Love like this (Siobhán)

Sur l’herbe parsemant le domaine de Caisleán Korrigan, une silhouette menue avait marqué un temps d’arrêt. Elle regardait, un peu plus loin et avec une curiosité non dissimulée, le tableau qui se dessinait devant elle.

Le portrait de l’homme à qui elle emprunterait bientôt son nom, face à la mer qui s’échouait sur les rochers dans un vacarme terriblement ressourçant.

Un sourire se dessina sur les lèvres de Siobhán. Edel l’avait prévenue au dernier moment de son arrivée, comme il l’avait demandée en mariage un peu plus d’un mois avant la date à laquelle il aurait lieu. Elle repensait à cette note qu’il lui avait envoyée, et les mots on-ne-peut-plus exacts qu’elle avait porté jusqu’à elle : « Je suis la surprise de ta vie. »

Il ne croyait pas si bien dire.

Impossible d’envisager de le contredire dès lors que leur rencontre en elle-même était une surprise à part entière.

Reprenant le rythme de ses pas, l’Irlandaise prenait tout son temps pour arriver jusqu’à lui. Pas parce qu’elle n’était pas pressée de le retrouver, mais parce qu’elle aimait la beauté de cette peinture qui s’offrait à elle.

Faire durer ce moment était un moyen de le garder dans son esprit, à tout jamais.

La magie ne se brisait même pas quand il la regardait. Bien au contraire. C’était encore plus fort quand leurs regards se croisaient.

Il ne fut pas long à la rejoindre, et la jeune femme restait fidèle à elle même quand elle lui demandait, heureuse de le voir : « Tu m’emmènes où ? »

Edel aussi restait fidèle à lui-même en décidant de ne pas lui répondre, préférant encore lui offrir un nouveau spectacle en transplanant alors que n’importe qui les aurait observés depuis le château aurait pu penser qu’ils s’apprêtaient à danser.

Aussitôt que Siobhán réouvrit les yeux, ce fut un nouveau paysage qui lui était donné de voir. De ceux dont elle serait probablement incapable de se lasser, même en se levant chaque jour avec la même vue. Avec la même personne. Au même endroit.

Ils étaient à Londres. Tous les deux. Sans personne autour d'eux. Et cette idée la galvanisait tant elle était pleine de possibles qui n’attendaient qu’eux pour se réaliser. Autant que ce souffle dans son cou qui lui fit fermer les yeux pour mieux profiter de l’instant. Comme s’il avait une chance de durer éternellement.

« Tu réalises que dans treize jours, ce sera toi, moi, et le reste du monde tous les jours, et pas seulement certains soirs ? »

Elle avait chuchoté. Comme si elle avait peur que le moindre son, le moindre geste, fasse éclater cette bulle qui était en train de se former autour d’eux. D’humeur dansante, elle se retournait pour appuyer son dos contre la baie-vitrée. Bien-sûr, le paysage de Londres était parmi les plus merveilleux qu’il lui ait été donné de voir. Mais elle n’avait pas eu sa dose journalière de celui vers qui son regard se relevait.

« Un avenir radieux. C'est ça que je vois. »

Elle n’avait même pas réfléchi. C’était sorti naturellement. Que pouvait-elle voir d’autre dès lors qu’il était dans son champ de vision ?

« Et toi ? »

Ses yeux plongés dans les siens alors qu’elle attrapait sa main, sans pouvoir se permettre une révérence tant leurs corps étaient rapprochés, elle lui posait une autre question fatidique, celle qui la tarabustait depuis qu’ils en avaient parlé dans leurs notes, la dernière fois.

« Monsieur Almadovar. M’accorderiez-vous cette danse ? »

Son regard dans le sien donnait un rythme nouveau à son cœur, et ce à chaque fois que l’alchimie se créait. Siobhán n’en finissait pas de succomber à ces yeux qui frôlaient les siens dans une douceur sans pareil. Et si son nom de famille viendrait à nouveau s’allonger bientôt, la jeune femme n’en restait pas moins le délicat mélange Korrigan-Gavalagh qu’elle avait toujours été depuis son premier cri, ses premiers pleurs.

