O Romeo, Romeo, wherefore art thou Romeo? (Mira)

Quand Mira ouvrit sa fenêtre pour découvrir ce qui était à l’origine de ce raffut, elle se pensait prête à tout mais fut tout-de-même décontenancée. Après un rendez-vous manqué sans une excuse suivi d’une semaine de silence, Ebenezer se tenait là, dans la rue, à brailler des choses incompréhensibles accompagné d’un alpaga.

- Chuuut, tu vas réveiller tout le voisinage, s’agaça la jeune iranienne en éventant l’air de sa main pour l’intimer au silence. Je descends !

En refermant la vitre avec toute la discrétion du monde, elle se sentit renversée par une foule d’émotions complexes. Quand Ebenezer n’était pas venu la chercher après le travail, elle ne s’était pas vraiment inquiétée. L’agent avait pu avoir été retardé, ou avoir mal compris ses horaires du jour. Mais lorsque toute la soirée se passa sans qu’il ne fît son apparition, l’emportement de Mira fut à son comble et de retour chez elle, son frère @Dâriush Aslan et sa sœur en firent les frais. Le lendemain, c’était l’inquiétude qui s’était emparé d’elle et elle avait cherché dans la Gazette en cours de tirage la quelconque mention d’un accident qui aurait pu expliquer son absence. Hésitant à aller voir directement au Ministère, elle s’était finalement résignée, avec tristesse, au fait qu’il l’avait tout simplement royalement ignorée. Elle avait trainé de nouveau sa carcasse jusqu’à chez elle avant de passer toute sa soirée à se lamenter sur son lit.

Dévalant les escaliers, Mira ouvrit sans un bruit la porte qui donnait sur la rue – juste à côté de celle de l’épicerie - pour tomber nez à nez avec l’étrange duo. Ebenezer l’avait abandonnée sans un mot avec un comportement de lâche, elle avait fini par l’accepter. Et pourtant, à le voir debout sous ce lampadaire, la mécamage ressentait malgré elle une joie mêlée de soulagement, ce qui l’agaçait particulièrement. Aussi, si ses yeux sombres brillaient de colère, c’était en grande partie en raison de son propre comportement.

- A cause du travail, tu dis ? Même si je sais que tu ne veux me donner aucun détail sur ta vie personnelle, tu aurais au moins pu m’envoyer une note pour me prévenir ! Je t’ai attendu toute la soirée, je me suis même inquiétée pour toi !

En croisant les bras, son regard balaya avec exaspération l’animal qu’Ebenezer avait apporté avec lui; son soi-disant cadeau.

- Pourquoi tu as emmené un alpaga avec toi ? Pour me l’offrir ? Mais qui fait ça ! Si tu réveilles mon père avec toutes tes folies…

Mieux valait ne pas y penser. C’était vraiment l’idée la plus stupide que Mira n’ait jamais vu. Elle fulminait sur place, son regard alternant entre l’homme et l’animal. L’un l’observait avec de grands yeux malheureux, tandis que l’autre mâchait quelque chose de non-identifié dans sa bouche en leur jetant des petits regards indifférents jusqu’à ce que…

- Est-ce qu’il vient de me faire un clin d’œil ? Oh Ebenezer, dis-moi que tu ne lui as pas appris à faire ça…

Malgré elle, sa main vint flatter l’encolure de Jimmy, caressant lentement ses longs poils avec une certaine timidité. Quand son regard se tourna vers Ebenenzer, il était beaucoup plus doux qu’avant.

- Si tu n’es pas disponible pour une relation, je comprends. On peut y mettre fin.

Leur histoire avait de toute manière à peine commencée, rien ne servait de souffrir autant. Mais quand Mira se pencha de nouveau vers l’alpaga, sa moue attristée s'était paré d'un faible sourire.

- Mais je garde Jimmy avec moi…

Après avoir donné l’impression de vouloir garder les rênes de l’animal pour lui, Ebenezer consentit finalement à les lui laisser en avouant que l’alpaga était bien pour elle. Encore une fois, le sorcier lui donnait l’impression de laisser plusieurs personnalités se battre librement en lui. Il était toujours si… imprévisible. Et Mira devait bien avouer qu’elle adorait ça chez lui. Mais son discours inattendu qui suivit la laissa sans voix et elle écarquilla les yeux en le fixant.

- T… Tu… Tu es sérieux ?..., finit-elle par balbutier sous le coup de la surprise.

Pêle-mêle se mêlaient dans son esprit des images d’agents secrets sous couverture, accomplissant les pires méfaits pour le bien de leur patrie, jouant les séducteurs avec de riches ambassadrices, sautant de falaises en moto volantes... Elle détailla le sorcier avec un masque de surprise dont elle ne parvenait à se défaire. Mais les révélations d’Ebenezer ne s’arrêtaient pas là, et la jeune iranienne baissa le regard en rougissant avec un petit sourire ému.

