Love like this (Siobhán)

La frénésie d’un moment hors du temps manqua de l’emporter dans son sillage.

Le souffle de Siobhán se faisait plus court à chaque baiser, et il semblait qu’Edel en demandait encore, à en croire le nombre de fois où ses lèvres effleuraient les siennes.

Il aimait lui faire perdre la raison.
Elle l’aimait à en perdre la raison.

Son corps entrant en harmonie avec le sien, elle oublia même de se demander s’il y avait âme qui vivait à l’étage où ils se trouvaient, faisant abstraction un instant de ce temps qui continuait de s’écouler lorsqu’ils étaient ensemble. C’était une vérité qui avait du mal à s’ancrer dans son esprit, tant il semblait ralentir à chaque fois que ses bras l’entouraient. À chaque fois qu’il lui disait qu’il l’aimait. Comme si c’était la réponse à toutes ses questions. Et, dans un sens, c’était le cas. Il était sa réponse immuable, celle sur laquelle elle pourrait toujours s’appuyer lorsque le monde autour d’elle devenait trop complexe pour être compris.

Elle ne trouva rien d’autre à dire que de sourire. Ces mots étaient si précieux qu’ils ne perdaient aucunement de leur valeur avec le temps, laissant toujours derrière eux une lueur de passion briller dans ses yeux bleus.

S’il savait à quel point elle l’aimait, elle aussi. Au point de joindre sa vie à la sienne, prendre son nom, grandir et vieillir à ses côtés. C’était un amour digne de toutes les plus grandes folies ; un 4x100 mètres toute habillée dans la Tamise, raconter une blague à un Household Troops pour essayer de le faire rire, sauter dans le vide les yeux bandés  depuis la pointe de Big Ben. Lui répondre qu’elle l’aimait aussi depuis la plus haute cabine du London Eye, après avoir bloqué la machine en route. Et rester coincés, Londres à leurs pieds.

Lui répondre qu’elle l’aimait aussi depuis la plus haute cabine du London Eye, après avoir bloqué la machine en route.

Et rester coincés.

Londres à leurs pieds.

Ses pupilles s’allumèrent alors qu’elle savait qu’elle céderait à ses élans, si elle ne faisait rien. A ce coeur battant qu’elle sentait s’éveiller sous sa peau. A cette peau, justement, qui chauffait la paume de sa main à travers des vêtements dont elle rêvait déjà de le débarrasser.

Siobhán se rappelait bien ce qu’elle avait pensé, le premier soir. Pourquoi fallait-il qu’Edel soit si insupportablement séduisant ?

« Je suis troublante seulement parce que je suis troublée. »

Elle voulait le voir céder avant elle.

Et se laisser tenter par les plus grandes folies auxquelles son esprit sage était capable de penser.

« Tu seras là. Parce que moi je compte bien être là à chacun de tes exploits. Même si la prochaine fois, je te jure qu’on restera jusqu’à la remise des prix », murmura-t-elle à son oreille, son souffle saccadé.

L’embrassant avec toute la passion qui la brûlait de l’intérieur, elle se releva sans même prendre la peine de s’interrompre le guidant avec son corps jusqu’au mur le plus proche, non sans s’adonner au plaisir d’effleurer sa peau du bout des doigts, alors que leur proximité pouvait la faire basculer à tout moment.

Par cette étreinte qui n’en finissait plus, il croirait sûrement qu’elle allait succomber. Elle aussi, d’ailleurs, manqua de glisser sur un fil tendu en passant ses doigts fins entre les siens.

Ce trébuchement soudain eut pour effet de la sortir de sa torpeur, alors que son idée ne quittait pas ce recoin de sa tête.

« Viens avec moi, on sort », souffla-t-elle en s’arrachant malgré elle à celui qui animait tous ses désirs, gardant néanmoins un contact constant avec sa main comme si le toucher signifiait ne jamais le perdre de vue.

Le Shard serait encore là à leur retour, et elle connaissait désormais assez bien Edel pour savoir qu’il ne faisait pas les choses à moitié et qu’il l’aurait probablement réservé pour quelques heures.