Têtue, un brin obstinée, elle savait par avance qu’Edel ne chercherait jamais à la changer. Qu’il se contenterait de l’embellir, de la rendre meilleure qu’elle ne l’était la veille, comme il le faisait déjà depuis qu’ils s’étaient rencontrés.

« Treize, j’insiste. » Hors de question de ternir à sa réputation, même si elle allait se marier. « On ne compte pas le jour qui est en cours. C’est la règle. Tu ne peux quand même pas toutes les briser. »

Les yeux rivés sur ses lèvres en pensant tout à coup qu’elles seraient celles qu’elle embrasserait sans cesse dans cette éternité qui leur appartenait, un sourire se dessina sur les siennes.

Bien sûr que si, il le pouvait.

Si Siobhán chercherait parfois à le raisonner, jamais elle ne l’empêcherait de prendre ses propres décisions. Jamais son libre-arbitre ne serait entaché par sa personne. Elle se contenterait d’intervenir devant les menaces et les risques, et c’était aussi pour ça qu’elle avait accepté de l’épouser. Pour les bons côtés, certes, mais aussi tous ceux, plus sombres, qui pouvaient subsister, là, tout près du meilleur qui restait à venir.

Laissant ses pensées virevolter dans son esprit, elle ne lésinait pas sur son plaisir de passer du paysage qui se reflétait dans ses yeux à ce qu’elle rêvait d’embrasser, encore et encore. Et, pour son plus grand plaisir, ce fut lui qui succomba le premier, non sans avoir effleuré son corps auparavant. Elle se contentait de se laisser aller avec tendresse, de même que ses mains volontairement baladeuses et baroudeuses qui ne se lassaient décidément pas de tracer leur propre route sur sa peau dont le parfum l’enivrait, sans jamais qu’elle ne s’y habitue.

« Tu peux recommencer ça autant que tu veux », murmura-t-elle en parsemant son cou de baisers. Puis, elle reprenait son sérieux pour mettre en pratique tout ce qu’elle avait appris, secouant sa tête comme pour mieux récupérer le fil de ses idées. « Alors. Donc. Oui, je me suis entraînée, mais pas avec des vivants, et les fantômes ne ressentent rien quand je leur marche dessus. Tes chaussures ont intérêt à être solides. Et toi aussi. » Peinant à se concentrer maintenant qu’il était là et qu’il sous-entendait qu’il deviendrait son colocataire non-officiel pour l’année suivante, Siobhán s’appliquait à placer ses mains correctement tout en lui réclamant les siennes, sachant pertinemment qu’elle n’avait pourtant pas besoin de le faire. « Toi aussi tu enfreindras le règlement. Tu sais pourquoi ? » Sans attendre de réponse, elle continuait. « Parce que tu sais que mon lit est nettement plus confortable que le tien. »

Et que le reste de son dortoir resterait vide, maintenant que @Céleste Delacroix était partie. À cette pensée, elle sentit son cœur se fêler légèrement. Mais il était hors de question de laisser ce genre d’idée germer dans son esprit.

Edel comblait sans le savoir le vide que les autres laissaient derrière eux.

Alors, quand elle eut l’impression d’être correctement placée, la jeune femme reporta toute son attention sur son partenaire et entama une valse lente et légère, sans rien demander, parfaitement au fait qu’Edel allait la suivre.

« Pourquoi ici, au fait ? », demanda-t-elle doucement à son oreille en observant de temps à autre le paysage ensorcelant qu’il lui proposait alors que le soleil leur offrait ses derniers rayons. « Je vais finir par prendre goût à ces voyages surprise, tu sais. » D’abord le Mexique de la salle sur demande, maintenant le Londres moldu. « Et ce sera où, la prochaine fois ? On n’a pas encore parlé de notre voyage de noces. »

Son sourire s’était fait malicieux alors qu’elle savait déjà exactement où elle voulait aller.

Et s’il la connaissait assez... Il saurait qu’elle savait.

Edel savait pertinemment l’affront qu’il lui faisait en insistant sur une erreur qu’elle avait intenté de corriger. Et il en jouait. Parce qu'il aimait jouer.