Un bruit soudain le fit sursauter et il dégaina sa baguette plus vite que son ombre, prouvant ainsi ses réflexes hors du commun. Ce ne fut cependant pas le seul instinct que l’agent dévoila et Mira baissa le regard sur sa main qui s’était positionnée exactement sur son décolleté. Remontant le nez vers lui, la mécamage le vit rougir encore plus intensément qu’elle avant de retirer brusquement sa main. Elle-même avait viré à l’écarlate et elle épousseta nerveusement son vêtement en fronçant les sourcils, tentant de reprendre le fil de ses pensées.

- Langue-de-Plomb tu dis ? Alors… J’imagine que… ça explique bien des choses…

Son cœur tambourinait furieusement dans sa poitrine et elle avait bien du mal à formuler des phrases correctes, tandis que les mots du sorcier résonnaient dans son esprit. Il se disait fou d’elle, et prêt pour une vraie relation. C’était difficile à croire, et pourtant, ne venait-il pas de lui dévoiler une information sans doute classifiée secret-défense ? La jeune sorcière prit quelques secondes pour faire le tri entre les différentes émotions qui la traversaient. Quand elle releva le menton vers lui, son sourire, bien que légèrement embarrassé, n’en était pas moins ravi.

- Merci de m’avoir raconté ça… Je suis touchée que tu m’accordes cette confiance… Je crois que… Je veux bien qu’on se donne une chance. Je suis d’accord pour qu’on officialise notre relation.

Attrapant sa main d’un geste que l’émotion faisait frémir, elle la plaça de nouveau contre elle pour s’avancer vers lui. La jeune Aslan dû se percher sur la pointe des pieds pour effleurer ses lèvres des siennes. En un instant, elle avait oublié ces moments de frustration et de peine qu’il lui avait fait subir. La mécamage savourait uniquement le plaisir partagé de l’avoir retrouvé. Soudain cependant, une information parmi les autres entendues à l’instant refit surface dans son esprit et elle se dégagea avec un air outré.

- Attends, tu as bien dit que tu avais volé l’alpaga ? Mais… Il faut le rendre tout-de-suite à son propriétaire !

Mira remit brusquement les rênes dans les mains du sorcier avant de se figer, sentant son sang se glacer dans ses veines. La porte d’entrée derrière elle venait-elle de grincer sur ses gonds ?

S'il y avait bien des choses que Dâriush n'aimait pas (et il y en avait des tas), c'était d'être interrompu dans ces lectures. Avec la vie qu'il menait en tant que guérisseur, l'iranien avait un mode de vie assez décousu, l'empêchant d'avoir un rythme normal comme pouvaient l'avoir ses sœurs ou leur père. Cela ne le dérangeait pas plus que ça, au contraire. Il avait très vite découvert que la nuit, par exemple, était son moment de relaxation préféré. Se mettre à la lueur d'une bougie, sur son lit, à écouter une émission, à lire un livre (peu lui importait que ce fût des poèmes, du théâtre, des histoires ou des romances) ou à s'essayer à la poésie, c'était des moments qu'il jugeait privilégier, car il n'avait besoin de les partager avec personne.

Mais ce soir-là, ou cette nuit-là, ou, peu importe, il était tard le soir, ou très tôt le lendemain, Dâriush se trouvait agacé par le boucan qui se déroulait sous sa fenêtre. Fronçant les sourcils, persuadé d’avoir entendu le bruit d'un alpaga sans savoir que c'en était un, il se contenta de soupirer, en espérant que cela ne dure pas. Pourtant, cela semblait s'éterniser quelque peu jusqu'à ce qu'ils entendent les bruits d'une conversation.

Agacé, l'iranien soupira. Saisissant son pantalon qu'il enfila rapidement avant d'attraper un pull qu'il vêtit tout en sortant de sa chambre, Dâriush s'apprêtait à aller voir ce qu'il se passait. Du grabuge à cette heure devant la boutique de son père, ce n'était pas bon. Bien au contraire. Si d'autres voisins agacés sortaient pour voir ce qu'il en était, Dâriush était sûr qu'ils en parleraient à leur père, et en plus d'une mauvaise publicité, ça n'était toujours pas bon que de se brouiller avec ses voisins.

Arrivant au rez-de-chaussée, Dâriush semblait reconnaître la voix de sa sœur. Secouant la tête, il se dit que c'était juste des jeunes un petit peu trop ivres. Tentant de se convaincre qu'il était capable de le faire en fouinant dans ses maigres réserves de courage, il prit une profonde inspiration pour pousser la porte de la boutique.