Jeune fille gâtée, elle voulait tout, toujours, tout le temps. Les compromis, ça n’avait jamais vraiment été son truc.

Le guidant sans dénouer ses doigts des siens, elle savait qu’ils devaient marcher quelques centaines de mètres avant d’atteindre le but qu’elle s’était fixé, dans une folie ravageuse.

Le London Eye avait largement de quoi rougir de la vue du Shard. C’était même le jour et la nuit et, d’ailleurs, le spectacle de ce voile sombre tombant serait certainement moins impressionnant vu d’ici. Mais elle aimait l’idée de faire cette attraction populaire à Londres, comme n’importe quel autre moldu. Se fondre dans la masse.

Elle aimait l’idée de cette simplicité.

Et, plus que tout, elle l’aimait lui.  

Sans rien lui dire sur le trajet même si elle en mourrait d’envie, la jeune femme s’arrêta devant la grande roue une fois qu’ils furent devant.

« Tadaaaaa », dit-elle de sa voix douce et chantonnante.

Edel se demanderait probablement pourquoi elle l’avait amené ici quand elle avait eu mille fois mieux sous ses pieds. Et elle ne saurait rien lui répondre d’autre que de lui avouer qu’elle avait fait comme il lui avait toujours demandé de faire.

Se montrer comme elle était.

Et elle était parfois comme ça, à avoir des idées tordues, des envies sorties de nulle part qu’elle voulait simplement assouvir.

« On va monter dans une de ces cabines, toi et moi », expliqua-t-elle en montrant l’une d’elles du doigt. « Comme tous les touristes, là. Et le but de cette machine, je crois, si j’ai bien compris, c’est que ça va, euh… tourner, et ça va nous emmener en haut, et une fois en haut… ça se bloquera. Comme par magie. Jusqu’à ce que ça se débloque. Comme par magie. Et à ce moment là, la cabine qui sera plus haute que toutes les autres, ce sera la notre. »


Elle n’avait pas mis longtemps avant de lui faire part de son plan, et ça n’avait pas grand intérêt en soit, de bloquer pendant quelques minutes seulement une attraction comme celle-là.

Si ce n’était, sans aucun doute, ajouter une pièce de choix à sa collection de souvenirs avec Edel.

Sentir Edel tout près, à l'intérieur ou à l'extérieur de n'importe quel bâtiment, lui procurait des sensations qui n'avaient nul autre pareil.

Siobhán avait curieusement le sentiment d'avoir trouvé en lui cette autre moitié dont elle n'avait jamais réellement manqué et qui, pourtant, comblait aujourd'hui un vide immense dans son cœur auquel elle avait probablement dû s'habituer au fil des années.

Ne parvenant à s'arracher à chacune des réactions qui naissait sur son visage, elle n'avait pas manqué la narquoiserie qui y avait fait son apparition lorsqu'elle s'était lancée dans des explications sur le fonctionnement de la grande roue. Comment avait-elle pu penser un seul instant qu'il n'avait pas déjà étudié le sujet d'un monument qui se voulait à la fois une prouesse architecturale moldue et un exploit mécanique à part entière, sous toutes les coutures ?

Guidée par cette main qui l'emmenait dans son sillage, Siobhán oublia rapidement ses réflexions, se concentrant intégralement sur la beauté de ce moment, alors qu'Edel la poussait toujours plus loin que ce qu'elle pouvait bien imaginer. La preuve une fois encore ; elle se serait contentée d'une cabine privatisée, bloquée au point culminant de la Grande Roue, quand il avait voulu une grande roue intégralement pour eux. Elle n'avait pu s'empêcher de sourire bêtement en voyant qu'il l'amenait toujours plus loin.

À voir toujours plus grand dans ses yeux où elle apercevait l'avenir se refléter.

« Liste-moi les pays où ta maman vous a emmenés Neizan et toi. », lui demanda-t-elle alors qu'elle s'était laissée guidée contre la paroi de la cabine, dans un monde où il n'y avait désormais plus qu'eux. Littéralement. « Ceux où on retournera ensemble, toi et moi. »

De mémoire, elle lui avait déjà posé la question dans la Salle sur Demande, sans qu'il ne prenne pour autant la peine d'y répondre. Comme si son quota avait déjà expiré, ce jour-là. Et si elle était une grande curieuse, elle ne se lassait pas de l'interroger.

