Vous ici ?

Vous ici ?

03 juillet 2023

Elle se rappelait encore avec quelle excitation elle s'était projeté tout un avenir à Poudlard. Des études brillantes qui ne pourraient que rendre son père et sa mère, mais surtout son père, immensément fiers. Perséphone avait eu un temps cette étiquette d'étudiante prometteuse. Son amour de la littérature, de la poésie, l'aurait tout naturellement menée à l'étude des runes. Elle n'avait pas le moindre doute là-dessus. Quatre ans plus tard, les choses avaient suivi un chemin plutôt inattendu et aujourd'hui, la seule chose dont elle était certaine vis-à-vis de l'étude des runes, c'était qu'elle allait laisser cette matière sur le carreau, puisque tout ce qui l'intéressait au final c'était l'obtention de ses B.U.S.Es, précieux sésame qui signerait son retour à 100% sur les stades. Elle ne désespérait pas non plus de performer sur le terrain, au point que le coach Warwick revienne sur cette mise au banc de touche qu'il lui avait imposée. Ça ne l'empêchait pas de prendre plaisir à assister à certains cours, l'astronomie, l'histoire, les sortilèges - quoi que récemment ça tenait plus tant au contenu du cours qu'au Pr @Jameson Clearwater lui-même... en revanche, s'il y avait bien un endroit où elle ne mettrait finalement jamais les pieds, c'était la salle d'études des runes au deuxième étage et le fait que le cours soit une option et que le père de Fergus taquine suffisamment le domaine pour satisfaire sa curiosité ne pesait que très peu dans la balance.

En vérité, cela faisait plusieurs semaines que Perséphone Fogg nourrissait à l'égard de cette innocente matière, plus de ressentiment qu'elle ne voulait bien l'admettre. Précisément, depuis cet après midi où son père avait failli lui rentrer dedans, tout guilleret, en prenant à droite au bout du couloir. Il l'avait gratifiée d'un Oh ! je ne t'avais pas vue ma chérie avant de s'en repartir comme il était venu, gai comme un pinson. Elle aurait pu faire abstraction de son col mal reboutonné si elle n'avait pas croisé quelques mètres plus loin, le Pr @Yolanda Yeabow sortir de sa salle de classe avec un drôle d'air.

La Serdaigle n'aurait su dire précisément quoi, c'était d'ailleurs à cette description qu'elle s'en était arrêté avec son frère @Persée Fogg , le plus raisonnable des deux. Raison pour laquelle, sans doute, il n'avait pas trop acheté la théorie du père qui se tape la prof de machin chouette juste sous leur nez. Ou alors avait-il dit cela pour la préserver elle, sachant tout le potentiel destructeur que pouvait avoir leur père quand on en revenait à Perséphone.

Il était fort probable qu'elle ait juré à Persée de ne rien tenter du tout, ni même d'avoir la moindre conversation à ce sujet avec leur père. Il était adulte après tout, quelque part ça ne les concernait plus depuis longtemps. Il était également fort probable qu'elle soit allée emprunter un numéro de la Gazette de la veille à l'un de ses camarades pour vraiment le lire ou peut-être était ce pour passer inaperçu pendant qu'elle ferait le poireau sur le petit banc de l'acove, à mi chemin entre la salle d'études des runes - oh, quelle coïncidence - et les toilettes désaffectées...

Yolanda n'aurait jamais pensé que sa liaison avec son collègue d'Arithmancie durerait si longtemps. Mais c'était un fait : cela faisait des mois qu'ils se voyaient, et ni l'un ni l'autre ne semblait pressé ou désireux de mettre fin à cette relation qui sommes toutes leur apportait beaucoup d'agréments, à l'un et l'autre. Ils semblaient avoir dépassé le carrefour où Barnabas les avait emmené, lorsqu'il avait semblé un moment en vouloir plus qu'elle. Yolanda l'avait soupçonné de développer, ou en tout cas d'être sur le point de développer des sentiments à son égard, mais finalement la tempête était passée en tout cas. Elle aimait l'attention qu'il lui donnait, sa tendresse à son égard, son insatiable désir pour elle, qui coïncidait et satisfaisait parfaitement son immense appétit. Elle s'était faite, au fil du temps, plus affable, plus douce, plus charmante, prenant le temps à chaque fois de discuter et d'échanger avec son amant, sans non plus se rendre vulnérable. Ils semblaient avoir trouvé un équilibre qui les satisfaisait, ou en tout cas Barnabas avait dépassé les questions qui le travaillaient, et elle était plus accessible au moins.