« - Excusez-moi, je- »

Sa voix se coupa. Le souffle disparut de son torse, incapable de continuer sa phrase. Au lieu d'un groupe de jeunes, il y avait bel et bien sa sœur, oui, avec un homme. Un seul. Et un Alpaga. Ou un truc comme ça. Dâriush n'en avait jamais vu.

Un mélange d'émotions surgit alors en lui. De la colère au dégoût, de la rage à de la frustration, de la haine à l'amour, tout semblait se lire sur le visage d'un frère qui ne cherchait qu'à protéger l'honneur de sa famille, mais surtout la dignité de sa sœur.

Alors, il jeta un bref regard vers l'homme qu'il se jura de tuer un de ces jours avant de poser son regard sur le visage de sœur.

« - Mira, rentre, s'il te plaît. »

Il s'était exprimé en parsi, les émotions découpant sa phrase de façon à ce que l'on comprenne bien l'étendue de sa colère. Dâriush était à deux doigts de fulminer. Son cœur battait la chamade, mais surtout, il avait cette curieuse impression que le temps autour de lui s'était arrêté.

Mira aurait préféré qu’un éclair la frappe, là, immédiatement, plutôt que de se retrouver devant son grand frère au visage crispé par la colère. Cela dit, ce face à face lui fit un peu le même effet et elle se figea un instant, se sentant soudain redevenue cette petite fille qui lui devait respect et obéissance.

Il s’exprima en parsi, un moyen comme un autre de lui rappeler que les étrangers à leur famille et à leur culture n’étaient pas les bienvenus ici. Mais Mira sentit qu’Ebenezer derrière elle n’allait pas rester sans réagir, et ce dernier ne tarda en effet pas à répliquer, de la manière la plus surprenante possible.

Mira fixa l’agent avec des yeux écarquillés sans aucune réaction. Dans toute autre circonstance, elle aurait éclaté de rire, certainement sans pouvoir s’arrêter – sa nervosité renforçant son hilarité. Mais l’éclat de fureur dans les yeux de son frère lui avait ôté toute envie de s’amuser de lui. La tirade d’Ebenezer eut au moins le mérite de la sortir de sa torpeur, et de lui faire reprendre conscience de sa place, de son désir de liberté et d’indépendance face à ce carcan familial par moments oppressant.

La jeune Aslan se tourna vers le Langue-de-Plomb avec un léger sourire. Il la forçait à se déclarer et à se positionner dans un contexte familial complexe. Mais après tout, pourquoi attendre ? La difficulté serait la même dans six mois. Et face à sa précédente révélation, elle lui devait bien cela.

- Vous vous êtes déjà rencontrés en fait. A Sainte-Mangouste… Mais tu devais sans doute être trop dans les vapes pour t’en souvenir.

En inspirant profondément, elle reporta son attention vers son frère en s’exprimant uniquement en anglais, sans une once d’accent.

- Dâriush, je te présente Ebenezer, mon petit-ami. Je suis désolée si on t’a réveillé, et j’aurais aimé te le présenter dans d’autres circonstances mais… Voilà, c’est ainsi.

Son ton était sans équivoque et n'attendait aucune réponse en retour. La lumière de l’éclair venait de frapper la scène, et le grondement du tonnerre n’allait pas tarder à rappliquer. Avant que son frère n’implose littéralement sous leurs yeux, elle se tourna une dernière fois vers Ebenezer.

- Il vaut mieux que tu rentres maintenant. Tu n’as pas à être témoin de tout le reste.

C’était lui tout autant que son frère qu’elle souhaitait préserver. Ne pouvait-elle conserver leur amour à tous deux ? C’était pourtant son vœu le plus cher. Mais la situation actuelle ne pouvait que mal se terminer si elle n’y mettait fin au plus vite. Elle n’avait pour l’heure d’autres meilleurs alliés que le temps, et peut-être sa sœur Narghis (@Iris Faux-OrpinHELP).

- Va rendre Jimmy à son maître, je te recontacte demain.

Et sans oser un nouveau geste tendre à son égard, la mécamage se contenta de lui lancer une oeillade avant de tourner les talons pour se faufiler à l’intérieur du bâtiment, entraînant son frère derrière elle. La jeune Aslan venait d’assumer ouvertement la nature de sa relation avec le sorcier britannique. Pour autant, elle acceptait sur le moment de se plier aux règles de son frère, en rentrant à ses côtés. En jouant sur les deux tableaux, elle risquait très bien de se mettre à dos les deux hommes qui habitaient le plus ses pensées ces derniers temps. Seul l’avenir le lui dirait.