Quand Siobhán était sûre d’elle, il n’y avait rien qui pouvait la dérouter de sa volonté d’avoir le dernier mot. Il le savait, elle le savait, et tous deux allaient certainement devoir apprendre à composer avec, car c’était là un trait de sa personnalité qu’elle n’avait jamais réussi à effacer, tant il pouvait prendre toute la place dans ce qu’elle était.

« Treize, je t’assure », dit-elle en s’éloignant de son visage pour insister sur ce qu’elle était en train d'affirmer. Peut-être qu’en croisant son regard, il comprendrait qu’elle ne comptait pas lâcher l’affaire. « Et en plus, ça fait moins de jours, comme ça. Quatorze, c’est beaucoup trop. Treize, ça fait un de moins. Et puis, tout est prêt de toute façon. On pourrait presque se marier aujourd’hui. Ici. Tous les deux. »

Il fallait dire que plus la date fatidique se rapprochait, plus elle avait hâte. Et à mesure que le tempo de leurs corps s’harmonisait, à l’image du rythme de leurs battements qui s’accommodaient systématiquement l’un à l’autre, Siobhán se disait qu’il s’agissait de la décision la plus sensée qu’il lui avait été donnée de prendre.

N’en déplaise à tous ceux qui pouvaient penser le contraire, au fil des années, elle mieux que personne avait su ce qui était bon pour sa personne. Depuis le premier soir, et même s’il avait tenté de la faire sortir de ses gonds, Edel avait eu cette influence silencieuse sur elle, la même qui s’exerçait en ce moment-même sur le rythme de leurs pas en symbiose.

« Tu vas regretter d’avoir fait ta demande. Tu vas souvent finir à Sainte-Mangouste. Parce que je crois bien que je pourrais danser avec toi comme ça tous les jours… »

Son chuchotement avait glissé cette vérité à son oreille comme s’il s’agissait d’un secret. Et même si la cadence de ses pas était loin d’être parfaite, elle ne demandait qu’à apprendre à ses côtés.

Parce que Siobhán aimait apprendre. À partir de rien ou de ses erreurs, ça n'avait aucune importance.

D’une vie qui serait ponctuée de hauts et de bas, elle voulait en faire un fleuve, tumultueux par moment, mais toujours voué à regagner le large. Elle était un affluent, Edel en était un, aussi. Et quelque part, elle avait la conviction qu’ils étaient faits pour se (re)trouver.

De jour comme de nuit.

« Ose me dire que tu n’auras pas un sourire jusqu’aux oreilles si tu me vois passer la porte. Et je viendrai juste pour ce spectacle-là. Parce que... Je ne m’en lasse pas. »

Et pour s’endormir à ses côtés, aussi.

Parce que ça non plus, elle ne s’en lassait pas.

Il se montrait taquin quand son amour pour lui démontait toutes ses supercheries. Non pas qu’elle ne prenait pas au sérieux ses paris — elle se retrouverait à tout moment sans le sou, si elle n’y prêtait pas suffisamment attention — mais il y avait des aveux qui brûlaient ses lèvres depuis qu’elle savait que leurs vies seraient reliées par les liens sacrés du mariage. Et en haut de cette tour, là où il était le seul à pouvoir les entendre, elle n’aurait pu rêver meilleur endroit pour les dire à haute voix. Alors, elle saisissait avec un sourire toutes les perches qu’il lui tendait, sans même le savoir.

Tentant de faire fi de ses mains baladeuses tantôt sur ses hanches, tantôt dans son dos. De temps à autre, elle passait sa main sous ses vêtements pour répondre à l’appel de sa peau qui cherchait la sienne. Elle gardait son cap, les yeux rivés sur cet horizon qu’il lui offrait. Parce qu’elle savait bien maintenant qu’un seul pas de travers suffisait pour les faire basculer dans une toute autre atmosphère.

« Qu’est-ce que tu dessines et quand est-ce que je pourrai le voir ? »

Avec Edel, rien n’était servi sur un plateau d’argent.  Ni les réponses, ni quelconque information, d’ailleurs. Pour cette raison, Siobhán anticipait, sachant pertinemment qu’il n’allait pas lui montrer aussi facilement ses dernière œuvres. Qu’elle allait, quelque part, devoir s’en montrer digne, ou, le cas échéant, attendre qu’il soit prêt à les lui partager.