Ils se voyaient une fois par semaine depuis trois mois, chez l'un ou chez l'autre, et passaient souvent une nuit agréable, longue, intense, se levaient harassés, et se quittaient lorsqu'ils étaient obligés de partir faire cours. Si elle se sentait incapable d'y mettre fin ou n'y voyait pas de futur particulier, Yolanda s'inquiétait surtout que cette relation ne soit découverte. Son amant était un collègue, ils travaillaient et vivaient dans un lieu rempli d'étudiants, et en fin de compte se voyaient sur leur lieu de travail. Il suffisait qu'une seule personne ne les surprenne pour que la rumeur se répande, et alors... Le moins que l'on puisse dire est que ce ne serait pas une attitude très professionnelle. Que cela se sache, et sa carrière en souffrirait. En plus de cela, Yolanda voulait aussi rester discrète car pour elle, elle ne faisait que se distraire avec son collègue... Mais il suffisait d'un seul élève, ou d'un seul portrait... Barnabas lui disait qu'elle s'en faisait pour rien, et revenait l'embrasser et la caresser avec passion et gourmandise, comme pour la faire oublier ses angoisses avec son ardeur d'adolescent, mais cela ne suffisait évidemment pas... "Tu te fais trop de souci, ma chérie", la rassurait-il. Ami de la directrice, avec sa réputation de coureur, et un homme par surcroît, il ne courait pas les mêmes risques qu'elle. De même, elle se demandait parfois si il ne souhaitait pas que cette rumeur ne se répande, espérant que leur relation puisse évoluer ensuite. Si c'était ce qu'il pensait, il se trompait, bien entendu.

Ce matin-là, il l'avait quittée particulièrement guilleret, et elle était restée dans ses appartements, où elle avait travaillé sur ses projets avec archarnement, ne les quittant que lorsqu'elle s'était rendue à un cours, et puis plus tard dans l'après-midi, lorsqu'elle avait voulu consulter un livre à la bibliothèque. Cependant, chacune de ces fois — considérablement espacées dans l'après-midi — elle avait remarqué une élève placée devant sa salle, un journal à la main. La deuxième fois, elle avait levé les sourcils, intriguée, puis avait plissé les yeux en reconnaissant... la fille de Barnabas.

Voilà, elle n'allait jamais s'en sortir, c'était sûr. Les enfants de son amant habitaient au même endroit qu'elle. Jamais elle n'aurait la paix. Elle avait enseigné à Matthias et Eugène il y a plusieurs années, mais n'avait jamais été sensible au mythe Fogg et tout ceci s'était passé avant qu'elle ne commence à coucher avec Fogg le père. Le fait que la fille de Barnabas squatte devant son bureau — alors qu'elle ne prenait pas son cours était définitivement louche. Elle ne pouvait pas laisser cela se passer et devait définitivement clarifier les choses.

—Tout va bien, Miss Fogg ? Cela fait plusieurs heures que je vous vois attendre devant mon bureau... commença-t-elle d'un ton doux, un peu neutre, calme surtout alors qu'elle se sentait intérieurement surtout irritée. Est-ce que je peux vous aider ? Une question en relation avec les cours de runes, peut-être ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.

Perséphone peina à dissimuler un sursaut. Si elle avait bien eu dans l'idée que le Pr Yeabow était dans les parages - elle n'était pas si mauvaise espionne que ça - elle ne s'était pas attendue à ce qu'elle vienne lui parler. Et maintenant, il allait falloir qu'elle improvise quelque chose qui ne laisserait pas transparaître son envie d'étrangler la professeur de Runes.

