été la première à douter. Les choses étant ce qu'elles étaient, Maeve avait poussé jusqu'à rencontrer la pauvre femme. Adeline Byrnes. Elles avaient échangé une petite heure, parlant de ce bébé qu'elle était prête à laisser mourir de faim plutôt que de s'en approcher. C'était son époux, Owen, qui avait pris le relai et la situation pesait évidemment sur le couple comme le couperet d'une guillotine.

Eurion donnait une petite ouverture, s'enquérant de son avis finalement. C'était un schéma qu'ils répétaient tous les deux depuis l'enfance. Elle faisait mine de l'entraîner dans un traquenard, il réfutait puis y revenait doucement, juste pour être sûr de ne pas passer à côté de quelque chose.

« A un échange. La forêt du Wistman est à deux pas de là... »

On n'avait plus signalé de vols d'enfant depuis quelques générations mais cela ne suffisait pas à la détourner de cette théorie. Les efforts du Ministère avaient porté leurs fruits, côté sorcier du moins. Le reste, les gens de Dartmoor le devait au Wistman. Sans en faire un allié, il fallait tout de même lui reconnaître ça.

« Le bébé a deux semaines. Si sa mère dit que ce n'est pas le sien pour moi c'est soit pathologique soit... »

Elle lui coula un regard en douce. Un de ces regards qui l'enjoignait à céder.  

...

Le ciel d'Angleterre convulsait au dessus de leurs têtes et déjà on pouvait sentir l'odeur puissante des mousses et de l'humus de la forêt toute proche. Dartmoor était le village le plus proche de la Forêt du Wistman. Passé une certaine heure, on s'attendait àc e que tout étranger frappant à votre porte ou se faufilant dans la nuit, soit un individu louche.

Maeve frappa à la porte deux coups francs.

La porte s'ouvrit sur le visage buriné d'un homme las.

« J'ai cru que vous ne reviendriez jamais. »

La chaleur de l'habitation les cueillit dès qu'ils franchirent le pas de la porte. Mrs Harlow se tenait dans un coin du salon, visiblement très éprouvée. Elle avait le regard fou de ces gens qui ne peuvent plus trouver le sommeil, les mains tremblantes et la tête échevelée. Mais c'était une vision à laquelle les Cynfeirdd étaient habituée.

« Auriez-vous un de ces couteaux que l'office de tourisme magique glorifie dans ses vitrines ? »

Demanda la chasseresse, sans ambages.

cw : monstres & bébé, vomissements

La réaction du père à la demande des deux étrangers était celle que l'on pouvait attendre d'un homme sain d'esprit. Il se tendit perceptiblement, restant muet un instant avant de se fermer. Il était sur le point d'exploser quand sa femme se porta au devant de la conversation. Tirant un de ces fameux couteaux de sa poche, elle pointa d'une main fébrile le couloir qui se trouvait sur leur dos. Maeve prit la lame, adressant un regard à Eurion.

Elle y avait pensé mais ne l'avait sans doute pas osé. Il y aurait toujours ce doute, la crainte de blesser son enfant par pure folie. C'était compréhensible. C'est à ce moment-là que le père bondit.

« Nous ne ferons aucun mal à votre fils je vous le garantis Mr Harlow. », le ton placide et ferme de Maeve arrêta l'homme dans son élan. « Je vous rappelle que nous sommes venus à votre demande. », imposa-t-elle en sentant venir une seconde vague d'hésitation, « Je vous laisse passer devant, si vous le souhaitez. »

Dans l'intervalle, Mrs Harlow s'était rapprochée de son mari, les mains refermées sur son bras comme des serres de rapace. Elle suffoquait d'angoisse mais ça n'était pas pour l'enfant qui dormait paisiblement dans la chambrette au bout du couloir. Elle craignait pour eux, ne sachant quel diable s'était invité dans leur maison. A son regard fou, on aurait pu le dire, avoir perdu la raison aurait été un soulagement.

Maeve adressa un regard à Eurion, lui aussi très sceptique. Cela lui tira un sourire. Elle aimait  ce côté pragmatique et bougon qui rappelait sans l'ombre d'un doute l'homme que pouvait être leur père parfois. Mais Geraint était un homme autrement plus égrillard que n'importe lequel de ces fils, aussi la tendre comparaison s'arrêtait-elle là.