En attendant, elle était bien trop excitée à l’idée de lui faire part de ce qu’elle avait en tête pour laisser planer un suspens qu’elle ne parviendrait de toute façon pas à tenir.

« Je veux faire le tour des îles du Mexique. Je veux toutes les voir. Et je veux toutes les voir avec toi. » Stoppant leur danse mais conservant cette proximité affriolante, elle posa un doigt sur son torse pour insister sur ce avec toi qui faisait toute sa différence.

Parce que sans lui, tout avait beaucoup moins de saveur — à commencer par la vie.

Un regard victorieux prit rapidement possession de ses yeux bleus. Edel n’avait pas surenchéri et cette satisfaction d’avoir trouvé l’argument qui donnait raison suffisait.

Pourtant, la frustration d'un moment de silence prit rapidement le-dessus, alors que Siobhán aurait probablement pu débattre avec lui pendant une nuit complète si cela avait signifié pouvoir entendre sa voix tout du long. Toute en contradictions, elle afficha une petite moue déçue sur son visage, l’air de demander s’il était sûr de vouloir s’arrêter là quand, finalement, il reprit la parole, attisant dans son cœur des battements plus soulagés. Plus rythmés.

Chaque plaisanterie était l’occasion rêvée de sentir la main d’Edel la ramener avec force et puissance contre lui. Aussi, elle ne se lassait pas de feindre un écart, quand elle n’envisageait en fait d’aller nulle part.

Sentir son souffle dans son cou la comblait d’une énergie nouvelle dont elle ne savait se passer, et il le savait. Il acceptait malgré tout de jouer le jeu et, quelque part, ça la transcendait.

« Pas besoin d’abonnement », lui dit-elle en arquant un sourcil, feignant d’être vexée. « On en a un dans la famille. Eurion. Il est excellent. Pas toujours commode, mais excellent. Ça doit être quelque chose que j’ai hérité des Cynfeirdd d’ailleurs. L’absence de complaisance au profit de l’excellence. Tu le verras bien assez tôt. »

Ses derniers mots chuchotés, elle se mordait la joue, partagée entre la plaisanterie et la vérité. Edel n’était pas sans savoir que la perfection était son objectif de tous les jours, autour duquel aucune trace de médiocrité n’avait sa place. Elle était un curieux mélange d’exigence et d’amour pur et quand il s’agissait des personnes qu’elle aimait, elle était capable des plus belles concessions.

« Bientôt, quand ? » ne put-elle s’empêcher de rétorquer, éloignant sa nuque de ses lèvres à contre-cœur. Comme pour compenser ce contact perdu, elle se jouait de ses doigts entre les siens, comme s’ils pouvaient se nouer pour ne plus jamais se défaire. « Elle était dans la liste, celle-ci. Je me demande quelles créatures ou êtres on peut y voir en liberté. Peut-être… peut-être qu’on pourrait voir des sirènes. Dans les eaux chaudes, elles sont complètement différentes des selkies qu’on peut voir par ici. Je rêve d’en voir depuis toute petite. Tu en as déjà vu, toi, au Mexique ou dans d’autres pays que ta maman vous a fait visiter ? »

Sa voix s’était accélérée, signe qu’elle s’emballait, et elle vint nicher à son tour son visage dans le cou d’Edel pour cacher cet engouement soudain — et ses joues qui rosissaient à chaque fois qu’elle réalisait qu’elle se laissait porter par ses passions.

Ou bien étaient-ce la pression de ces lèvres aventureuses qui la perturbait ? Quoi qu’il en soit, il n’y avait plus rien à cacher quand il attrapa son visage dans ses deux mains, quand elle cherchait à rapprocher son corps au plus près du sien avant qu’il ne la guide un peu plus loin.