Méthodique, ou presque, elle posa son journal sur ses genoux pour gagner cinq secondes et s'éclaircit la voix.

« Plusieurs heures ? Vous devez certainement me confondre avec... Edith ? », répondit-elle d'un petit ton très naturel, à peine haut perché. Qui était Edith ? Elle n'en avait pas la moindre idée, il faudrait qu'elle y réfléchisse plus tard. Et maintenant, voilà que le Pr Yeabow s'apprêtait à lui ouvrir la porte de son cours. Perséphone dut réprimer un certainement pas qui venait du fond du coeur, Oh non non, je ne compte pas suivre ce cours. Je profitais simplement du banc. J'adore venir ici... la lumière est particulière, et l'air... ce doit être de famille je pense. Il me semble que mon père traîne beaucoup dans ce couloir lui aussi. La vue, sans doute... »

Ses mains s'étaient légèrement crispées sur son journal. Elle s'était plus ou moins promis de ne pas lui rentrer dans le lard et, malgré le petit ton fleuri, très étudié, Perséphone se sentait engagée sur une pente glissante... sans doute cette petite pointe de jalousie et de colère mêlées qui lui montaient au nez.

Elle en profita néanmoins pour détailler cette femme maintenant qu'elle se tenait devant elle. Etait-elle une autre de ces poufs sans intérêt auxquelles il accordait plus d'attention qu'à ses propres enfants ou bien une énième futur divorcée ? Elle n'aurait su dire, c'était que ce petit manège avait l'air de s'installer. En tout cas l'air guilleret de son père était installé, encore plus léger que d'ordinaire. Bientôt,  @Barnabas Fogg deviendrait le premier cas de levioso spontané à ce rythme-là.

Yolanda ne savait vraiment pas quoi penser. Cette gamine savait quelque chose, ou en tout cas, soupçonnait quelque chose. Sinon, pourquoi viendrait-elle l'attendre devant sa salle de classe pendant des heures, et pourquoi venait-elle de mentionner son père, souvent dans les parages ? Elle maudit son amant, qui serait tout à fait le genre à laisser entendre ou échapper quelque chose devant ses enfants, et qui ne semblait ni la prudence ni la discrétion en personne. Et visiblement ce n'était pas l'information la mieux reçue du monde... Très bien.

Que lui restait-il à faire ? La jeune fille était crispée et semblait un peu émotive - définitivement, il semblait qu'il y ait anguille sous roche, et le fait qu'elle ait mentionné son père n'était ni innocent ni anodin. Yolanda ne savait pas comment agir. Elle soupira.

—Ecoutez, Miss Fog, je ne connais pas de Edith, et c'est bien vous que j'ai vu - avec ce même numéro de la Gazette, qui date de la semaine dernière, avec cette même couverture, commença-t-elle.

Elle reprit doucement, toujours avec un ton aussi neutre et calme que possible :

—Oui bien sûr, c'est un coin très agréable, sans fenêtre, avec beaucoup de passage, et avec la proximité charmante de toilettes désaffectées, commença-t-elle avec un mélange de calme et d'ironie.

Son regard était resté doux et calme, mais sa posture respirait la sûreté, la confiance en elle-même, la force et la puissance. Elle intimidait souvent les étudiants, savait cela et en jouait. Elle pouvait même intimider Perséphone maintenant. Mais elle garda son calme, sans se disperser. Une respiration trop haute, un mot répondu trop brusquement, et elle se trahirait comme Perspéphone venait de se trahir.

—Ecoutez Miss Fogg, est-ce qu'il y a un souci avec votre père ? Lui et moi ne nous entendons pas vraiment bien, c'est vrai, nous avons des caractères assez opposés, je suis peu sensible à sa réputation, et j'ai peut-être été un peu froide avec lui depuis son arrivée - je ne sais pas ce qu'il vous a dit, mais c'est vrai que je n'ai pas un caractère facile. Mais je le connais en sommes très peu. Je ne sais pas si votre attitude à un rapport avec cela mais en tout cas sachez cela n'influencera pas mon comportement avec vous si vous choisissez de joindre mon cours ou avez une question, ajouta-t-elle, désireuse de conserver l'attitude la plus professionnelle possible.