« Si je vous ai fait venir c'était surtout pour elle. Je ne vous laisserais pas toucher un cheveu de mon fils, c'est compris ? »
« Si vous voulez en avoir le coeur net, il va falloir que vous nous fassiez confiance Harlow. Je ne toucherai pas un cheveu de votre bébé. Je ne suis pas un monstre. »

Choix de mot délibérément provocateur, l'épouse Harlow tressaillit, écartant à nouveau son époux.

« Je... je vais vous conduire à lui. »
« Adie tu - »
« Je sais ce que je fais Owen. Il faut... il faut que tu me fasses confiance. A moi. Cette chose n'est pas notre fils, j'en suis certaine, je le sais ici, au fond de moi. »

Les larmes baignaient le visage de la sorcière à bout de forces. Maeve détourna le regard. Ce genre de moments ne leur appartenait pas. Les époux Harlow discutèrent encore quelques instants à mi-voix avant qu'Adeline ne leur adresse un regard déterminé derrière ses cernes. Owen tenait sa main, plus pour s'accrocher à l'idée d'aller jusqu'au bout. Ce ne serait probablement qu'une formalité. Les deux étrangers confirmeraient que leur bébé n'était rien de plus qu'un bébé et Adeline pourrait tourner la page. Les choses reprendraient leur cours normal. C'était tout ce qu'Owen Harlow demandait.

Le couple les guida finalement jusqu'à une porte close, ornée de lettres colorées qui jonglaient avec le doux prénom Jasper. La mère s'effaça alors, incapable d'entrer; Maeve adressa un regard à Owen Harlow, pour le garder en confiance. L'homme acquiesça.

Dans la chambre, il faisait sombre mais pas complètement noir. Une petite fée luciole bourdonnait dans un globe de verre, au-dessus du berceau de l'enfant et, dans le silence feutré de la nuit, on entendait à peine son souffle. La chasseresse mit un pied dans la chambre, prudemment, quoiqu'il aurait été difficile de dire si c'était pour préserver le sommeil du chérubin ou si c'était l'expérience qui lui recommandait de marcher sur des oeufs. Doucement, elle approcha du petit lit, observant le nourrisson, sa petite bouche en bouton de rose qui poursuivait en rêve le doux ressac de la tétée, ses petits points solidement fermés sur ses joues rebondies.

Elle libéra la lame du couteau de son pouce, glissant un regard en coulisse par dessus son épaule. Owen se tendit, prêt à bondir. La chasseresse attendit que son frère s'installe à l'endroit qu'il jugerait bon puis, d'un geste délicat, retira la minuscule soquette qui couvrait le pied gauche de l'enfant. Le petit pied nu et dodu réagit au frais de la nuit, dénouant lascivement des orteils aux extrémités rondes comme des petits poids. Cinq en tout. Rien de bien exceptionnel. La cymraeg ne sourit pas pour autant, quand bien même son coeur de maman, de tante, de femme, s'était toujours attendri devant ce petit spectacle. Elle leva la lame. Dans son dos, Adeline retint Owen par la chemise, ses doigts crispés par anticipation mais bien déterminés à empêcher toute objection. La lame descendit dans le berceau, silencieuse et sournoise.

« Non ! », hurla le père, projetant sans vraiment le vouloir son épouse contre la porte dans un geste désespéré pour protéger son enfant.

Trop tard. La lame touchait au but, appliquée par le plat, froide mais inoffensive, sur la plante insouciante de ce pied encore endormi.

C'est alors que l'enfant s'éveilla, déchirant l'air même d'un rugissement strident, surnaturel. Sa petite main potelée s'assécha tout à coup, étirant des doigts disproportionnés et griffus au terme d'un membre fibreux et maigre. A travers la grenouillère de velours, un hérissement rougeâtre pointait venimeusement vers les visages penchés au-dessus du berceau laissant deviner trois bouches infernales. Maeve s'empressa de retirer la lame. Il n'était pas utile d'en ajouter à l'horreur des deux parents en laissant leur petit chérubin achever complètement sa transformation de sparas.

Aussitôt le bébé se rétracta, troquant son apparence monstrueuse pour remplir la petite pièce de pleurs répétés mais plus habituels pour un bébé.

Maeve adressa un long regard à Eurion.