Car chaque réponse qu'il lui apportait était plus belle que la précédente, et qu'elle était de toute façon suffisamment têtue pour les reposer quand le besoin se faisait.

Mais son regard qui caressait sa peau la détournait de sa volonté de tout savoir. Parce qu'à cet instant, il n'y avait que lui qui comptait, et ce moment suspendu dans le Sharp qui reprenait comme s'il n'avait jamais été interrompu pour le mener vers d'autres horizons où les limites n'existaient plus.

Ses joues rosissaient, son corps frémissait, elle réagissait. A chacune de ses paroles, chacun de ses gestes, chacun de ses souffles. Il n'y avait rien qui pouvait la détourner de lui. Il était tout ce qu'elle voyait, dans cette cabine et en dehors. Ne résistant à l'envie de l'embrasser alors qu'il se demandait ce qu'il se passerait si la panne du mécanisme du London Eye se faisait plus longue à réparer que prévu, elle posa ses lèvres sur les siennes dans un élan qu'elle ne pouvait retenir, déposant ses deux mains sur ses joues. Frôlant du bout de ses doigts les tatouages qui se cachaient à peine à la naissance de ses cheveux. Une pression, puis deux, puis trois, alors qu'ils s'élevaient dans le ciel. Siobhán ne pensait même plus à regarder la vue, tant celle qu'elle avait devant les yeux lui suffisait.

« Si on reste bloqués trop longtemps... On comptera le nombre de bâtiments qu'il y a à Londres. » Une pause. Non, c'était à autre chose qu'elle pensait. Une peau qui se réchauffait sous la sienne. « Ou le nombre de tatouages sur ta peau. J'en ai compté 52 la dernière fois mais je suis plus tout à fait sûre, et comme tu veux pas me donner le chiffre exact... Bien sûr, ça implique que tu acceptes de me les montrer à nouveau. »

Sous prétexte qu'il fallait qu'elle le trouve elle-même.

Sauf qu'il avait sans doute oublié jusqu'où pouvait aller sa détermination.

Mais pour l'instant, l'objectif n'était pas de compter les secondes qui passaient, ni même de compter quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs.

Ce moment devait durer éternellement.

Et lorsqu'il s'éloignait, elle restait appuyée sans bouger, se mordant la lèvre alors qu'il changeait de sujet. Et puis, elle s'approchait, incapable de tenir plus de quelques secondes loin de lui. Croisant les bras sur sa poitrine, elle faisait mine de réfléchir quand elle avait déjà la réponse à sa question.

« Ça dépend », commença-t-elle en entrant dans son jeu, se rapprochant un peu plus de lui à chaque mot qu'elle prononçait, un sourire pendu à ses lèvres.. « Si on parle en terme d'éclat ou des performances de la nature. » Elle marqua une pause, ses lèvres désormais assez près pour qu'elle ne puissent laisser passer rien d'autre que des chuchotements. « Si on parle en terme de performances de la nature, il y a une fleur, l'Arum Titan, qui n'est pas si belle que ça et qui sent incroyablement mauvais, mais qui a la particularité de fleurir une fois tous les 5 ans à 10 ans en Indonésie. Et ça dure seulement 72h. Sa beauté, c'est son caractère éphémère. » Caressant sa joue du bout de ses doigts, elle plongeait son regard dans le sien. « Mais il n'y a pas besoin d'aller si loin pour trouver des pivoines blanches. » Ses yeux bleus fondaient à nouveau sur sa bouche, alors que la roue continuait de les faire monter, comme cette tension que leurs regards étaient bien loin d'apaiser. D'autant qu'elle reprenait le jeu qu'elle lui avait proposé dans la salle commune, le premier soir, s'octroyant à son tour le droit de lui poser une question. « C'est quoi, ton endroit préféré sur la Terre ? »

Ravageur, se fit son regard lorsque Siobhán réalisa une fois encore qu’Edel avait éludé sa question. Une note silencieuse vint s’inscrire dans sa mémoire. Il n’était pas difficile d’en deviner la teneur, ni même de se douter qu’elle allait lui reposer la question à la moindre occasion.