Elle plongea son regard dans le sien, encore maîtresse d'elle-même, toujours calme, sans trahir ni son impatience, ni son agacement, ni son angoisse. Elle pouvait lire sur ses traits les ressemblances avec son père, et cela l'agaçait légèrement, la mettant un petit peu mal à l'aise.

—Est-ce qu'il y a quelque chose que je peux faire pour vous ? Dont vous voulez me parler ?

Perséphone retourna la Gazette pour confirmer ce petit détail auquel elle n'avait pas pensé : la date. Si elle n'avait pas craint de passer pour une folle, elle aurait sans doute demandé quelques tuyaux à @Fergus Clearwater, avec la garantie qu'il ne cafterait pas à sa mère, également auror. Il allait falloir une bonne excuse pour... parfait. La Gazette avait consacré tout un article à l'arrivée des éliminatoires et notamment à la sélection de quelques jeunes espoirs - dont elle faisait partie - dans les équipes nationales. Ravie de cette trouvailles, elle colla la double page centrale sous le nez de Yeabow :

« Je me prépare pour la saison. », déclama-t-elle en avisant que les prognostics donnaient les Flèches sortantes au deuxième match. Il fallait dire que l'équipe aux uniforme azur avait fait une saison épouvantable. Pour ne rien enlever, le hasard avait fait que Perséphone, sélectionnée pour trois matchs, allait jouer contre les Prides of Portree, l'équipe favorite de Fergus. Elle pourrait toujours se consoler en se disant que la défaite annoncée des Flèches lui éviterait une rupture prématurée.

Si elle avait eu de la chance avec les pages sportives de la Gazette, le second contre de la Pr de Runes était imparable. Il n'y avait absolument rien de charmant dans ce couloir, rien qui puisse donner envie de venir y passer ses après midi en tout cas. Un instant Perséphone envisagea de pousser jusqu'à dire qu'elle aimait observer les gens mais ça n'aurait pas été crédible pour un sou. Et puis, à la vérité, quand elle n'était pas sous les feux de la rampe, Perséphone appréciait de se ménager quelques moments de solitude, en tête à tête avec un bon bouquin ou à flirter avec la ouate cotonneuse des nuages. Elle se contenta donc d'un petit raclement de gorge qui ne voulait rien dire, laissant la scène ouverte au Pr Yeabow.

Curieusement, celle-ci s'engouffra dans le sujet Barnabas Fogg sans que Perséphone eut à insister beaucoup plus. Il avait suffi de tendre une toute petite perche... elle écouta sans rien dire, les yeux braqués sur cette femme qui se foutait de sa gueule sans une once de vergogne.

« Vous couchez avec lui n'est-ce pas ? Vous devriez vous mettre à la Gazette de la semaine dernière vous aussi... », fit-elle en lui collant le journal entre les mains.

Concrètement, elle n'en était même pas sûre, mais la défense de Yeabow, aux antipodes de cette théorie, ne faisait que lui donner plus de poids. Et puis c'était bien son père de s'enticher d'une femme fatale qui le martyriserait un peu, juste ce qu'il faut pour le ferrer et lui faire oublier le reste du monde le temps d'une sieste crapuleuse. Au pire, ce ne serait que prêcher le faux pour obtenir quelque chose. Pourquoi pas la vérité.

Yolanda tenta de rester impassible à la pique de l'étudiante, intérieurement surprise et choquée qu'on s'adresse à elle de la sorte. Elle déchira lentement le journal que lui avait tendu l'étudiante, calme mais devant se retenir de la gifler. Les morceaux du journal tombèrent sur le sol.

— Dans ses rêves, peut-être ? répondit-elle d'abord, calmement, à la pique de l'étudiante. Mais clairement pas dans cette réalité, non.

Elle reprit doucement :

— Trente points en moins pour Serdaigle. Votre remarque est totalement inappropriée, je suis désolée Miss Fogg mais vous ne pouvez pas vous adresser de la sorte à un professeur.