Les sparas n'étaient pas ce qui se faisait de plus commun dans la généalogie des faes. Ces créatures monstrueuses aux apparences multiples terrorisaient humains comme faes depuis la nuit des temps et, pour cette raison, autant que pour les boucheries qu'ils abandonnaient derrière eux, on les avait chassé jusqu'à l'extinction... ou presque. Une excellente raison de chercher à placer un rejeton dans le berceau aimant d'une famille non fae...

Dans leur dos, Owen rendait tripes et boyaux, le visage blême, il faisait encore plus triste mine que son épouse. Adeline, au contraire, semblait soulagée, comme si l'hideuse révélation qui venait de leur être faite avait enlevé un poids de son âme.

« Qu'est-ce que... »

Maeve adressa un nouveau regard à Eurion. Il y avait toutes les chances que la jeune maman ne trouve aucun mot à poser sur ce qui vagissait dans le berceau de son fils, à la recherche d'un cœur à émouvoir.

Maeve retira la lame de sous le petit pied difforme du sparas. Aussitôt la clameur vagissante se tut instantanément, ramenant la petite chambre à un silence glaçant. La remarque d'Eurion lui valut un regard appuyé de son aînée. Il y avait peu de chance que la bonne Mrs Harlow se réjouisse d'avoir remporté cette manche. Elle fondait d'ailleurs contre l'épaule de son époux, partagé entre l'horreur et la consternation.

Maeve ne fit aucun commentaire, quoiqu'elle ne put retenir une pensée pour @Luke Korrigan qu'elle s'imaginait déjà afficher ce dépit quasi méprisant qui avait le don d'enflammer la patience inexistante d'Eurion aussi bien que celle légendaire de Bronn.

Concentrée sur la tâche qui se profilait, la matriarche se pencha sur le berceau, emportant avec tous les gestes d'une mère le monstrueux petit rejeton. A le voir, si mignon avec ses joues de chérubin et sa larme à l'oeil, on y aurait vu que du feu. Mais la petite chose s'était remise à pleurer, persuadée que ce n'était pas dans les bras de la chasseresse qu'il trouverait amour et sécurité.

« Nous allons dans la forêt du Wishtman... », annonça la galloise placidement tout en prenant la direction de la sortie.

Ca n'était pas une mince annonce quand on savait que le fragile équilibre entre le monde connu des sorciers et ce qu'on appelait l'autre monde n'étaient ici séparés que par un voile fragile dont le Wishtman était l'implacable gardien.

Aucun chasseur n'était toléré. Quiconque s'aventurait dans la sombre et tortueuse forêt flirtait avec une mort atrocement douloureuse. On savait que les chiens sauvages qui rôdaient là dedans étaient parmi les plus sanguinaires et, si quelques uns avaient pu être capturés et domestiqués, à les voir, babines blâfardes retroussées sur des crocs aussi longs que des poignards, que ces abominations à l'état sauvage repoussaient les limites de l'épouvante.

« Et notre fils ? », gémit Mrs Harlow
« Je ne vous ferais pas de promesse que je ne pourrais pas tenir. »

La voix de Maeve tomba froidement mais fermement. Elle n'avait aucune idée de ce qu'ils trouveraient dans la forêt du Wishtman, ni même de ce qu'il avait bien pu advenir du fils Harlow. Le pire paraissait un pari raisonnable alors, mieux valait sans doute ne rien dire. Les sparas n'étaient guère connus pour leur amour du genre humain. Ils avaient pourtant abandonné l'un de leur petit, sans doute poussé par la nécessité, parmi eux.

Elle quitta la maison, l'enfant toujours dans ses bras, hurlant à plein poumon dans le vain espoir d'émouvoir Mrs Harlow ou peut-être son époux. Mais ni l'un ni l'autre ne les suivit à l'extérieur.

« Tu n'es pas obligé de m'accompagner. », finit-elle par offrir à son frère.

C'était un pari risqué pour peu de résultat si ce n'était éloigner une potentielle menace de la famille Harlow. Merlin savait ce qu'aurait pu donner un sparas adulte dissimulé parmi la communauté sorcière lambda. Merlin savait si d'autres n'avaient pas déjà tenté l'expérience et alors, avaient-ils abouti dans leurs sombres projets ?