Mais ce fut bientôt la malice qui s’installa dans ses pupilles, alors qu’elle comprenait mieux pourquoi ses mots étaient restés à l’intérieur de sa bouche, pourquoi Edel n'avait pas répondu. Son baiser l’avait détourné de ses propres pensées. Un peu comme quand il lui faisait perdre le fil de ses idées. Savoir qu’elle avait le pouvoir de le perturber la fit sourire, alors qu’elle ne résistait finalement pas à l’envie de l’interroger de nouveau, plus tôt que prévu.

« Alors ? Cette liste ? », souffla-t-elle en insinuant avec douceur ses lèvres dans son cou, patientant seulement quelques instants supplémentaires avant de l’embrasser de nouveau, dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités qu’un peu plus tôt.

Son corps entier s’animait sous cette chaleur qui la dévastait. La température extérieure n’avait que peu d’importance, quand il semblait que celle de la cabine à l’arrêt ne cessait d’augmenter. Chacun de ses gestes et de ses mots était devenu une menace à part entière pour cet objectif qu’elle s’était fixé, mais elle se concentrait sur leur discussion pour ne pas basculer.

Sur ce challenge qu’il venait de lui soumettre et dont la future Almadovar ne tarda pas à vouloir se saisir.

« Ok », fit-elle simplement, un seul de ces sourcils arqués sous le coup d’une attitude qui mettait en doute ses capacités.

Et, sans rien lui demander, Siobhán passa ses mains sous son tee-shirt, lui donnant probablement le sentiment qu’elle allait se laisser aller à la douce tentation de sa peau contre la sienne. Mais au-lieu de ça, elle leva son vêtement et le lui retira sans lui demander quelconque autorisation.

Si Edel n’était pas du genre à chercher à avoir son aval, alors elle ne voyait pas bien pourquoi obtenir le sien.

« J’ai fait ça à des fins purement scientifiques, tu t'en doutes bien », le prévint-elle en lui souriant doucement.

Bien sûr, elle alliait l’utile à l’agréable, profitant d’une vue sur un corps qu’elle avait sillonné de part en part. Son regard furetait déjà sur lui et le décompte avait déjà commencé dans sa tête, bien qu’il se rapprochait dangereusement et qu’elle perdit le fil à de multiples reprises.

« Je n’irai nulle part sans toi », rappela-t-elle entre deux baisers laissés à l’abandon sur sa peau blanche, bientôt recouverts par des cheveux qui n’en faisaient qu’à leur tête. Comme elle. « Alors attends-toi à visiter ton endroit préféré très souvent. » À peine dix tatouages plus tard, elle avait déjà mêlé son souffle au sien, traduisant sa hâte à ce qu’il succombe à ses doigts qui l’effleuraient. « Là où tu… ? » l’incitât-elle pour le pousser à poursuivre sa pensée dans laquelle Siobhán savait déjà qu’elle le suivrait.

Elle en oublia la cabine et ce monde qui tournait à leur pied, faisant alors d’Edel son monde — le sien. Ses yeux se fermèrent pour mieux se concentrer sur ses gestes, ses mots, son parfum. Elle avait perdu le compte des dessins sur sa peau mais, entrant dans un déni qui lui appartenait, elle se disait naïvement qu’elle le reprendrait ultérieurement, dans un univers où le moindre tatouage qu’elle frôlait pour l'additionner aux autres ne lui donnait pas envie de succomber à toutes ses envies.

« L’odeur de l’herbe fraîchement coupée… L’iode… probablement le parfum des pages des livres de la réserve de la bibliothèque… Et celui de ta peau. »

Pour illustrer ses propos, ses yeux toujours fermés, elle laissait sa bouche s’aventurer sur la ligne de sa mâchoire, s’imprégnant de cette même senteur qu’elle connaissait par cœur et qui lui donnait l’impression délicate d’être juste à sa place, là.

Dans la chaleur enivrante de ses bras.

« Qu’est-ce que tu ne m’as jamais dit et que tu voudrais que je sache ? »