Immédiatement, et maintenant que l’habitude avait pris ses quartiers, Siobhán voyait très clair dans son petit jeu. Il avait ce regard et ce sourire un brin enjôleurs qu’elle ne connaissait que trop bien pour y avoir trop souvent succombé sans même entrevoir une lueur de défaite chez lui. Sans parler de ses baisers et de cette passion fugace et intense qui transparaissait dans chacun d’eux… Non, ce soir, ce n’était pas elle qui craquerait, et elle posa ses coudes en arrière, dévoilant plus largement ses courbures fines, pour lui montrer, elle aussi, toute l’ampleur de sa ténacité.

« Pourquoi ? » chuchota-t-elle, une lueur de défi dans les yeux. Ses jambes se nouèrent derrière-lui pour l’empêcher de partir et le forcer à rester au plus près d’elle. « Explique-moi. Dis-le moi. J’ai tout mon temps. Dis-moi ce que tu penses et je te dis ce que j’en pense. L’inverse peut se faire aussi. »

Bien qu’elle n’était pas tout à fait sûre de pouvoir lui dire à haute voix la totalité de ce qu’elle pensait.

Ou peut-être que si.

Mais lui, était-il prêt à l’entendre ?

Ses iris se troublèrent sous le passage furtif d’un voile d’inquiétude à peine transparent, au moment où Edel mentionna qu’il n’envisageait pas de rendre souvent visite au médicomage de la famille.

C’était une bonne nouvelle en soit… si Siobhán n’avait pas eu de pressentiment, venant l’accompagner.

Ce n’était pas qu’Edel n’avait pas eu besoin de s’y rendre parfois. Ça signifiait juste qu’il était de ceux qui subissaient et attendaient tranquillement que ça passe, quitte même à ne rien dire voire camoufler le mal pour n’inquiéter personne.

« On va faire en sorte que tu n’aies jamais besoin de lui rendre visite, de toute façon hm ? », demanda-t-elle sans vraiment attendre de réponse.

Il flottait encore dans sa tête, le souvenir de cet aveu de l'altercation qui avait opposé @Finn Gavalagh-Korrigan et Edel. Siobhán, quand elle l'avait appris, avait cru devenir folle, et, pendant quelques jours, elle en avait voulu à son frère jumeau de s’être ainsi délesté de sa hargne innée sur celui qu’elle avait choisi.

Peu importait qui était le fautif, peu importait si l’un avait cherché l’autre ou si l’autre avait cherché l’un : la violence n’était jamais une solution lorsqu’il s’agissait d’une simple querelle du quotidien. À les écouter, le différend était réglé, quand elle ne comprenait toujours pas cette sale manie qu’avaient les hommes de sa vie à croire qu’ils étaient en mesure de décider à sa place, voire d’influencer ses choix — ou même s'octroyer le droit de faire en sorte d’éloigner ceux qu’ils jugeaient dangereux.

Mais au-delà de ça, c’était bien cette violence démesurée qui la dépassait, et surtout que Finn ait pu penser un seul instant pouvoir régler le problème en balançant son poing dans le visage d’un autre, qui n’était autre que celui qui allait partager la vie de sa sœur.

Les dents de Siobhán se serraient à ce simple souvenir, et ses mâchoires peinaient à cacher ce ressentiment persistant qu’elle tentait pourtant de mettre de côté.

Il était son frère, bien entendu, mais fallait-il pour autant tout lui laisser passer ?

Une vision bien plus agréable vint la sortir de ses pensées acerbes, alors qu’elle pouvait déjà imaginer à quoi ressemblait une île peuplée de 150 espèces protégées différentes, vivant en harmonie. Si elles en étaient capables, alors pourquoi certains humains peinaient-ils encore à coexister ?

« Une île vide de touristes et remplies d’animaux qu’on aurait nulle part ailleurs que dans des livres ?  On signe où ? », demanda-t-elle en feignant d’attraper sa main et de gribouiller à l’intérieur. « Oh bah tiens, c’est déjà fait. Vendu. Notre voyage de noces se fera sur… comment on dit déjà... l’Ila Contoa ? » sa prononciation laissait à désirer et elle le sentait. La médiocrité de son accent n’était pas du plus bel effet. « Je peux signer pour des cours… d’espagnol, aussi ? »

Heureusement que sa voix s’était rattrapée au dernier moment alors qu’elle allait parler de cours de langues, quand Edel était déjà parti pour s’aventurer au creux de son cou, là où son souffle savait faire naître une nuée de frissons sur sa peau de porcelaine. Basculant la tête en arrière pour le laisser y voyager à sa guise, elle sentait les battements de son cœur donner de plus en plus fort, de plus en plus vite, quand elle savait qu’il était déjà temps de ralentir la cadence si elle ne voulait pas céder.