Mais enfin, qu'est-ce que ça pouvait lui faire à cette gamine, qu'elle se tape son père ou non ? Et surtout, comment l'avait-elle su ? L'avait-elle deviné ? Comment, quelles preuves ? Et surtout, avait-il laissé entendre quelque chose ? C'était en tout cas clairement malsain de l'espionner tout un après-midi parce qu'elle la soupçonnait de coucher avec son père... N'avait-elle pas mieux à faire, sérieusement ?

— Je sais que votre père se pense irrésistible, mais la réalité n'est pas forcément en accord avec ce qu'il écrit dans ses livres. Mais je ne comprends pas du tout votre réaction — et même si c'était le cas, qu'est-ce que ça vous ferait ? Est-ce une raison pour harceler toutes les collègues avec lesquelles vous pensez qu'il couche ? Pour passer un après-midi entier devant mon bureau ? il va falloir que vous arrêtiez, Miss Fogg. Cette attitude vous dessert cruellement. Votre père est un grand garçon, et je pense qu'il peut se passer de ce comportement.

En voyant le Professeur Yeabow déchirer le journal, Perséphone ne put s'empêcher de ressentir une forme de satisfaction malsaine. Elle s'en voudrait très probablement le lendemain, quand elle serait revenue à de meilleurs sentiments.

La sanction ne tarda pas à tomber mais cela, Perséphone ne s'en soucier que dans la mesure où cela ferait probablement hurler @Persée Fogg , son frère jumeau et accessoirement préfet de Serdaigle. Elle devait tout de même saluer ici le self contrôle de Mrs Yeabow. A sa place, Perséphone serait sortie de ses gonds. C'était une certitude.

Elle l'étudia longuement pour essayer d'asseoir son opinion sur la bonne ou la mauvaise foi de Mrs Yeabow. Après tout, elle n'avait pas l'air de mourir de honte non plus. Sans doute Perséphone avait-elle poussé le bouchon trop loin. Intérieurement, elle le savait mais elle avait encore beaucoup de travail à faire sur elle-même.

« Vous avez sans doute raison. », finit-elle par concéder, sans chercher plus la provocation en lui précisant qu'elle se contrefichait des points perdus. Cela se voyait peut-être du fait de son manque de réaction à l'annonce de la sanction, « Je n'ai pas d'excuse, j'ai dépassé les bornes. »

Elle laissa Yeabow riposter, c'était de bonne guerre même si elle dut se mordre la langue pour ne pas bondir à chaque mention de son père. Barnabas Fogg n'était peut-être pas aussi irrésistible qu'il l'imaginait, mais ça ne l'empêchait pas d'hameçonner n'importe quelle femme et elles se succédaient dans l'indifférence la plus totale à tout moment de l'année.

« Oh ne vous inquiétez pas pour lui, mon père se passe de bien des choses ou plutôt ce sont les choses qui lui passent au-dessus. », résuma-t-elle d'un ton fielleux, « Ne vous attachez pas, c'est tout ce que je dirais. Qu'importe l'effet qu'il peut bien vous faire. »

Sur cet avertissement, elle s'imaginait vider les lieux pour ne pas être tentée d'en remettre une couche mais ça ne serait peut-être pas du coup de Yolanda Yeabow.

« Je pense que j'ai suffisamment abusé de votre temps professeur... », fit-elle à titre de salut, bien résolue à filer avant qu'on ne se mettre à lui poser des questions qui l'aurait obligée à parler de sa relation avec son père et de toutes ses désastreuses conséquences.

Yolanda fut satisfaite de voir que l'étudiante retournait lentement à sa place — alors que Perséphone Fogg était comme sortie de ses gonds oubliant les notions de politesse et bienséance pendant l'espace d'un instant. Rarement elle avait interagi avec une élève si impolie, si irrespectueuse, et qui dissolvait les limites entre professeur et élève de manière si brutale, si virulente. Néanmoins Yolanda était restée parfaitement calme et maîtrisée — à la limite de l'amabilité et aussi du mépris, dans un mélange savamment étudié — ce qui, il semblait, avait forcé l'étudiante à revenir sur terre, acceptant qu'elle avait dépassé les bornes. Yolanda senti son corps se détendre imperceptiblement, sentant qu'elle avait gagné la partie alors que l'étudiante avouait avoir dépassé les bornes.