Laissant glisser ses jambes insidieusement autour de sa taille, Siobhán se relevait pour rapprocher son torse du sien, son cœur en symétrie avec le sien. De là où elle était, elle sentait leur grain de peau s’effleurer, leur souffle se mélanger. Et si elle avait tout particulièrement envie de se laisser tenter par tout ce qu’il lui laissait entendre sans même parler, elle gardait son cap, se concentrant sur ces sirènes qui n’avaient cessé de la captiver à travers les années.

« Elles construisent des villages entiers sous la terre, tu serais étonné… de voir la beauté de leurs maisons et la façon dont elles sont organisées les unes par rapport aux autres. », souffla-t-elle sans parvenir à élever trop la voix, de peur qu’il en saisisse des nuances sur lesquelles il viendrait appuyer pour la faire basculer.  « Ce sont des architectes de génie et elles ont un savoir-faire inégalé dans la fabrique d’artefacts qui ferait rougir les Gobelins… Oh, Edel. »

Aucune résistance ne se fit sentir quand il la fit basculer sous son poids. Bien sûr, il l’avait entraînée sur un terrain familier pour la distraire et l’amener à penser à autre chose. Mais la vérité, c’était qu’elle avait parfois du mal à penser à autre chose qu’à lui, surtout quand il n’y avait qu’eux contre le reste du monde, comme c’était le cas en cet instant.

« J’ai la chance d’avoir une partie importante de mes passions juste en face de moi, ça n’est pas donné à tout le monde », susurra-t-elle tout près de son oreille avant de rire doucement. Sa personne les incarnait et lui donnait envie d’en vivre à chaque instant, sans chercher à se priver, sans surtout se restreindre. « Je sais un certain nombre de choses, en effet. » Une grande inspiration vint remplir ses poumons alors que son parfum faisait déjà tourner sa tête et qu'elle ne pouvait s'empêcher de sourire avec malice. Il fallait qu’elle se raisonne. « Mais il va falloir commencer à répondre à mes questions, sans quoi je suis vouée à les répéter éternellement jusqu’à entendre ta voix me donner une réponse. Donc, je te le demande une nouvelle fois, pourquoi tu me montreras tout ? »

Elle ne perdait pas le nord, ni le sud, ni l’ouest, ni l’est d’ailleurs, pas plus que dans la salle commune quand il avait essayé à maintes reprises de la déjouer pour lui laisser tout le loisir de se questionner indéfiniment. Siobhán était du genre déterminée, peu encline à se faire embobiner. Par contre, quand il était question de l’embobiner lui, c’était une toute autre affaire. Posant ses lèvres sur les siennes, elle divaguait jusqu’à la naissance de ses épaules, soulevant ce morceau de tissu on ne peut plus inopportun grâce à son souffle qui s’y glissait.

« J’ai hâte… » murmura-t-elle pour lui seul, s’aventurant volontairement sur un terrain qu’elle savait dangereux. « J’ai hâte de devenir ta femme et de découvrir chaque jour un peu plus ce que tu aimes et que tu ne m’as pas déjà montré. J’ai hâte de te montrer à quel point je peux aimer beaucoup de choses, moi aussi, mais toi tout particulièrement. Comme personne ne l'a jamais fait. »

Marquant un temps d’arrêt, elle saisissait sa main dans la sienne pour embrasser cette bague, la guidant ensuite jusqu’au creux de son cou, là où sommeillait ce pendentif qu’elle n’avait plus jamais posé depuis qu’il lui le lui avait offert.

« Dis-moi ce que tu sens. Décris-moi ce que tu ressens. Et n’essaye pas de m’avoir, parce que je le saurai. »

Il fallait qu’elle se concentre sur sa voix pour oublier ces gestes qui la submergeaient.