Cependant, alors que Yolanda pensait que les choses s'étaient calmées, Perséphone reprit son discours de manière fielleuse, ajoutant qu'elle ne devait pas trop s'attacher à Barnabas, qu'importait l'effet que celui-ci pouvait lui faire. Yolanda ouvrit de grand yeux, haussant les sourcils, son masque hautain, de froideur et de mépris, délicatement appliqué sur son visage.

—Malgré tout le respect que je me dois d'avoir pour mes collègues, Miss Fogg, je pense sincèrement que votre père, en toute objectivité, est plus proche de se retrouver bientôt en maison de retraite que de me faire le moindre effet. Et maintenant, je pense que nous avons assez entendu de vos inepties, n'est-ce pas? , acheva-t-elle, la mine visiblement lassée et irritée, tout en restant très calme, froide, indifférente.

Alors que l'étudiante tentait de s'échapper, Yolanda l'arrêta cependant.

—Attendez, Miss Fogg. Pas si vite. Je veux savoir pourquoi vous avez passé l'après-midi devant mon bureau. Est-ce que vous stalkez chacune des collègues féminines de votre père en soupçonnant qu'il ait une liaison avec elle ? Est-ce que c'est juste moi, parce que ma tête ne vous revient pas ? Et qu'est-ce que ça pourrait vous faire, pourquoi donner tellement de votre temps pour une entreprise non seulement hasardeuse mais qui ne vous regarde en rien ?

Une petite voix en elle lui soufflait de ne pas remettre une pièce, aussi la Serdaigle se contenta-t-elle d'acquiescer quand le professeur Yeabow revenait sur la soit-disant incapacité de Barnabas Fogg à jouer de son charme naturel. Intérieurement, elle en pouffait de rire. Pourquoi se donner tant de mal à démontrer qu'elle n'avait rien à se reprocher si c'était vraiment le cas ? A nouveau, la petite voix de la raison lui souffla d'accepter cette conclusion, sans maudire ni mot dire.

Elle salua presque poliment, prête à tourner les talons mais visiblement, ça n'en était pas assez pour Yolanda Yeabow. Cette fois, la petite voix intérieure se laissa balayer par un raz-de-marée aveugle et violent. S'il y avait bien une chose sur laquelle il ne fallait pas confronter Perséphone, c'était son père. @Fergus Clearwater finirait bien par l'apprendre lui aussi, tôt ou tard. C'était une corde trop sensible, écorchée vive, qui ne demandait qu'à être grattée pour vibrer de toutes ses dissonances.

Un mauvais rictus se plaça sur ses lèvres. A son côté son poing se serra tandis qu'elle essayait au mieux d'oublier la femme qui se trouvait dans son dos et de revenir à un semblant de calme. C'était devenu un jeu malsain auquel Yolanda Yeabow semblait s'être prise malgré elle.

« Ne vous emballez pas professeur, il n'a jamais été question de vous, seulement des errances de Barnabas Fogg. Quant au temps que j'y accorde... vous avez sans doute raison sur un point l'entreprise est hasardeuse, peut-être même stérile, mais elle me concerne de beaucoup plus près que vous ne pouvez l'imaginer. »

Elle laissa passer un silence, hésitant à en donner plus ou à vider les lieux dans la seconde sans aucune certitude mais toujours aussi soupçonneuse.

« C'est entre lui et moi. Je n'aime guère qu'on se paie ma tête vous comprenez. »

Satisfaite de cette conclusion, elle reprit sa marche vers la sortie du couloir, les doigts déliés. Elle ne connaissait pas suffisamment Yolanda Yeabow pour lui montrer ses blessures, pour lui parler de l'affront répété de l'indifférence et de l'abandon. Ce ciment qui liait tous ensemble les enfants de Barnabas Fogg.